École des arts et métiers mise à la portée de la jeunesse/Le Tourneur

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Anonyme
Traduction par T. P. Bertin.
L. Duprat-Duverger, libraire (1p. Gravure-127).

Le Tourneur.


LE TOURNEUR.





L’art de tourner est fort ingénieux, et ses travaux sont très-bien démontrés dans la vignette. Le principal instrument dont se sert le tourneur dans sa profession est le tour, qui lui est très-utile pour travailler le bois, l’ivoire et différentes autres substances, telles que le cuivre et l’argent, auxquels il donne une forme ronde ou ovale à son gré ; il est même des tourneurs qui attrapent la ressemblance sur le tour en l’air.

La profession de tourneur était fort connue des anciens, et elle fut portée par eux à un degré de perfection considérable. Elle est d’une grande importance à différens états ; l’architecte y a recours pour les ornemens du dedans et du dehors des maisons construites avec élégance ; le mécanicien et le physicien l’emploient non seulement pour embellir leurs instrumens, mais encore pour les appliquer à leurs différens usages.

Il y a plusieurs espèces de tours. Celui représenté dans la vignette est fort utile pour les petits ouvrages ; il en est qui exigent l’effort de deux hommes pour faire tourner la roue ; dans celui-ci elle est mise en mouvement avec le secours d’une pédalle ou marche, par l’ouvrier qui est occupé à tourner le bois.

L’objet à tourner se place sur l’axe alongé de la plus petite roue, et l’on appuie sur le support ou sur la barre le ciseau et tout autre instrument dont on se sert. Aussitôt qu’on l’approche du bois, pendant qu’il tourne avec rapidité, il en enlève très-proprement des copeaux.

La pièce avant d’être mise sur le tour doit être arrondie, soit avec une hache, comme celle qui est derrière l’ouvrier, ou avec une plane, espèce de couteau à deux manches, dont la lame est un peu ceintrée dans sa longueur, et on la rend d’une égale grosseur autant qu’il se peut, en la tenant un peu plus épaisse que le dessin que l’on veut exécuter.

L’apprentif tourneur doit chercher à bien se servir de la gouge et du ciseau, qui sont les instrumens dont il se sert le plus, et les plus nécessaires dans son état : c’est avec eux qu’il tourne tous les bois tendres. Quant aux corps durs, comme l’ébène, le buis, l’ivoire, etc., on les tourne en ratissant ou en raclant. Dans ce cas on se sert de bec-d’ânes ou de mouchettes à face droite et à face ronde. Ces derniers instrumens doivent être tenus horizontalement pendant qu’on les applique au bois ; mais la gouge et le ciseau doivent s’appliquer obliquement.

Quand l’ouvrage est complétement tourné il faut le polir. Les bois tendres, comme l’érable, le peuplier, le bouleau, etc., peuvent se polir avec de la peau de chien ou avec la presle. La peau de chien est beaucoup meilleure lorsqu’elle est usée, parce que dans son état naturel elle est trop dure pour amener l’ouvrage à un degré convenable de poli ; les presles les plus vieilles sont les meilleures, mais il faut les mouiller d’eau avant de s’en servir. Lorsque l’ouvrage est achevé de cette manière il faut le frotter avec un peu de cire ou avec des chiffons trempés dans de l’huile d’olive. L’ivoire, la corne, l’argent et le cuivre se polissent avec de la pierre-ponce bien pulvérisée et étendue sur du cuir.

Suivant le docteur Paley, sur un million d’hommes il n’y en a pas un qui sache comment se tourne un ovale. On peut s’y prendre de cette manière : fixez deux ovales de métal de l’étendue de celui dont vous avez besoin sur l’arbre du tour, de manière qu’ils tournent avec lui ; assujettissez entre eux le bois à tourner, de manière qu’il tourne autour de cet arbre, et ensuite il sera facile d’en faire un ovale avec le ciseau ou un autre instrument quelconque, attendu que le tour décrira exactement par son mouvement de rotation la figure extérieure des ovales externes.

En posant un tour il faut avoir le plus grand soin qu’il soit placé au jour, près de la fenêtre, de manière qu’il ne soit pas assez bas pour obliger l’ouvrier de se baisser pour voir son travail, ni assez haut pour que les copeaux puissent lui sauter aux yeux.

Les tours destinés à des ouvrages délicats sont très-chers. Le fonds d’un maître tourneur a par conséquent beaucoup de valeur, et l’on ne doit destiner à cet état que des apprentifs qui aient le génie de la mécanique, car il se fait sur le tour une foule prodigieuse de petits ouvrages et de curiosités qui se vendent journellement dans les boutiques des marchands ébénistes. Le tourneur qui travaille sur l’ivoire doit préférer celui dont la coupe est transversale, parce qu’on y voit mieux les grains de cette substance qui la distinguent facilement de l’os, à l’œil des moins connaisseurs.

Les ouvrages en ivoire jaunissent à l’air ; on leur rend leur blancheur en les exposant à la rosée, ou en les humectant d’eau de savon ; mais il ne faut pas les laisser exposés au soleil, de peur qu’ils ne se fendent.

La profession de tourneur, ses outils et les matières qu’il emploie ont donné lieu aux proverbes suivans : on dit qu’une femme a le bras, la main, la gorge faits au tour, pour dire qu’elle les a parfaitement bien faits ; on dit encore dans le même sens qu’un homme, qu’une femme sont faits au tour ; on dit figurément d’un bel homme ou d’une belle femme qui ont de belles dents qu’ils ont des dents d’ivoire ; d’un homme ou d’une femme qui ont un menton qui avance qu’ils ont un menton de buis ; on dit proverbialement les ciseaux de la parque.