Édit sur l’inaliénabilité du domaine de la couronne
N° 108. — Édit sur l’inaliénabilité du domaine de la couronne[1].
Charles, etc. Comme à nostre sacre, nous avons, entr’autres choses, promis et juré garder et observer le domaine, et patrimoine royal de nostre couronne, l’un des principaux nerfs de nostre estat, et retirer les portions et membres d’iceluy, qui ont esté aliénez, vray moyen pour soulager notre peuple tant affligé des calamitez et troubles passez. Et parce que les règles et maximes anciennes de l’union et conservation de nostre domaine, sont à aucuns assez mal, et aux autres peu connuës. Nous avons estimé très-nécessaire de les recueillir et réduire par articles, et iceux confirmer par édict général et irrévocables, afin que ci-après n’en puise douter.
Sçavoir faisons, que de l’avis de nostre très-honorée dame et mère, des princes de nostre sang, officiers principaux de nostre couronne, et autres de nostre conseil ; avons dit, statué et ordonné, disons, statuons et ordonnons ce qui s’ensuit.
(1) Le domaine de nostre couronne ne peut estre aliéné qu’en deux cas seulement, l’un pour apanage des puisnez mâles de la maison de France ; auquel y a retour à nostre couronne par leur deceds sans mâles, en pareil estat et condition qu’était ledit domaine lors de la concession de l’appanage : nonobstant toutes disposition, possession, acte exprès ou taisible fait ou intervenu pendant l’appanage ; l’autre pour l’aliénation à deniers comptans pour la nécessité de la guerre, après lettres patentes pour ce décernées et publiées en nos parlemens, auquel cas y a faculté de rachat perpétuel.
(2) Le domaine de nostre couronne est entendu celui qui est expressément consacré, uni et incorporé à nostre couronne, ou qui a esté tenu et administré par nos receveurs et officiers par l’espace de dix ans, et est entré en ligne de compte.
(3) De pareille nature et condition sont les terres autrefois aliénées et transférées par nos prédécesseurs rois, à la charge de retour à la couronne, en certaines conditions de mâle, ou autres semblables.
(4) Ne pourra nostre domaine estre baillé à ferme ou loüage, sinon au plus offrant et dernier enchérisseur : et ne pourront les fruits des fermes ou louages dudit domaine estre donnés à quelque personne, ne pour quelque cause que ce soit, ou puisse estre : pareillement ne seront baillées aucunes exemptions des payements des droits appartenans et dépendans dudit domaine, en quelque forme ou façon que ce soit.
(5) Défendons à nos cours de parlemens et chambres des comptes d’avoir aucun égard aux lettres patentes contenans aliénation de nostre Domaine et fruit d’icelui, hors les cas susdits, pour quelque cause et temps que ce soit, encore que ce fût pour un an, et leur est inhibé de procéder à l'entérinement et vérification d’icelles. Et ne sont tenuës pour valablement entérinées celles qui auront ci-devant esté octroyées, sinon qu’elles eussent esté vérifiées tant en nosdites cours de parlemens que chambres des comptes, et par chacune desdites cours et chambres: et ne sera par vertu d’icelles aucune chose allouée aux comptes des officiers comptables dudit domaine.
(6) Ceux qui détiennent le domaine de nostre couronne sans concession valable dûëment vérifiée, autrement que dessus, seront condamnez et tenus rendre les fruits perçus depuis leur indue possession et jouissance; non seulement depuis la saisie qui sera faite depuis la réunion, mais aussi depuis leur jouissance ou de leurs prédéceseurs, sans qu’ils se puissent excuser de bonne foy, quelque titre ou concession qu’ils ayent de nos prédécesseurs ou de nous.
(7) Ceux aussi qui occulteront ou dénieront de male-foy, le titre auquel ils détiennent les terres de nostre domaine, ou terres sur elles en certain cas à reversion, et qui en seront dûëment convaincus, seront déclarez déchus de l'effet de leur titre et privez du droit et possession desdites terres.
(8) Ceux auxquels nostre domaine aurait esté dûëment aliéné pour les causes que dessus, ne pourront néanmoins couper les bois de haute-fustaye, ni toucher aux forets qui seront esdites terres: et si fait l'avoient, seront contraints à la restitution du profil et dommage qui en seroit advenu.
(9) Les bois de haute-futaye à nous appartenans ne pourront estre aliénez, ni don fait des coupes d’iceux, ou des deniers qui en procéderont: sur peine de nullité et de restitution des valeurs, fruits et profits comme dessus.
(10) Les droits du tiers et danger ou grurie en nos bois et forets, ne se pourront semblablement donner ne aliéner, ni pour le fonds, ni pour les coupes ou deniers qui en pourront provenir. Et si les propriétaires font quelque coupe, la part ou profit à nous revenant, par le moyen d’icelles à cause desdits droits, sera employé au rachat de nostre domaine.
(11) Ne se pourra faire aucune coupe des bois de haute-futaye ès terres de nostre domaine; ne semblablement bail des terres vaines ou vagues, sinon qu’il y ait les lettres patentes par nous décernées pour cet effet, adressées à nos parlemens et gens des comptes; et vérifications d’icelles faite esdits parlemens et chambres des comptes: sur peine de nullité, et restitution des valeurs, fruits et profits, comme dessus.
(12) Pour le bail desdites terres vaines et vagues ne seront pris deniers d’entrées, sinon que ce fût pour employer tellement au rachat de nostre domaine, ou autres nos urgentes affaires, dont nous aurions fait estat.
(13) Les articles ci-dessus auront lieu de loy et ordonnances, tant pour le regard de nostre ancien domaine uni à nostre couronne, que autres terres depuis accrûës ou advenues, comme Blois, Coucy, Monfort, et autres semblables.
(14) Les saisies faites par réunion de nostre domaine ne se lèveront par provision, mais sera procédé à l’instruction des procès, sinon que pour cause et grande considération fût trouvé équitable de faire quelque provision à temps seulement, attendant l’instruction du procès.
(15) La réception en foy et hommage des fiefs dépendans desdites terres domaniales, en cas d’aliennation d’icelles, nous demeureront et appartiendront, ou à nos successeurs: et les profits desdits fiefs, foy et hommage et ce qui en dépend, à ceux ausquels lesdites terres sont dûëment et licitement transférées et concédées.
(16) En quoi neseront compris ceux qui tiendront lesdites terres de nostre domaine en appanage; à la charge d’envoyer par chacun an en nostre chambre des comptes de Paris, les doubles et copies dûëment signées des réceptions en foy et hommage à eux faites ou leurs officiers.
(17) Les terres domaniales ne se pourront d’oresnavant aliéner par inféodation à vie, à long-temps, ou perpétuité, ou condition quelle que ce soit, ains se bailleront à ferme à nostre profit, comme nos autres terres et droits: et de pareille façon sera usé ès terres sujetes à retour à nostre couronne, et ce sans préjudice des inféodations jà faites; pour le regard desquelles enjoignons à nos procureurs s’enquérir bien et diligemment de la cause et forme, pour en faire telle poursuite que de raison.
(18) Pour les droits dépendans de nostre domaine, sera et pourra estre en tous lieux et parlemens procédé par saisie.
(19) Et enjoignons très-expressément à nos procureurs tenir la main à la protection, conservation, poursuite et réunion de nostre domaine, sur peine de répondre de la perte d’icelui, qui seroit advenuë par leur fait et faute.
(20) Ceux qui auront charge de recevoir les cautions que sont tenus bailler les fermiers des terres domaniales et des comptables de nos deniers, auront l’œil et égard de bien informer et enquérir de la validité et suffisance desdites cautions, icelles faire renouveller quand il écherra; autrement en répondront en leur propre et privé nom, s’il se trouve qu’il y ait de leur faute et négligence.
(21) Tous baux à ferme des terres de nostre domaine se feront à la charge de ne demander aucun rabais pour quelque cause que ce soit, sinon pour hostilité et fait de guerre, et déclarons dès à présent nuls tous dons faits sur les terres et droits de nostre domaine baillez à ferme.
- ↑ V. dans notre recueil, note sur l'avènement de Robert à la couronne, tom. I, p. 98 ; l’ord. de Philippe V du 21 décembre 1516, 16 novembre 1518 ; de Charles IV, 5 avril 1522 ; du roi Jean, décembre 1560 ; de Charles V, 24 juillet 1564, et la note ; de Charles VI, 1er mars 1388, dernier février 1401, 15 mai 1403, 25 mai 1415 ; de Charles VII, 15 décembre 1458 ; sous Louis XI, états géneraux de Tours, 6-14 avril 1467-1468, art. 4 et suiv. ; de Charles VIII, 22 septembre 1445 ; de François Ier, décembre 1517, 25 février 1519, juillet 1521, 30 juin 1539, 28 décembre 1540 ; de François II, 18 août 1559, et ci-après de Henri III, mai 1579 ; de Henri IV, juillet 1607, et de Louis XIII, juin 1611. Le domaine n’est devenu aliénable qu’en 1789. V. la loi du 22 novembre 1790 et celle du 12 mars 1820. — Le domaine était essentiellement inaliénable dans l’ancienne monarchie, parce que l’autorité royale qui réunissait alors tous les pouvoirs pouvait être surprise. Si les rois n’eussent pas eu la faculté de révoquer les aliénations de leur domaine, ils se seraient trouvés sans revenus.