À la Côte d’émeraude

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À la Côte d’émeraude
Revue des Deux Mondes6e période, tome 6 (p. 197-204).
POÉSIES

À LA CÔTE D’ÉMERAUDE


SOUVENIR DES BORDS DE LA RANCE


Je revois ce printemps, cette aube, ce soleil,
Les châtaigniers en fleurs, l’abeille qui s’y pose,
La chapelle que baigne une lumière rose,
La ronce mûrissant son fruit bientôt vermeil.

Je revois la colline où vécut ma jeunesse,
Et j’entends des baisers dans un écho lointain.
Et les coups de la rame et la cloche, au matin.
Alors que tout palpite et vibre en saine ivresse.

A l’ombre du grand saule, en un beau jour de mai.
Assis l’un près de l’autre au bord de notre Rance,
Regardant le flot pur vert comme l’espérance,
Pour la première fois, ô délices, j’aimai !

L’alouette éperdue exhalait sa tendresse
Et mon cœur épanchait son juvénile amour.
L’hirondelle volait, heureuse du retour.
Et le pays natal fêtait son allégresse.


Voluptueux émoi dont frissonnent les bois,
Sève du renouveau de la terre entr’ouverte,
Senteur des genêts d’or sur cette côte verte,
« Emeraude » au ciel gris, je te sens, je te vois.


A MON IDÉAL


Partout où j’ai passé, cherchant un coin sauvage
Pour apaiser mon cœur, j’ai revu ton image.
« Et le soir, dans ma couche, ô mon lointain ami,
J’ai reconnu ton beau regard, et j’ai dormi.

Toujours, quand j’ai lutté, sur mon âme en détresse,
Ou vainqueur ou vaincu, j’ai senti ta caresse.
Et quand, seul, je veillais, au milieu de la nuit
Ta voix sainte montait vers moi, loin de tout bruit. »

J’ai gravi lentement les marches de la vie
En te tendant les bras. Ma jeunesse ravie
Nourrissait un espoir, éphémère, brillant,
Qui s’est évanoui tout en m’éblouissant !

Comme un nuage d’or, sur la poussière blanche,
Dans un désert brûlant, approche, vient, se penche,
Ton fantôme adoré, d’abord, vers moi courut,
Se cacha, s’effaça, puis enfin disparut.

Que n’es-tu demeuré, toi que, dans ma tendresse,
J’avais rêvé si grand, si pur en ta noblesse !
Je pleure en mon automne et le rêve et le sort,
Je pleure en mon hiver mon pauvre « Idéal » mort.


M’ENVOLER


Oh ! m’envoler avec la neige
Bien loin, encor plus loin d’ici.
Vers le Nord triste où le froid siège.
Où tout s’épuise et se durcit !


M’envoler, toute floconneuse,
Sur les branches des vieux sapins,
Au toit d’une fermière heureuse,
Puis retrouver les sables fins !

M’envoler, libre et sans entrave,
Dans le parc scintillant, gelé !
Humer, dans l’air, l’odeur suave
Et suivre le pigeon ailé !

Puis voler à votre fenêtre,
Où, seul, vous me regarderez.
Fondre ensuite pour reparaître
En goutte d’eau que vous boirez.


SUR UNE BAGUE


Au fond du vieux manoir, dans ma chambre bien close,
Assise à mon bureau, j’ouvre un ancien écrin
Et là, près de ma broche à pendeloque rose,
Je te retrouve, ô mon anneau, brillant et fin !
Ces souvenirs émus attendrissent mon être,
En contemplant la bague où « Sans cesse » est gravé,
Doux pressemens de mains, regards à la fenêtre.
Petit danger qu’ensemble on a parfois bravé !
Et je porte à ma lèvre, essuyant une larme,
Ce signe d’esclavage et de jeunes amours.
Trésor intime et cher de mystère et de charme.
Ne quitte plus ma main, reste avec moi toujours !
Le soir était si beau, la lune était si pleine
A l’heure où tu glissas sur mon doigt qui tremblait ;
J’entends encor les voix de cette nuit sereine,
Craquemens du branchage et grillon qui chantait.
Que ne puis-je avec toi partir à tire-d’aile,
Recommencer la vie et ses tendres langueurs !
Parle-moi du passé, mon anneau si fidèle,
Et revivons les ans, leur joie et leurs douleurs !



PLAINTES


Ecoute, ô ma douleur, le murmure du vent.
Il se plaint et gémit comme en une tourmente ;
Dans les bois dépouillés il rôde et se lamente
En mêlant tes sanglots à son lugubre chant.

Ecoute, ô ma douleur, les voix de la nature.
Goûtes-en l’harmonie et la grâce ; un beau jour,
Tout passera : beauté, chagrin, désir, amour,
douleur, traduis-en le rythme et la mesure.

Mais tu reviens, soleil, illuminer mes yeux.
Mon sang déjà brûlant à tes rayons s’enfièvre ;
Ma bouche se détend et je sens que ma lèvre
Perd son rictus amer en souriant aux cieux.

Je veux aimer enfin, oublier le calvaire,
Garder en moi ta douce et puissante chaleur,
Voir au jardin des pleurs refleurir le bonheur
Comme, au printemps, renaît la blanche primevère.


AU LAC MISURINA (ITALIE)


A trois heures du matin.

De ma croisée, à l’aube, à l’heure où tout repose,
Au pied de Cristallis doré d’un reflet rose,
Attendant les rayons éclatans du soleil.
Je contemple ton flot gonflé, lourd de sommeil.

A midi.

O lac Misurina, ta grâce encor m’attire,
Mais vois, l’orage gronde, ah ! que va-t-il détruire ?
La vague, en gémissant, fait ployer les roseaux,
Et baigne, en s’élevant, les feuilles des ormeaux.


A cinq heures.

Mais l’arc-en-ciel paraît, la tempête s’apaise :
Les rochers violets qu’un vent d’automne baise ;
Tout mouchetés d’écume et de flocons glacés
Fièrement élevés tendent leurs pics gercés.

A minuit.

Je jette, dans tes eaux, du mauvais sort le charme,
Pour puiser dans ton sein l’oubli, la paix, le calme.
O lac, regarde, entends ! Panse un cœur irrité !
Verse en moi la douceur de la sérénité.


A MON ANCIEN COUVENT DU SACRÉ-CŒUR


Immeuble appartenant originairement au maréchal de Biron : « J’ai deux maitresses, disait-il : mon régiment et mon jardin. » Cette propriété, 47, rue de Varenne (Paris), fut donnée à Madeleine Barat, fondatrice des couvens d’éducation du Sacré-Cœur.


J’ai revu mon ancien couvent :
La maison blanche,
Les arbres de la cour, l’auvent.
L’orme qui penche.

J’ai vu les dalles du couloir
Si reluisantes,
Le haut plafond du grand parloir,
Les fleurs grimpantes.

J’ai revu mon petit jardin
Et me rappelle
La rotonde où sculpte Rodin
Et la chapelle.


J’ai revécu pour un instant
Ma douce enfance ;
Le rêve, désir inconstant,
Plein d’espérance.

Ah ! que ce souvenir est loin !
La sœur tourière
Semble pourtant, au même coin
De grise pierre.

Aujourd’hui le lierre envahit
Rose et verveine
Isado Duncan danse et lit
Chez Madeleine,

Sainte Madeleine Barat
L’éducatrice,
Du Sacré-Cœur, sans apparat,
La fondatrice.

Je la vois sous son voile noir.
Sa large mante,
Nous bénissant toutes, un soir,
Presque mourante.

Une larme a baigné mes yeux.
Tombant furtive
Au cœur d’un iris radieux,
Près de l’eau vive.


LA VILLE D’IS

LÉGENDE BRETONNE


La ville d’Is est morte et son roi vit toujours
Dahut sa fille expie au fond des noirs séjours.


Merveille de l’Armor, ville de l’art antique,
Maisons de bronze et d’or et de luxe pervers,
Par-Isis, dans tes murs l’orgie est frénétique,
Tes plaisirs sont cruels et tes chants sont amers.

Fille du roi Grâlon, que la débauche hante,
La princesse Dahut, au cœur frivole et fier.
Et que la volupté sans frein toujours enchante.
Dans l’Armorique était fidèle à Lucifer.

Chaque nuit, au palais, vers une chambre obscure
Un esclave voilé conduit le jeune amant :
Le voile étranglera ce jouet de luxure
Et le cadavre glisse en un gouffre effrayant.

Mais l’âme des amans errait sur la colline,
Golfe des Trépassés, entends-tu leurs sanglots ?
La Princesse bravait la colère divine,
Les reproches du Roi, la violence des flots

Tous disaient à Grâlon : « Chasse Dahut l’impure ! »
Le père était trop bon, trop faible pour agir.
Il gardait à son cou la clé, seule parure
Qu’il ne quittât jamais, pas même pour dormir.

La clé de Par-lsis était un bijou rose
Qui protégeait la ville et la Pointe du Raz
Contre le tourbillon heurtant la digue close.
On entendait le bruit de l’onde aux larges bras.

Un soir, Dahut bravant la fureur paternelle
S’empara de la clé signe d’autorité.
Le pauvre Roi déchu pleura sa citadelle,
Les palais, les jardins de sa noble cité.


L’abbé de Lauvennec quitta son monastère ;
Ce saint de Cornouaille, entre tous très aimé,
Alla trouver Grâlon qui disait sa prière,
La tête entre ses mains près d’un phare allumé :

« Tremble, lui dit le saint, on ouvre notre digue,
O Grâlon, c’est la fin ! Sodome a brûlé ; l’Is
Bientôt ne sera plus qu’un noir figuier sans figue.
Sur un roc dénudé semblable aux lieux maudits. :

Le Roi s’enfuit alors. Voulant sauver sa fille.
Sur son cheval en croupe il l’enlève et l’on part.
Mais un mystérieux éperon qui scintille
S’enfonce dans les flancs de l’animal hagard.

Le poids devient trop lourd, la monture se cabre,
Les péchés de Dahut écrasent le coursier.
Et la Princesse tombe à la Pointe du Gàbre,
Souillant d’un sang impur les côtes de l’Oursier.

Délivré de Dahut, le roi Grâlon se sauve.
Mais il a la douleur, de son île de Sein,
De voir Is englouti sous une nappe fauve.
Il entend les soupirs qui soulèvent son sein.

Depuis, cette île assiste à nos plus grands naufrages
Et son sable engloutit maint objet précieux.
On entend sur le golfe et sur tous ces rivages
Les esprits implorer le pardon des aïeux.


DUCHESSE DE ROHAN.