Éden de Poètes (André Fontainas)

La bibliothèque libre.
Parnasse de la Jeune BelgiqueLéon Vanier, éditeur (p. 39-42).


Éden de Poètes


 
J’en ai la vision, quelquefois, dans mes rêves :
Je vois un Paradis, plein d’éclatantes fleurs,
Qui s’ouvre par instant, à la lueur des glaives.

Ils pendent à la branche ainsi que de longs pleurs
Qui perlent, s’effilant aux paupières d’amantes,
Et de leur joue altière effacent les couleurs.

Dans le fracas mourant des lointaines tourmentes,
Je vois aux cieux monter un nuage rosé
Aux odeurs de cinname et de myrrhe fumantes.


Le sol est un gazon d’une eau fraîche arrosé
Et le jour s’y répand en débordantes sèves,
D’un diaphane éclat mollement irisé :

J’en ai la vision, quelquefois, dans mes rêves.

Il voltige dans l’air des rhythmes de sonnets ;
On voit passer le vol ardent des grandes rimes
Et l’on cueille les vers aux tiges des genêts ;

On a l’enivrement du pardon pour les crimes ;
Le ciel en est vibrant tout entier ; la Bonté,
Pour s’y développer, n’a pas besoin de primes.

Tout revêt un aspect lumineux, et l’été
Éternellement luit sur la plaine infinie
Où brille le soleil de l’amour convoité.

Par tout le Paradis plane cette harmonie,
Et — comme des tisons échappés aux chenets —
Il en sort les rayons flamboyants du Génie :

Il voltige dans l’air des rhythmes de sonnets.


Des parfums d’amour pur s’épanchent des corolles
Comme des myrtes verts et des rosiers sacrés,
Et les fleurs ont le port des anciennes idoles.

Chacune a conservé ses traits fins et nacrés,
Sources des passions qu’éprouvaient les poètes,
Et des espoirs d’amours plus doux y sont entrés.

Et les glaives divins suspendus sur leurs têtes
Les poussent dans les bras de leurs joyeux amants,
Et — sans voiles — leurs chairs aux spasmes saints sont prêtes.

Ils célèbrent leurs vœux en madrigaux charmants,
Et tandis qu’enivré de leurs tendres paroles,
Le Désir se promet de radieux moments,
 
Des parfums d’amour pur s’épanchent des corolles.

C’est le Paradis saint des ciseleurs de vers,
C’est l’Éden attirant des amants de la Muse,
Des charmeurs innocents de l’immense Univers.

Au son de la phormynx et de la cornemuse,
Tous vivent, couronnés d’un laurier éternel,
En proie au chant divin qui toujours les abuse :


Ils vivent sans souci de leur passé charnel,
Dans l’extase et l’amour de la nature vaste
Qu’ils chantent sur un mode ardent et personnel.

Leur chant est toujours grand, limpide, clair et chaste,
Et fuit l’obsession des souvenirs pervers
Qui, sur terre, envahit le cœur — et le dévaste :

C’est le Paradis saint des ciseleurs de vers !