À soi-même : Journal (1867-1915)/Puvis de Chavannes

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Texte établi par Introduction de Jacques Morland, H. Floury, Éditeur (Notes sur la vie. L’Art et les Artistesp. 151-152).

PUVIS DE CHAVANNES

Aux grandes époques on peint à fresque ; mais aux autres que fait-on ? On peut certes couvrir les murailles de travaux importants ; on peut également traiter la peinture historique ; de fort belles pages peuvent être essayées dans l’art de la décoration ; mais on ne réussira facilement bien dans ces genres élevés qu’en traitant son sujet avec une modestie rigoureuse, avec cet esprit d’abnégation qui sait dicter à la main un travail simplificateur et sommaire. C’est ce que sait Puvis de Chavannes, et c’est pour cette raison qu’il a pu, sans s’écarter jamais du parti qu’il a pris, réussir si bien à peindre sur la pierre, tâche téméraire et hardie à l’égard de laquelle la critique s’est montrée trop sévère.

On ne comprendra pleinement l’œuvre de ce maître qu’en se mettant à son propre point de vue qui est celui-ci, sans nul doute : modeler la figure humaine et les arbres et toutes choses comme s’ils étaient au dixième, au vingtième plan ; la clef de son œuvre est là.

Regardez un objet lointain et voyez comme les lignes se simplifient, comme les plans se réduisent, comme l’écart des valeurs y est peu sensible. Les figures y ont une ombre, une lumière, et l’ombre projetée par les corps n’y est pas visible. À l’horizon les montagnes ne seront plus qu’une arête qui se découpera sèchement sur le ciel, comme en un décor.

Puvis de Chavannes est presbyte par abstraction : il a dû réfléchir longtemps avant de peindre et de trouver sa voie, cette voie discutée et contestée comme toutes celles qui découvrent une intelligence personnelle. Bien lui a valu pourtant de la trouver et de la suivre, puisqu’il a pu nous livrer son esprit sans réserve, peindre son rêve, et faire en un mot une œuvre que l’on imite et qui restera : il a trouvé un style.