Éloge de Descartes/Notes

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Thomas
Œuvres de Descartes, Texte établi par Victor CousinLevraulttome I (p. 81-117).




NOTES
SUR
L’ÉLOGE DE DESCARTES .[1]




(1) PAGE 11.

René Descartes, seigneur du Perron, dont on fait ici l’éloge, naquit à La Haye en Touraine le 30 mars 1596, de Jeanne Brochard, fille d’un lieutenant-général de Poitiers, et de Joachim Descartes, conseiller au parlement de Bretagne, dont il fut le troisième fils. Sa maison étoit une des plus anciennes de la Touraine. Il avoit eu dans sa famille un archevêque de Tours, et plusieurs braves gentilshommes qui avoient servi avec distinction… Son père, soit par goût, soit par raison de fortune, entra dans la robe… Depuis que le père de Descartes se fut établi à Rennes, ses descendants y ont toujours demeuré. On en compte six qui ont occupé avec distinction des charges dans le parlement de Bretagne. Madame la présidente de Châteaugiron, dernière de la famille, vient de mourir. On dit qu’elle avoit dans son caractère plusieurs traits de ressemblance avec Descartes. Il y a eu aussi une Catherine Descartes, nièce du philosophe, célèbre par son esprit, et par son talent pour

les vers agréables. Elle est morte en 1706.
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Descartes étoit né avec une complexion très foible, et les médecins ne manquèrent pas de dire qu’il mourroit très jeune ; cependant il les trompa au moins d’une quarantaine d’années. Ayant perdu sa mère presque en naissant, il fut très redevable aux soins d’une nourrice, qui suppléa à la nature par tous les soins de la tendresse. Descartes en fut très reconnoissant ; il lui fit une pension viagère qui lui fut payée exactement jusqu’à la mort ; et, comme il n’étoit pas de ceux qui croient que l’argent acquitte tout, il joignoit encore à ces bienfaits les devoirs et l’attachement d’un fils. Son père ne voulut point fatiguer des organes encore foibles par des études prématurées ; il lui donna le temps de croître et de se fortifier. Mais l’esprit de Descartes alloit au-devant des instructions. Il n’avoit pas encore huit ans, et déjà on l’appeloit le philosophe. Il demandoit les causes et les effets de tout, et savoit ne pas entendre ce qui ne signifioit rien. En 1604, il fut mis au collége de La Flèche. Son imagination vive et ardente fut la première faculté de son âme qui se déploya. Il cultiva la poésie avec transport… Ce goût de la poésie lui demeura toujours, et peu de temps avant sa mort il fit des vers français à la cour de Suède. C’est une ressemblance qu’il eut avec Platon, et que Leibnitz eut avec lui. Il aimoit aussi beaucoup l’histoire, et passoit les jours et les nuits à lire ; mais cette passion ne devoit pas durer long-temps… Il étoit encore à La Flèche en 1610, lorsque le cœur du plus grand et du meilleur des rois, assassiné dans Paris, y fut porté pour être déposé dans la chapelle des jésuites. Il fut témoin de cette pompe cruelle, et nommé parmi les vingt-quatre gentilshommes qui allèrent au-devant de ce triste dépôt. Il étudioit alors en philosophie. Il y fit des progrès qui annoncèrent son génie ; car, au lieu d’apprendre, il doutoit. La logique de ses maîtres lui parut chargée d’une foule de préceptes ou inutiles ou dangereux ; il s’occupoit à l’en séparer, comme le statuaire, dit-il lui-même, travaille à tirer une Minerve d’un bloc de marbre qui est informe. Leur métaphysique le révoltoit par la barbarie des mots et le vide des idées ; leur physique par l’obscurité du jargon et par la fureur d’expliquer tout ce qu’elle n’expliquoit pas. Les mathématiques seules le satisfirent ; il y trouva l’évidence qu’il cherchoit partout. Il s’y livra en homme qui avoit besoin de connoître. Quelques auteurs prétendent qu’il inventa, étant encore au collége, sa fameuse analyse. Ce seroit un prodige bien plus étonnant que celui de Newton, qui à vingt-cinq ans avoit trouvé le calcul de l’infini. Quoi qu’il en soit de cette particularité, Descartes finit ses études en 1612. Le fruit ordinaire de ces premières études est de s’imaginer savoir beaucoup. Descartes étoit déjà assez avancé pour voir qu’il ne savoit rien. En se comparant avec tous ceux qu’on nommoit savants, il apprit à mépriser ce nom. De là au mépris des sciences il n’y a qu’un pas. Il oublia donc et les lettres, et les livres, et l’étude ; et celui qui devoit créer la philosophie en Europe renonça pendant quelque temps à toute espèce de connoissance. Voilà à peu près tout ce que nous savons des premières années de Descartes…

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Il étoit impossible que Descartes demeurât dans l’inaction. Il faut un aliment pour les âmes ardentes. Dès qu’il eut renoncé aux livres, il s’abandonna aux plaisirs. En 1614 il fit à Paris l’essai d’une liberté dangereuse ; mais son génie le ramena bientôt. Tout-à-coup il rompt avec ses amis et ses connoissances ; il loue une petite maison dans un quartier désert du faubourg Saint-Germain, s’y enferme avec un ou deux domestiques, n’avertit personne de sa retraite, et y passe les années 1615 et 1616 appliqué à l’étude, et inconnu presque à toute la terre. Ce ne fut qu’au bout de plus de deux ans qu’un ami le rencontra par hasard dans une rue écartée, s’obstina à le poursuivre jusque chez lui, et le rentraîna enfin dans le monde. On peut juger par ce seul trait du caractère de Descartes, et de la passion que lui inspiroit l’étude…

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Descartes avoit vingt-un ans lorsqu’il sortit de France pour la première fois : c’étoit en 1617. Il alla d’abord en Hollande, où il demeura deux ans ; ce dut être pour lui un spectacle curieux, qu’un pays où tout commençoit à naître, et où tout étoit l’ouvrage de la liberté. Mais s’il y vit un terrain nouveau-créé pour ainsi dire, et arraché à la mer, s’il vit le spectacle magnifique des canaux, des digues, du commerce et des villes de la Hollande, il fut aussi témoin des querelles sanglantes des gomaristes et des arminiens. On sait comment l’ambition du prince d’Orange voulut faire servir ces guerres de religion à sa grandeur. Barnevelt, âgé de soixante-seize ans, fut condamné, et mourut sur l’échafaud, pour avoir voulu garantir son pays du despotisme. Ce furent là les premiers mémoires que l’Europe fournit à Descartes pour la connoissance de l’esprit humain. En 1619 il passa en Allemagne. Quelques années plus tôt, il y auroit vu ce Rodolphe qui conversoit avec Tycho-Brahé au lieu de travailler avec ses ministres, et faisoit avec Kepler des tables astronomiques tandis que les Turcs ravageoient ses états. Il vit couronner à Francfort Ferdinand II ; et il paroît qu’il observa avec curiosité toutes ces cérémonies, ou politiques, ou sacrées, qui rendent plus imposant aux yeux des peuples le maître qui doit les gouverner. Ce couronnement fut le signal de la fameuse guerre de trente ans. Descartes passa les années 1619 et 1620 en Bavière, dans la Souabe, dans l’Autriche et dans la Bohême. En 1621 il fut en Hongrie ; il parcourut la Moravie, la Silésie, pénétra dans le nord de l’Allemagne, alla en Poméranie par les extrémités de la Pologne, visita toutes les côtes de la mer Baltique, remonta de Stettin dans la Marche de Brandebourg, passa au duché de Meckelbourg, et de là dans le Holstein, et enfin s’embarqua sur l’Elbe, d’où il retourna en Hollande. Il fut sur le point de périr dans ce trajet. Pour être plus libre, il avoit pris à Embden un bateau pour lui seul et son valet. Les mariniers, à qui son air doux et tranquille et sa petite taille n’en imposoient pas apparemment beaucoup, formèrent le complot de le tuer, afin de profiter de ses dépouilles. Comme ils ne se doutoient pas qu’il entendît leur langue, ils eurent l’heureuse imprudence de tenir conseil devant lui ; par bonheur Descartes savoit le hollandais : il se lève tout-à-coup, change de contenance, tire l’épée avec fierté, et menace de percer le premier qui oseroit approcher. Cette heureuse audace les intimida, et Descartes fut sauvé… Quatre ou cinq mariniers de la West-Frise pensèrent disposer de celui qui devoit faire la révolution de l’esprit humain… Descartes passa la fin de 1621 et les premiers mois de 1622 à La Haye. C’est là qu’il vit cet électeur palatin qui, pour avoir été couronné roi, étoit devenu le plus malheureux des hommes. Il passoit sa vie à solliciter des secours et à perdre des batailles. La princesse Élisabeth sa fille, que sa liaison avec Descartes rendit depuis si fameuse, avoit alors tout au plus trois ou quatre ans. Elle étoit errante avec sa mère, et partageoit des maux qu’elle ne sentoit pas encore. La même année Descartes traversa les Pays-Bas espagnols, et s’arrêta à la cour de Bruxelles. La trêve entre l’Espagne et la Hollande étoit rompue. Il y vit l’infante Isabelle, qui, sous un habit de religieuse, gouvernoit dix provinces, et signoit des ordres pour livrer des batailles, à peu près comme on vit Ximenès gouverner l’Espagne, l’Amérique et les Indes, sous un habit de cordelier… En 1623 il fit le voyage d’Italie ; il traversa la Suisse, où il observa plus la nature que les hommes ; s’arrêta quelque temps dans la Valteline ; vit à Venise le mariage du doge avec la mer Adriatique… et arriva enfin à Rome sur la fin de 1624. Il y fut témoin d’un jubilé qui attiroit une quantité prodigieuse de peuple de tous les bouts de l’Europe. Ce mélange de tant de nations différentes étoit un spectacle intéressant pour un philosophe. Descartes y donna toute son attention. Il comparoit les caractères de tous ces peuples réunis, comme un amateur habile compare, dans une belle galerie de tableaux, les manières des différentes écoles de peinture. En 1625 il passa par la Toscane : Galilée étoit alors âgé de soixante ans, et l’inquisition ne s’étoit pas encore flétrie par la condamnation de ce grand homme. En 1631 il fit le voyage d’Angleterre, et en 1634 celui de Danemarck. L’Espagne et le Portugal sont les seuls pays de l’Europe où Descartes n’ait pas voyagé.

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Descartes porta les armes dans sa jeunesse : d’abord en Hollande, sous le célèbre Maurice de Nassau, qui affermit la liberté fondée par son père, et mérita de balancer la réputation de Farnèse ; de là en Allemagne, sous Maximilien de Bavière, au commencement de la guerre de trente ans. Il vit dans cette guerre le choc de deux religions opposées, l’ambition des chefs, le fanatisme des peuples, la fureur des partis, l’abus des succès, l’orgueil du pouvoir, et trente provinces dévastées, parcequ’on se disputoit à qui gouverneroit la Bohême. Il passa ensuite au service de l’empereur Ferdinand II, pour voir de plus près les troubles de la Hongrie. La mort du comte de Bucquoy, général de l’armée impériale, qui fut tué, dans une déroute, de trois coups de lance et de plus de trente coups de pistolet, le dégoûta du métier des armes. Il avoit servi environ quatre ans, et en avoit alors vingt-cinq. On croit pourtant qu’au siége de La Rochelle il combattit, comme volontaire, dans une bataille contre la flotte anglaise. On se doute bien que l’ambition de Descartes n’étoit point de devenir un grand capitaine. Avide de connoître, il vouloit étudier les hommes dans tous les états ; et malheureusement la guerre est devenue un des grands spectacles de l’humanité. Il avoit d’abord aimé cette profession, comme il l’avouoit lui-même, sans doute parcequ’elle convenoit à l’activité inquiète de son âme ; mais, dans la suite, un coup d’œil plus philosophique ne lui laissa voir que le malheur des hommes…

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Ce fut en 1625, au retour de son voyage d’Italie, que Descartes fit ses observations sur la cime des Alpes. Il est peu d’âmes sensibles ou fortes à qui la vue de ces montagnes n’inspire de grandes idées. L’homme mélancolique y voit une retraite délicieuse et sauvage, le guerrier s’y rappelle les armées qui les ont traversées, et le philosophe s’y occupe des phénomènes de la nature. Descartes y composa une partie de son système sur les grêles, les neiges, les tonnerres et les tourbillons de vents…

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Dès son enfance, Descartes avoit l’habitude de méditer. Lorsqu’il étoit à La Flèche, on lui permettoit, à cause de la foiblesse de sa santé, de passer une partie des matinées au lit. Il employoit ce temps à réfléchir profondément sur les objets de ses études ; et il en contracta l’habitude pour le reste de sa vie. Ce temps, où le sommeil a réparé les forces, où les sens sont calmes, où l’ombre et le demi-jour favorisent la rêverie, et où l’âme ne s’est point encore répandue sur les objets qui sont hors d’elle, lui paroissoit le plus propre à la pensée. C’est dans ces matinées qu’il a fait la plupart de ses découvertes, et arrangé ses mondes. Il porta à la guerre ce même esprit de méditation. En 1619, étant en quartier d’hiver sur les frontières de Bavière, dans un lieu très écarté, il y passa plusieurs mois dans une solitude profonde, uniquement occupé à méditer. Il cherchoit alors les moyens de créer une science nouvelle. Sa tête, fatiguée sans doute par la solitude ou par le travail, s’échauffa tellement, qu’il crut avoir des songes mystérieux. Il crut voir des fantômes ; il entendit une voix qui l’appeloit à la recherche de la vérité. Il ne douta point, dit l’historien de sa vie, que ces songes ne vinssent du ciel, et il y mêla un sentiment de religion…

(8) PAGE 16.

La première étude qui attacha véritablement Descartes fut celle des mathématiques. Dans son enfance, il les étudia avec transport, et en particulier l’algèbre et l’analyse des anciens. À l’âge de dix-neuf ans, lorsqu’il renonça brusquement à tous les plaisirs, et qu’il passa deux ans dans la retraite, il employa tout ce temps à l’étude de la géométrie. En 1617, étant au service de la Hollande, un inconnu fit afficher dans les rues de Bréda un problème à résoudre. Descartes vit un grand concours de passants qui s’arrêtoient pour lire. Il s’approcha ; mais l’affiche étoit en flamand, qu’il n’entendoit pas. Il pria un homme qui étoit à côté de lui de la lui expliquer. C’étoit un mathématicien nommé Beckman, principal du collége de Dordrecht. Le principal, homme grave, voyant un petit officier français en habit uniforme, crut qu’un problème de géométrie n’étoit pas fort intéressant pour lui ; et, apparemment pour le plaisanter, il lui offrit de lui expliquer l’affiche, à condition qu’il résoudroit le problème. C’étoit une espèce de défi. Descartes l’accepta ; le lendemain matin le problème étoit résolu. Beckman fut fort étonné ; il entra en conversation avec le jeune homme ; et il se trouva que le militaire de vingt ans en savoit beaucoup plus sur la géométrie que le vieux professeur de mathématiques. Deux ou trois ans après, étant à Ulm, en Souabe, il eut une aventure à peu près pareille avec Faulhaber, mathématicien allemand. Celui-ci venoit de donner un gros livre sur l’algèbre, et il traitoit Descartes assez lestement, comme un jeune officier aimable, et qui ne paroissoit pas tout-à-fait ignorant. Cependant un jour, à quelques questions qu’il lui fit, il se douta que Descartes pouvoit bien avoir quelque mérite. Bientôt, à la clarté et à la rapidité de ses réponses sur les questions les plus abstraites, il reconnut dans ce jeune homme le plus puissant génie, et ne regarda plus qu’avec respect celui qu’il croyoit honorer en le recevant chez lui. Descartes fut lié ou du moins fut en commerce avec tous les plus savants géomètres de son siècle. Il ne se passoit pas d’année qu’il ne donnât la solution d’un très grand nombre de problèmes qu’on lui adressoit dans sa retraite : car c’étoit alors la méthode entre les géomètres, à peu près comme les anciens sages et même les rois dans l’Orient s’envoyoient des énigmes à deviner. Descartes eut beaucoup de part à la fameuse question de la roulette ou de la cycloïde. La cycloïde est une ligne décrite par le mouvement d’un point de la circonférence d’un cercle, tandis que le cercle fait une révolution sur une ligne droite. Ainsi, quand une roue de carrosse tourne, un des clous de la circonférence décrit dans l’air une cycloïde. Cette ligne fut découverte par le P. Mersenne, expliquée par Roberval, examinée par Descartes, qui en découvrit la tangente ; usurpée par Toricelli, qui s’en donna pour l’inventeur ; approfondie par Pascal, qui contribua beaucoup à en démontrer la nature et les rapports. Depuis, les géomètres les plus célèbres, tels que Huygens, Wallis, Wren, Leibnitz, et les Bernoulli, y travaillèrent encore. Avant de finir cet article, il ne sera peut-être pas inutile de remarquer que Descartes, qui fut le plus grand géomètre de son siècle, parut toujours faire assez peu de cas de la géométrie. Il tenta au moins cinq ou six fois d’y renoncer, et il y revenoit sans cesse…

(9) PAGE 18.

C’est un spectacle aussi curieux que philosophique de suivre toute la marche de l’esprit de Descartes, et de voir tous les degrés par où il passa pour parvenir à changer la face des sciences. Heureusement, en nous donnant ses découvertes, il nous a indiqué la route qui l’y avoit mené. Il seroit à souhaiter que tous les inventeurs eussent fait de même ; mais la plupart nous ont caché leur marche, et nous n’avons que le résultat de leurs travaux. Il semble qu’ils aient craint, ou de trop instruire les hommes, ou de s’humilier à leurs yeux en se montrant eux-mêmes luttant contre les difficultés. Quoi qu’il en soit, voici la marche de Descartes. Dès l’âge de quinze ans, il commença à douter. Il ne trouvoit dans les leçons de ses maîtres que des opinions ; et il cherchoit des vérités. Ce qui le frappoit le plus, c’est qu’il voyoit qu’on disputoit sur tout. À dix-sept ans, ayant fini ses études, il s’examina sur ce qu’il avoit appris : il rougit de lui-même ; et, puisqu’il avoit eu les plus habiles maîtres, il conclut que les hommes ne savoient rien, et qu’apparemment ils ne pouvoient rien savoir. Il renonça pour jamais aux sciences. À dix-neuf, il se remit à l’étude des mathématiques, qu’il avoit toujours aimées. À vingt-un, il se mit à voyager pour étudier les hommes. En voyant chez tous les peuples mille choses extravagantes et fort approuvées, il apprenoit, dit-il, à se défier de l’esprit humain, et à ne point regarder l’exemple, la coutume et l’opinion comme des autorités. À vingt-trois, se trouvant dans une solitude profonde, il employa trois ou quatre mois de suite à penser. Le premier pas qu’il fit fut d’observer que tous les ouvrages composés par plusieurs mains sont beaucoup moins parfaits que ceux qui ont été conçus, entrepris et achevés par un seul homme : c’est ce qu’il est aisé de voir dans les ouvrages d’architecture, dans les statues, dans les tableaux, et même dans les plans de législation et de gouvernement. Son second pas fut d’appliquer cette idée aux sciences. Il les vit comme formées d’une infinité de pièces de rapport, grossies des opinions de chaque philosophe, tous d’un esprit et d’un caractère différent. Cet assemblage, cette combinaison d’idées souvent mal liées et mal assorties peut-elle autant approcher de la vérité que le feroient les raisonnements justes et simples d’un seul homme ? Son troisième pas fut d’appliquer cette même idée à la raison humaine. Comme nous sommes enfants avant que d’être hommes, notre raison n’est que le composé d’une foule de jugements souvent contraires, qui nous ont été dictés par nos sens, par notre nourrice et par nos maîtres. Ces jugements n’auroient-ils pas plus de vérité et plus d’unité, si l’homme, sans passer par la foiblesse de l’enfance, pouvoit juger en naissant, et composer lui seul toutes ses idées ? Parvenu jusque là, Descartes résolut d’ôter de son esprit toutes les opinions qui y étoient, pour y en substituer de nouvelles, ou y remettre les mêmes après qu’il les auroit vérifiées ; et ce fut son quatrième pas. Il vouloit, pour ainsi dire, recomposer sa raison, afin qu’elle fût à lui, et qu’il pût s’assurer pour la suite des fondements de ses connoissances. Il ne pensoit point encore à réformer les sciences pour le public ; il regardoit tout changement comme dangereux. Les établissements une fois faits, disoit-il, sont comme ces grands corps dont la chute ne peut être que très rude, et qui sont encore plus difficiles à relever quand ils sont abattus, qu’à retenir quand ils sont ébranlés. Mais comme il seroit juste de blâmer un homme qui entreprendroit de renverser toutes les maisons d’une ville, dans le seul dessein de les rebâtir sur un nouveau plan, il doit être permis à un particulier d’abattre la sienne, pour la reconstruire sur des fondements plus solides. Il entreprit donc d’exécuter la première partie de ses desseins, qui consistoit à détruire ; et ce fut son cinquième pas. Mais il éprouva bientôt les plus grandes difficultés. Je m’aperçus, dit-il, qu’il n’est pas aussi aisé à un homme de se défaire de ses préjugés, que de brûler sa maison. Il y travailla constamment plusieurs années de suite, et il crut à la fin en être venu à bout. Je ne sais si je me trompe, mais cette marche de l’esprit de Descartes me paroît admirable. Continuons de le suivre. À l’âge de vingt-quatre ans, il entendit parler en Allemagne d’une société d’hommes qui n’avoit pour but que la recherche de la vérité : on l’appeloit la confrérie des Rose-Croix. Un de ses principaux statuts étoit de demeurer cachée. Elle avoit, à ce qu’on dit, pour fondateur, un Allemand né dans le quatorzième siècle. On raconte de cet homme des choses merveilleuses. Il avoit profondément étudié la magie, qui étoit alors une science fort importante. Il avoit voyagé en Arabie, en Turquie, en Afrique, en Espagne, avoit vu sur la terre des sages et des cabalistes, avoit appris plusieurs secrets de la nature, et s’étoit retiré enfin en Allemagne, où il vécut solitaire dans une grotte jusqu’à l’âge de cent six ans. On se doute bien qu’il fit des prodiges pendant sa vie et après sa mort. Son histoire ne ressemble pas mal à celle d’Apollonius de Tyane. On imagina un soleil dans la grotte où il étoit enterré ; et ce soleil n’avoit d’autre fonction que celle d’éclairer son tombeau. La confrérie fondée par cet homme extraordinaire étoit, dit-on, chargée de réformer les sciences dans tout l’univers. En attendant, elle ne paroissoit pas ; et Descartes, malgré toutes ses recherches, ne put trouver un seul homme qui en fût. Il y a cependant apparence qu’elle existoit, car on en parloit beaucoup dans toute l’Allemagne ; on écrivoit pour et contre ; et même en 1623 on fit l’honneur à ces philosophes de les jouer à Paris, sur le théâtre de l’hôtel de Bourgogne. Descartes, déchu de l’espérance de trouver dans cette société quelques secours pour ses desseins, résolut désormais de se passer des livres et des savants. Il ne vouloit plus lire que dans ce qu’il appeloit le grand livre du monde, et s’occupoit à ramasser des expériences. À vingt-sept ans, il éprouva une secousse qui lui fit abandonner les mathématiques et la physique ; les unes lui paroissoient trop vides, l’autre trop incertaine. Il voulut ne plus s’occuper que de la morale ; mais à la première occasion il retournoit à l’étude de la nature. Emporté comme malgré lui, il s’enfonça de nouveau dans les sciences abstraites. Il les quitta encore pour revenir à l’homme ; il espéroit trouver plus de secours pour cette science, mais il reconnut bientôt qu’il s’étoit trompé. Il vit que dans Paris, comme à Rome et dans Venise, il y avoit encore moins de gens qui étudioient l’homme que la géométrie. Il passa trois ans dans ces alternatives, dans ce flux et reflux d’idées contraires, entraîné par son génie tantôt vers un objet, tantôt vers un autre, inquiet et tourmenté, et combattant sans cesse avec lui-même. Ce ne fut qu’à trente-deux ans que tous ces orages cessèrent. Alors il pensa sérieusement à refaire une philosophie nouvelle ; mais il résolut de ne point embrasser de secte, et de travailler sur la nature même. Voilà par quels degrés Descartes parvint à cette grande révolution : il y fut conduit par le doute et l’examen…

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Descartes fut très long-temps incertain sur le genre de vie qu’il devoit embrasser. D’abord il prit le parti des armes, comme on l’a vu, mais il s’en dégoûta au bout de quatre ans. En 1623, dans le temps des troubles de la Valteline, il eut quelque envie d’être intendant de l’armée ; mais ses sollicitations ne purent être assez vives pour qu’il réussît : il mettoit trop peu de chaleur à tout ce qui n’intéressoit que sa fortune. En 1625, il fut sur le point d’acheter la charge de lieutenant-général de Châtellerault ; et comme il étoit persuadé que pour exercer une charge il falloit être instruit, il manda à son père qu’il iroit se mettre à Paris chez un procureur au Châtelet, pour y apprendre la pratique. Il faut avouer que c’étoit là un singulier apprentissage pour un homme tel que Descartes : il avoit alors vingt-neuf ans. Mais ce projet manqua comme l’autre. S’il avoit réussi, il est à croire que Descartes auroit fait comme le président de Montesquieu, et qu’il ne fût pas long-temps resté juge. Enfin, après avoir passé dix ou douze ans à observer tous les états, il finit par n’en choisir aucun. Il résolut de garder son indépendance, et de s’occuper tout entier à la recherche de la vérité. Il pensoit sans doute que c’étoit assez remplir son devoir d’homme et de citoyen, de travailler à éclairer les hommes.

(11) PAGE 20.

Ce fut en 1629, sur la fin de mars, que Descartes partit pour aller s’établir en Hollande ; il avoit alors trente-trois ans. Comme sa résolution auroit paru extraordinaire, il n’en avertit ni ses parents ni ses amis ; il se contenta de leur écrire avant son départ. On ne manqua point de murmurer. Il n’y a que celui qui a pu concevoir un tel projet qui soit capable de l’approuver. Mais son parti étoit pris. Il nous rend compte lui-même des motifs qui l’engagèrent à quitter la France. Le premier fut la raison du climat. Il craignoit que la chaleur, en exaltant un peu trop son imagination, ne lui ôtât une partie du sang-froid et du calme nécessaires pour les découvertes philosophiques ; le climat de la Hollande lui parut plus favorable à ses desseins. Mais son principal motif fut la passion qu’il avoit pour la retraite, et le désir de vivre dans une solitude profonde. En France, il eût été sans cesse détourné de l’étude par ses parents ou ses amis… au lieu qu’en Hollande il étoit sûr qu’on n’exigeroit rien de lui. Il espéroit vivre parfaitement inconnu, solitaire au milieu d’un peuple actif qui s’occuperoit de son commerce, tandis que lui s’occuperoit à penser. Comme son grand but étoit la retraite, il prit toutes sortes de moyens pour n’être pas découvert. Il ne confia sa demeure qu’à un seul ami chargé de sa correspondance. Jamais il ne datoit ses lettres du lieu où il demeuroit, mais de quelque grande ville où il étoit sûr qu’on ne le trouveroit pas. Pendant plus de vingt ans qu’il demeura en Hollande, il changea très souvent de séjour, fuyant sa réputation partout où elle le poursuivoit, et se dérobant aux importuns qui vouloient seulement l’avoir vu. Il habitoit quelquefois dans les grandes villes ; mais il préféroit ordinairement les villages ou les bourgs, et le plus souvent les maisons solitaires tout-à-fait isolées dans la campagne. Quelquefois il alloit s’établir dans une petite maison aux bords de la mer : on montre encore en plusieurs endroits les maisons qu’il a habitées… Le goût que Descartes avoit pour la Hollande étoit si vif, qu’il cherchoit à y attirer ceux de ses amis qui vouloient se retirer du monde. Je vais traduire une lettre qu’il écrivoit à Balzac sur ce sujet ; on la verra peut-être avec plaisir. « Je ne suis point étonné, lui dit-il, qu’une âme grande et forte, telle que la vôtre, ne puisse se plier aux usages serviles de la cour. J’ose donc vous conseiller de venir à Amsterdam, et de vous y retirer, plutôt que dans des chartreuses, ou même dans les lieux les plus agréables de France ou d’Italie. Je préfère même son séjour à cette solitude charmante où vous étiez l’année dernière. Quelque agréable que soit une maison de campagne, on y manque de mille choses qu’on ne trouve que dans les villes ; on n’y est pas même aussi seul qu’on le voudroit. Peut-être y trouverez-vous un ruisseau dont le murmure vous fera rêver délicieusement, ou un vallon solitaire qui vous jettera dans l’enchantement ; mais aussi vous aurez à vous défendre d’une quantité de petits voisins qui vous assiégeront sans cesse. Ici, comme tout le monde, excepté moi, est occupé au commerce, il ne tient qu’à moi de vivre inconnu à tout le monde. Je me promène tous les jours à travers un peuple immense, presque aussi tranquillement que vous pouvez le faire dans vos allées. Les hommes que je rencontre me font la même impression que si je voyois les arbres de vos forêts ou les troupeaux de vos campagnes. Le bruit même de tous ces commerçants ne me distrait pas plus que si j’entendois le bruit d’un ruisseau. Si je m’amuse quelquefois à considérer leurs mouvements, j’éprouve le même plaisir que vous à considérer ceux qui cultivent vos terres : car je vois que le but de tous ces travaux est d’embellir le lieu que j’habite, et de prévenir tous mes besoins. Si vous avez du plaisir à voir les fruits croître dans vos vergers, et vous promettre l’abondance, pensez-vous que j’en aie moins à voir tous les vaisseaux qui abordent sur mes côtes m’apporter les productions de l’Europe et des Indes ? Dans quel lieu de l’univers trouverez-vous plus aisément qu’ici tout ce qui peut intéresser la vanité ou flatter le goût ? Y a-t-il un pays dans le monde où l’on soit plus libre, où le sommeil soit plus tranquille, où il y ait moins de dangers à craindre, où les lois veillent mieux sur le crime, où les empoisonnements, les trahisons, les calomnies soient moins connus, où il reste enfin plus de traces de l’heureuse et tranquille innocence de nos pères ? Je ne sais pourquoi vous êtes si amoureux de votre ciel d’Italie. La peste se mêle avec l’air qu’on y respire ; la chaleur du jour y est insupportable ; les fraîcheurs du soir y sont malsaines ; l’ombre des nuits y couvre des larcins et des meurtres. Que si vous craignez les hivers du Nord, comment à Rome, même avec des bosquets, des fontaines et des grottes, vous garantirez-vous aussi bien de la chaleur, que vous pourrez ici, avec un bon poêle ou une cheminée, vous garantir du froid ? Je vous attends avec une petite provision d’idées philosophiques qui vous feront peut-être quelque plaisir ; et, soit que vous veniez ou que vous ne veniez pas, je n’en serai pas moins votre tendre et fidèle ami. » Cette lettre est très intéressante. D’abord elle nous fait voir le goût de Descartes pour la Hollande, et la manière dont il y vivoit. Elle nous montre ensuite son imagination et le tour agréable qu’il savoit donner à ses idées. On a accusé la géométrie de dessécher l’esprit ; je ne sais s’il y a rien dans tout Balzac où il y ait autant d’esprit et d’agrément. L’imagination brillante de Descartes se décèle partout dans ses ouvrages ; et s’il n’avoit voulu être ni géomètre, ni philosophe, il n’auroit encore tenu qu’à lui d’être le plus bel-esprit de son temps.

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Le Discours sur la méthode parut le 8 juin 1637. Il étoit à la tête de ses Essais de philosophie. Descartes y indique les moyens qu’il a suivis pour tâcher de parvenir à la vérité, et ce qu’il faut faire encore pour aller plus avant. On y trouva une profondeur de méditation inconnue jusqu’alors. C’est là qu’est l’histoire de son fameux doute. Il a depuis répété cette histoire dans deux autres ouvrages, dans le premier livre de ses Principes, et dans la première de ses Méditations métaphysiques. Il falloit qu’il sentît bien vivement l’importance et la nécessité du doute, pour y revenir jusqu’à trois fois, lui qui étoit si avare de paroles. Mais il regardoit le doute comme la base de la philosophie, et le garant sûr des progrès qu’on pourroit y faire dans tous les siècles…

(13) PAGE 23.

Les règles de l’analyse logique, qu’on peut regarder comme la seconde partie de sa Méthode, sont indiquées dans plusieurs de ses ouvrages, et rassemblées en grande partie dans un manuscrit qui n’a été imprimé qu’après sa mort. L’ouvrage est intitulé, Règles pour conduire notre esprit dans la recherche de la vérité. En voici à peu près la marche. Voulez-vous trouver la vérité, formez votre esprit, et rendez-le capable de bien juger. Pour y parvenir, ne l’appliquez d’abord qu’à ce qu’il peut bien connoître par lui-même. Pour bien connoître, ne cherchez pas ce qu’on a écrit ou pensé avant vous ; mais sachez vous en tenir à ce que vous reconnoissez vous-même pour évident. Vous ne trouverez point la vérité sans méthode ; la méthode consiste dans l’ordre ; l’ordre consiste à réduire les propositions complexes à des propositions simples, et vous élever par degrés des unes aux autres. Pour vous perfectionner dans une science, parcourez-en toutes les questions et toutes les branches, enchaînant toujours vos pensées les unes aux autres. Quand votre esprit ne conçoit pas, sachez vous arrêter ; examinez long-temps les choses les plus faciles ; vous vous accoutumerez ainsi à regarder fixement la vérité, et à la reconnoître. Voulez-vous aiguiser votre esprit et le préparer à découvrir un jour par lui-même, exercez-le d’abord sur ce qui a été inventé par d’autres. Suivez surtout les découvertes où il y a de l’ordre et un enchaînement d’idées. Quand il aura examiné beaucoup de propositions simples, qu’il s’essaie peu à peu à embrasser distinctement plusieurs objets à la fois ; bientôt il acquerra de la force et de l’étendue. Enfin, mettez à profit tous les secours de l’entendement, de l’imagination, de la mémoire et des sens, pour comparer ce qui est déjà connu avec ce qui ne l’est pas, et découvrir l’un par l’autre. Descartes divise tous les objets de nos connoissances en propositions simples et en questions. Les questions sont de deux sortes : ou on les entend parfaitement, quoiqu’on ignore la manière de les résoudre ; ou la connoissance qu’on en a est imparfaite. Le plan de Descartes étoit de donner trente-six règles, c’est-à-dire douze pour chacune de ses divisions. Il n’a exécuté que la moitié de l’ouvrage ; mais il est aisé de voir par cet essai comment il portoit l’esprit de système et d’analyse dans toutes ses recherches, et avec quelle adresse il décomposoit, pour ainsi dire, tout le mécanisme du raisonnement.

(14) PAGE 24.

Les Méditations métaphysiques de Descartes parurent en 1641. C’étoit, de tous ses ouvrages, celui qu’il estimoit le plus. Il le louoit avec un enthousiasme de bonne foi ; car il croyoit avoir trouvé le moyen de démontrer les vérités métaphysiques d’une manière plus évidente que les démonstrations de géométrie. Ce qui caractérise surtout cet ouvrage, c’est qu’il contient sa fameuse démonstration de Dieu par l’idée, démonstration si répétée depuis, adoptée par les uns, et rejetée par les autres ; et qu’il est le premier où la distinction de l’esprit et de la matière soit parfaitement développée, car avant Descartes on n’avoit point encore bien approfondi les preuves philosophiques de la spiritualité de l’âme. Une chose remarquable, c’est que Descartes ne donna cet ouvrage au public que par principe de conscience. Ennuyé des tracasseries qu’on lui suscitoit depuis trois ans pour ses Essais de philosophie, il avoit résolu de ne plus rien imprimer. J’aurois, dit-il, une vingtaine d’approbateurs et des milliers d’ennemis : ne vaut-il pas mieux me taire, et m’instruire en silence ? Il crut cependant qu’il ne devoit pas supprimer un ouvrage qui pouvoit fournir ou de nouvelles preuves de l’existence de Dieu, ou de nouvelles lumières sur la nature de l’âme. Mais, avant de le risquer, il le communiqua à tous les hommes les plus savants de l’Europe, recueillit leurs objections, et y répondit. Le célèbre Arnauld fut du nombre de ceux qu’il consulta. Arnauld n’avoit alors que vingt-huit ans. Descartes fut étonné de la profondeur et de l’étendue de génie qu’il trouva dans ce jeune homme. Il s’en falloit de beaucoup qu’il eût porté le même jugement des objections de Hobbes et de celles de Gassendi. Il fit imprimer toutes ces objections, avec les réponses, à la suite des Méditations ; et, pour leur donner encore plus de poids, le philosophe dédia son ouvrage à la Sorbonne. Je veux m’appuyer de l’autorité, disoit-il, puisque la vérité est si peu de chose quand elle est seule. Il n’avoit point encore pris assez de précautions. Ce livre, approuvé par les docteurs, discuté par des savants, dédié à la Sorbonne, et où le génie s’épuise à prouver l’existence de Dieu et la spiritualité de l’âme, fut mis, vingt-deux ans après, à l’index à Rome.

(15) PAGE 26.

On a été étonné que, dans ses Méditations métaphysiques, Descartes n’ait point parlé de l’immortalité de l’âme. Ses ennemis avoient beau jeu ; et ils n’ont pas manqué de profiter de ce silence pour l’accuser de n’y pas croire. Mais il nous apprend lui-même, par une de ses lettres, qu’ayant établi clairement dans cet ouvrage la distinction de l’âme et de la matière, il suivoit nécessairement de cette distinction que l’âme par sa nature ne pouvoit périr avec le corps…

(16) PAGE 33.

La Géométrie de Descartes parut en 1637 avec le Traité de la méthode, son Traité des météores et sa Dioptrique. Ces quatre traités réunis ensemble formoient ses Essais de philosophie. Sa Géométrie étoit si fort au-dessus de son siècle, qu’il n’y avoit réellement que très peu d’hommes en état de l’entendre. C’est ce qui arriva depuis à Newton ; c’est ce qui arrive à presque tous les grands hommes. Il faut que leur siècle coure après eux pour les atteindre. Outre que sa Géométrie étoit très profonde et entièrement nouvelle, parcequ’il avoit commencé où les autres avoient fini, il avoue lui-même dans une de ses lettres qu’il n’avoit pas été fâché d’être un peu obscur, afin de mortifier un peu ces hommes qui savent tout. Si on l’eût entendu trop aisément, on n’auroit pas manqué de dire qu’il n’avoit rien écrit de nouveau, au lieu que la vanité humiliée étoit forcée de lui rendre hommage. Dans une autre lettre, on voit qu’il calcule avec plaisir les géomètres en Europe qui sont en état de l’entendre. Il en trouve trois ou quatre en France, deux en Hollande, et deux dans les Pays-Bas espagnols…

(17) PAGE 34.

Presque toute la physique de Descartes est renfermée dans son livre des Principes. Cet ouvrage, qui parut en 1644, est divisé en quatre parties. La première est toute métaphysique, et contient les principes des connoissances humaines. La seconde est sa physique générale, et traite des premières lois de la nature, des éléments de la matière, des propriétés de l’espace et du mouvement. La troisième est l’explication particulière du système du monde et de l’arrangement des corps célestes. La quatrième contient tout ce qui concerne la terre…

(18) PAGE 45.

Traité des météores, imprimé en 1637, comme on l’a déjà dit. Ce fut un des ouvrages de Descartes qui éprouva le moins de contradiction. Au reste, ce ne seroit pas une manière toujours sûre de louer un ouvrage philosophique ; mais quelquefois aussi les hommes font grâce à la vérité. C’est le premier morceau de physique que Descartes donna…

(19) PAGE 52.

Traité de la dioptrique, imprimé aussi en 1637, à la suite du Discours sur la méthode

(20) PAGE 52.

Traité de musique, composé par Descartes en 1618, dans le temps qu’il servoit en Hollande. Il n’avoit alors que vingt-deux ans. Cet ouvrage de sa jeunesse ne fut imprimé qu’après sa mort. Il fut commenté et traduit en plusieurs langues ; mais il ne fit point de révolution…

(21) PAGE 53.

Il s’en faut de beaucoup que le Traité de mécanique de Descartes soit complet. Descartes le composa à la hâte en 1636, pour faire plaisir à un de ses amis, père du fameux Huygens. C’étoit un présent que le génie offroit à l’amitié. Il espéroit dans la suite refondre cet ouvrage, et lui donner une juste étendue ; mais il n’en eut point le temps. On le fit imprimer après sa mort, par cette curiosité naturelle qu’on a de rassembler tout ce qui est sorti des mains d’un grand homme. Ce petit traité parut pour la première fois en 1668.

(22) PAGE 55.

Tout le monde connoît Descartes comme métaphysicien, comme physicien et comme géomètre ; mais peu de gens savent qu’il fut encore un très grand anatomiste. Comme le but général de ses travaux étoit l’utilité des hommes, au lieu de cette philosophie vaine et spéculative qui jusqu’alors avoit régné dans les écoles, il vouloit une philosophie pratique, où chaque connoissance se réalisât par un effet, et qui se rapportât tout entière au bonheur du genre humain. Les deux branches de cette philosophie devoient être la médecine et la mécanique. Par l’une, il vouloit affermir la santé de l’homme, diminuer ses maux, étendre son existence, et peut-être affoiblir l’impression de la vieillesse ; par l’autre, faciliter ses travaux, multiplier ses forces, et le mettre en état d’embellir son séjour. Descartes étoit surtout épouvanté du passage rapide et presque instantané de l’homme sur la terre. Il crut qu’il ne seroit peut-être pas impossible d’en prolonger l’existence. Si c’est un songe, c’est du moins un beau songe, et il est doux de s’en occuper. Il y a même un coin de grandeur dans cette idée ; et les moyens que Descartes proposa pour l’exécution de ce projet n’étoient pas moins grands : c’étoit de saisir et d’embrasser tous les rapports qu’il y a entre tous les éléments, l’eau, l’air, le feu, et l’homme ; entre toutes les productions de la terre, et l’homme ; entre toutes les influences du soleil et des astres, et l’homme ; entre l’homme enfin, et tous les points de l’univers les plus rapprochés de lui : idée vaste, qui accuse la foiblesse de l’esprit humain, et ne paroît toucher à des erreurs que parceque, pour la réaliser, ou peut-être même pour la bien concevoir, il faudroit une intelligence supérieure à la nôtre. On voit par là dans quelle vue il étudioit la physique. On peut aussi juger de quelle manière il pensoit sur la médecine actuelle. En rendant justice aux travaux d’une infinité d’hommes célèbres qui se sont appliqués à cet art utile et dangereux, il pensoit que ce qu’on savoit jusqu’à présent n’étoit presque rien, en comparaison de ce qui restoit à savoir. Il vouloit donc que la médecine, c’est-à-dire la physique appliquée au corps humain, fût la grande étude de tous les philosophes. Qu’ils se liguent tous ensemble, disoit-il dans un de ses ouvrages ; que les uns commencent où les autres auront fini : en joignant ainsi les vies de plusieurs hommes et les travaux de plusieurs siècles, on formera un vaste dépôt de connoissances, et l’on assujettira enfin la nature à l’homme. Mais le premier pas étoit de bien connoître la structure du corps humain. Il commença donc l’exécution de son plan par l’étude de l’anatomie. Il y employa tout l’hiver de 1629 ; il continua cette étude pendant plus de douze ans, observant tout et expliquant tout par les causes naturelles. Il ne lisoit presque point, comme on l’a déjà dit plus d’une fois. C’étoit dans les corps qu’il étudioit les corps. Il joignit à cette étude celle de la chimie, laissant toujours les livres et regardant la nature. C’est d’après ces travaux qu’il composa son Traité de l’homme. Dès qu’il parut, on le mit au nombre de ses plus beaux ouvrages. Il n’y en a peut-être même aucun dont la marche soit aussi hardie et aussi neuve. La manière dont il y explique tout le mécanisme et tout le jeu des ressorts dut étonner le siècle des qualités occultes et des formes substantielles. Avant lui on n’avoit point osé assigner les actions qui dépendent de l’âme, et celles qui ne sont que le résultat des mouvements de la machine. Il semble qu’il ait voulu poser les bornes entre les deux empires. Cet ouvrage n’étoit point achevé quand Descartes mourut ; il ne fut imprimé que dix ans après sa mort.

(23) PAGE 59.

Descartes composa son Traité des passions en 1646, pour l’usage particulier de la princesse Élisabeth. Il l’avoit envoyé manuscrit à la reine de Suède sur la fin de 1647 ; il le fit imprimer, à la sollicitation de ses amis, en 1649. Son dessein, dit-il, dans la composition de cet ouvrage, étoit d’essayer si la physique pourroit lui servir à établir des fondements certains dans la morale. Aussi n’y traite-t-il guère les passions qu’en physicien. C’étoit encore un ouvrage nouveau et tout-à-fait original. On y voit, presque à chaque pas, l’âme et le corps agir et réagir l’un sur l’autre ; et on croit, pour ainsi dire, toucher les liens qui les unissent.

(24) PAGE 70.

C’est en 1633 que Galilée fut condamné par l’inquisition, pour avoir enseigné le mouvement de la terre. Il y avoit déjà quatre ans que Descartes travailloit en Hollande. L’emprisonnement de Galilée fit une si forte impression sur lui, qu’il fut sur le point de brûler tous ses papiers…

(25) PAGE 71.

Il est très sûr que Descartes prévit toutes les persécutions qui l’attendoient. Il avoit souvent résolu de ne rien faire imprimer, et il ne céda jamais qu’aux plus pressantes sollicitations de ses amis. Souvent il regretta son loisir, qui lui échappoit pour un vain fantôme de gloire. Newton, après lui, eut le même sentiment ; et au milieu des querelles philosophiques, il se reprocha plus d’une fois d’avoir perdu son repos. Ainsi les hommes qui ont le plus éclairé le genre humain ont été forcés à s’en repentir. Au reste, Descartes ne fut jamais plus philosophe que lorsque ses ennemis l’étoient le moins… Descartes crut qu’il valoit mieux miner insensiblement les barrières, que de les renverser avec éclat. Il voulut cacher la vérité comme on cache l’erreur. Il tâcha de persuader que ses principes étoient les mêmes que ceux d’Aristote. Sans cesse il recommandoit la modération à ses disciples. Mais il s’en falloit bien que ses disciples fussent aussi philosophes que lui. Ils étoient trop sensibles à la gloire de ne pas penser comme le reste des hommes. La persécution les animoit encore, et ajoutoit à l’enthousiasme. Descartes eût consenti à être ignoré pour être utile : mais ses disciples jouissoient avec orgueil des lumières de leur maître, et insultoient à l’ignorance qu’ils avoient à combattre. Ce n’étoit pas le moyen d’avoir raison.

(26) PAGE 71.

Gisbert Voétius, fameux théologien protestant, et ministre d’Utrecht, né en 1589, et mort en 1676 : il vécut 87 ans, tandis que Descartes mourut à 54. Il étoit tel qu’on l’a peint dans ce discours… Tout ce qu’on raconte de ses persécutions contre Descartes est exactement tiré de l’histoire. Il commença ses hostilités en 1639, par des thèses sur l’athéisme. Descartes n’y étoit point nommé ; mais on avoit eu soin d’y insérer toutes ses opinions comme celles d’un athée. En 1640, secondes et troisièmes thèses, où étoit renouvelée la même calomnie. Régius, disciple de Descartes, et professeur de médecine, soutenoit la circulation du sang. Autre crime contre Descartes : on joignit cette accusation à celle d’athéisme ; ordonnance des magistrats qui défendent d’introduire des nouveautés dangereuses. En 1641, Voétius se fait élire recteur de l’université d’Utrecht. N’osant point encore attaquer le maître, il veut d’abord faire condamner le disciple comme hérétique. Quatrièmes thèses publiques contre Descartes. En 1642, décret des magistrats pour défendre d’enseigner la philosophie nouvelle. Cependant les libelles pleuvoient de toute part ; et le philosophe étoit tranquille au milieu des orages, s’occupant en paix de ses méditations. En 1643, Voétius eut recours à des troupes auxiliaires. Il alla les chercher dans l’université de Groningue, où un nommé Schoockius s’associa à ses fureurs. C’étoit un de ces méchants subalternes qui n’ont pas même l’audace du crime et qui, trop lâches pour attaquer par eux-mêmes, sont assez vils pour nuire sous les ordres d’un autre. Il débuta par un gros livre contre Descartes, dont le but étoit de prouver que la nouvelle philosophie menoit droit au scepticisme, à l’athéisme et à la frénésie. Descartes crut enfin qu’il étoit temps de répondre. Il avoit déjà écrit une petite lettre sur Voétius ; et celui-ci n’avoit pas manqué de la faire condamner, comme injurieuse et attentatoire à la religion réformée, dans la personne d’un de ses principaux pasteurs. Dans sa réponse contre le nouveau livre, Descartes se proposoit trois choses : d’abord de se justifier lui-même, car jusqu’alors il n’avoit rien répondu à plus de douze libelles ; ensuite de justifier ses amis et ses disciples ; enfin, de démasquer un homme aussi odieux que Voétius, qui, par une ignorance hardie, et sous le masque de la religion, séduisoit la populace et aveugloit les magistrats. Mais les esprits étoient trop échauffés ; il ne réussit point. Sentence contre Descartes, où ses lettres sur Voétius sont déclarées libelles diffamatoires. Ce fut alors que les magistrats travaillèrent à lui faire son procès secrètement, et sans qu’il en fût averti. Leur intention étoit de le condamner comme athée et comme calomniateur : comme athée, parcequ’il avoit donné de nouvelles preuves de l’existence de Dieu ; comme calomniateur, parcequ’il avoit repoussé les calomnies de ses ennemis… Descartes apprit par une espèce de hasard qu’on lui faisoit son procès. Il s’adressa à l’ambassadeur de France, qui heureusement, par l’autorité du prince d’Orange, fit arrêter les procédures, déjà très avancées. Il sut alors toutes les noirceurs de ses ennemis ; il sut toutes les intrigues de Voétius : ce scélérat, pour faire circuler le poison, avoit répandu dans toutes les compagnies d’Utrecht des hommes chargés de le décrier. Il vouloit qu’on ne prononçât son nom qu’avec horreur. On le peignoit aux catholiques comme athée, aux protestants comme ami des jésuites. Il y avoit dans tous les esprits une si grande fermentation, que personne n’osoit plus se déclarer son ami…

(27) PAGE 73.

Depuis que Descartes se fut établi en Hollande, il fit trois voyages en France, en 1644, 1647 et 1648. Dans le premier, il vit très peu de monde, et n’apprit qu’à se dégoûter de Paris. Ce qu’il y fit de mieux fut la connoissance de M. de Chanut, depuis ambassadeur en Suède. Comme leurs âmes se convenoient, leur amitié fut bientôt très vive. M. de Chanut mêloit à l’admiration pour un grand homme un sentiment plus tendre et plus fait pour rendre heureux. Il sollicita auprès du cardinal Mazarin, alors ministre, une pension pour Descartes. On ne sait pourquoi la pension lui fut refusée. En 1648, les historiens prétendent qu’il fut appelé en France par les ordres du roi. L’intention de la cour, disoit-on, étoit de lui faire un établissement honorable et digne de son mérite. On lui fit même expédier d’avance le brevet d’une pension, et il en reçut les lettres en parchemin. Sur cette espérance il arrive à Paris ; il se présente à la cour. Tout étoit en feu : c’étoit le commencement de la guerre de la Fronde. Il trouva qu’on avoit fait payer à un de ses parents l’expédition du brevet, et qu’il en devoit l’argent. Il le paya en effet ; ce qui lui fit dire plaisamment que jamais il n’avoit acheté parchemin plus cher. Voilà tout ce qu’il retira de son voyage. Ceux qui l’avoient appelé furent curieux de le voir, non pour l’entendre et profiter de ses lumières, mais pour connoître sa figure. « Je m’aperçus, dit-il dans une de ses lettres, qu’on vouloit m’avoir en France, à peu près comme les grands seigneurs veulent avoir dans leur ménagerie un éléphant, ou un lion, ou quelques animaux rares. Ce que je pus penser de mieux sur leur compte, ce fut de les regarder comme des gens qui auroient été bien aises de m’avoir à dîner chez eux ; mais en arrivant, je trouvai leur cuisine en désordre et leur marmite renversée. » Au reste, il ne faut point omettre ici le juste éloge dû au chancelier Seguier, qui distingua Descartes comme il le devoit, et le traita avec le respect dû à un homme qui honoroit son siècle et sa nation.

(28) PAGE 74.

Il s’en falloit de beaucoup que toute la famille de Descartes lui rendît justice, et sentît l’honneur que Descartes lui faisoit. Il est vrai que son père l’aimoit tendrement, et l’appeloit toujours son cher philosophe ; mais le frère aîné de Descartes avoit pour lui très peu de considération. Ses parents, dit l’historien de sa vie, sembloient le compter pour peu de chose dans sa famille, et, ne le regardant plus que sous le titre odieux de philosophe, tâchoient de l’effacer de leur mémoire, comme s’il eût été la honte de sa race. On lui donna une marque bien cruelle de cette indifférence, à la mort de son père. Ce vieillard respectable, doyen du parlement de Bretagne, mourut en 1640, âgé de soixante et dix-huit ans ; on n’instruisit Descartes ni de sa maladie ni de sa mort. Il y avoit déjà près de quinze jours que ce bon vieillard étoit enterré, quand Descartes lui écrivit la lettre du monde la plus tendre. Il se justifioit d’habiter dans un pays étranger, loin d’un père qu’il aimoit. Il lui marquoit le désir qu’il avoit de faire un voyage en France pour le revoir, pour l’embrasser, pour recevoir encore une fois sa bénédiction… Quand la lettre de Descartes arriva, il y avoit déjà un mois que son père étoit mort. On se souvint alors qu’il y avoit dans les pays étrangers une autre personne de la famille, et on lui écrivit par bienséance. Descartes ne se consola point de n’avoir pas reçu les dernières paroles et les derniers embrassements de son père. Il n’eut pas plus à se louer de son frère dans les arrangements qu’il fit avec lui pour ses affaires de famille et les règlements de succession. Ce frère étoit un homme intéressé et avide, et qui savoit bien que les philosophes n’aiment point à plaider ; en conséquence, il tira tout le parti qu’il put de cette douceur philosophique. Il faut convenir que les neveux de Descartes rendirent à la mémoire de leur oncle tout l’honneur qu’il méritoit ; mais le nom de Descartes étoit alors le premier nom de la France.

(29) PAGE 74.

Élisabeth de Bohême, princesse palatine, fille de ce fameux électeur palatin qui disputa à Ferdinand II les royaumes de Hongrie et de Bohême, née en 1618. On sait qu’elle fut la première disciple de Descartes. Elle eut encore un titre plus cher : elle fut son amie ; car l’amitié fait quelquefois ce que la philosophie même ne fait pas, elle comble l’intervalle qui est entre les rangs. Élisabeth avoit été recherchée par Ladislas IV, roi de Pologne ; mais elle préféra le plaisir de cultiver son âme dans la retraite à l’honneur d’occuper un trône. Sa mère, dans son enfance, lui avoit appris six langues ; elle possédoit parfaitement les belles-lettres. Son génie la porta aux sciences profondes. Elle étudia la philosophie et les mathématiques ; mais dès que les premiers ouvrages de Descartes lui tombèrent entre les mains, elle crut n’avoir rien appris jusqu’alors. Elle le fit prier de la venir voir, pour qu’elle pût l’entendre lui-même. Descartes lui trouva un esprit aussi facile que profond ; en peu de temps, elle fut au niveau de sa géométrie et de sa métaphysique. Bientôt après Descartes lui dédia ses Principes ; il la félicite d’avoir su réunir tant de connoissances dans un âge où la plupart des femmes ne savent que plaire. Cette dédicace n’est point un monument de flatterie : l’homme qui loue y paroît toujours un philosophe qui pense. Comment, dit-il, à la tête d’un ouvrage où je jette les fondements de la vérité, oserois-je la trahir ? Il continua jusqu’à la fin de sa vie un commerce de lettres avec elle. Souvent cette princesse fut malheureuse ; Descartes la consoloit alors. Malheureux et tourmenté lui-même, il trouvoit dans son propre cœur cette éloquence douce qui va chercher l’âme des autres, et adoucit le sentiment de leurs peines. Après avoir été long-temps errante et presque sans asile, Élisabeth se retira enfin dans une abbaye de la Westphalie, où elle fonda une espèce d’académie de philosophes à laquelle elle présidoit. Le nom de Descartes n’y étoit jamais prononcé qu’avec respect ; sa mémoire lui étoit trop chère pour l’oublier. Elle lui survécut près de trente ans, et mourut en 1680.

(30) PAGE 75.

C’est une chose remarquable que Descartes ait eu pour disciples les deux femmes les plus célèbres de son temps… Je ne m’étendrai point sur l’histoire de Christine, tout le monde la connoît. Ce fut M. de Chanut qui le premier engagea cette reine à lire les ouvrages de Descartes. En 1647, elle lui fit écrire, pour savoir de lui en quoi consistoit le souverain bien. La plupart des princes, ou ne font pas ces questions-là, ou les font à des courtisans plutôt qu’à des philosophes ; et alors la réponse est facile à deviner. Celle de Descartes fut un peu différente : il faisoit consister le souverain bien dans la volonté toujours ferme d’être vertueux, et dans le charme de la conscience qui jouit de sa vertu. C’étoit une belle leçon de morale pour une reine ; Christine en fut si contente, qu’elle lui écrivit de sa main pour le remercier. Peu de temps après, Descartes lui envoya son Traité des passions. En 1649, la reine lui fit faire les plus vives instances pour l’engager à venir à Stockholm, et déjà elle avoit donné ordre à un de ses amiraux pour l’aller prendre et le conduire en Suède. Le philosophe, avant de quitter sa retraite, hésita long-temps : il est probable qu’il fut décidé par toutes les persécutions qu’il essuyoit en Hollande. Il partit enfin, et arriva au commencement d’octobre à Stockholm. La reine le reçut avec une distinction qu’on dut remarquer dans une cour. Elle commença par l’exempter de tous les assujettissements des courtisans ; elle sentoit bien qu’ils n’étoient pas faits pour Descartes. Elle convint ensuite avec lui d’une heure où elle pourroit l’entretenir tous les jours et recevoir ses leçons. On sera assez étonné quand on saura que ce rendez-vous d’un philosophe et d’une reine étoit à cinq heures du matin, dans un hiver très cruel. Christine, passionnée pour les sciences, s’étoit fait un plan de commencer la journée par ses études, afin de pouvoir donner le reste au gouvernement de ses états. Elle n’accordoit au repos que le temps qu’elle ne pouvoit lui refuser, et n’avoit d’autre délassement que la conversation de ceux qui pouvoient l’instruire. Elle fut si satisfaite de la philosophie de Descartes, qu’elle résolut de le fixer dans ses états par toutes sortes de moyens. Son projet étoit de lui donner, à titre de seigneurie, des terres considérables dans les provinces les plus méridionales de la Suède, pour lui et pour ses héritiers à perpétuité. Elle espéroit ainsi l’enchaîner par ses bienfaits. Malgré les bontés de la reine, il paroît que Descartes eut toujours un sentiment de préférence pour la princesse palatine, soit que, celle-ci ayant été sa première disciple, il dût être plus flatté de cet hommage ; soit que les malheurs d’une jeune princesse la rendissent plus intéressante aux yeux d’un philosophe sensible. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il employa tout son crédit auprès de Christine pour servir Élisabeth : mais l’intérêt même qu’il parut y prendre l’empêcha probablement de réussir ; car la reine de Suède, assez grande pour aspirer à l’amitié de Descartes, ne l’étoit pas assez pour consentir à partager ce sentiment avec une autre.

(31) PAGE 77.

Les qualités particulières de Descartes étoient telles qu’on les indique ici. On doit lui en savoir gré ; la vertu est peut-être plus rare que les talents, et le philosophe spéculatif n’est pas toujours philosophe pratique. Descartes fut l’un et l’autre. Dès sa jeunesse il avoit raisonné sa morale. En renversant ses opinions par le doute, il vit qu’il falloit garder des principes pour se conduire. Voici quels étoient les siens : 1o d’obéir en tout temps aux lois et aux coutumes de son pays ; 2o de n’enchaîner jamais sa liberté pour l’avenir ; 3o de se décider toujours pour les opinions modérées, parceque, dans le moral, tout ce qui est extrême est presque toujours vicieux ; 4o de travailler à se vaincre soi-même, plutôt que la fortune, parceque l’on change ses désirs plutôt que l’ordre du monde, et que rien n’est en notre pouvoir que nos pensées. Ce fut là pour ainsi dire la base de sa conduite. On voit que cet homme singulier s’étoit fait une méthode pour agir, comme il s’en fit une pour penser. Il fut de bonne heure indifférent pour la fortune, qui de son côté ne fit rien pour lui. Son bien de patrimoine n’alloit pas au-delà de six ou sept mille livres ; c’étoit être pauvre pour un homme accoutumé dans son enfance à beaucoup de besoins, et qui vouloit étudier la nature ; car il y a une foule de connoissances qu’on n’a qu’à prix d’argent. Sa médiocrité ne lui coûta point un désir. Il avoit sur les richesses un sentiment bien honnête, et que tous les cœurs ne sentiront pas : il estimoit plus mille francs de patrimoine, que dix mille livres qui lui seroient venues d’ailleurs. Jamais il ne voulut accepter de secours d’aucun particulier. Le comte d’Avaux lui envoya une somme considérable en Hollande : il la refusa. Plusieurs personnes de marque lui firent les mêmes offres : il les remercia, et se chargea de la reconnoissance, sans se charger du bienfait. C’est au public, disoit-il, à payer ce que je fais pour le public. Il se faisoit riche en diminuant sa dépense. Son habillement étoit très philosophique, et sa table très frugale. Du moment qu’il fut retiré en Hollande, il fut toujours vêtu d’un simple drap noir. À table il préféroit, comme le bon Plutarque, les légumes et les fruits à la chair des animaux. Ses après-dînées étoient partagées entre la conversation de ses amis et la culture de son jardin. Occupé le matin du système du monde, il alloit le soir cultiver ses fleurs. Sa santé étoit foible ; mais il en prenoit soin sans en être esclave. On sait combien les passions influent sur elle ; Descartes en étoit vivement persuadé, et il s’appliquoit sans cesse à les régler. C’est ainsi que M. de Fontenelle est parvenu à vivre près d’un siècle. Il faut avouer que ce régime ne réussit pas si bien à Descartes ; mais, écrivoit-il un jour, au lieu de trouver le moyen de conserver la vie, j’en ai trouvé un autre bien plus sûr, c’est celui de ne pas craindre la mort. Il cherchoit la solitude, autant par goût que par système. Il avoit pris pour devise ce vers d’Ovide : Benè qui latuit, benè vixit, « Vivre caché, c’est vivre heureux » ; et ces autres de Sénèque : Illi mors gravis incubat, qui notus nimis omnibus, ignotus moritur sibi, « Malheureux en mourant, qui, trop connu des autres, meurt sans se connoître lui-même. » Il devoit donc avoir une espèce d’indifférence pour la gloire, non pour la mériter, mais pour en jouir… Descartes craignoit la réputation, et s’y déroboit. Il la regardoit surtout comme un obstacle à sa liberté et à son loisir, les deux plus grands biens d’un philosophe, disoit-il. On se doute bien qu’il n’étoit pas grand parleur. Il n’eût pas brillé dans ces sociétés où l’on dit d’un ton facile des choses légères, et où l’on parcourt vingt objets sans s’arrêter sur aucun… L’habitude de méditer et de vivre seul l’avoit rendu taciturne ; mais ce qu’on ne croiroit peut-être pas, c’est qu’elle ne lui avoit rien ôté de son enjouement naturel. Il avoit toujours de la gaieté, quoiqu’il n’eût pas toujours de la joie. La philosophie n’exempte pas des fautes, mais elle apprend à les connoître et à s’en corriger. Descartes avouoit ses erreurs, sans s’apercevoir même qu’il en fût plus grand. C’est avec la même franchise qu’il sentoit son mérite, et qu’il en convenoit. On ne manquoit point d’appeler cela de la vanité ; mais s’il en avoit eu, il auroit pris plus de soin de la déguiser. Il n’avoit point assez d’orgueil pour tâcher d’être modeste. Ce sentiment, tel qu’il fût, n’étoit point à charge aux autres. Il avoit dans le commerce une politesse douce, et qui étoit encore plus dans les sentiments que dans les manières. Ce n’est point toujours la politesse du monde, mais c’est sûrement celle du philosophe. Il évitoit les louanges, comme un homme qui leur est supérieur. Il les interdisoit à l’amitié ; il ne les pardonnoit pas à la flatterie. Il n’eut jamais avec ses ennemis d’autre tort que celui de les humilier par sa modération ; et il eut ce tort très souvent. La calomnie le blessoit plus comme un outrage fait à la vérité, que comme une injure qui lui fût personnelle. Quand on me fait une offense, disoit-il, je tâche d’élever mon âme si haut, que l’offense ne parvienne pas jusqu’à moi. L’indignation étoit pour lui un sentiment pénible ; et s’il eût fallu, il eût plutôt ouvert son âme au mépris. Au reste, ces deux sentiments lui étoient comme étrangers, et ce qui se trouvoit naturellement dans son âme, c’étoit la douceur et la bonté. Cette âme forte et profonde étoit très sensible. Nous avons déjà vu son tendre attachement pour sa nourrice. Il traitoit ses domestiques comme des amis malheureux qu’il étoit chargé de consoler. Sa maison étoit pour eux une école de mœurs, et elle devint pour plusieurs une école de mathématiques et de sciences. On rapporte qu’il les instruisoit avec la bonté d’un père ; et quand ils n’avoient plus besoin de son secours, il les rendoit à la société, où ils alloient jouir du rang qu’ils s’étoient fait par leur mérite. Un jour l’un d’eux voulut le remercier : Que faites-vous ! lui dit-il, vous êtes mon égal, et j’acquitte une dette. Plusieurs qu’il avoit ainsi formés ont rempli avec distinction des places honorables. J’ai déjà rapporté quelques traits qui font connoître sa vive tendresse pour son père. Je ne prétends pas le louer par là ; mais il est doux de s’arrêter sur les sentiments de la nature. On lui a reproché de s’être livré aux foiblesses de l’amour, bien différent en cela de Newton, qui vécut plus de quatre-vingts ans dans la plus grande austérité de mœurs. Il y a apparence que Descartes, né avec une âme très sensible, ne put se défendre des charmes de la beauté. Quelques auteurs ont prétendu qu’il étoit marié secrètement ; mais, dans un de ces entretiens où l’âme, abandonnée à elle-même, s’épanche librement au sein de l’amitié, Descartes, à ce qu’on dit, avoua lui-même le contraire. Quoi qu’il en soit, tout le monde sait qu’il eut une fille nommée Francine ; elle naquit en Hollande le 13 juillet 1635, et fut baptisée sous son nom. Déjà il pensoit à la faire transporter en France, pour y faire commencer son éducation ; mais elle mourut tout-à-coup entre ses bras, le 7 septembre 1640. Elle n’avoit que cinq ans. Il fut inconsolable de cette mort. Jamais, dit-il, il n’éprouva de plus grande douleur de sa vie. Depuis, il aimoit à s’en entretenir avec ses amis ; il prononçoit souvent le nom de sa chère Francine ; il en parloit avec la douleur la plus tendre, et il écrivit lui-même l’histoire de cette enfant, à la tête d’un ouvrage qu’il comptoit donner au public. Il semble que, n’ayant pu la conserver, il vouloit du moins conserver son nom… Avec ce naturel bon et tendre, Descartes dut avoir des amis : il en eut en effet un très grand nombre. Il en eut en France, en Hollande, en Angleterre, en Allemagne, et jusqu’à Rome ; il en eut dans tous les états et dans tous les rangs. Il ne pouvoit point se faire que, de tous ces amis, il n’y en eût plusieurs qui ne lui fussent attachés par vanité. Ceux-là, il les payoit avec sa gloire ; mais il réservoit aux autres cette amitié simple et pure, ces doux épanchements de l’âme, ce commerce intime qui fait les délices d’une vie obscure et que rien ne remplace pour les âmes sensibles. La plupart des hommes veulent qu’on soit reconnoissant de leurs bienfaits : pour moi, disoit Descartes, je crois devoir du retour à ceux qui m’offrent l’occasion de les servir. Ce beau sentiment, qu’on a tant répété depuis, et qui est presque devenu une formule, se trouve dans plusieurs de ses lettres. À l’égard de Dieu et de la religion, voici comme il pensoit. Jamais philosophe ne fut plus respectueux pour la Divinité. Il prétendoit que les vérités même qu’on appelle éternelles et mathématiques ne sont telles que parceque Dieu l’a voulu. Ce sont des lois, disoit-il, que Dieu a établies dans la nature, comme un prince fait des lois dans son royaume. Il trouvoit ridicule que l’homme osât prononcer sur ce que Dieu peut et ce qu’il ne peut pas. Il n’étoit pas moins indigné que ceux qui traitoient de Dieu dans leurs ouvrages parlassent si souvent de l’infini, comme s’ils savoient ce que veut dire ce mot. Les catholiques l’accusèrent d’être calviniste, les calvinistes d’être pélagien ; sur son doute, on l’accusa d’être sceptique ; plusieurs l’accusèrent d’être déiste, et l’honnête Voétius d’être athée. Voilà les accusations. Voici maintenant ce qu’il y a de vrai. Il épuisa son génie à trouver de nouvelles preuves de l’existence de Dieu, et à les présenter dans toute leur force. Dans tous ses ouvrages, il parla toujours avec le plus grand respect de la religion révélée. Dans tous les pays qu’il habita, il fit toujours les fonctions de catholique. Dans son voyage d’Italie, pour s’acquitter d’un vœu, il fit un pèlerinage à Notre-Dame de Lorette. Dans ses Méditations métaphysiques et dans ses lettres, il donna deux explications différentes de la transsubstantiation. Dans son séjour en Suède, il ne manqua jamais une fois aux exercices sacrés qui se faisoient dans la chapelle de l’ambassadeur. Dans sa dernière maladie, il se confessa, et communia de la main d’un religieux, en présence de l’ambassadeur et de toute sa famille. Est-ce là un calviniste ? Est-ce là un pélagien ? Est-ce un déiste, un sceptique, un athée ?…

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Descartes fut attaqué le 2 février 1650 de la maladie dont il mourut. Il n’y avoit pas plus de quatre mois qu’il étoit à Stockholm. Il y a grande apparence que sa maladie vint de la rigueur du froid, et du changement qu’il fit à son régime, pour se trouver tous les jours au palais à cinq heures du matin. Ainsi il fut la victime de sa complaisance pour la reine ; mais il n’en eut point du tout pour les médecins suédois, qui vouloient le saigner. « Messieurs, leur crioit-il dans l’ardeur de la fièvre, épargnez le sang français. » Il se laissa saigner au bout de huit jours, mais il n’étoit plus temps ; l’inflammation étoit trop forte. Il eut du moins, pendant sa maladie, la consolation de voir le tendre intérêt qu’on prenoit à sa santé. La reine envoyoit savoir deux fois par jour de ses nouvelles. M. et madame de Chanut lui prodiguoient les soins les plus tendres et les plus officieux. Madame de Chanut ne le quitta point depuis sa maladie. Elle étoit présente à tout. Elle le servoit elle-même pendant le jour ; elle le soignoit durant les nuits. M. de Chanut, qui venoit d’être malade, et encore à peine convalescent, se traînoit souvent dans sa chambre, pour voir, pour consoler et pour soutenir son ami… Descartes mourant serroit par reconnoissance les mains qui le servoient ; mais ses forces s’épuisoient par degrés, et ne pouvoient plus suffire au sentiment. Le soir du neuvième jour, il eut une défaillance. Revenu un moment après, il sentit qu’il falloit mourir. On courut chez M. de Chanut ; il vint pour recueillir le dernier soupir et les dernières paroles d’un ami : mais il ne parloit plus. On le vit seulement lever les yeux au ciel, comme un homme qui imploroit Dieu pour la dernière fois. En effet, il mourut la même nuit, le 11 février, à quatre heures du matin, âgé de près de cinquante-quatre ans. M. de Chanut, accablé de douleur, envoya aussitôt son secrétaire au palais, pour avertir la reine à son lever que Descartes étoit mort. Christine en l’apprenant versa des larmes. Elle voulut le faire enterrer auprès des rois, et lui élever un mausolée. Des vues de religion s’opposèrent à ce dessein. M. de Chanut demanda et obtint qu’il fût enterré avec simplicité dans un cimetière, parmi les catholiques. Un prêtre, quelques flambeaux, et quatre personnes de marque qui étoient aux quatre coins du cercueil, voilà quelle fut la pompe funèbre de Descartes. M. de Chanut, pour honorer la mémoire de son ami et d’un grand homme, fit élever sur son tombeau une pyramide carrée, avec des inscriptions. La Hollande, où il avoit été persécuté de son vivant, fit frapper en son honneur une médaille, dès qu’il fut mort. Seize ans après, c’est-à-dire en 1666, son corps fut transporté en France. On coucha ses ossements sur les cendres qui restoient, et on les enferma dans un cercueil de cuivre. C’est ainsi qu’ils arrivèrent à Paris, où on les déposa dans l’église de Sainte-Geneviève. Le 24 juin 1667, on lui fit un service solennel avec la plus grande magnificence. On devoit après le service prononcer son oraison funèbre ; mais il vint un ordre exprès de la cour, qui défendit qu’on la prononçât. On se contenta de lui dresser un monument de marbre très simple, contre la muraille, au-dessus de son tombeau, avec une épitaphe au bas de son buste. Il y a deux inscriptions, l’une latine en style lapidaire, et l’autre en vers français. Voilà les honneurs qui lui furent rendus alors. Mais pour que son éloge fût prononcé, il a fallu qu’il se soit écoulé près de cent ans, et que cet éloge d’un grand homme ait été ordonné par une compagnie de gens de lettres.


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  1. Nous réimprimons ici les notes de l’Éloge de Descartes, supprimant celles que remplit une philosophie commune et déclamatoire, et, dans presque toutes, les traits de mauvais goût qui s’y rencontrent fréquemment. Nous avons scrupuleusement conservé toute la partie biographique, propre à bien faire connoître le caractère, les habitudes et toute la carrière de Descartes.