Élégie sur les ravages du choléra à Montréal en juin 1832

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Élégie sur les ravages du choléra à Montréal en juin 1832
Élégie sur les ravages du choléra à Montréal en juin 1832L’ami du peuple, de l’ordre et des lois, édition du 25 juillet (p. 2-9).

Nous éprouvons une satisfaction en voyant que le feu de la poésie se rallume en ce pays ; les ravages du choléra ne pouvaient manquer de frapper l’âme du poête, nos lecteurs trouveront ici une pièce de vers pleine d’heureuses inspirations : nous l’insérons avec d’autant plus de plaisir qu’elle nous a été adressée par une Muse Canadienne.


pour l’ami du peuple.

ÉLÉGIE

Sur les ravages du Choléra à Montréal en juin, 1832


Infortunée Hochelaga,
Digne et tendre objet de nos larmes,
Qui racontera les alarmes,
Les maux dont le Ciel t’abreuva ?
Lorsque de toutes parts frappée,
Tu pleures, à l’ombre des cyprès,
Pourrai-je égaler en regrets
Ta déplorable destinée ?


Mais à rappeler les malheurs
Quand m’entraîne la sympathie
Que n’ai-je au moins de Jérémie
La voix pénétrante et les pleurs !
En vain mon âme est imprégnée
Du souvenir de tes douleurs :
Je ne trouve point de couleurs
Qui puissent peindre ma pensée.

Au sein de la prospérité,
Tu ne marchais que sur des roses ;
De fleurs toujours fraîches écloses
Ton front paraissait couronné.
Méconnaissable, en ta souffrance,
Autre malheureuse Sion,
On demande aujourd’hui ton nom
On recherche ta ressemblance !

Non ! tu n’es plus cette cité
Dont le ton, les grâces légères
Voulaient des villes étrangères
Imiter la célébrité ;
Presque réduite en solitude,
L’aspect d’un millier de tombeaux,
La voix lugubre des échos
Proclament ta vicissitude.


Naguère encore sur les bords,
On voyait la joie et l’aisance,
Avec la corne d’abondance,
Venir te verser leurs trésors ;
Aujourd’hui l’étranger tressaille
À l’aspect de ton triste sort ;
Il fuit tes foyers, que la mort
Transforme en un champ de bataille.

À trop malheureuse cité,
Dis-moi quelle main meurtrière
Couvre d’un voile funéraire
Et ton éclat et ta beauté !
Telle on voit au sein de l’orage
La foudre couver ses horreurs :
Tels couvaient au fond de nos cœurs
Les maux qui désolent ta plage !

Spectatrice, en ces derniers tems,
D’un combat trop opiniâtre,
Tu devins enfin le théâtre
Des excès les plus révoltans —
Des monstres te font leur repaire ;
Le sang coule dans tes foyers ;
Ta guirlande avec tes lauriers
Roulent flétris dans la poussière !


Cependant, tu goûtes encor
Une sécurité parfaite,
Comme un marin que la tempête
Vient de repousser dans le port.
Il ose rire du naufrage
Qui le menaça sur les flots ;
Mais, pour mettre un comble à ses maux,
Le Trépas l’attend au rivage.

Las de son éternel repos,
L’éternel pour châtier le monde,
Livre le ciel, la terre et l’onde
Au plus terrible des fléaux.
Foudroyant comme le tonnerre,
L’éclair ne le précède point ;
Il éclate, il frappe en tout point,
Il ravage la terre entière !

Que peuvent les faibles humains
Pour l’arrêter dans sa carrière ?
Il enveloppe l’hémisphère,
Menace nos climats lointains !
En vain un cordon sanitaire
Veut l’exclure de nos foyers ;
Il fond, des pays étrangers,
Sur nos rives hospitalières.


Soudain l’ange-exterminateur,
Porté sur l’aile des tempêtes,
Vient verser sur toutes les têtes
La colère d’un Dieu-vengeur.
Sa coupe, enfin, s’est épuisée ;
Il relève, à peine, son bras :
Sous mille formes, le Trépas
Court dans ton enceinte éplorée !

Où se rencontrera le seuil
Marqué du sang de la victime,
Où n’a point pénétré le crime,
Où n’entrera pas le cercueil ?
Sombre pensée qui décourage !
Le vengeur du Dieu trois fois saint
Laisse son courroux incertain,
Comme l’heure de son passage.

Séchant de peur devant tes maux,
Ton peuple te fuit, te déserte,
Te livre, à regret, à ta perte,
Au silence affreux des tombeaux !
Mais humanité sans exemple !
Le juste, sans être ébranlé,
Pour pleurer ta viduité,
Reste à la porte de ton temple !


Eh ! que lui sert de s’exiler
Au fond des salubres campagnes ?
De respirer l’air des montagnes,
La fraîcheur d’un obscur rocher ?
Espoir, inutile ressource !
Le contagieux ouragan

Souffle, atteint, frappe le passant,
L’arrête au milieu de sa course !

Dans ces jours d’horreur et de deuil,
J’ai vu le fils, j’ai vu le père,
J’ai vu la fille avec la mère,
Les amis se suivre au cercueil !
Sans tombe, les titres, leur gloire
Déjà ne se retrouvent plus :
Non ! ce n’est que par leurs vertus
Qu’ils vivront dans notre mémoire.

Mais c’est retracer trop longtems,
Ô, cité trop infortunée,
Ta désolante destinée,
Le deuil de tous tes habitans.
Pénitente comme Ninive,
Dans la cendre abaissant ton front,
Tu l’as vu — la contagion
A presque déserté ta rive.


Échapperons-nous aux fléaux,
Habitans des plages lointaines ?
De ses atteintes trop certaines
Verrons-nous sortir nos hameaux ?
Les mœurs et la foi de nos pères
Ne suspendront-elles donc pas
La main qui, s’armant du Trépas,
Frappe les nations entières ?

Alors que par tout l’univers,
Ce fléau passe et nous moissonne,
Le philosophe en vain raisonne,
Se perd dans ses pensées divers :
Tandis qu’il reste dans le doute
Sur un mal, hélas ! si nouveau ;
Le Chrétien le cherchant plus haut,
Le trouve, en signale la route.

De ces trop étranges malheurs,
En approfondissant la cause,
Pour que sa foudre se repose,
Calmons l’éternel par nos pleurs :
Il accueillera nos prières ;
Soyons loyaux, religieux —
Soyons tels qu’étaient nos aïeux,
Nous aurons leurs destins prospères !