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Élégies et poésies nouvelles/Le Bal des Champs, ou la Convalescence

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LE BAL DES CHAMPS,
OU
LA CONVALESCENCE.

Un bruit de fête agitait mes compagnes ;
Sous leurs plus frais atours je les vis accourir ;
Elles criaient : « Viens ! le bal va s’ouvrir ;
Viens ! nous allons au bal, et tu nous accompagnes. »
« Quoi ! dans les champs ? quoi ! dans ce beau jardin,
Plus beau, plus vert, plus bruyant à cette heure,
Si gai le soir, si triste le matin,
Je l’ai vu le matin, et je sais qu’on y pleure !

Quoi ! vous voulez que j’y suive vos pas,
Si faible encore ? oh ! je ne danse pas,
Non, dis-je, non. » Mais elles m’entourèrent,
De fleurs, de nœuds en riant me parèrent,
Et rendue en espoir à l’air pur des vallons,
Riante aussi, je répondis : allons !

Oui ! cette fête avait pour moi des charmes ;
Oui, j’appelais des champs les suaves couleurs ;
Car le zéphyr errant parmi les fleurs,
Est salutaire aux yeux où se cachent des larmes.
Mais je dis mal, non, je ne pleurais plus ;
J’étais, de mille maux, de mille biens perdus,
Trop lentement, mais à jamais guérie.
Hélas ! on meurt long-temps lorsque l’on fut trahie !
Je renaissais, j’osais vivre pour moi,

Pour l’amitié de tes beautés aimantes ;
À me parer j’aidais leurs mains charmantes ;
J’étais mieux. Oui, ma sœur, je le voyais en toi.
Dans tes regards émus qu’il m’était doux de lire,
Quand tu revis des fleurs couronner mes cheveux :
Tes tristes souvenirs, ton vague espoir, tes vœux,
Ma sœur ! je voyais tout à travers ton sourire.
Regardez-la, disais-tu ; qu’elle est bien !
Que manque-t-il à son teint ? quelques roses ;
Et le grand air, le bruit, qui sait ? un rien,
Peut tout à coup les y répandre écloses.

Je t’écoutais : je ne sais quel pouvoir
M’aidait à fuir ma retraite profonde ;
Je devançais l’instant qui me rendait au monde,
À ce monde entrevu, que je voulais revoir.

Et l’heure frappe, et par elle entraînées,
Nous avançons deux à deux enchaînées.
D’harmonieux échos promènent dans les airs
L’enchantement des nocturnes concerts ;
Le jour fuyait, mais mille autres lumières
Sur mes yeux éblouis font baisser mes paupières :
Il me semblait, oh ! quel doux sentiment !
Ciel ! pardonnez à l’orgueil d’un moment :
Il me semblait, dans ma reconnaissance,
Que tout daignait sourire à ma convalescence.
Les yeux fermés j’accueillis cette erreur ;
On me laissait goûter mon innocente ivresse ;
Autour de moi je sentais le bonheur,
Et le bonheur ressemble à la tendresse.

Mais on nous suit… mais j’entends une voix,
Que dans mon cœur j’entendis autrefois :

Je crois rêver, je l’espère… et ma vue
Passe en tremblant sur l’image imprévue.
Aimable sœur ! ce fut encor ta main,

Qui prompte à me sauver, me montra le chemin.
De ta frayeur, de ta grâce attendrie,
J’ai murmuré : Ne suis-je pas guérie ?
Et lui, peut-être, ému quelques instans,
De me revoir languissante et penchée,
Comme une fleur que l’orage a touchée,
Dans ma pâleur il m’observa long-temps.
Mais ma fierté n’en fut point consternée ;
Nul changement n’a paru dans mes traits ;
D’un air indifférent je me suis détournée…
Hélas ! j’ai cru que je mourais !


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