Nouvelles poésies (Van Hasselt)/À une enfant

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Odes
Nouvelles PoésiesBruylant et Cie (p. 68-70).


À une enfant.





Sinite pueros venire ad me.
Evang. sec. Lucam, XVIII, 16.





Jeune enfant, qu’il est beau le rêve de votre âge !
Comme une fleur de mai qu’ignore encor l’orage,
Aux pleurs de la rosée, aux rayons du printemps
Souriez bien longtemps.

Car il est tant de maux et de deuils dans la vie,
Tant de chemins errants ou notre foi dévie,

Tant d’abîmes cachés sous nos sentiers fleuris,
De larmes sous nos ris.

Laissez jouer au vent le clair et beau nuage
Que dore le soleil en son flottant voyage.
Le regret assez vite arrive sur nos pas.
Enfant, n’échangez pas

Vos jours riants et purs contre nos jours moroses ;
Ne quittez pas trop tôt votre jardin de roses
Pour notre forêt sombre aux chemins ténébreux
Qui se croisent entre eux.

Restez sous vos berceaux si frais, sur la lisière
Du labyrinthe obscur, béante fondrière ;
Jouissez-y du temps que vous donne le ciel,
De vos heures de miel.

Écoutez-y de loin la rumeur de la chasse
Que la brise à travers les feuilles roule et chasse,
Et, parmi les taillis, la fanfare des cors
Gémissant en accords ;

Et, sous l’acacia, la chanson des mésanges,

Si douce qu’on dirait l’hymne lointain des anges
Saluant l’enfant né dans la nuit de Noël
Du nom d’Emmanuel.

Cueillez-y vos bouquets de pâquerettes blanches,
Et de myosotis, doux frères des pervenches,
Et de muguets d’ivoire et de narcisses d’or
Où la mouche s’endort.

Mais ne franchissez pas d’un pied votre limite,
Belle enfant, pour chercher la grotte d’un ermite
Ou les œufs d’un bouvreuil errant loin de son nid
Que le bon Dieu bénit.

Car vous ne trouveriez, dans le dédale immense,
Que torrents écumeux roulant comme en démence,
Que loups au regard fauve, et sangliers grondants
Qui s’aiguisent les dents ;

Que monstres jour et nuit veillant dans leurs repaires,
Basilics couronnés, couleuvres, et vipères,
Et boas déroulant leurs anneaux assouplis
Sur le sol aux grands plis.



Mai 1833.