À travers l’Espagne/32

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À travers l’Espagne, Lettres de voyage
Imprimerie générale A. Côté et Cie (p. 309-323).


xxxii.

LA LITTÉRATURE CONTEMPORAINE EN ESPAGNE.

Commencement du dix-neuvième siècle. — Poètes dramatiques et lyriques. — Romanciers. — Don José Zorilla. — Une légende. — Fabulistes et fables. — Don Antonio de Trueba. — Contes et chansons.

Le commencement de ce siècle a vu se continuer la lutte entre les héritiers des grands maîtres du seizième siècle et les imitateurs des deux écoles françaises, les classiques et les romantiques.

L’imitation des écrivains et des poètes anglais, surtout de Walter Scott, de Byron, de Young et d’Addison, devint aussi fort à la mode.

Il en est résulté une littérature mixte, qui n’est pas tout à fait sans originalité, parce que, tout en acceptant certains procédés étrangers, elle garde un cachet national.

Martinez de la Rosa a continué Moratin, comme dramaturge, et il a obtenu comme lui de grands succès, non seulement en Espagne, mais sur les théâtres de Paris et de Londres.

Breton de los Herreros, Hartzenbusch ont également réussi au théâtre, et le premier est surtout remarquable par sa fécondité. Mais les uns et les autres, tout en se distinguant par certaine originalité native dans le dialogue, sont des échos tantôt des classiques et tantôt des romantiques français.

D’autres ont plutôt subi l’influence de la littérature anglaise, et nous ne pouvons que nommer les plus remarquables : Pastor Diaz, Garcia Guttierrez, Castro y Arozco, Espronceda, Bermudez de Castro, et don Angel de Saavedra, duc de Rivas.

Ce dernier, tout en imitant quelquefois Walter Scott, n’a pas oublié les anciens maîtres espagnols, et il a écrit en vers des légendes qui rappellent, ou plutôt qui continuent le Romancero.

Le duc de Rivas a écrit aussi pour le théâtre avec beaucoup de succès, et son drame, la Fuerza del Sino, est peut-être le plus beau que l’Espagne ait produit dans ce siècle. Verdi en a tiré son bel opéra, la Forza del Destino, comme il a tiré Il Travatore d’un chef-d’œuvre espagnol, le Trovador de Garcia.

Nous n’en finirions pas si nous voulions faire pour la littérature espagnole contemporaine une étude même rapide des œuvres remarquables qu’elle a produites. Nous en serions d’ailleurs incapables puisque les traductions font défaut.

Disons seulement que depuis un demi-siècle le génie littéraire de l’Espagne s’est réveillé, et a enfanté des chefs-d’œuvre dans tous les genres.

Quel pays n’envierait pas à l’Espagne du dix-neuvième siècle un philosophe comme Balmès, des orateurs comme Donoso Cortès et Emilio Castelar, des poètes dramatiques comme le duc de Rivas, Tamayo, qui signe Joaquin Estebanez, Ayala qu’on appelle l’héritier de Calderon, et Echegaray ?

Où trouverait-on des écrivains humoristiques supérieurs à Miñano, à Mesonero, et à Larra, l’infortuné jeune homme, qui, après avoir écrit tant de pages pleines de sarcasmes et de misanthropie, s’est livré au désespoir et s’est suicidé ?

Comment n’admirerait-on pas des romanciers comme Fernan Caballero, la Avellaneda, que l’on a comparée à George Sand, mais qui n’en a pas l’immoralité, Fernandez y Gonzalez, Miguel de los Santos Alvarez, Selgas, Antonio de Trueba, Antonio de Alarcon, et Valera ?

Don Juan Valera est né dans une petite ville de l’Andalousie. Son père était contre-amiral, et sa mère était marquise. Il eut une jeunesse un peu aventureuse, et fut attaché d’ambassade à Naples, à Dresde, à Petersbourg et même au Brésil.

En 1859, il entra dans la politique, fut élu député, et collabora au journal devenu fameux, El Contemporaneo. Depuis, il a été deux fois ministre, puis il a été envoyé comme plénipotentiaire à Francfort, et aujourd’hui il est sénateur, et professeur de littérature étrangère contemporaine à Madrid, dans une sorte d’université libre.

Deux de ses romans ont été traduits et publiés sous le titre « Récits andalous ». Ils sont très curieux et fort remarquables comme romans de mœurs andalouses et comme études psychologiques ; mais il a une teinte libérale assez prononcée, et ses principaux personnages n’ont pas toujours des mœurs édifiantes.

J’ai nommé quelques poètes dramatiques, mais il y en a d’autres.

Il y a Ventura de la Vega, Rubi, Equilaz, Serra, Nunez de Arce, et d’autres encore. Il y a aussi les poètes comiques, qui raillent et châtient les ridicules et les défauts de la société, et dont les principaux sont Eusebio Blasco, Ramos Carrion, Cano, Graspar, et Ricardo de la Vega.

J’oubliais Zorilla, non pas l’homme politique, mais le poète qui est une des gloires de l’Espagne, et dont je viens de lire une poésie très belle.

Don José Zorilla est vraiment un grand poète, lyrique et dramatique. Il a eu la vie aventureuse, la précocité, et presque les succès des illustres ancêtres du seizième siècle.

Il est né en 1817, et il a étudié dans les universités de Valladolid et de Tolède. De 1837 à 1845, il a écrit trente pièces de théâtre, et plusieurs volumes de poésies lyriques, qui témoignent d’une inspiration élevée, et d’une verve inépuisable.

Malgré ses succès, il ne fit pas fortune, et son père ayant été ruiné par la guerre des Carlistes, il alla à Paris pour y publier une grande épopée, sous le titre de « Grenade ». Mais après deux années de travail et deux volumes publiés, il dut abandonner l’entreprise qui resta inachevée, et il partit pour le Mexique.

Les Mexicains l’accueillirent avec enthousiasme, et il passa douze ans au milieu d’eux. L’empereur Maximilien avait promis d’assurer son avenir ; mais l’avenir manqua au malheureux empereur, et Zorilla revint en Espagne pour y recommencer la vie.

Hélas ! il était devenu vieux et on l’avait un peu oublié. Mais après de nouveaux travaux, le gouvernement de son pays lui vint en aide, et le chargea d’une mission en Italie. Puis il écrivit dans quelques journaux, et publia ses Souvenirs. Enfin son ami, Emilio Castelar, réclama pour lui dans les Cortès, à titre de récompense nationale, une pension viagère qui lui a été accordée.

Son Don Juan Tenorio est, parmi ses œuvres dramatiques, celle qui lui a obtenu le plus de succès. Mais il ne travaille plus guère pour le théâtre, et il fait aujourd’hui des légendes qui rappellent le vieux romancero.

Nous en trouvons une charmante, traduite en quatrains par Boris de Tannenberg et publiée dans la Revue Bleue. Elle est intitulée « Le Christ de la Vega ».

La scène se passe à Tolède, au bon vieux temps des aïeux, alors que Don Pedro d’Alarcon, gouverneur, rendait la justice. Une femme, voilée de crêpe, vient se jeter à ses pieds et demande qu’on fasse droit à sa plainte. Un noble officier l’a séduite en jurant de l’épouser, et l’a depuis abandonnée.

L’officier, nommé Diego, est appelé, et interrogé. Mais il fait serment que cette femme en a menti.

— As-tu des témoins ? demande le juge à la malheureuse Inès.

— Hélas ! je n’en puis avoir, répond la pauvre femme ; et le juge est obligé de décharger don Diego, le traître.

L’officier tourne le dos
Et, son grand manteau flottant,
Fier, toisant tous les badauds,
Il s’éloigne en sifflottant !

Or, il était déjà loin
Quand Inès séchant ses pleurs
S’écria : « J’ai mon témoin ;
Rappelez-le, messeigneurs !

« On prend le témoin qu’on peut ;
Le mien ne fera défaut.
En penchant la tête un peu
Il nous regardait d’en haut. »

— D’en haut, dis-tu. Ton témoin
Était donc sur quelque toit,
Sur une colline, loin ?
— Il était près, comme toi !

Son pauvre corps est pendu.
C’est d’un gibet qu’il nous vit.
— Femme, ai-je bien entendu ?
Ton témoin est mort ? — Il vit !

— Vrai Dieu, tu es folle ! — Non.
— Cette femme divagua,
Seigneur… Ton témoin, son nom ?
— C’est le Christ de La Vega,

Oui, le grand Christ qui, je crois,
Du serment se souviendra ;
Car c’est au pied de sa croix,
Là-bas, que Diego jura ! »

Au nom sacré du Sauveur
Comme témoin assigné,
Les soldats, le gouverneur,
Tout le monde s’est signé……

« Femme, femme, en vérité,
Ton témoin est le meilleur.
Mais il aurait mérité,
Qu’on lui fit plus grand honneur.

Le seul tribunal de Dieu
Eut été digne de lui ;
Mais enfin, puisqu’en ce lieu
Tu l’assignes aujourd’hui,

Greffier, nous allons surseoir ;
Avec votre parchemin
Au soleil couchant, ce soir,
Vous vous mettrez en chemin.

À la Vega vous irez,
Et respectueusement
Au Christ vous demanderez
De témoigner sous serment ! »

Ainsi dit le justicier ;
Et vers la Vega, le soir,
On vit aller le greffier,
Solennel, vêtu de noir.

Puis pâle d’émotion,
Inès, — puis le gouverneur —
La foule, en procession,
Faisant sa sourde rumeur ; —

On voyait aussi marcher
Dans leur plus grand appareil,
Chacun suivi d’un archer,
Les juges du grand conseil ; —

Son grand feutre sur les yeux,
Frisant d’un air de dédain,
Sa moustache au poil soyeux
Du bout de son gant de daim,

Diégo venait le dernier.
Sitôt qu’on fut parvenu
Devant la croix, le greffier
Vint s’arrêter, le front nu.

Il lève les yeux, tremblant,
Vers le bois noir, recouvert
Par le corps du grand Christ blanc,
Du grand Christ au flanc ouvert,

Et dont le front, écorché
Par l’épine le ceignant,
À chaque pointe accroché
Laisse un clair rubis saignant.

Il dit, pliant les genoux :
« Jésus, plein de vérité,
Comme témoin devant nous,
Ce matin tu fus cité.

Fils de Marie et de Dieu,
Qui parmi les hommes vins,
Fais-tu serment qu’en ce lieu
Un jour à tes pieds divins,

Ce don Diego Martinez
En échange d’un baiser
Prit pour fiancée Inès
Et jura de l’épouser…… ?

Mais un grand cri de stupeur
Monte, — car tous ont ouï,
Pris d’une indicible peur,
Une voix répondant ; Oui !…

Et le grand Christ brusquement
Tendant son bras décloué,
Afin de prêter serment
A levé son poing troué !……

Après Zorilla qui représente éminemment la poésie lyrique et dramatique, disons quelques mots des fabulistes de l’Espagne.

La fable est un genre littéraire que les Espagnols affectionnent beaucoup, et les écrivains qui le cultivent ne manquent pas.

C’est ainsi qu’ils possédaient, il y a peu d’années, un fabuliste dans le Sénat, un autre au Congrès, et un troisième à l’Académie.

Celui dont je veux parler n’appartient à aucun de ces corps illustres, et il n’écrit que des fables ; mais il y réussit d’une façon remarquable, et il sait approprier ce genre de composition aux mœurs et aux idées de son temps et de son pays.

Il se nomme don Miguel Agustin Principe ; et, comme sa vie a été modeste, elle est très peu connue. Entré dans la carrière administrative, il a dû subir plus ou moins le mouvement des fluctuations de la politique espagnole ; mais son talent est resté noble, honnête, élevé.

Citons quelques-unes de ses fables :

LE PALMIER ET L’OLIVIER.

Vain, orgueilleux, hautain et fier, un beau palmier livrait au vent son panache pompeux et méprisait un humble olivier, parce qu’il n’avait pas son arrogante chevelure.

« — Regarde mes tresses, lui disait-il, et meurs d’envie, en voyant avec quelle ardeur l’homme les recherche, pour peu qu’il désire éterniser son nom. Pendant qu’avec tes feuilles et tes maigres rameaux, tu ne lui fournis que du bois pour son foyer, moi, rival du laurier d’Apollon, je survis aux rudes outrages du temps, et animant à l’épreuve les âmes ardentes du martyr, de la vierge, du guerrier, de tout ce que le monde entier renferme de héros, je leur donne à tous une récompense, une palme. »

« — J’en conviens, dit l’olivier, mais ce n’est pas une raison pour que tu mettes ta joie et ton orgueil à me mépriser. Car, si humble que je sois, je produis l’huile, et j’éclaire les autels du Dieu vivant. Qu’y fait-on alors de ce que tu appelles ta chevelure ? Pour t’apprendre ce que vaut ta présomptueuse vanité, sache, mon fils, que mon huile y brille le jour et la nuit, et qu’au rayon du jour naissant je vois le sacristain se servir de ces palmes que tu vantes si fort, pour balayer le temple. »

N’ayez point d’orgueil ; c’est un vice que ma fable flétrit avec raison. Dieu, qui élève le mortel humble et modeste, confond l’insolent et le superbe.

LE MÉRITE ET LA FORTUNE.

Cheminant de jour et de nuit avec une impitoyable ardeur, le Mérite et la Fortune se rencontrèrent une fois. Et tous deux de dire alors en même temps : — « Qui donc a pu nous réunir ainsi dans une fraternelle étreinte ? » — Le Hasard les entendit, et en riant leur cria : C’est moi.

LE RÊVE DU ROI ET CELUI DU VILLAGEOIS.

Un villageois dormait, et pendant son sommeil rêvait qu’il était roi, et la joie que lui donnait ce rêve était si grande, qu’il se regardait comme l’homme le plus heureux du monde.

Le même jour, en un doux repos, certain roi rêvait qu’il était un simple villageois, et sa joie en était si grande qu’il se croyait l’homme le plus heureux du monde.

En se réveillant, tous les deux s’écrièrent : — « Songe trompeur ! pourquoi faut-il que dans cette vie les peines soient des choses réelles, et que la félicité et le plaisir ne soient qu’un rêve ? »

Ces trois fables font connaître l’homme, et la morale qu’il prêche. Nous est avis qu’il ressemble à l’olivier modeste qui, en produisant l’huile, fournit aux hommes une lumière douce et discrète.

Nous avons déjà cité une page d’un autre poète également modeste, don Antonio de Trueba

Il est le poète et le conteur des Biscayes, comme Fernan Caballero est le romancier de l’Andalousie. Tous deux affectionnent le genre pastoral, et décrivent les mœurs des campagnards dans des idylles charmantes. Tous deux ont le respect de la morale et de la religion.

Trueba fait aussi des fables et des chansons. C’est le vrai chanteur populaire, mais pas à la façon de Béranger qui a tant outragé la morale.

Il est né de simples laboureurs dans un hameau des Biscayes, et ce sont les vallées et les montagnes de son pays natal qu’il décrit toujours dans ses nouvelles.

À quinze ans, il fut envoyé à Madrid, pour servir de commis chez un parent quincailler ; mais tout en débitant de la quincaillerie derrière son comptoir, il lisait beaucoup ; puis il suivit les cours universitaires et prit ses degrés. Une nuit sur deux était consacrée à l’étude.

On comprend qu’il finit par abandonner le magasin, et par se livrer entièrement à ses chers travaux littéraires. Il collabora à plusieurs journaux pour gagner le pain quotidien, et pendant ses nuits il faisait des chansons dont il a publié un volume, et des nouvelles qui ont pour titre « Contes couleur de rose ».

Les souvenirs du pays natal y abondent, et ses descriptions sont toujours des peintures naïves et charmantes des vallées et des collines où s’écoula son enfance.

Lisez cette description du hameau de Cabia, qui signifie nid en langue basque, et qui se compose de dix ou douze maisons blanches comme la neige et d’une modeste église, groupées dans un ravin, au bord d’un torrent que deux collines ombragent :

« Le torrent court entre elles, se plaignant tout haut de l’âpreté du chemin, et roulant comme une pierre détachée de la pointe de Pico-Cinto ou Colisa, comme pour se hâter de franchir le mauvais pas ; mais, arrivé à la dernière pente des collines, son murmure est déjà moins haut, sa colère jette moins d’écume, et quand il arrive tout en bas, c’est à peine si on l’entend.

« Au pied des collines, le torrent ne murmure plus : il sourit et gazouille agréablement, parce que là il rencontre des noyers et des cerisiers dont l’ombre le repose de ses fatigues, des lèvres fraîches et souriantes qui l’effleurent, de beaux vergers parfumés de la fleur des arbres fruitiers, entre lesquels il va faire un tour pour se distraire et recevoir les ovations des pêchers et des pommiers qui lui jettent leurs fleurs à pleines mains.

« La colline du midi se soulève légèrement à droite, et celle du nord à gauche, comme pour protéger des deux côtés le petit village de Cabia, et Cabia, ainsi abrité, vit content, tranquille et heureux. Les hommes l’oublient, mais Dieu se souvient de lui, et il n’en demande pas davantage ».

Le conteur a gardé l’amour du clocher, et il se complaît à rappeler les jours de son enfance.

Dans ses chansons, il a chanté ses jeunes amours avec une naïveté et une grâce charmantes. On en jugera par celle-ci :

« Les jeunes filles au teint de neige, et à la blonde chevelure, sont de jolies petites fleurs, mais de petites fleurs sans parfum. Enfants glacés du Nord, aimez-les, rien de mieux, elles doivent vous plaire comme la neige de vos sierras ; mais, en Castille, nous aimons les jeunes filles aux brunes joues, nous voulons des âmes ardentes comme ce soleil qui nous brûle. On nous représente Jésus brun, et brune aussi Madeleine. Brunes ont été assurément Azulema la Grenadine, et Isabelle l’Aragonaise, et la Castillane Chimène, qui laissèrent une mémoire éternelle dans les annales de l’amour. Elles sont brunes aussi, les jeunes filles de mon pays, brune est la belle que j’adore ; vivent les brunes !

« Ainsi demandant à l’histoire des arguments qu’elle leur refuse, les chansons du midi exaltent les brunes, ainsi le peuple de Castille prête la couleur de l’ébène à votre blonde chevelure, ô Jésus ! ô Madeleine ! Moi, Anton le chanteur, je naquis comme eux dans cette patrie bienheureuse, où l’amour c’est le paradis, où l’indifférence ce sont les limbes ; mais je ne demande pas à l’amour une joue basanée, je lui demande une joue de lis et de rose ! ô jeune fille aux yeux bleus que je vis dans mon village, pleurant d’amour et de mélancolie, quand le triste soleil des morts dorait la crète de la sierra, j’aime ton amour et ta tristesse ».

Tel est l’accent qui domine dans les chansons du poète. Une douce mélancolie gonfle son cœur chaque fois que sa pensée revient au village où s’écoula son enfance.

Citons encore cette page :

« Bien des fois, rêvant de mon pays, car c’est mon rêve de tous les instants, je me représente le moment où Dieu permettra que je retourne à mon vallon natal. Quand ce moment sera venu, il y aura déjà des rides à mon front et des cheveux blancs sur ma tête.

« Je choisirai un jour de fête pour arriver à ma chère vallée, et, au détour de la colline, d’où on la découvre tout entière, j’entendrai sonner les cloches de la grand’messe. Comme elles retentiront doucement à mon oreille, ces cloches, qui tant de fois me remplirent de joie dans mon enfance !

« J’avancerai dans le vallon, le cœur palpitant, la respiration haletante et les yeux remplis de larmes d’allégresse. Là, je verrai apparaître, avec son clocher blanc et sonore, l’église où sur le front de mes pères et sur le mien fut versée l’eau sainte du baptême…… la petite maison blanche où nous naquîmes tous, et mon aïeul et mon père, et mes frères et moi……

« Mais où seront, mon Dieu ! tous ceux qui, les yeux pleins de larmes, me firent leurs adieux, il y a déjà tant d’années ? Je continuerai à avancer dans la vallée ; elle, je la reconnaîtrai, mais non ses habitants. Sera-t-il alors entre les douleurs une douleur plus grande que la mienne ? Les gens réunis sous le porche de l’église, pour attendre le moment d’entrer à la messe, s’approcheront de la rampe qui donne sur la chaussée, d’autres se mettront aux fenêtres, tous pour voir passer l’étranger, et ni eux ne me reconnaîtront, ni moi je ne les reconnaîtrai ; car ces enfants, ces jeunes gens, ces vieillards, ne seront ni les vieillards, ni les jeunes gens, ni les enfants que je laissai dans ma vallée natale » !

Terminons par ce chant plaintif l’esquisse absolument incomplète que nous venons de faire de la littérature espagnole. Il nous semble imprégné du sentiment général qui la caractérise : l’amour du sol natal et de la religion.