Élégies et poésies nouvelles/La Veillée du Nègre
LA VEILLÉE DU NÈGRE.
Le soleil de la nuit éclaire la montagne[1] ;
Sur le sable désert faut-il encor rester ?
Doucement dans mes bras laisse-moi t’emporter,
Bon maître, éveille-toi ! marchons vers la campagne.
Tes yeux sont clos depuis trois jours :
Maître ! dormiras-tu toujours ?
L’orage dans son vol a brisé les platanes ;
Le navire sans voile a disparu dans l’eau :
De ton front tout sanglant j’ai lavé le bandeau,
Marchons, les pauvres noirs t’ouvriront leurs cabanes.
Tes yeux sont clos depuis trois jours :
Maître ! dormiras-tu toujours ?
Je voudrais deviner ton rêve que j’ignore ;
Oh ! que ce rêve est long ! finira-t-il demain ?
Demain en t’éveillant presseras-tu ma main ?
Oui, je t’appellerai quand j’aurai vu l’aurore.
Tes yeux sont clos depuis trois jours :
Maître ! dormiras-tu toujours ?
Mais la lueur du jour s’étend sur le rivage,
Le flot porte sans bruit la barque du pêcheur :
Viens !… Que ton front est froid ! quelle triste blancheur !
Oh ! maître ! que ta voix me rendrait de courage !
Tes yeux sont clos depuis trois jours…
Maître ! dormiras-tu toujours !
- ↑ Soleil de la nuit : expression des nègres.