Élégies et poésies nouvelles/L’Indiscret

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L’INDISCRET.


Dans la paix triste et profonde
Où me plongeait ce séjour,
J’ignorais qu’au bruit du monde
On pût oublier l’amour :
Quelle est cette voix cruelle
Qui déja me détrompe avec un ris moqueur ?
Comme une flèche aiguë elle siffle autour d’elle,
Et le trait qu’elle porte a déchiré mon cœur.

Au bord de ma tombe ignorée,
Ciel ! par cette langue acérée,
Faut-il qu’un nom trop cher puisse m’atteindre encor,
Pour m’apprendre (nouvelle affreuse !)

Que j’étais seule malheureuse,
Et qu’on m’oublie avant ma mort !
Du plus sincère amour quel châtiment terrible !
Qu’ai-je fait à celui qui l’inventa pour moi ?
Que mon sort dévoilé m’a fait sentir d’effroi !
Pense-t-il qu’on survive à cette épreuve horrible ?
Non, ce n’est pas lui, non ! — Séparés à jamais,
Vous que je crus aimant, et que j’aimais !
Vous n’auriez pas voulu, troublant ma solitude,
Changer en désespoir ma tendre inquiétude ?
Oh ! non ! ce n’est pas vous. Mes yeux gonflés de pleurs,
Se détournaient en vain de ces lèvres légères,
Dont le souffle éteignait mes erreurs les plus chères,
Et dont le rire affreux outrageait mes malheurs :
Il n’a vu mon effroi ni ma pâleur extrême ;
L’indiscret n’a point d’âme, il ne devine rien :
Du bruit de sa parole il s’étourdit lui-même,
Il s’écoute, il s’admire, il se répond : c’est bien !

Loin de moi… Mais sa voix ! elle me frappe encore,
Son timbre me poursuit et partout il m’attend :
Sait-il que je me meurs ? Sait-il que je l’abhorre ?
Il révèle un secret, il parle, il est content.

Ah ! j’aurais dû crier : c’est moi… je l’aime… arrête.
Par ton Dieu, par ta mère et tes premiers amours,
Dis qu’il n’est point parjure, oh ! dis-le ! je suis prête
À t’entendre, à tout croire, à t’écouter toujours.
Mais non, il n’a pas vu ma main faible et glacée,
Rassembler mes cheveux pour voiler mon affront :
Il n’a pas vu la mort par lui-même tracée,
Sous le bandeau de fleurs qui tremblaient sur mon front.
Aveugle ! il n’a pas vu se troubler et s’éteindre,
Mon œil long-temps fermé :
Quand j’ai dit, Se peut-il !… ma voix n’a pu l’atteindre ;
Il n’a donc rien aimé !

Peut-être qu’en naissant il a perdu sa mère,

Qu’il n’a jamais connu le baiser d’une sœur,
Et qu’à ses premiers cris une dure étrangère,
N’a jamais d’un sourire accordé la douceur,
Mais il nomme un ami : c’est ainsi qu’il appelle
Le seul que dans mon cœur j’osai nommer le mien :
Que ne l’a-t-il pris pour modèle ;
Il serait digne alors d’attester ce lien.
Est-il assez heureux ! peut-il être insensible,
S’il a de ses discours subi l’enchantement :
Quelle oreille inflexible,
L’entendrait vainement ?
Par quelle douce force il commande qu’on l’aime ;
Quelle grâce éloquente embellit sa raison ;
Quel empire modeste, et quel pouvoir suprême !
C’est celui de l’amour, c’est son plus doux poison.
Il avait dit un jour : « Que ne puis-je auprès d’elle, »
(Elle alors c’était moi) « que ne puis-je chercher,
« Ce bonheur entrevu qu’elle veut me cacher :

« Son cœur paraît si tendre ; oh ! s’il était fidèle ! »
Puis, fixant ses regards sur mon front abattu,
Du charme de ses yeux il m’accablait encore,
Et ses yeux que j’adore,
Portaient jusqu’à mon cœur : « Je te parle, entends-tu ? »
Trop bien. A-t-il soumis mes plus jeunes années ?
Je n’y trouve que lui, rien ne me fut si cher :
Et pourtant mes amours, mes heures fortunées,
N’était-ce pas hier ?

Que la vie est rapide et paresseuse ensemble :
Sous ma main qui brûle et qui tremble,
Que sa coupe fragile est lente à se briser :
Ciel ! que j’y bois de pleurs avant de l’épuiser !
Mes inutiles jours tombent comme les feuilles,
Qu’un vent d’automne emporte en murmurant :
Ce n’est plus toi qui les accueilles,
Qu’importe leur sort en mourant ?

Eh bien ! que rien ne les arrête ;
Je les donne au tombeau, je m’y traîne à mon tour,
Et comme on oublie une fête, :
Jeune encor j’oublîrai l’amour.
Pour beaucoup d’avenir j’ai trop peu de courage,
Oui, je le sens au poids de mes jours malheureux,
Ma vie est un orage affreux,
Qui ne peut être au long orage.

J’entends de l’indiscret le rire délateur ;
Il revient insulter au mal qui me dévore.
Il rirait sur ma tombe, il parlerait encore :
C’est l’écho d’un ingrat. Que n’est-ce un imposteur !

Fuis, dépositaire infidèle
Des secrets imprudens confiés à ta foi :
Va ! qui trompe une amante au moins a pitié d’elle,
Tu trahis un méchant, mais il l’est moins que toi.
Sa pudeur, ses remords prenaient soin de ma vie ;

Lui-même il frémira du mal que tu me fais :
Il endormait mon âme aveuglée, asservie,
Il se taisait enfin, et moi… que je le hais.
Pour tromper tant d’amour qu’il s’imposa de peine,
Quelle humiliante pitié !
Mais toi, toi qui pour lui m’apportes tant de haine,
Ah ! prends-en la moitié !
Qu’elle attache à mes pleurs une longue puissance,
Qu’elle effraie à ton nom l’imprudente innocence,
Que ton cœur s’intimide à mes cris douloureux ;
Qu’il devienne sensible, et qu’il soit malheureux.
Oui, puisses-tu brûler, et languir, et déplaire,
Au jeune et froid objet qui saura t’enflammer ;
Ou plutôt… tremble au vœu qu’invente ma colère :
Puisses-tu long-temps vivre, et ne jamais aimer.