À travers l’Europe/Volume 1/La Clyde

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P.-G. Delisle (1p. 64-71).








L’ÉCOSSE

L’ÉCOSSE


I

LA CLYDE.



QUAND les premiers rayons du soleil vinrent éclairer les cabines du Lord Lyons, où nous avions fort mal dormi, nous longions les côtes de la vieille Calédonie.

Le temps était superbe, et le soleil joyeux dansait sur la vague. Une brise fraîche courait légèrement entre le ciel et la mer bleus. Quelques voiles blanches s’enfuyaient à l’horizon, et toutes les îles verdoyantes, qui forment comme une ceinture d’émeraudes à la terre des Scots, défilaient lentement sur notre droite.

Ailsa Craig élevait dans le lointain son sommet dénudé, semblable à une coque de noix énorme, dont le cône escarpé n’est accessible qu’aux seuls oiseaux de mer !

Bientôt nous entrons dans l’embouchure de la Clyde, dont les rivages déroulent à nos regards les aspects les plus variés et les plus pittoresques.

Tantôt ce sont de gracieuses baies au fonds desquelles de jolis villages se mirent dans l’eau ; tantôt des montagnes désolées aux flancs desquelles pendent de vieux châteaux. Ici c’est un vallon dont les pentes douces étalent les merveilles d’une culture perfectionnée et de blanches villas perdues dans le feuillage. Là s’étendent de florissantes petites villes dont les steamers et les vaisseaux de toutes formes sillonnent les eaux de la baie en tous sens.

C’est ainsi que nous admirons tour à tour Rothesay, Dunoon, Greenock et Dumbarton Castle ; puis nous entrons dans ce qui est à proprement parler la Rivière Clyde. L’aspect change subitement et devient mesquin.

La Clyde n’est qu’un ruisseau qu’on a transformé en rivière à force de le creuser, et qui désenchante le voyageur américain, accoutumé aux larges fleuves. Ses rivages s’abaissent et se resserrent, et de chaque côté s’allongent les innombrables chantiers de construction qui sont la richesse de Glasgow, et qui lancent des milliers de navires sur toutes les mers du monde.

Enfin, voici la troisième ville de la Grande Bretagne qui s’étend sur les deux rives de la Clyde, traversée par quatre ponts.

Très populeuse et florissante, cette ville intéresserait sans doute les admirateurs du commerce et de l’industrie. Mais elle offre peu d’attraction à l’artiste, et nous la traversons en courant.

Si nous côtoyons les quais en débarquant du bateau, nous entrerons en passant dans l’église catholique de Saint André, qui se trouve sur la gauche de Great Clyde Street, et dont l’aspect modeste nous fait assez voir que nous ne sommes pas dans un pays catholique.

Pauvre Écosse : Toi aussi tu appartenais jadis à cette Église de Rome qui civilisa tes hordes de Montagnards et leurs chefs. Mais un jour un souffle empoisonné venant de la Suisse parcourut tes villes et tes campagnes. L’un de tes enfants les plus fougueux et les plus ardents, inspiré par Calvin, souffla dans ton cœur le mépris de cette Église qui t’avait donné la vie, et cédant à son éloquence entraînante tu arrachas violemment de ton sol cet arbre catholique, à l’ombre duquel tu grandissais libre et fière.

Tu me diras sans doute que l’apostasie t’a épargné bien des souffrances, et que tu n’envies pas le sort de l’Irlande. Mais un jour viendra peut-être où tes fils envieront ses destinées. Les martyrs de la Foi ne meurent jamais entièrement, et la nationalité écossaise est morte, sans avoir souffert.

En remontant High Street, nous arrivons par une côte raide, et mal pavée à la cathédrale de Saint Mungo. Il fait bon rencontrer tout à coup au milieu de cette ville dont toutes les belles constructions sont modernes, cet antique monument d’architecture gothique qui remonte au XIIe siècle. Hélas ! il y a bientôt trois siècles que les disciples de Knox l’ont enlevé au catholicisme, et ce n’est pas sans regrets que l’on se reporte à l’époque où ces voûtes ogivales retentissaient des hymnes romaines.

Walter Scott a longuement décrit dans Rob-Roy ce temple sombre et massif, entouré de pierres sépulcrales, et bâti sur une hauteur d’où il domine la ville.

En arrière se creuse un ravin profond au fond duquel murmure un ruisseau, et de l’autre côté du ravin sur les flancs escarpés et pittoresques d’une autre colline nous apercevons la nécropole ombragée de Glasgow, au sommet de laquelle s’élève le joli monument de Knox.

S’il vous plaisait de voir quelques larges rues bordées de jolies boutiques, ou quelques édifices modernes, je pourrais vous en montrer.

Mais si vous voulez m’en croire, nous irons loin du bruit nous reposer un peu sous les frais ombrages de Kelvingrove Park. Nous parcourrons ainsi dans toute leur longueur les rues George et Sauchichall qui sont bien les plus belles, et nous jetterons un coup d’œil en passant sur le monument de Walter Scott, et les diverses statues qui ornent George square.

Une bande militaire nous attend sur les pelouses émaillées de fleurs de Kelvingrove, et pendant que nous prêterons l’oreille à ses concerts, notre esprit s’envolera vers le pays, dans ce vieux Québec et sur cette esplanade où nous avons entendu les mêmes airs.

Puis nous visiterons l’Université, ce bel édifice qui couronne les hauteurs de Kelvingrove, et dont la tour centrale ressemble à celle d’Ottawa, et retraversant le parc accidenté, la petite rivière Kelvin, et les jolis parterres qui couvrent les versants de ces gracieuses collines, nous reviendrons vers la ville, sans nous attarder. Car, c’est aujourd’hui samedi, et les écossais, en bons presbytériens qu’ils sont, se préparent par un festival universel à passer le dimanche saintement.

Le Scotch wiskey coule à flots, et l’on m’assure que le samedi soir la ville est trop gaie pour être paisible et sûre.