À propos de la Deuxième année de musique
La deuxième année de musique ; solfège et chant, leçons, exercices, 73 chœurs, éléments d’harmonie, abrégé de l’histoire de la musique, par A. Marmoncel ; 1 vol. in-8°, A. Colin, 1890. — La librairie Armand Collin publie en ce moment un cours de musique de M. A. Marmontel. À la Première année vient de s’ajouter la Deuxième Année, et, sous peu, une Troisième année formera le dernier volume d’un tout complet et homogène dont on peut préjuger dès ce jour.
Le nom que porte la première page, et qui est celui d’un compositeur si autorisé dans le monde musical, serait déjà une recommandation, si des qualités toutes pédagogiques ne faisaient de ce cours un ouvrage d’enseignement presque parfait.
C’est que M. Marmontel reste de la première à la dernière ligne fidèle à ces principes inscrits au fronton de son livre : exprimer en une langue claire et sobre les définitions et les explications ; — ne jamais se servir d’un terme nouveau avant de l’avoir expliqué ; — n’aborder jamais qu’une difficulté à la fois et n’entamer la suivante que lorsqu’on a vaincu la première ; — se répéter à satiété et ne jamais craindre de revenir en arrière ; — garder une même méthode, reprendre le même chemin chaque fois qu’il s’agit d’atteindre un but semblable, afin que la méthode à suivre se grave dans la mémoire.
La Deuxième année, bien emboîtée dans la Première, forme cependant un cours complet. M. Marmontel reprend les éléments déjà vus ; mais il s’attarde sur certaines parties qu’il n’avait qu’effleurées, et aborde plusieurs nouvelles difficultés.
Une petite Histoire de la Musique éclaire dès le début les morceaux des compositeurs les plus illustres que l’élève trouvera dans ce volume.
M. Marmontel a songé aussi aux instruments, que les enfants entendent souvent sans les connaître ; il donne quelques notions sur leur origine, leur timbre particulier et le rôle qu’ils jouent dans l’orchestration.
Comme ce ne sont pas des mots qui font la valeur de ce livre, ce ne sont pas des mots qui en donneront une idée. C’est un petit cours en action. On entend parler le maître, on le voit agir sur les jeunes intelligences. Pour l’apprécier il faut l’avoir sous les yeux, ou, mieux encore, le pratiquer.
Toutefois, une chose qui frappe d’abord, c’est la sobriété du texte : quelques mots d’explication sont suivis de plusieurs pages d’exemples et d’exercices. Des devoirs écrits suivent chaque notion nouvellement acquise, afin que la pratique vienne graver la théorie dans la mémoire. Enfin, un court résumé ferme chaque chapitre.
Si l’on voulait tirer hors de pair certaines parties de ce cours partout excellent, ce seraient précisément les plus délicates, celles qui marquent en général le défaut des cours de musique : l’étude des clefs, celle des intervalles, et surtout celle de la formation des gammes par le tétracorde. Le commencement de l’air si simple du Joseph de Méhul sert d’exemple pour chacun des tons qu’on étudie dans le cours[1], ce qui prépare par avance dans l’esprit des enfants, l’idée de la transposition. L’auteur aborde en effet, à la fin du volume, la transposition, les modulations et les accords.
S’il faut faire une petite place à la critique, nous dirons que l’auteur, puisqu’il jugeait à propos de ne pas expliquer encore les intervalles augmentés et diminués, devait peut-être ne pas parler en terminant des accords correspondant à ces intervalles.
Peut-être aussi risque-t-on de troubler un peu les enfants en notant en clef de fa les secondes parties des exercices, puisqu’ils devront quand même les chanter au même octave que leurs camarades de la première partie, comme si la leur était écrite en octave au-dessus, ou en clef de sol aussi. M. Marmontel prévoit du reste l’objection et compte sur le maître pour en faire la remarque aux élèves. Il est certain qu’il est bon de rompre les élèves à la lecture en clef de fa, mais peut-être vaudrait-il mieux le faire dans des exercices à une seule voix. De cette manière d’ailleurs tous les élèves s’habitueraient en même temps à cette clef, car comme ce sont les meilleurs musiciens qu’on charge de préférence de la seconde partie, elle reste trop souvent composée des mêmes élèves.
La plus frappante des innovations de M. Marmontel réside dans les morceaux choisis.
L’auteur ne s’est pas contenté de réunir à la fin de son livre, en manière de délassement, les fragments des auteurs classiques, modernes et contemporains qu’il destinait à sa Deuxième année[2]. Il en a choisi d’autres, qu’il a scrupuleusement placés au courant du cours même, et qui font corps avec les exercices qu’il a composés pour ce cours.
M. Marmontel ne pouvait prouver d’une façon plus éclatante qu’en matière d’art les plus purs chefs-d’œuvre, ceux dont la beauté est le moins contestée, sont aussi les plus simples. Il épargne du même coup au maître l’une des parties les plus délicates de sa tâche. Combien de fois, désireux de varier son enseignement et de développer le goût musical chez ses élèves, le maître était-il fort empêché de choisir dans un recueil le fragment classique qui serait à sa place au point même du cours qu’il avait atteint ?
Mais ce qui nous fait peut-être encore le plus sensible plaisir, c’est de voir que l’auteur ne donne un morceau que quand il n’est pas obligé de le dénaturer. Nous déplorions souvent de voir dans certaines anthologies des fragments dont les paroles, qui avaient dû être remplacées, n’étaient plus dans le moindre rapport avec le sentiment exprimé par le compositeur, dont le texte musical lui-même était si bien découpé et simplifié que sous ce travestissement on avait peine à reconnaître l’original.
Ici, tout au contraire. Des conseils sur l’émission de la voix et sur l’observation des nuances précèdent les morceaux choisis. M. Marmontel conseille aux élèves de lire les paroles d’abord, avec attention, pour comprendre les sentiments qu’elles expriment ; puis de remarquer que la musique souligne et rend plus vive et plus sensible l’impression produite par la poésie.
Au-dessous du titre enfin, à côté des noms du poète et du compositeur, M. Marmontel explique en quelques lignes de quelle œuvre musicale le morceau est extrait, dans quelles circonstances et par qui le morceau est chanté, quels sont les sentiments que doit exprimer le chœur ou le personnage. Parfois il ajoute un conseil pour l’exécution du chant, ou bien il appelle l’attention du maître sur le passage le plus difficile ou le plus délicat.
La lacune si sensible dans nos recueils est enfin comblée. Il faut en remercier M. Marmontel et son éditeur.
Il faut encore ajouter que les mélodies signées du nom de l’auteur lui-même sont à leur place, grâce à leur exquise simplicité, au milieu des chefs-d’œuvre de nos maîtres.
- ↑ On s’arrête aux tons de mi naturel et de la bémol majeur et à leurs relatifs mineurs.
- ↑ Le Chœur des Vieillards de Faust (Gounod) ; Le Chœur des Gamins de Carmen (Bizet) ; Un chœur de Sigurd (Reyer) ; Le Chœur des dames d’honneur du 2e acte des Huguenots (Meyerbeer) ; le chœur pour voix de femmes, Prière, du 3e acte des Huguenots (Meyerbeer) ; La Fédérale (Massenet).