À vau-le-nordet/16

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Librairie Beauchemin, Limitée (p. 155-158).

De la peinture


C’est sous l’intendant Jean Talon, croyons-nous, et grâce à l’élan que sa sollicitude sut imprimer à l’industrie naissante, qu’on découvrit, dans le domaine de la Pérade, de riches gisements d’ocre et d’oxyde de fer naturel qui ne furent pas cependant mis en valeur à cette époque. La Canada Paint Co. y exploite aujourd’hui (à Red Mill, comté de Champlain) une importante fabrique de peinture…

À propos, il est difficile à un auteur en quête de sujets intéressants et dont le cœur recèle encore de l’enthousiasme et l’âme de la poésie, de ne pas s’arrêter un instant devant l’aguichant tableau de la beauté féminine canadienne. Sans doute, faut-il se garder de chauvinisme même dans la galanterie. Ces dames seraient les premières à nous taxer d’exagération, voire de malice, si nous affirmions, sans réserve, que les Canadiennes possèdent tous les charmes et qu’elles ont atteint le summum de la pulchritude. Ce serait s’emballer ou, comme on dit, peindre à pleines couleurs. Mais si toutes les Canadiennes n’ont pas un teint lilial, des lèvres de corail, des roses aux joues, des cous d’albâtre, des cheveux d’or ou d’ébène, etc., il faut cependant reconnaître qu’on fait de très réels efforts pour améliorer la situation. Aussi bien, c’est au point de vue historique que j’entends me placer. Nous connaissons nos contemporaines, mais il est curieux de savoir ce qu’étaient nos « aïeuses ».

Bacqueville de la Potherie, dans son Histoire de l’Amérique septentrionale, ne tarit pas d’éloges sur le compte des Canadiennes de son temps :

Elles ont de l’esprit, de la délicatesse, de la voix et beaucoup de disposition à danser. Comme elles sont sages naturellement, elles ne s’amusent guère à la bagatelle, mais quand elles entreprennent un amant, il leur est difficile de ne pas en venir à l’hyménée.

Vous entendez ? De l’esprit, de la délicatesse, de la sagesse, de la voix et beaucoup de disposition à danser, voilà qui compte ! Le reste, bagatelle ! Il faut convenir que leurs sœurs d’aujourd’hui n’ont pas dégénéré et que leurs « entreprises » sont généralement couronnées de succès.

Un enseigne de vaisseau, du nom de Parscau Duplessis, qui passa tout juste trois semaines au Canada, en 1756, se mêle d’affirmer, avec l’assurance présomptueuse du blanc-bec, que les Canadiennes ne sont guère mieux que les sauvagesses. Il fait exception pour Madame Péan qu’il dit fort jolie. — C’était aussi l’avis de M. Bigot ! — Il daigne bien reconnaître que les Canadiennes sont vives et spirituelles, mais, à la faveur de ce compliment, il débine odieusement les dames de Kébec, prétendant qu’il en a remarqué très peu de jolies et qu’elles ont le teint noir et basané comme dans la Bohême.

La fable des raisins verts, n’en doutez pas !

Le savant Suédois, Peer Kalm, qui fit au Canada, en 1749, un voyage d’explorations scientifiques, ne paraît pas avoir restreint son intérêt aux seuls minerais, plantes, etc. Il est clair, d’après ce qu’il en écrit, qu’il a été sensible aux séductions des Canadiennes. On a beau être Kalm, quand on est homme et, qui plus est, naturaliste, on ne peut se défendre de certain émoi. « Homo sum : humani nihil a me alienum puto », comme disent les Suédois quand ils parlent latin. Voici comment s’exprime mon Kalm ou plutôt notre Kalm :

Ici, les femmes, en général, sont belles ; elles sont bien élevées et vertueuses et ont un laisser-aller qui charme par son innocence même et prévient en leur faveur. Elles s’habillent beaucoup le dimanche, mais les autres jours, elles s’occupent assez peu de leur toilette, sauf leur coiffure qu’elles soignent extrêmement.

Tous les historiens s’accordent à noter qu’il y a beaucoup de luxe dans la toilette ; le clergé s’élevait souvent contre ces extravagances. Un mémorialiste du temps (LaMothe Cadillac) se plaint qu’au Mont-réal, les Sulpiciens « refusent la communion à des femmes de qualité pour avoir une fontange ».

Continuons avec Kalm :

Il y a une distinction à faire entre les dames canadiennes et il ne faut pas confondre celles qui viennent de France avec les natives. Chez les premières on trouve la politesse qui est particulière à la nation française. Quant aux secondes, il faut bien faire une distinction entre les dames de Kébec et celles de Montréal. La Kébécoise est une vraie dame française par l’éducation et les manières ; elle a l’avantage de pouvoir causer souvent avec les personnes appartenant à la noblesse, qui viennent chaque année de France, à bord des vaisseaux du Roi, passer plusieurs semaines à Kébec. À Montréal, au contraire, on ne reçoit que rarement la visite d’hôtes distingués. Les Français eux-mêmes reprochent aux dames de cette dernière ville d’avoir beaucoup trop d’orgueil des Sauvages et de manquer d’éducation. Cependant, ce que j’ai dit plus haut de l’attention excessive qu’elles donnent à leur coiffure s’applique à toutes les femmes du Canada. Les jours de réception, elles s’habillent avec autant de magnificence qu’on serait porté à croire que leurs parents sont revêtus des plus grandes dignités de l’État… Pour continuer la comparaison entre les dames de Québec et celles de Montréal, j’ajouterai que celles-ci sont généralement plus belles que les premières. Les manières m’ont semblé quelque peu libres dans la société de Kébec… À Montréal, les filles sont moins frivoles et plus adonnées au travail. On les voit toujours occupées à coudre quand elles n’ont pas d’autres devoirs à remplir. Cela ne les empêche pas d’être gaies et contentes : personne ne peut les accuser non plus de manquer d’esprit ni d’attraits. Leur seul défaut, c’est d’avoir trop bonne opinion d’elles-mêmes. Les jeunes gentilshommes qui viennent de France, chaque année, sont captivés par les dames de Kébec et s’y marient ; mais comme ces messieurs vont rarement à Montréal, les jeunes filles de cette dernière ville n’ont pas souvent semblable fortune.

Voyons maintenant l’opinion de La Hontan… Mais à quoi bon multiplier les citations. Mieux vaut rester sur la bonne bouche. Au reste, il ne s’agit pas d’établir une thèse qu’on discute, de constater un fait dont on conteste l’existence. La Hontan, vous savez, est un mauvais esprit, un pessimiste, un fin-fin, un triste sire, un être vétilleux, pointilleux, hargneux, un cuistre, un pleutre, un goujat, un mufle, un dénigreur enfin !