À l’heure des mains jointes (1906)/En débarquant à Mytilène
EN DÉBARQUANT À MYTILÈNE
Du fond de mon passé, je retourne vers toi,
Mytilène, à travers les siècles disparates,
T’apportant ma ferveur, ma jeunesse et ma foi,
Et mon amour, ainsi qu’un présent d’aromates…
Mytilène, à travers les siècles disparates,
Du fond de mon passé, je retourne vers toi.
Je retrouve tes flots, tes oliviers, tes vignes,
Et ton azur où je me fonds et me dissous,
Tes barques, et tes monts avec leurs nobles lignes,
Tes cigales aux cris exaspérés et fous…
Sous ton azur, où je me fonds et me dissous,
Je retrouve tes flots, tes oliviers, tes vignes.
Reçois dans tes vergers un couple féminin,
Île mélodieuse et propice aux caresses…
Parmi l’asiatique odeur du lourd jasmin,
Tu n’as point oublié Psappha ni ses maîtresses…
Île mélodieuse et propice aux caresses,
Reçois dans tes vergers un couple féminin…
Lesbos aux flancs dorés, rends-nous notre âme antique…
Ressuscite pour nous les lyres et les voix,
Et les rires anciens, et l’ancienne musique
Qui rendit si poignants les baisers d’autrefois…
Toi qui gardes l’écho des lyres et des voix,
Lesbos aux flancs dorés ! rends-nous notre âme antique…
Évoque les péplos ondoyant dans le soir,
Les lueurs blondes et rousses des chevelures,
La coupe d’or et les colliers et le miroir,
Et la fleur d’hyacinthe et les faibles murmures…
Évoque la clarté des belles chevelures
Et des légers péplos qui passaient, dans le soir…
Quand, disposant leurs corps sur tes lits d’algues sèches,
Les amantes jetaient des mots las et brisés,
Tu mêlais tes odeurs de roses et de pêches
Aux longs chuchotements qui suivent les baisers…
À notre tour, jetant des mots las et brisés,
Nous disposons nos corps sur tes lits d’algues sèches…
Mytilène, parure et splendeur de la mer,
Comme elle versatile et comme elle éternelle,
Sois l’autel aujourd’hui des ivresses d’hier…
Puisque Psappha couchait avec une Immortelle,
Accueille-nous avec bonté, pour l’amour d’elle,
Mytilène, parure et splendeur de la mer !