Élégies. - A une Source

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Élégies. - A une Source
ÉLÉGIES.





I.
À UNE SOURCE.


Belle source intarissable,
Qui fais bouillonner le sable
Parmi les roseaux,
Dans une profonde coupe
Que le cresson vert découpe
Jaillissent tes eaux.

Quand le gai soleil éclaire
À midi ton onde claire
Aux sillons moirés,
Le remou de ta surface
Sur le fond de gravier trace
Des cercles dorés.

Prends ta course aventureuse,
Ô ma chère source, et creuse
Un lit pour ton eau ;
Dans les prés que l’été sèche,
Passe bienfaisante et fraîche ;
Te voilà ruisseau !

Vers tes ondes désirées,
Les bœufs, les vaches tigrées,
Viendront à pas lents ;
La truite rose y fourmille,
Et la perche, et la dormille,
Et les poissons blancs.

Le saule au feuillage terne,
Le peuplier et le verne
Te protégeront,
Et les promeneuses blondes
Dans le cristal de tes ondes
Se regarderont.

Mais bientôt, plus de prairies!
Adieu les plaines fleuries,
Adieu ton berceau !
Voilà qu’une ville sombre
Va t’attrister de son ombre,
O pauvre ruisseau !

Taché de sang et de boue,
Tu feras tourner la roue
Dans un atelier;
Comme une bête de somme
Tu travailleras, et l’homme
Sera ton geôlier.

Tu sors enfin de la ville
Noir de ton œuvre servile;
Un fleuve géant
Qui t’arrête dans ta course
Absorbe l’eau de ta source
Dans son lit béant.

Hors de ta pente native
Tu laisses ton eau captive
Suivre un autre cours;
Tu perds ton nom et ta forme,
Et, dans cette masse énorme,
Te fonds pour toujours.

Dans un parcours de cent lieues
Tu rouleras tes eaux bleues
Sous des cieux divers;
Tu réfléchiras les villes.
Les tours, les coteaux fertiles.
Et les îlots verts.

Dans ton inflexible marche
Des ponts tu vas ronger l’arche,
Rouler des rochers,
Et jusqu’aux plages lointaines
Amener des barques pleines
Au pied des clochers.

La voici, la mer sans bornes!
Vers ces solitudes mornes
Le fleuve emporté
Dans l’océan, but suprême,
Tombe, sans accroître même
Cette immensité.

Sur cette vaste étendue.
Goutte d’eau trouble perdue
En ces grandes eaux,
Tu feras dans les tourmentes
Sous tes vagues écumantes
Sombrer les vaisseaux.

Ton eau toujours inquiète
Recèlera la tempête.
Ils seront amers,
Tes flots calmes et limpides;
Un jour ils seront perfides
Comme l’eau des mers !


II.


J’ouvre d’une main curieuse
La cassette mystérieuse.
Confidente de nos amours,
Qui contient dans ses flancs avares.
Comme un écrin de perles rares,
Le souvenir de nos beaux jours :

Débris chers et sacrés, elle nous abandonne!
Adieu nos rêves morts et nos bonheurs perdus!
Son amour a passé comme un soleil d’automne :
Elle ne m’aime plus!

Voici la marguerite pâle
Que couronne un dernier pétale.
Oracle cher aux amoureux;
Nous l’avons effeuillée ensemble
Dans la prairie, au pied d’un tremble,
Et le présage fut heureux.

Elle m’aime, dis-tu, magicienne perfide!
Ah! qui l’aurait pensé que deux ans révolus
Auraient tari l’amour dans un cœur si candide?
Elle ne m’aime plus!

Ce mouchoir fin et diaphane,
Où la brodeuse musulmane
A mêlé l’or avec le lin,
Reluisait sur sa tête brune.
Aux pâles clartés de la lune,
Pendant un soir du mois de juin.

Saules qui vous penchez le long de la prairie,
Aux sourds bruissemens de vos sentiers perdus
Elle ne viendra plus mêler sa voix chérie;;
Elle ne m’aime plus!

Voici le bouquet d’immortelles,
Gage de flammes éternelles,
Qu’un premier soir de rendez-vous
Elle apporta dans sa ceinture,
Comme sa plus belle parure.
Et que je reçus à genoux !

Et moi, qu’elle accusait d’un cœur trop infidèle,
Moi, qui me laissais prendre à ses airs ingénus,
Et la croyais sincère en la voyant si belle.
Elle ne m’aime plus !

Te voici, tresse parfumée,
Doux présent de ma bien-aimée
Au temps de nos premiers aveux !
Dans notre amoureuse folie,
Comme une fleur tu fus cueillie
Dans la forêt de ses cheveux !

O liens trop légers! ô chaîne familière!
O fragiles anneaux que sa main a rompus,
Vous ne retenez plus son ame prisonnière;
Elle ne m’aime plus!

Voici ses lettres adorées,
Riches de paroles dorées,
Ses lettres, souvenir vivant,
Plein de printanières ivresses
Et des éternelles tendresses
Qui s’envolent avec le vent.

De nos premiers sermens témoins mélancoliques,
O poèmes charmans et tant de fois relus.
Hélas! le croirez-vous, ô mes chères reliques?
Elle ne m’aime plus !


CHARLES REYNAUD.