École des arts et métiers mise à la portée de la jeunesse/Le Carrossier

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Anonyme
Traduction par T. P. Bertin.
L. Duprat-Duverger, libraire (1p. Gravure-12).

Le Carrossier.


LE CARROSSIER.





Le carrossier fait des voitures de toute espèce. Les carrosses n’ont été connus en Europe qu’au commencement du seizième siècle, où il n’y avait que les femmes du haut parage qui s’en servaient, et où c’était une honte pour un homme de monter en voiture.

Lorsque les électeurs et les princes d’Allemagne voulaient alors ne pas se trouver aux assemblées des états, ils s’en excusaient auprès de l’empereur en lui écrivant que leur santé était trop faible pour leur permettre de monter à cheval.

Les plus anciennes voitures dont se soient servies les femmes en Angleterre ont été connues sous le nom de whirlicotes, et, d’après l’historien Stow, les carrosses ont été introduits de l’Allemagne dans ce pays vers l’an 1580. Ce ne fut que vingt ans après qu’ils commencèrent à être généralement en usage.

Le célèbre duc de Buckingham fut la première personne qui monta dans une voiture à six chevaux : pour tourner en ridicule ce nouveau genre de luxe, le comte de Northumberland en mit huit à son équipage.

Les carrosses consistent en deux parties principales, la caisse et le train. La caisse est la partie dans laquelle montent les personnes qui se font voiturer, et le train est tout le charronnage qui soutient la caisse et auquel sont attachées les roues, qui donnent le mouvement à la voiture.

Le nombre des ouvriers qui concourent à la perfection d’une voiture est assez considérable. Il consiste dans un menuisier pour le bois de la caisse ; un serrurier pour la ferrer et en fabriquer les ressorts ; un peintre ordinaire pour vernir le bois, le train et les roues ; un peintre dessinateur pour le blason et les ornemens ; un sculpteur pour toute la sculpture de la caisse et du train ; un franger pour fournir toutes les tresses, les glands et les houppes qui se placent dans l’intérieur de la caisse ; un sellier-carrossier pour en tapisser d’étoffes l’intérieur, et couvrir en cuir plusieurs parties du dehors ; un bourrelier pour les cuirs de suspension ; un doreur pour toute la dorure sur bois ; un fondeur pour tous les ornemens de fonte ; un ciseleur pour les ornemens de cuivre ciselé ; un charron pour le train et les roues ; un maréchal-grossier pour les essieux, boulons, bandes et roues, sans compter l’ouvrier qui fait le plaqué sur métaux.

En Angleterre la caisse de la voiture est de bois de frêne, mais les panneaux en sont ordinairement faits de bois d’acajou ; l’extérieur en est couvert d’un cuir bien lisse et enduit d’un vernis très-brillant ; l’intérieur est tapissé de drap rembourré avec du crin. Les voitures des gens de la première distinction sont doublées de soie, de velours, et quelquefois de superbe maroquin.

Les carrosses ont ordinairement deux paires de roues avec des essieux et un timon.

Le timon est une pièce du bois du train, qui est longue et droite, et à laquelle on attache les chevaux.

Les carrosses se distinguent aussi suivant l’usage que l’on en fait ; ainsi il y a des carrosses publics ou des diligences, des coches, des vélocifères, etc. Les vélocifères ont été inventés en France ; ils sont très-commodes.

Les voitures de place sont celles que l’on fait circuler dans les rues de Londres à des prix fixés par l’autorité. L’introduction de ces carrosses en Angleterre date de l’année 1625, époque où il n’y en avait que vingt ; en 1715 le nombre en fut limité à huit cents, et aujourd’hui il y en a onze cents qui sont toujours sur les places ou chargés : le dimanche le nombre de ceux occupés est beaucoup moins considérable.

Les cochers des voitures de place, appelées fiacres en France, sont soumis à des règlemens très-sévères.

Les voitures modernes de l’Europe étaient inconnues en Chine jusqu’à l’ambassade du lord Macartney dans ce pays : deux brillans équipages furent envoyés avec cet ambassadeur pour être offerts à l’empereur. Ces voitures causèrent plus d’embarras aux Chinois que tous les autres cadeaux ; on n’avait jamais rien vu de pareil dans la capitale, et les disputes qui s’élevèrent entre les habitans de cette ville pour la partie destinée à être la place de l’empereur furent très-singulières. La housse qui couvrait le siége du cocher avait une très-belle bordure de festons de roses en or ; sa magnifique apparence et la situation élevée du siége la firent passer aux yeux de la majorité pour être la place de l’empereur ; mais il s’éleva entre eux une difficulté sur la manière dont serait occupé l’intérieur du carrosse ; ils se mirent à en examiner les portières, les glaces et les stores, et en conclurent qu’il ne pouvait être destiné qu’aux dames de la cour ; un vieil eunuque alla prendre à cet égard les informations les plus exactes.

Lorsqu’on lui eut dit que le siége était la place destinée à celui qui était chargé de conduire les chevaux, il demanda avec un sourire ironique s’il était permis de supposer que l’empereur pût jamais consentir à voir un homme occuper une place plus élevée que la sienne, et à ce qu’il lui tournât le dos ; il témoigna en même temps le désir que l’on pût ôter ce siége et le placer derrière la voiture.

Le mot carrosse et ses accessoires ont donné naissance à différens proverbes et expressions familières que nous placerons ici avant de terminer cet article.

On dit vulgairement et proverbialement d’un être grossier, brutal ou stupide, c’est un vrai cheval de carrosse ; dans le style familier, en parlant d’un homme qui a déjà pris quelque engagement dans une affaire, qu’il a donné des arrhes au coche ; et de quelqu’un qui se fait valoir, qui vante ses actions, qu’il fait claquer son fouet ; on dit proverbialement enfin, en parlant d’une chose très-inutile, qu’elle sert comme une cinquième roue à un carrosse.