À la veillée/0

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C. Darveau (p. I-III).

À

M. LOUIS-ALEXANDRE-MARIE JULLIEN

Vous souvient-il de ces heures charmantes que nous passâmes ensemble sur le petit cap de Kamouraska ? Pendant que, sous les sapins, nous causions d’art, de lettres, de religion, toutes choses qui élèvent l’âme, la consolent et la sauvent, que de fois, au milieu d’un silence, n’ai-je pas surpris votre regard errant sur les flots du Saint Laurent, et semblant y chercher un reflet de cette poétique mer de Provence que vous ne sauriez oublier. Vos enfants accouraient papillonner autour de vous : vous les embrassiez, et il me semblait voir la patrie canadienne et la patrie française réunies dans une même étreinte.

Ému, je songeais que parti de Marseilles, vous étiez venu — à trois siècles de distance — renouveller ici ce que jadis avaient accompli nos aïeux. Comme eux vous aviez mis au fond de votre cœur un lambeau de la patrie ; comme eux vous étiez parti courageusement pour vous faire canadien et vous joindre au vaillant groupe des pionniers de la France en Amérique. Alors — comme si vous saisissiez ma pensée — vous vous mettiez à raconter à vos enfants les dangers, les sacrifices, les actes de dévouement et d’abnégation de ceux qui créèrent le Canada ; puis, vous entremêliez cette leçon d’histoire de ces enseignements qui, lorsqu’ils sont bien compris par la jeunesse, finissent toujours par façonner et par tremper un homme.

Aujourd’hui, en corrigeant les épreuves de ce livre, toutes ces choses me sont revenues à la mémoire. Votre nom est tombé de ma plume, et en souvenir de ces heures éparpillées sous les sapins du petit cap, j’ai voulu offrir à vos enfants ces contes qui leur parleront du passé. En les leur lisant, n’oubliez pas de mettre ces chers petits en garde contre le merveilleux. Feu-follet, chasse-galerie, loup-garou, sorciers, revenants, ne hantent réellement que la poésie populaire, et sont aussi inoffensifs que ces personnages de Perrault qui faisaient dire au bon Lafontaine :

Si Peau d’Âne m’était conté,
J’y prendrais un plaisir extrême.

Faucher de Saint-Maurice.