Éléments de paléographie/I/3/1

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TROISIÈME PARTIE.

PALÉOGRAPHIE PROPREMENT DITE.


CHAPITRE PREMIER.

SUBSTANCES DESTINÉES À RECEVOIR L’ÉCRITURE. –ENCRES ET COULEURS. – INSTRUMENTS DE L’ÉCRIVAIN.


ARTICLE PREMIER.

DES SUBSTANCES DESTINÉES À RECEVOIR L’ÉCRITURE, ET EN PARTICULIER DU PAPYRUS, DU PARCHEMIN ET DU PAPIER.

« Les peaux des quadrupèdes différemment préparées, celles des poissons, les intestins des serpents et autres animaux, le linge, la soie, les feuilles, le bois, l’écorce, la bourre des plantes et leur moelle, les os, l’ivoire, les pierres communes et précieuses, les métaux, le verre, la cire, la craie, le plâtre, etc. ont fourni, disent les Bénédictins, la matière sur laquelle autrefois on écrivait, ou sur laquelle on écrit encore. » Mais si les anciens employaient souvent les matières lapidaires ou métalliques pour graver leurs actes, on ne cite depuis l’invasion des barbares que de rares exemples de cet usage, et les seules substances que l’on rencontre généralement dans les archives ou les bibliothèques sont le papyrus ou papier d’Egypte, le parchemin, le vélin, le papier de coton et le papier de chiffe. Cependant on possède encore des tablettes d’ivoire connues en général sous le nom de diptyques, parce qu’elles sont rarement composées de plus de deux feuilles. Celles qui en ont davantage prennent le nom de polyptyques. On conserve à la Bibliothèque du Roi et aux Archives du royaume des tables de cire, mais elles ne remontent qu’au xive siècle ou environ. Les Bénédictins citent aussi quelques actes écrits, soit sur des bâtons, soit sur le manche ou la lame d’un couteau. Mais ce sont là des exceptions plus curieuses qu’utiles à connaître. Les actes sur papyrus, au contraire, se sont conservés en assez grand nombre pour qu’il soit nécessaire d’en parler avec quelques détails.

Le papyrus est une espèce de roseau dont la tige est recouverte par une enveloppe membraneuse. Comme la substance de ces enveloppes n’est pas très-serrée, on était obligé de superposer deux de ces membranes transversalement : par ce moyen les fibres, en se coupant à angle droit, imitaient l’aspect d’un tissu, et formaient en même temps une matière plus compacte, et plus propre à recevoir l’écriture.

Il est inutile de donner ici des détails sur la manière de préparer le papyrus et d’amener l’adhésion plus ou moins complète de la couche inférieure et de la couche supérieure. Ce qu’il importe de savoir, c’est que ce roseau s’élève au moins de deux coudées au-dessus de l’eau ; un témoin oculaire porte même son élévation à six ou sept coudées. Il en résulte que les actes sur papyrus peuvent avoir une grande dimension. Parmi ceux qui ont été écrits sur cette substance, le plus ancien que l’on connaisse a deux aunes de long. Maffei signale cette pièce comme la plus précieuse de toutes celles qu’il a eues entre les mains ; les Bénédictins la font remonter à l’an 445 au plus tard, et Mabillon, qui avait visité les plus célèbres archives de l’Europe, a déclaré qu’elle était d’une antiquité supérieure à celle de tous les actes authentiques qu’il eût jamais vus. Parmi les papyrus qui existent aux Archives du royaume, on peut citer deux testaments, l’un d’une dame nommée Ermentrude, l’autre d’un magnat français dont la femme est nommée Chamnetrude. Le premier de ces diplômes a quatre pieds et demi, et le second quatre pieds neuf pouces de hauteur. Comme ils sont tous deux mutilés, ils devaient probablement avoir plus de cinq pieds. La Bibliothèque du Roi possède des papyrus d’une dimension au moins égale ; aussi ne doit-on pas douter que cette substance n’ait été d’un usage très-fréquent pour tous les actes d’une grande étendue. Il est même prouvé que pour les chartes elle a été employée de préférence au parchemin jusque vers la fin du viie siècle. En effet, la plupart des diplômes antérieurs au viiie siècle qui se sont conservés jusqu’à nous, sont écrits sur papyrus, et cependant cette substance fragile est beaucoup plus exposée à se détruire que le parchemin. On s’en est servi en Italie jusqu’au milieu du xie siècle ; mais en France on en avait à peu près abandonné l’usage dès le viiie. Les diplômes sur papyrus sont en général d’une mauvaise conservation, parce qu’on avait autrefois la mauvaise habitude de les rouler : or comme il arrive souvent que des parcelles de papyrus se soulèvent, on risquait en les développant de détacher quelques fibres dans toute leur longueur. Le seul moyen de conserver ces précieux monuments est de les encadrer, ou tout au moins de les étendre en les fixant sur un carton. Quoiqu’il soit prouvé que l’on pouvait obtenir du papyrus d’une grande blancheur, cette substance, telle qu’on la rencontre dans les archives et les bibliothèques, est en général d’un jaune clair ; et comme l’encre en vieillissant tend à se rapprocher de cette couleur, surtout quand elle est exposée à la lumière, il est préférable de préserver les actes sur papyrus, non-seulement de l’action directe des rayons solaires, mais encore de la lumière diffuse. Il ne paraît pas que l’on ait employé aussi fréquemment le papyrus pour les manuscrits que pour les diplômes. On peut citer cependant quelques fragments de S. Avit, déposés à la Bibliothèque du Roi. Le même établissement possède un manuscrit de S. Augustin, également sur papyrus ; quoiqu’il soit incomplet, il est d’une admirable conservation. Cela tient sans doute à ce que chaque cahier de papyrus a été dès l’origine placé entre une double feuille de parchemin qui fait elle-même partie du manuscrit, et sur laquelle sont écrites les deux premières et les deux dernières pages de chaque cahier. Mabillon cite dans sa Diplomatique un autre manuscrit pour lequel on avait pris les mêmes précautions. ( Voyez la notice relative au manuscrit qui a fourni le fac-similé n° 5 de la planche II.)

On a souvent, et mal à propos, donné au papyrus le nom de papier d’ècorce. Maffei, qui a relevé plus d’une erreur de ce genre, pense que l’on n’a peut-être jamais écrit d’acte sur l’écorce, en tous cas que ces actes ne se sont pas conservés, et que très-certainement si l’écorce brute a pu être employée à cet usage, on ne s’en est jamais servi pour fabriquer du papier. Les Bénédictins, qui n’admettent aucune de ces propositions, citent un ancien manuscrit de Saint-Germain des Prés, dans lequel se trouvent cinq feuillets composés, à leur avis, de papier d’écorce. Montfaucon partage cette opinion. Mabillon, au contraire, a jugé que ces feuillets étaient en papyrus. On peut voir ce manuscrit à la Bibliothèque du Roi, où il est aujourd’hui déposé ; mais la question qu’il soulève est plutôt du ressort de la botanique que de la paléographie. Toutefois, comme la couche supérieure de certains feuillets laisse apercevoir sous quelques lacunes les traces de plusieurs écritures d’un caractère différent, il paraît probable que ce sont des fragments d’anciens papyrus qu’on aura grossièrement collés les uns sur les autres pour les employer de nouveau. Quelques personnes ont douté qu’il y eût des palimpsestes sur papyrus, c’est-à-dire des actes écrits sur des feuilles de papyrus qui auraient auparavant reçu une écriture plus ancienne. Le manuscrit qui vient d’être cité semble déjà prouver qu’on a tenté d’appliquer au papyrus un procédé dont on s’est fréquemment servi pour le parchemin. Mais il existe aux Archives du royaume plusieurs diplômes sur papyrus qui ne laissent aucun doute à cet égard. Il est facile d’apercevoir, dans l’intervalle des lignes de quelques-uns de ces actes, la trace de lignes plus anciennes et qui ont une direction à peu près parallèle à celle de la seconde écriture. Ces doubles lignes sont quelquefois assez rapprochées pour se confondre, et alors il devient difficile de distinguer l’ancienne écriture ; mais souvent elles sont complètement isolées, et par un examen attentif on arrive à reconnaître les vestiges des caractères primitifs dans toute l’étendue de l’acte. Parmi ces palimpsestes, il en est un dont l’ancienne écriture se distingue plus facilement encore, parce que les anciennes lignes coupent à angle droit la direction des lignes nouvelles. Cet acte est peut-être le seul où l’on déchiffrerait quelques mots, si la composition chimique de l’encre permettait d’employer avec succès quelqu’une des liqueurs qui font revivre les anciennes écritures.

Eumène, roi de Pergame, a été cité comme l’inventeur du parchemin ; mais il paraît probable que l’usage d’écrire sur la peau de mouton remontait à une plus haute antiquité, et qu’on a seulement perfectionné sous son règne la manière de la préparer. Cette hypothèse suffit pour expliquer le nom de pergamenum donné à cette substance. Les plus anciens manuscrits que l’on connaisse sont en parchemin ; mais il n’en est pas de même pour les actes, ou du moins les Bénédictins ne pensaient pas qu’il y eût des chartes sur parchemin qui fussent antérieures au vie siècle ; la plus ancienne de celles qui existent aux Archives du royaume ne remonte qu’à l’an 671. On pourrait citer ici un titre qui porte une date beaucoup plus reculée et que les Bénédictins ont défendu contre les attaques de Launoy et du P. Germon ; mais quelque respect que nous ayons pour l’avis des savants auteurs du Nouveau Traité de Diplomatique, il nous est impossible de faire remonter à l’an 558 le diplôme de Childebert en faveur du monastère de Saint-Vincent et de Sainte-Croix, depuis Saint-Germain des Prés. On ne peut y voir, à notre avis, qu’un renouvellement de l’acte primitif dont le texte a pu sans doute être conservé, mais dont l’écriture n’est pas antérieure au ixe siècle. En admettant d’ailleurs que cet acte soit original, il n’en serait pas moins prouvé qu’en fait les diplômes sur parchemin sont encore très-rares au viie siècle ; la charte de Childebert ne serait donc qu’une exception à la règle générale. En tous cas, un diplôme sur parchemin qui remonterait à la première moitié du viie siècle, devrait être considéré comme une singularité remarquable et soumis par conséquent à un examen scrupuleux.

Il n’y a aucune espèce de règle à donner sur les dimensions des chartes. On en trouve qui ne sont pas plus grandes qu’une carte à jouer ; d’autres, au contraire, couvrent une feuille de parchemin dans toute l’étendue quelle peut avoir. Quand la longueur des actes ne permettait pas de les écrire sur une seule feuille de parchemin, on formait, en cousant plusieurs peaux, des rouleaux qui avaient quelquefois une longueur prodigieuse : on peut citer pour exemple le rouleau de l’enquête contre les Templiers, qui existe aux Archives du royaume, et qui a plus de soixante et dix pieds de long. Aux points de réunion des différentes feuilles dont se compose ce rouleau, se trouvent deux, trois ou quelquefois quatre signatures, en forme d’estampilles, dont une portion seulement est marquée sur chaque feuille, afin que le rapprochement de la portion correspondante puisse servir de point de rapport ; ces feuilles sont d’ailleurs cousues les unes à la suite des autres. Souvent, par surcroît de précaution, on avait soin de sceller une ou plusieurs bandes de parchemin qui réunissaient entre elles les feuilles du rouleau. Dans des pièces d’une aussi grande étendue, il n’est pas rare de rencontrer des alinéa ; mais il n’en existe pas dans les chartes ordinaires, si ce n’est pour les signatures et les dates. Lorsqu’on ne voulait pas, pour compléter un acte, ajouter une seconde feuille de parchemin, on en écrivait la fin sur le verso de la feuille dont le recto avait été rempli. Ces actes, que l’on appelle opisthographes, se rencontrent rarement[1] parce qu’en général on avait soin de choisir une feuille de parchemin assez étendue pour que la totalité de l’acte pût tenir sur le recto. Il n’existe pas d’actes opisthographes sur papyrus ; mais dans les manuscrits les feuilles de papyrus sont, comme celles de parchemin, écrites sur le recto et sur le verso.

La peau de mouton, préparée en parchemin, peut avoir une blancheur éclatante, ou être d’un jaune sale. Ces deux couleurs et les teintes intermédiaires, dépendent ou de la qualité de la substance ou du mode de fabrication. Ce serait donc une erreur que de prendre pour un signe de vétusté, une teinte jaune plus ou moins foncée. S’il fallait, au contraire, juger de l’antiquité d’un titre par l’aspect seul du parchemin, on pourrait dire que la blancheur jointe à la finesse indiquerait en général qu’il est antérieur au xn’ siècle. On a aussi essayé de communiquer au parchemin une blancheur factice, mais cette préparation avait l’inconvénient de nuire à la conservation de l’écriture. Des essais du même genre paraissent avoir eu lieu pour lui donner une couleur de safran ; mais les auteurs ne s’accordent pas sur ce point. Quant aux parchemins pourpres, on en fabriquait du temps même de Pline. Vers la fin du ive siècle, les moines s’occupèrent de cet art, qui fut pendant longtemps cultivé avec succès, comme l’attestent plusieurs manuscrits précieux où brillent les reflets les plus éclatants du rouge, du bleu et du violet. Vers la fin du ixe siècle, le secret de cette préparation paraît s’être en partie perdu. Les parchemins pourprés n’ont plus qu’une teinte obscure et rembrunie. Les vélins[2] teints en pourpre étaient en général destinés à recevoir des lettres d’or ou d’argent, et devaient avoir un très-grand prix. On sait d’ailleurs que le parchemin était fort rare, même à son état naturel. De là cette funeste habitude de racler les anciens titres pour en écrire de nouveaux. Il paraît que le moyen âge ne fit en cela qu’imiter l’exemple des Romains. On peut quelquefois sans doute arriver à découvrir quelques vestiges de l’écriture primitive, mais ce déchiffrement offre presque toujours de grandes difficultés.

Quoique l’invention du papier de chiffe paraisse remonter au xiiie siècle, il ne fut d’un usage ordinaire que dans le courant du siècle suivant. Le plus ancien titre sur papier de chiffe que Mabillon ait rencontré, est une lettre de Joinville à Louis X. Ce papier ne doit pas être confondu avec le papier de coton (charta bombicina, bombacina, cuttunea ou Damascena). Celui-ci est plus épais, plus lisse, et laisse ordinairement paraître vers la tranche des parcelles de coton. Cette substance se voit même à son état naturel et comme en flocons dans des registres qui ont souffert de l’humidité. Le papier de coton était certainement en usage chez les Orientaux dès le ixe siècle, et les auteurs du Nouveau Traité de Diplomatique ne paraissent pas éloignés de croire qu’on l’employait déjà cinq cents ans auparavant. Du reste, il n’eut jamais autant de cours chez les Latins que chez les Grecs. Toutefois, les relations commerciales l’avaient introduit à Venise, à Naples et en Sicile. Montfaucon parle de plusieurs manuscrits en papier de coton, qui remontent au xe siècle. Selon le même auteur, les chartes les plus anciennes qui aient été écrites sur cette substance, sont du commencement du xiie siècle. Il est inutile de faire remarquer que, malgré la découverte du papier de coton et du papier de chiffe, le parchemin continua d’être en usage pour la transcription des actes qui avaient quelque importance et dont on voulait assurer plus longtemps la conservation. De nos jours encore on emploie le parchemin pour les expéditions de quelques

contrats de mariage et d’un petit nombre de contrats de vente.

ARTICLE II.

DES ENCRES, DES COULEURS, DES LETTRES ORNÉES ET DES PEINTURES.

L’encre noire est celle qu’on employait le plus généralement dans les manuscrits, et surtout dans les diplômes. En thèse générale, la teinte de l’encre doit pâlir avec le temps ; mais on tomberait dans de fréquentes méprises si l’on s’attachait à cette circonstance comme à une preuve décisive. Il y a des titres fort récents, où l’encre a pris une teinte pâle et jaunâtre ; tandis qu’elle conserve toute sa vivacité dans des actes très-anciens. Souvent même ces différences de teinte se rencontrent dans le corps d’un même acte et dans un même mot. Cela tient à ce que la plume de l’écrivain, n’étant pas toujours également chargée d’encre, déposait des couches de matière colorante d’une épaisseur inégale, et sur lesquelles l’action de l’air, de l’humidité et de la lumière devait être plus ou moins sensible. Les différences de teinte dans les écritures qui n’ont pas été tracées par la même main s’expliquent surtout par la différence dans la qualité des encres, et quelquefois aussi par des circonstances accidentelles qui ont pu multiplier, pour certains actes, les causes d’altération.

Nous avons dit que l’encre noire était employée plus généralement encore dans les diplômes que dans les manuscrits. En effet, l’on trouve à peine quelques chartes qui soient écrites en encre de couleur. Il existe à Orléans une charte de Philippe Ier, en encre verte ; mais la croix qui servait de signature au roi est tracée en noir. On sait que les empereurs grecs avaient coutume de signer en rouge des diplômes dont le texte était d’ailleurs écrit en encre noire : Charles le Chauve, à leur exemple, a donné quelques signatures en cinabre. On rencontre aussi des actes dont les lettres initiales sont rouges, vertes ou bleues. Parmi les diplômes remarquables par des lettres à ornements, on peut citer les deux exemplaires de l’ordonnance de i3y4 sur la majorité des rois de France. Ces deux actes, qui font partie du Trésor des chartes, sont admirablement conservés. La première ligne est tout entière en lettres ornées et coloriées avec autant de recherche que d’élégance. Enfin on trouve aussi en Italie, en Allemagne et en Angleterre, des diplômes en lettres d’or ; mais, à part ces exceptions peu nombreuses, on peut regarder les encres métalliques et les encres de couleur comme étrangères aux diplômes. On les prodiguait au contraire avec une telle magnificence dans les manuscrits, qu’il n’est pas extraordinaire de voir une lettre occuper une page entière. Ce travail n’était pas en général confié au copiste. En effet, l’on voit beaucoup de manuscrits dont les lettres initiales sont restées en blanc ; ailleurs, ce sont des titres ou des vignettes, dont le trait seul est marqué. Il n’existe qu’un petit nombre de manuscrits qui soient tout entiers en lettres d’or, comme les heures de Charles le Chauve ; mais souvent cette encre précieuse a été employée pour tracer les premières pages, les titres, les initiales des alinéa ou les passages remarquables. Il peut arriver alors que le vélin soit teint en pourpre dans ces différentes parties. L’encre d’or a été particulièrement employée du viiie au xe siècle, et surtout dans les missels et les livres saints. Pour assurer la régularité de ces caractères, on traçait à chaque ligne deux raies blanches, qui fixaient la hauteur des lettres. Dans les manuscrits ordinaires on se contentait d’une seule ligne horizontale, sur laquelle s’appuyait la base de l’écriture. Les lettres d’or, qui avaient été rarement employées du xie au xiiie siècle, reprirent faveur dans les trois siècles suivants. Mais alors, au lieu d’encre métallique, on appliquait ordinairement sur le vélin des feuilles d’or, qui servaient aussi pour les ornements. Cet usage remonte au moins jusqu’au xie siècle.

L’encre d’argent s’employait peut-être plus fréquemment que l’encre d’or sur les vélins pourprés. Les lettres argentées laissent souvent paraître, en s’effaçant, un fond vert sur lequel on découvre à peine quelques traces du métal. Quelquefois elles paraissent noires, soit que l’application de l’encre métallique ait altéré la couleur du vélin pourpré, soit qu’on ait essayé de retracer à l’encre les caractères qui s’effaçaient, soit que la couleur noire ait été emplovée comme le vert et le rouge, pour servir de base aux écritures métalliques. Ce qu’il y a de sûr, c’est que les Anglo-Saxons peignaient souvent sur un fond noir leurs lettres historiées. Et d’ailleurs la nature des vernis et des encres a pu donner lieu à quelques-unes de ces réactions chimiques qui transforment complètement les couleurs. Le vermillon ou cinabre a été beaucoup plus employé que les encres métalliques, pour distinguer les titres, les initiales, les tables ou les passages remarquables des manuscrits. Cette couleur a quelquefois l’inconvénient de se détacher et de maculer la page opposée. Selon les Bénédictins, un manuscrit dont les quatre ou cinq premières lignes sont en onciale rouge appartient ordinairement au ve ou au vie siècle, tandis que, dans les manuscrits du viie et du viiie siècle, on écrivait plutôt en rouge les titres que les premières lignes de l’ouvrage.

Ce serait ici l’occasion de parler des lettres ornées qui se rencontrent si fréquemment dans les manuscrits ; mais pour traiter clairement ce sujet il aurait fallu mettre sous les yeux du lecteur des modèles, dont la reproduction aurait entraîné des dépenses considérables. Il règne en effet une grande diversité dans ces caractères, dont la forme variait suivant le goût du siècle et les caprices du dessinateur. Ces formes étaient si multipliées au moyen âge, qu’on a senti le besoin de leur appliquer une nomenclature spéciale. Nous renverrons au traité de Tory sur l’Art et science de la vraie proportion des lettres les personnes qui seraient curieuses de connaître ce qu’on entendait par cadeaux, lettres de forme, lettres goſſes, lourdes, impériales ou bullatiques, lettres de cour ou de cours, lettres torneures, etc. Un fait digne de remarque, c’est qu’une bulle de Grégoire IX renferme un de ces termes techniques : il y est question de lettres tondues (litteræ tonsæ), c’est-à-dire de lettres qui n’étaient pas hérissées de ces poils ou traits superflus dont les écrivains surchargeaient certains caractères des bulles et diplômes impériaux. Parmi les lettres ornées, il est facile de distinguer celles que les Bénédictins appellent lettres en marqueterie. En effet, leurs couleurs sont disposées par compartiments, et de manière à représenter une mosaïque. On ne peut voir dans ces lettres qu’une imitation de quelques inscriptions monumentales où l’on s’est attaché à composer des caractères avec des fragments de pierres de différentes couleurs. Ce genre d’ornements a été surtout employé du viie au ixe siècle dans les manuscrits du nord de l’Italie, où règne une écriture qu’on est convenu d’appeler lombardique, parce que les caractères qui la distinguent ont commencé à paraître du temps des Lombards. Les jambages massifs des lettres de marqueterie représentent souvent des animaux. Les manuscrits lombardiques ne sont pas d’ailleurs les seuls qui admettent dans la composition des lettres ornées la représentation des objets naturels. Ce genre d’ornements calligraphiques était si fréquemment employé, que les Bénédictins, tout en s’interdisant de rien emprunter aux manuscrits qui n’étaient pas antérieurs au xe siècle, ont pu reproduire une collection à peu près complète d’alphabets à figures d’hommes, de quadrupèdes, d’oiseaux, de poissons, de serpents et de fleurs. Dans les manuscrits du viie, du viiiie et du ixe siècle, ces figures servaient à composer le corps même de la lettre ; mais dans la suite on les employait plutôt comme des ornements accessoires qui se rattachaient aux caractères, sans en former les contours. On ne doit pas s’étonner que les dessinateurs aient souvent sacrifié la forme des lettres au désir d’v faire entrer ces ornements divers. Les écritures à ornements présentent donc des singularités de tout genre. C’est là qu’on rencontre surtout des caractères d’inégale grandeur, des lettres enclavées ou bizarrement conjointes. Quand les lettres initiales sont d’une grande simplicité et que par leur grandeur elles ne s’éloignent pas beaucoup des caractères qui composent le texte, le manuscrit qui présente ces caractères peut être rapporté au ve ou au vie siècle, si d’ailleurs son écriture ne dément pas cette supposition. Il arrive même souvent que, dans les manuscrits d’une belle antiquité, les lettres initiales des alinéa ne dépassent pas le texte, en sorte que les grandes lettres ne paraissent guère qu’au commencement des pages.

Est-il nécessaire de faire remarquer que les lettres coloriées fournissent à l’artiste et à l’antiquaire une source inépuisable d’observations curieuses, soit que la mode dans ses caprices leur emprunte des modèles de parure et d’ameublement, soit que le savant lise dans leurs ornements symboliques l’histoire cachée des mœurs d’un autre âge ? Quand même on se bornerait à étudier ces monuments sous le rapport de la paléographie, ils fourniraient encore des éléments précieux pour cette science. « Il n’est peut-être point de caractère plus facile à saisir ni plus propre à déterminer l’âge des manuscrits, disent les Bénédictins, que celui qui résulte de la forme et du génie de leurs lettres historiées répondant à nos lettres grises[3]. En général, leur rareté dans leurs manuscrits où d’ailleurs on ne s’est point négligé sur l’élégance, est en proportion avec leur antiquité. Si ce caractère n’était pas démenti par aucun autre, on pourrait estimer du ve siècle ou du vie au moins, tout manuscrit où l’on n’en découvrirait aucune. Du reste, on ne prétend pas fixer au dernier l’origine des lettres historiées : on ne saurait même presque douter qu’elle ne soit bien plus ancienne. En effet, le vie siècle n’était pas un temps fort propre à faire éclore des nouveautés si recherchées. Ces lettres sont appelées capitulaires parce qu’elles étaient placées au commencement des chapitres et des livres. Les lettres en broderie commencent à relever les manuscrits du vie siècle. Au viie, elles deviennent plus fréquentes et remplissent quelquefois la dernière page d’un livre. Aux lettres brodées, en France, succéda la mode des lettres en treillis ou à mailles. Leur massif commença d’abord par recevoir des chaînettes. Bientôt elles se multiplièrent au point de produire des lettres tressées et entrelacées. Le règne de ce caractère désigne les viiie et ixe siècles. Les arabesques parurent sur les lettres historiées dès le viiie. Leur faveur s’accrut dans la suite : leur crédit se soutint au moins jusqu’au xiie ; mais depuis le x e ce fut avec un dépérissement sensible du goût… Les lettres historiées anglo-saxonnes se distinguent des autres parce quelles aboutissent en têtes et en queues de serpents ; parce qu’elles sont bordées de points ; parce qu’elles paraissent dans leurs massifs garnies de perles ; parce qu’elles portent sur un fond, soit rouge, bleu, jaune, soit mi-parti ou écartelé de ces couleurs. Ces lettres grises, terminées en têtes ou en queues de serpents, de dragons, de monstres, ou les représentant dans leurs massifs, ont été moins imitées des autres nations que les précédentes. « Les treillages et les entortillements ont souvent lieu dans ces formes de lettres. Les lettres fleuronnées ou fleuries, constamment employées dans les

manuscrits, ont passé de là dans les imprimés. Leur variété presque infinie 

ouvrait sans doute un vaste champ à l’imagination des peintres de manuscrits. Aussi se donnèrent-ils carrière en ce genre. Aux vin et ix e siècles, ils diversifièrent prodigieusement leurs lettres historiées. Souvent les couleurs

les plus vives et les plus tranchantes y contrastèrent. Rien dans la nature 

"dont ces lettres n’aient emprunté la forme. Mais, après l’avoir pour ainsi

dire épuisée, à force de vouloir raffiner les enlumineurs et les peintres tomhèrent 

dans le ridicule et dans l’extravagant. Toutefois, avant le xiii c siècle,

ils s’en préservèrent en quelque sorte, si l’on compare leurs productions de 
1 imagination la plus égarée avec celles des siècles suivants. On ne vit plus 
alors ces lettres garnies que de têtes déplacées avec des nez monstrueux, ou 
hien elles se chargèrent de lignes de diverses couleurs, en barhes, en gerbes,
en chevelures bouclées par les extrémités. Souvent leurs extensions postiches 
ne se bornèrent pas, soit à remonter au haut, soit à descendre au bas de la 
page, mais se replièrent encore le long des marges supérieures et inférieures. 
Cependant le corps de la lettre proprement dite n’avait ordinairement guère 
plus d’un pouce de diamètre. Les extensions chevelues affectaient des couleurs 

opposées à celles du fond de la lettre. Deux fdets voisins soutenaient

souvent leur alternative de couleur autant de fois qu’ils étaient répétés. Dans 
leurs intervalles, d’autres petites lignes, qui ne tenaient à rien, se trouvaient 
placées. Souvent elles étaient en vis ou en volute. Quand les filigranes 
n’avaient pas lieu, les échappements des lettres, presque en forme d’antennes,
ne laissaient pas d’occuper autant ou plus de terrain, lors même qu’on leur 
donnait pour fond des feuilles d’or. En un mot, tout ce qu’un goût dépravé 
peut produire de plus absurde, tout ce qu’un cerveau frénétique peut enfanter 

e chimères, fut presque l’unique apanage des lettres historiées

des xin c, xiv e et xv e siècles. Cependant c’est au xv e qu’on commence un peu 
à se réconcilier avec la belle nature. On en découvre même quelques 
faibles préludes dès le xiv e. Ces filigranes et ces échappements de lettres 
historiées donnèrent lieu à des vignettes, à des rinceaux où l’on vit 
naître des fleurs et des fruits. Les enlumineurs s’exercèrent d’abord beaucoup 

ur les fraises, et c’est peut-être en quoi ils réussirent le mieux. Leurs

dessins, au reste, étaient des pièces mal assorties. S’ils s’avisaient d’orner les 
manuscrits de portraits, leurs personnages étaient roides et sans vie. Mais 
peu à peu leurs miniatures devinrent plus douces, plus finies et plus  naturelles. Les vignettes et les peintures lurent détachées des lettres. Les portraits , 

devenus un peu plus animés sur la fin du xv e et le commencement

du xvi e siècle, ne servirent plus que d’ornements isolés, et les vignettes, de 
cadres et de bordures. Les rinceaux de feuillage y paraissent souvent sur un 
fond d’argent, et les fleurs sur fond d’or. Des oiseaux, des dragons, des reptiles, 

etc., faisaient quelquefois un effet assez gracieux dans ces cadres et ces

bordures , quoique la nature n’y fût pas encore tout à fait copiée dans sa 
beauté. Les lettres initiales étaient souvent elles-mêmes décorées de plantes, 
garnies de feuilles , de Heurs et dé fruits. » 

Quoique les auteurs du Nouveau Traité de Diplomatique aient jugé avec une excessive sévérité les productions de certains siècles du moyen âge, on voit cependant qu’ils ont considéré cette étude comme intimement liée à la paléographie. Aussi est-il à désirer que, dans un siècle où l’on recherche avec tant de curiosité tous les monuments des temps passés, on arrive à en faire une étude sérieuse et méthodique. M. le comte deBastard a commencé la publication d’un magnifique recueil dans lequel seront reproduites les peintures des manuscrits les plus curieux qui existent en Europe. Tout fait espérer que cette riche collection réunira de nombreux éléments à l’aide desquels on pourra suivre les progrès de l’art dans chaque siècle et dans chaque contrée. Il est impossible, en effet, que le dessin, le colons, la nature des ornements n’aient pas varie comme l’écriture, suivant les temps et suivant les peuples. Les ornements des manuscrits peuvent donc être soumis à des règles d’appréciation qui viendront compléter ou corroborer les observations purement paléographiques ; et puisqu’il nous était impossible de résoudre cette question, nous avons cru du moins devoir en signaler l’importance.

ARTICLE III.

i)ES INSTRUMENTS DE l’ ÉCRIVAIS

Puisque les copistes appelaient la peinture à leur aide pour orner les manuscrits de l’éclat des couleurs les plus riches et les plus variées, on ne doit pas s’étonner qu’ils aient, de leur côté, surveillé avec soin tous les détails d’exécution qui les concernaient particulièrement. Ils négligeaient rarement, par exemple , d’assurer à leur écriture la régularité convenable, en limitant d’une manière uniforme la longueur et l’intervalle des lignes. S’il n’y a pas de manuscrits dans lesquels on trouve l’exactitude pour ainsi dire mathématique à laquelle nous ont habitués les procédés ingénieux de la typographie , il est bien positij du moins que les anciens copistes ont atteint un degré de perfection qui fait honneur à leur patience et à leur habileté. Nous avons déjà dit que dans les manuscrits en lettres d’or chaque ligne était souvent comprise entre doux raies blanches dont l’écartement fixait la hauteur des caractères, et que dans les autres manuscrits on se contentait ordinairement de tracer une seule raie sur laquelle s’appuyait la base de l’écriture. Pour espacer égalemenl ces raies, l’écrivain se servait d’un compas à l’aide duquel il perçait dans le parchemin des trous qui fixaient la position de la règle. Les raies horizontales qu’il traçait parce moyen, étaient rencontrées perpendiculairement par des raies verticales tirées du haut en bas de la page, et qui , en limitant le commencement et la fin de chaque ligne, réservaient une marge dans la partie gauche de la page et une autre dans la partie droite. Chacune de ces marges peut aussi être indiquée par deux raies verticales rapprochées l’une de l’autre, et il arrive souvent qu’à la fin des lignes, l’écriture au lieu de s’arrêter à la première verticale, s’étend jusqu’à la seconde. Il est inutile de faire remarquer que dans les manuscrits disposés sur deux ou sur trois colonnes, chaque colonne est comprise entre deux verticales. On conçoit que tous les écrivains ne s’attachaient pas également à renfermer leur écriture dans les limites qu’ils avaient eux-mêmes tracées ; mais ce qu’il importe de savoir, c’est que la comparaison des moyens dont on s’est servi pour tracer les raies des manuscrits , fournit quelques moyens d’apprécier l’âge auquel ils appartiennent. Jusqu’au xm e siècle, on les a tracées avec la pointe du style. Cependant on s’est servi du crayon ou de la mine de plomb dès le xi e siècle ; cet usage, devenu ordinaire au xn c , convient surtout aux deux siècles suivants. Dans les manuscrits plus récents, l’écriture s’appuie souvent sur des lignes rouges. Selon les Bénédictins , les raies blanches tracées horizontalement sur toute la largeur de la feuille indiqueraient un manuscrit remontant au moins au vii e siècle ; mais s’il n’y avait que les deux premières et les deux dernières qui occupassent cette étendue , on ne pourrait regarder le manuscrit comme antérieur au xi e siècle. Comme les raies tracées avec la pointe du style entamaient souvent le parchemin et avaient l’inconvénient de lui faire boire l’encre, plusieurs écrivains avaient la précaution de maintenir leur écriture un peu au-dessus de ces raies. Dans les diplômes, qui ne sont presque toujours écrits que d’un seul côté, on évitait quelquefois cet inconvénient en rayant le revers du parchemin ; la pointe du style produisait alors sur le côté opposé une légère saillie qui suffisait pour guider l’écrivain. Les Bénédictins ont remarqué que, dans les manuscrits antérieurs au vm e siècle, les points perçants marqués avec les pointes du compas étaient souvent recouverts par le texte, tandis qu’en général ils se trouvent sur la marge ; ils ont même disparu dans beaucoup de manuscrits qui ont été rognés de trop près par le relieur. Lorsqu’il existe dans la marge supérieure ou inférieure d’un manuscrit des points autres que ceux qui fixent la direction des raies verticales destinées à limiter les marges, il y a de fortes présomptions que l’on a employé pour ce manuscrit un parchemin palimpseste. Il faut alors examiner avec soin s’il n’existe pas de traces d’une écriture plus ancienne dont les lignes , comme l’indique la position des points, devraient croiser celles de la dernière écriture. Une longue discussion sur les instruments qui étaient employés par les copistes serait plus curieuse qu’utile pour l’appréciation des anciennes écritures. On peut se rendre compte , d’après ce qui précède , de l’emploi de la règle , du compas et du style. Peut-être distinguait-on le style qui servait pour les tablettes de cire, d’un instrument analogue qui aurait été employé seulement pour rayer le parchemin, et qu’on trouve désigné sous le nom de subula. Les Bénédictins semblent croire que cet instrument était non-seulement pointu, mais encore tranchant, parce qu’ils ont trouvé dans certains manuscrits le parchemin entièrement divisé dans toute l’étendue d’une ligne. L’usage de l’encrier, de l’écritoire, du pupitre, du canif, de la pierre à aiguiser et de la boîte à poudre ne nécessite aucune explication : les Bénédictins font seulement observer que certaines écritoires étaient façonnées de manière à tenir lieu de règle. D. Montfaucon parle en outre d’une fiole pleine de quelque liqueur propre à détremper l’encre trop épaisse, et d’une autre qui contenait le vermillon dont on se servait pour écrire les titres des livres et des chapitres. Quand les copistes s’apercevaient d’une erreur avant que l’encre fût séchée, ils l’effaçaient avec une éponge ; mais lorsque ce moyen ne pouvait plus être employé, ils tiraient une barre comme on le fait aujourd’hui (voy. le dernier mot du premier fac-similé de la planche II), ou bien ils marquaient des points en dessous des lettres à effacer (voy. le dernier mot du quatrième Jac-s*mz7e de la planche VII). Il est inutile de parler des ciseaux qui servaient à rogner les inégalités du parchemin , ou d’indiquer les matières qui pouvaient être employées pour en aplanir les aspérités. Nous terminerons en reproduisant un passage du Nouveau Traité de Diplomatique sur les roseaux, les plumes et les pinceaux.

« La canne, le calamus ou le roseau arando, juncus, disent les Bénédictins, «< fut l’instrument ordinaire des écritures faites avec des liqueurs, longtemps « avant qu’on se servît de plumes. David compare sa langue au calamus d’un «écrivain qui écrit rapidement. Ce calamus est interprété jonc par Aquila. L’Egypte fournissait beaucoup de ces joncs ou roseaux. « Dut cfiartis habiles calamos Mcmphitica tellus, dit Martial. Perse décrit les « défauts du calamus, qu'il qualifie nodosa arundo. Les Grecs des bas siècles con- « tinuèrent de se servir de cannes, qu'ils tiraient de la Perse Du temps de « Pline, on donnait la préférence au calamus d'Egypte Les plumes d'oies, «de cygnes, de paons, de grues et d'autres oiseaux sont en Occident, depuis «bien des siècles, presque les seuls instruments immédiats de l'écriture qui « se fait sur le parchemin ou sur le papier. Mais à quel temps en doit-on faire « remonter l'origine ? Il est assez naturel d'inférer d'un texte de l'Anonyme «publié par Adrien de Valois, qu'on écrivait avec des plumes dès le V e siècle. >< Théodoric, roi des Ostrogoths, se servait, selon cet ancien auteur, que l'on « dit être contemporain , d'une plume pour souscrire les quatre premières « lettres de son nom. On cite un vers de Juvénal, qui ferait remonter jusqu'à « son temps l'usage des plumes à écrire , si l'on ne leur appliquait pas une «métaphore tirée des ailes des oiseaux, et que ce poëte semble avoir en- « tendue dans un sens fort différent de celui de nos plumes. La plume à écrire « [Antiq. cxpl. tom. III, part. II, liv. v, chap. 6) ne peut être cjuère moins an- « cienne que Juvénal, au jucjcment d'un savant moderne, puisqu Isidore , qui, «comme chacun sait, ne parle ordinairement que des anciens usacjCs , dit que les «instruments des écrivains étaient la canne et la plume , que la canne était tirée «d'un arbre et la plume d'un oiseau, et quon la fendait en deux pour écrire. «S. Isidore n'aura pas sans doute été tellement occupé des anciens usages, « qu'il n'ait eu égard à ceux de son temps. Celui de la plume était donc déjà «tout commun au vn u siècle, et celui de la canne n'était pas encore passé. « Suivant Browerus, on se servait de la canne ou du calamus pour les lettres « majuscules, et de la plume pour les petits caractères. S'il nous était permis « ici de recourir à des conjectures fondées sur les traits de l'écriture courante, « nous donnerions les diplômes mérovingiens aux calamus, ainsi que les chartes « romaines dont l'antiquité remonte encore plus haut. Au vm e siècle , la plume «et la canne auraient en France écrit tour à tour les diplômes. Mais la plume «aurait insensiblement pris le dessus. Au siècle suivant, le roseau n'aurait « presque plus été admis à écrire le corps des actes émanés de la puissance «royale, quoiqu'il ne fût pas exclu des signatures, et que les bulles des « papes et les actes synodaux le préférassent encore à la plume. L'abbé de « Godwic observe fort judicieusement, qu'au défaut de textes clairs des auteurs « sur l'antiquité des plumes, on peut s'en tenir aux peintures des anciens ma- « nuscrits. D. Mabillon en cite deux, l'une de l'abbaye de Hauvilliers, du temps « de Louis le Débonnaire; et l'autre de l'abbaye de Saint-Amand, dux e siècle. La « première nous offre les portraits des évangélistes tenant des plumes à la main; «la seconde représente dans la même attitude Baudemond, ancien écrivain de « la vie de S. Amand. Il ne s’ensuit pas qu’aux ix e et x e siècles l’usage des cannes « fût totalement aboli , mais bien qu’on se servait de plumes même pour écrire «les manuscrits. Après tout, quand les cannes n’auraient plus été employées « dans les manuscrits, on n’en pourrait rien conclure par rapport aux diplômes. Comme on remarque dans ces derniers des traits nets et dégagés qui « semblent caractériser la plu nie, on en observe d’autres obscurs et grossiers, « qui paraissent nous annoncer le calamus. Supposé que la canne fût encore «alors de quelque usage en France pour transcrire les manuscrits, au V «siècle, Pierre le Vénérable ne connaissait plus que celui de la plume. On n’avait ordinairement recours au pinceau que pour former des lettres en or «ou en cinabre. Les Chinois n’ont point encore aujourd’hui d’autre plume. (Test avec le pinceau trempé dans l’encre de la Chine, qu’ils peignent leurs «caractères. Les empereurs grecs se sonl servis du pinceau pour souscrire ; « mais on ne peut douter qu’ils n’aient aussi usé de plumes, soit ordinaires, « soit de quelque métal, quand on a vu quelques-unes de leurs signatures « T^cp)^ pouvant également signifier le calamus et le pinceau , on ne sait si l’ émet pereur Justin employait l’un ou l’autre dans ses monogrammes. On pourrait « dire la même chose de ceux de quelques-uns de nos rois. u jugement de «quelques gens de lettres, l’écriture des livres de linge, si célèbre chez les «Piomains, n’était pas peinte avec le calamus, mais avec le pinceau.» (Nour. Tr. de Dipl. tom. î, p. 536-539.)

  1. Il ne faut pas considérer comme opisthographe les parchemins dont le revers présente une courte notice de l’acte. Ces sommaires se rencontrent sur presque toutes les chartes, et il n’est pas inutile de faire observer en passant qu’ils renferment souvent des erreurs quand ils sont d’une écriture beaucoup plus récente que celle du titre original.
  2. On emploie souvent comme synonymes les mots vélin et parchemin, parce que ces deux substances servaient au même usage ; mais on sait que le vélin proprement dit se fabrique avec la peau de veau, et le parchemin avec la peau de mouton.
  3. On entend par lettres grises les lettres initiales dont la dimension est plus grande que celle des lettres du texte ; c’est un terme générique qui désigne toute espèce de grandes lettres.