À l’ombre de mes dieux/Demain

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À l’ombre de mes dieuxLibrairie Garnier frères (p. 30-32).
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DEMAIN


 
Quand la pelle aura fait sur nous son bruit de terre
Ô mon corps passager ! sur notre souvenir
Lorsque l’indifférence aura scellé la pierre,
De l’esprit qui nous meut que doit-il advenir ?

Quel nouveau jour va poindre ? Ô miracle sensible !
Comme la tige sort du noyau qui se rompt,
Notre Rêve, à travers l’Espace indestructible,
Va-t-il croître, sauvé du désastre du front ?

Verrons-nous, à mesure, une vigueur nouvelle
Redresser notre image en un monde plus beau ?
Poursuivrons-nous ailleurs notre route immortelle,
Ou si tout sera dit par les vers du tombeau ?


Ne restera-t-il rien de cet élan tenace,
De ce feu violent qui nous dévore au cœur,
De tant de fantaisie et de tout ce qui passe
En nous d’enthousiasme et de sainte ferveur ?

Je m’attache, ô mon âme ! à l’espoir de survivre
Dans ces vers agités de nos propres remous,
Mais si la Mort éteint jusqu’aux pages du Livre
Qu’il sonne encore au monde un vague écho de nous !

Soyons les mots confus que chuchote la brise ;
Le froissement des eaux ; ce qu’écoute en rêvant
Sur la terrasse en fleurs la jeune femme exquise
Que son beau lévrier fidèle va suivant !

Soyons l’étroit scrupule et l’humeur inquiète
De la vierge qui s’ouvre aux choses de l’Amour ;
Soyons ce que médite, en rentrant, le poète
À travers la prairie, au déclin d’un beau jour !

Soyons ce qui fleurit au cercle de la lampe
D’intimité sacrée, et soyons le refrain
Du pays, où le cœur du soldat se retrempe,
Et qui rend, en exil, son village au marin.


Consentons même à n’être, ô Muses immortelles !
À l’heure où le tumulte emplit le cabaret,
Que l’appétit de l’homme à travers les ruelles
Ivres, et l’aliment de son désir secret.