Éloge de Quesnay par Jean-Paul Grand-Jean de Fouchy

La bibliothèque libre.
Œuvres économiques et philosophiques de F. Quesnay, Texte établi par Auguste OnckenJules Peelman et Cie (p. 15-38).


ÉLOGE
DE
QUESNAY
PAR
Jean-Paul Grand-Jean de Fouchy
secrétaire perpétuel de l’académie des sciences[1].


François Quesnay, écuyer, conseiller du roi, premier médecin ordinaire, et premier médecin-consultant[2] de sa Majesté ; des Académies royales des sciences de France et d’Angleterre, de celle de Lyon, et ancien secrétaire perpétuel de l’Académie royale de chirurgie, naquit à Mérey[3] ; près Montfort-l'Amaury, le 4 juin 1694, de Nicolas Quesnay, avocat[4] en parlement, qui exerçait sa profession à Montfort, et de Louise Giroux.

Quoique M. et Mme  Quesnay vécussent dans la plus grande union, leurs goûts étaient cependant bien différents : le père, homme de loi, se livrait tout entier à sa profession, mais il l’exerçait d’une façon bien singulière : lui et le procureur du roi de Montfort, avec lequel il était lié d’amitié, étaient à l’affût, pour ainsi dire, de toutes les affaires susceptibles d’accommodement, et pour peu qu’ils trouvassent des parties raisonnables, ils ne manquaient pas de les arranger à l’amiable ; on juge bien que leur but n’était pas l’intérêt. À la honte de l’humanité, il y a communément bien plus à exiger de la passion qu’à espérer de la reconnaissance.

Ces occupations généreuses absorbaient M. Quesnay le père tout entier, et il ne se mêlait presque point du gouvernement de sa maison, ni de l’éducation de ses enfants, dont il se reposait absolument sur son épouse.

Celle-ci était au contraire vive, agissante, ne perdant pas de vue, un seul instant, l’intérieur de son ménage et l’administration d’un bien de campagne qui leur appartenait, et où une sage économie avait fixé leur demeure. Les premiers objets qui se présentèrent aux yeux du jeune Quesnay furent donc les travaux de l’agriculture, les premiers mots qu’il entendit prononcer furent des termes de cet art, dans les fonctions duquel il employa ses premières années ; sa mère croyant ne pouvoir rien faire de mieux que d’élever son fils dans ses principes, le destinant uniquement à la remplacer quand elle serait hors d’état de tenir les rênes de sa maison : quel tort elle aurait fait à son fils et à ses concitoyens, si la mauvaise éducation[5] pouvait étouffer absolument le génie !

Heureusement la nature y avait pourvu : l’esprit actif et perçant du jeune Quesnay le mettait en état d’analyser tout ce qu’il voyait : il observait les faits, il en pénétrait les rapports, il savait en tirer des règles sûres, et s’était, sans aucun secours, mis en état de commencer i lire dans le grand livre de la nature.

C’était en effet le seul dans lequel il pût s’instruire, car la vérité de l’histoire ne nous permet pas de dissimuler qu’à onze ans il ne savait pas encore lire : le premier livre qui lui tomba sous la main fut la Maison rustique de Liébaut, l’envie d’y puiser des connaissances fut presque son seul maître, et il parvint à le lire couramment, avec le peu de secours qu’il put tirer du jardinier de la maison.

Cette première lecture ne pouvait manquer de faire sentir à un esprit aussi droit que le sien quel fruit il pouvait tirer des ouvrages de ceux qui l’avaient précédé, et l’envie de s’instruire lui fit non seulement dévorer les livres écrits en sa langue qui se trouvèrent à sa portée, mais encore elle lui fit affronter toutes les épines de la grammaire : et il apprit, presque sans maître, le latin et le grec qui lui devenaient nécessaires pour puiser dans les trésors de l’antiquité.

On aurait peine à imaginer jusqu’où allait son ardeur : on l’a vu quelquefois partir de Mérey, au lever du soleil, dans les grands jours d’été, venir à Paris acheter un livre, retourner à Mérey eu le lisant, et y arriver le soir, ayant fait vingt lieues à pied et lu le livre qu’il était allé chercher ; l’extrême envie de s’éclairer faisait disparaître à ses yeux les fatigues et les désagréments d’un Voyage de cette espèce.

Il est aisé de juger combien des dispositions si heureuses de aient être agréables à son père, qui voyait alors en lui tout l’espoir de sa famille ; aussi ne cessait-il de l’animer : le temple de la vertu est, lui disait-il, appuyé sur quatre colonnes, l’honneur et la récompense, la honte et la punition : il n’était pas difficile de deviner celle que le jeune Quesnay choisirait pour s’appuyer, et sa conduite n’a laissé aucun doute sur ce chapitre.

Malgré les progrès rapides qu’il faisait dans la vaste carrière des sciences, il avait l’esprit déjà trop mûr pour ne pas apercevoir qu’il était impossible qu’un seul homme pût, s’il m’est permis de parler ainsi, mener de front toutes les connaissances humaines, et qu’il fallait absolument taire choix d’une seule science, à l’étude de laquelle il se pût consacrer entièrement. Le désir d’être utile à ses compatriotes le détermina en faveur de l’art de guérir, qui lui offrait à la fois un vaste champ pour acquérir des connaissances utiles et satisfaisantes et, ce qui touchait encore plus vivement son cœur vraiment ami de l’humanité, lui procurait des occasions sans nombre de rendre ces connaissances utiles à ses concitoyens.

Ce projet si louable éprouva cependant des difficultés de la part de sa mère ; elle voyait avec peine tout son système renversé, et l’amour maternel lui peignait avec les couleurs les plus vives les dangers qu’avait à courir un jeune homme de seize ans hors de la maison paternelle : cette crainte cependant qui n’eût été que trop juste avec beaucoup d’autres, ne devait pas l’alarmer pour son fils ; l’ardeur du jeune homme pour acquérir les connaissances qui lui manquaient était devenue chez lui une passion violente qui exigeait impérieusement le sacrifice de toutes les autres : il fallut donc se rendre à laisser partir le jeune Quesnay.

Comme il s’était déterminé à commencer par l’état de la chirurgie, il se mit pour en apprendre les premiers éléments chez un chirurgien établi dans son voisinage et qu’il crut en état de les lui enseigner ; il se trompait, il ne put en tirer que d’apprendre à saigner. Mais s’il ne fut pas d’un grand secours au jeune Quesnay, celui-ci lui fut en récompense très utile ; cette espèce de maître n’était pas même reçu à Paris, d’où ressortissait le lieu de sa résidence, et, ce qui est bien pis, il n’était nullement en état de l’être. Le jeune Quesnay lui vint fort à propos ; il trouva moyen de s’emparer pendant l’absence du jeune homme, dès cahiers que celui-ci écrivait pour sa propre instruction, il les vint présenter à Paris au lieutenant du premier chirurgien du roi comme des leçons qu’il donnait à son élève : celui-ci les trouva excellentes et, sans autre examen, lui délivra ses lettres de maîtrise[6] : c’était Quesnay qu’il recevait, sans le savoir, sous le nom de l’autre.

Quoique M. Quesnay ignorât cette supercherie, il s’aperçut bientôt du peu de fonds qu’il pouvait faire sur les connaissances de ce prétendu maître, et il le quitta pour venir à Paris profiter de tous les secours qui y sont répandus avec tant d’abondance.

Ce fut là qu’il ne mit plus de bornes à son ardeur, et qu’il suivit à la fois la théorie et la pratique de la médecine et de la chirurgie. Non content d’assister assiduement aux leçons des écoles de la faculté et de celles de St-Côme, il suivait en même temps les cours d’anatomie, de chimie et de botanique ; il ne manquait aucune visite ni aucun pansement dans les hôpitaux et surtout à l’Hôtel-Dieu où il fut bientôt admis à travailler lui-même, et malgré ce grand nombre d’occupations suivies, il trouvait encore le temps de parcourir toutes les parties de la philosophie ; il avait même effleuré les mathématiques, mais il avait fait surtout une étude suivie de la métaphysique, pour laquelle le livre de la Recherche de la Vérité du P. Malebranche, lui avait inspiré le goût le plus vif et le plus décidé.

Au milieu de tant d’occupations sérieuses, il savait cependant dérober des moments pour son plaisir : un heureux hasard l’avait placé chez le célèbre M. Cochin, de l’académie royale de peinture ; il en profita pour employer le peu de moments qui lui restaient libres, à apprendre le dessin et la gravure. Ce nouveau travail lui servait de délassement, et il y avait fait de tels progrès qu’on a vu des portraits de sa main très ressemblants, et qu’il avait dessiné et gravé la plupart des os de l’homme d’une manière assez parfaite pour que ces ouvrages pussent être avoués par les plus habiles en ce genre.

Ses cours étant absolument finis, il n’était plus question pour lui que de faire servir, au bien de ses concitoyens, les lumières qu’il venait d’acquérir : dans cette vue, il forma le projet de s’établir à Mantes et, pour y parvenir, il se présenta aux chirurgiens de cette ville pour être admis aux épreuves ordinaires ; sa réputation, qui l’y avait devancé, devait lui aplanir toutes les difficultés ; elle fit un effet tout contraire ; les chirurgiens de Mantes crurent voir dans ce candidat un concurrent dangereux, et le refusèrent absolument ; muni de l’acte authentique de leur refus, M. Quesnay vint à Paris se faire recevoir pour la ville de Mantes, il fut reçu avec les plus grands éloges et eut ses lettres le 9 août 1718. Ce fut aussi dans le même temps qu’il se maria avec Jeanne-Catherine Dauphin, fille d’un marchand des six corps de Paris.

La jalousie des chirurgiens de Mantes, qui les avait détournés de s’associer un homme qui leur faisait tant d’honneur, ne put empêcher sa réputation de s’étendre ; il était principalement appelé pour le traitement des grandes blessures, et ses succès lui tirent donner la place de chirurgien-major de l’Hôtel-Dieu, place alors d’autant plus importante que cet hôpital servit, pendant plusieurs années, d’asile à un très grand nombre de blessés du régiment du roi, employé, dans ce temps, aux travaux publics de la reconstruction d’une partie du vieux pont, nommé pont Fayol, lequel a été depuis remplacé par le magnifique pont qui a été construit sous les ordres de M. Perronnet, de cette Académie. Il s’était fait aussi un nom dans la pratique des accouchements, et il était habituellement désiré et reçu avec distinction chez tous les seigneurs voisins ; ce fut là que feu M. le maréchal de Noailles[7] eut occasion de le connaître, et, ce qui en était une suite presque nécessaire, de l’estimer et de l’aimer ; le témoignage avantageux que ce seigneur rendit de lui à la feue reine détermina cette princesse à ne point faire venir ses médecins, dans le séjour qu’elle fit à Maintenon, en allant à Chartres, et en revenant de cette ville, après la naissance de feu Mgr le Dauphin[8] : elle osa confier le soin de sa santé à ce même chirurgien que ceux de Mantes avaient refusé peu d’années auparavant d’admettre parmi eux, et sa confiance ne fut point trompée.

Jusqu’ici nous n’avons vu M. Quesnay lutter que contre la fortune et contre des concurrents peu dignes de lui : nous allons bientôt le voir, sur un plus grand théâtre, aux prises avec un adversaire redoutable, et remporter sur lui la victoire la plus complète.

Le célèbre M. Silva publia en 1727 un livre sur la saignée, ce livre fut reçu avec tout l’applaudissement dû à la réputation de l’auteur ; M. Quesnay osa y remarquer des fautes, et en fit une critique, fondée sur les lois de l’hydrostatique ; plusieurs de ses amis, auxquels il confia le projet qu’il avait formé de la publier, et entr’autres le célèbre P. Bougeant, firent leur possible pour l’en détourner : ce dernier-ci nommément, ami de l’un et de l’autre, représentait à M. Quesnay avec combien de désavantage un simple chirurgien de province allait lutter contre un des coryphées de la médecine de Paris, reconnu presque unanimement pour législateur en cette partie. M. Quesnay ne répondit à cet imposant tableau qu’en priant le P. Bougeant de vouloir bien lire son manuscrit : il le lut et bientôt il ne craignit plus pour M. Quesnay : mais effrayé de l’orage qui menaçait le livre de M. Silva, il vint à Paris, lui présenta le manuscrit et tenta de l’engager à voir M. Quesnay, et à s’arranger avec lui pour que sa critique ne fût pas publiée.

M. Silva, comptant peut-être un peu trop sur la supériorité de ses lumières, se contenta de rendre le manuscrit avec une espèce de dédain ; cependant à peine le P. Bougeant fut-il parti qu’il voulut renouer la négociation, mais il n’était plus temps, le manuscrit avait été remis à M. Quesnay ; cependant M. Silva trouva moyen d’engager M. le maréchal de Noailles à faire trouver chez lui les deux contendants en présence de plusieurs personnes en état de connaître de ce différend. M. Silva, toujours guindé sur sa réputation et sur sa prétendue supériorité, crut en imposer à M. Quesnay par un ton magistral et une espèce de persiflage ironique ; mais le chirurgien de Mantes ne se payait pas de pensées brillantes, il réunit bientôt en sa faveur les suffrages de tous les assistants, et il fallut laisser à M. Quesnay la liberté de publier son ouvrage. Nous passerons ici sous silence le retardement qu’y apporta le censeur royal, ami de W. Silva, qui retint le manuscrit près d’un an ; mais enfin M. Quesnay obtint des ordres exprès de M. le chancelier d’Aguesseau, le manuscrit fut enfin retrouvé, approuvé et imprimé[9].

M. Silva, irrité de cette publication qu’il regardait comme une espèce d’attentat, voulut accabler son adversaire d’une réponse foudroyante ; il rassembla, dans cette vue, plusieurs fois chez lui les plus fameux géomètres de cette Académie qui l’avaient aidé dans les calculs sur lesquels était fondé son premier ouvrage ; mais après avoir bien lu et examiné la critique de M. Quesnay, il fut décidé qu’elle resterait sans réponse ; apparemment M. Silva adopta de bonne foi cette décision, car à sa mort arrivée bien des années après cet événement, on ne trouva dans ses papiers aucun vestige de réponse projetée. Ce fut à peu près vers ce même temps qu’il fut admis dans la société des arts, qui subsistait alors à Paris avec la permission du roi et sous la protection de feu Mgr le comte de Clermont, prince du sang.

Nous avons dit dans l'éloge de M. de la Peyronie (V. Hist. de l’Ac. 1747, p. 137)[10], qu’en 1731 il obtint du roi l’établissement de l’Académie de chirurgie[11] ; on peut juger combien il était occupé de ce projet, il en conférait souvent avec M. Quesnay qu’il rencontrait chez M. le maréchal de Noailles ; il ne fut pas longtemps sans s’apercevoir qu’il avait trouvé en lui un homme tel qu’il le pouvait désirer pour en faire, en qualité de secrétaire perpétuel, l’interprète de cette compagnie auprès du public.

Pour y parvenir, M. de la Peyronie avait deux choses à faire, et ni l’une ni l’autre n’étaient sans difficulté ; il fallait premièrement déterminer M. Quesnay à venir s’établir à Paris, et il y avait la plus grande répugnance ; il était très aimé à Mantes, et y jouissait de la plus grande considération ; il pensait très philosophiquement et l’ambition n’avait aucune prise sur lui, et si l’adroit premier chirurgien n’eût su mettre en jeu l’amour du bien public, il ne serait jamais parvenu à le déterminer, mais ce motif triompha de sa résistance : il quitta Mantes et vint s’établir à Paris où il entra chez M. le duc de Villeroi, comme son médecin et son chirurgien, et bien plus encore, comme son ami ; ce seigneur le gratifia quelque temps après d’une place de commissaire des guerres à Lyon, dont il avait droit de disposer en qualité de gouverneur de cette ville[12].

Il restait encore une difficulté à vaincre à M. de la Peyronie. M. Quesnay, quelque digne qu’il en fût, n’était pas membre du collège de chirurgie de Paris, il ne pouvait pas honnêtement lui proposer d’y entrer par la voie ordinaire : pour lever ce dernier obstacle, il le fit revêtir, le 3 août 1737, d’une charge de chirurgien ordinaire du roi, en la prévôté de l’hôtel, qui lui donna de droit l’agrégation au collège de chirurgie, et lui fit peu après obtenir le brevet de professeur royal des écoles, pour la partie des médicaments chirurgicaux[13].

Les désirs du premier chirurgien furent donc satisfaits : M. Quesnay fut nommé secrétaire de l’Académie de chirurgie, et il ne tarda pas à justifier le choix qu’on avait fait de lui, en publiant le premier volume des Mémoires[14] de cette compagnie, à la tête duquel il mit une préface qui a été universellement regardée comme un chef-d’œuvre ; un journaliste célèbre la compare à celle que feu M. de Fontenelle mit à la tête du premier volume de cette Académie[15] ; c’était en faire le plus grand éloge possible ; nous pouvons même assurer que l’utilité de cet ouvrage n’est pas bornée à instruire ceux qui se destinent à la chirurgie ; il n’est aucun des amateurs de toutes les autres sciences qui ne puisse trouverez y profiter.

Après quelques réflexions générales sur les obstacles qui semblent s’opposer le plus à l’avancement des sciences, il entre plus particulièrement en matière, et développe les règles principales qui doivent diriger ceux qui s’appliquent à l’art de guérir. L’observation et l’expérience sont les deux guides qu’il leur offre ; par l’une, on démêle la marche souvent obscure de la nature ; par l’autre, on l’interroge et on parvient à lui arracher sas secrets ; l’une et l’autre ne doivent jamais se séparer. L’observation sans l’expérience ne peut produire qu’une théorie incertaine ; l’expérience sans l’observation ne donne qu’un amas confus de faits sans liaison, et plus propres à jeter dans l’erreur qu’à conduire à la vérité ; jointes ensemble, elles y mènent sûrement, et sans elles il n’y a ni science ni art ; appliquant ensuite ce principe à la chirurgie, il en écarte avec soin les opinions arbitraires et peu fondées, les simples vraisemblances et les possibilités ; il n’admet que les connaissances appuyées sur les causes et sur les signes qui les font reconnaître ; en un mot, il trace dans cet ouvrage le plan d’une théorie lumineuse et d’une pratique sûre et éclairée ; il y relève le mérite des grands hommes qui se sont distingués dans cette utile et brillante carrière, et dans le nombre desquels il serait trop injuste de lui refuser, après sa mort, une place distinguée. Les bornes prescrites à nos éloges nous ont forcé d’abréger extrêmement la notice que nous venons de donner de cette pièce intéressante pour tous ceux qui aiment ou qui cultivent les sciences.

Ce même volume contient, outre plusieurs observations détachées, quatre mémoires de M. Quesnay.

Le premier est un précis de diverses observations sur le trépan dans des cas douteux, où il cherche les raisons qui peuvent en pareil cas déterminer à recourir au trépan ou à éviter cette opération ; on y trouve aussi des remarques sur l’usage qu’on doit faire des observations en général.

Dans un second mémoire, il recherche, d’après ses observations, les différents cas dans lesquels il est nécessaire de multiplier les couronnes de trépan, et fait voir, par des exemples remarquables, que le crâne peut être ouvert avec succès dans une grande étendue dès que le cas le demande.

Le troisième contient des observations sur les exfoliations des os du crâne et sur les moyens dont on se sert pour accélérer cette exfoliation.

Enfin le quatrième contient des remarques sur les plaies du cerveau, desquelles il résulte qu’il est susceptible de plusieurs opérations qui peuvent, dans bien des cas, sauver la vie aux malades ; il y examine encore quels sont les remèdes qui conviennent le mieux pour la cure des plaies de ce viscère, et quelle est la manière la plus avantageuse de les employer. Ces quatre mémoires sont, comme on le voit, une dissertation suivie sur les plaies de la tête[16] ; on dirait que M. Quesnay avait voulu donner dans ce même volume un exemple de l’application des règles qu’il avait données dans sa préface.

Le procès qui s’éleva presque aussitôt après la publication de ce volume, entre la faculté de médecine et le collège des chirurgiens, mit la capacité de M. Quesnay à une nouvelle épreuve ; ceux-ci crurent avoir une ressource assurée dans ses talents, et ils ne se trompèrent pas ; il eut la plus grande part non seulement aux ouvrages polémiques, mais encore aux mémoires juridiques qui parurent pendant l’intervalle de sept ans que dura cette grande affaire ; le chirurgien devint antiquaire, jurisconsulte, historien, et rendit en toutes ces qualités les services les plus essentiels à sa compagnie. Mais parmi tous les ouvrages que ces circonstances exigèrent de lui, celui qu’il affectionnait le plus était l’écrit intitulé Examen impartial des contestations[17], etc. Ce n’était sûrement pas le temps qu’il y avait employé qui lui inspirait cette affection ; car il fut conçu et exécuté en dix à douze jours ; ce qu’il y a de plus singulier, c’est que lorsqu’il le composa il était déjà docteur en médecine. Ce changement d’état qu’on lui a souvent reproché, mérite bien que pour sa gloire nous en rapportions les motifs.

Tous ceux qui ont connu M. Quesnay, savent combien son envie de servir ses compatriotes était vive et désintéressée : dès l’âge de vingt ans, il avait été attaqué de la goutte, qui se portait par préférence sur ses mains et sur ses yeux ; les attaques devinrent plus fortes et plus fréquentes, et il les regarda comme un ordre de la providence qui lui interdisait les opérations manuelles de chirurgie, et il crut devoir se mettre en état de rendre ses connaissances utiles dans la médecine proprement dite ; il prit donc le bonnet de docteur dans l’université de Pont-à-Mousson pendant la campagne de 1744, où il avait suivi le feu roi à Metz[18] ; et pour se mettre en état d’exercer la médecine sans inquiétude, il acheta peu après de M. Marcot la survivance de la charge de premier médecin ordinaire du roi et de médecin du grand commun, et il obtint par la suite la place de médecin consultant de Sa Majesté, vacante par la mort de M. Terray[19].

Cette dernière grâce du roi avait été précédée par une autre d’un genre tout différent : le roi lui avait accordé des lettrées de noblesse, et ce prince, qui l’appelait souvent le penseur, lui donna lui-même pour armes trois fleurs de pensée, avec cette devise : Propter cogitationem mentis[20].

Un homme tel que M. Quesnay était fait pour être désiré dans toutes les compagnies littéraires ; il était dès 1735 de l’Académie royale des sciences, belles-lettres et beaux-arts de Lyon ; la Société royale de Londres l’avait depuis longtemps admis au nombre de ses membres ; l’Académie désirait aussi de se l’acquérir, elle profita de la première occasion qui se présenta, et il y obtint le 12 mai 1751, la place d’associé libre, vacante par la mort de M. le marquis d’Albert. Il y avait longtemps que M. Quesnay avait fait ses preuves par les excellents ouvrages qu’il avait publiés ; indépendamment du livre qu’il publia en 1730, relativement à sa dispute avec M. Silva, sous le titre d’Observations sur les effets de la saignée, il avait publié dès 1736 son Essai physique sur l’économie animale, auquel il joignit un autre petit ouvrage intitulé : l’Art de guérir par la saignée. Il est étonnant de voir avec combien de précision et de brièveté il avait su traiter ces deux importants objets, en approfondissant néanmoins tout ce qu’il y a de plus intéressant sur ces matières ; car l’ensemble des deux ouvrages ne compose qu’un seul volume in-12 ; les faits y forment partout les principes et les preuves qui lui servent de base ; ils sont exposés avec une telle brièveté et mis dans un si beau jour que, quoiqu’ils ne fassent pour ainsi dire que passer rapidement sous les yeux, ils n’en sont pas moins frappants ; de plus, l’ordre dans lequel ils sont présentés est si naturel qu’il en résulte un système rempli de nouveautés sans être nouveau. Ce ne sont que les vrais principes de cette partie de la médecine, appuyés d’observations plus décisives qu’on n’en avait employé jusqu’alors et desquelles il résulte une pleine conviction : les raisonnements tiennent peu de place dans cet ouvrage ; on n’y trouve que ceux qui sont nécessaires pour exposer et pour prouver avec précision la doctrine qui doit naître des expériences et des observations énoncées par l’auteur ; et il est si persuadé qu’au delà des faits il n’y a plus rien de sûr, que les premières causes qu’il admet ne sont ordinairement que de premiers effets généraux qu’il n’entreprend point d’expliquer, mais qui lui servent à en expliquer une infinité d’autres. Il donna par la suite une seconde édition de son Économie animale, considérablement augmentée, et surtout de beaucoup de tables ; elle parut en 1747 en trois volumes in-12 ; la seconde édition du Traité des effets et de l’usage de la saignée parut aussi en 1750 avec des additions ; elle avait été précédée en 1749 par deux traités, l’un sur la suppuration, et l’autre sur la gangrène.

En 1753, M. Quesnay publia son Traité des fièvres continues, dans lequel il a rassemblé et examiné les principales connaissances que les anciens avaient acquises sur cet objet par l’observation et par la pratique, et particulièrement sur les pronostics, la coction, les crises et la cure de ces maladies. Nous ne répéterons point ici ce que nous avons dit alors dans l’Histoire de l’Académie ; (1753, p. 143) mais nous ne pouvons nous dispenser d’ajouter une anecdote singulière ; cet ouvrage, le plus intéressant peut-être qui soit sorti de sa plume, a été composé entièrement à l’armée, au milieu du tumulte d’un camp et dans une grange qui servait de logement à lui et à tout son monde, et où il s’était retranché sur un tas de paille. On peut juger par là de la facilité avec laquelle il travaillait et de la fidélité de sa mémoire ; on ne doit pas au reste en être surpris : celui qui savait lire et méditer sur un grand chemin pendant les ardeurs de la canicule, devait être fort à son aise pour composer un livre dans la grange et sur le tas de paille où nous venons de le représenter.

Les derniers ouvrages de M. Quesnay furent imprimés à Versailles, par ordre exprès du feu roi, qui en tira lui-même quelques épreuves ; ils consistaient en des observations sur la conservation de la rue, in-4o : en un ouvrage sur la psychologie ou science de l’âme, même format, et en un extrait assez étendu des économies royales de M. de Sully, Ces ouvrages ont été si soigneusement séquestrés qu’il n’en est pas même demeuré un seul exemplaire à sa famille[21].

Le dernier était le commencement du travail qui a occupé M. Quesnay pendant la plus grande partie de ses dernières années ; il avait, au suprême degré, l’esprit de patriotisme ; il connaissait parfaitement le détail et la théorie de agriculture, qu’il avait étudiée en physicien et pratiquée autrefois en agriculteur. Il était à portée de voir, de plus près qu’un autre, les ressorts du gouvernement ; il se livra tout entier au système économique ; il composa sur ce sujet un traité intitulé La Physiocratie ou Constitution naturelle du gouvernement, et ce livre fut publié en 1708 par les soins de M. Dupont, inspecteur général du commerce ; il donna sur ce sujet un très grand nombre de mémoires intéressants qui se trouvent répandus dans les journaux d’agriculture et dans les Éphémérides du citoyen : il favorisait, de tout son pouvoir, ceux qui s’appliquaient à ce travail, et leur communiquait, sans réserve, les lumières qu’il y avait acquises. Ce goût s’est conservé chez lui jusqu’au dernier moment, et dans le mois qui précéda sa mort, il composa encore sur cet objet trois mémoires qui firent dire à un homme en place[22] que M. Quesnay avait une tête de trente ans sur un corps de quatre-vingts.

Nous ne le suivrons pas plus loin dans cette nouvelle carrière, elle est trop éloignée des occupations de l’Académie qui passerait témérairement ses bornes en traitant ici des matières qui ne sont point de son objet, qui n’ont point été soumises à son examen, et desquelles elle n’ignore pas que le gouvernement s’occupe essentiellement ; mais ce qu’il nous est permis de relever, c’est l’amour de M. Quesnay pour ses concitoyens, cet amour si pur et si détaché de tout intérêt : c’est la multitude de travaux sur cette matière qui l’avait mis en quelque sorte à la tête et rendu comme l’oracle de tous ceux qui couraient la même carrière. Il est beau d’être en quelque sorte législateur de ceux même qui travaillent à imposer des lois aux autres hommes.

Les calculs inséparables des combinaisons nécessaires à cet ouvrage lui firent souvent regretter d’avoir négligé l’étude des mathématiques, et comme il ne connaissait les difficultés que pour les vaincre, il crut pouvoir surmonter celles-ci en se livrant à cette étude ; mais il oubliait son âge ; la vigueur de ses organes ne répondait plus à l’activité de son âme, et sa tête n’était plus en état de soutenir, comme autrefois, un travail long et pénible sur des matières abstraites ; il s’égara et crut avoir résolu le fameux problème de la quadrature du cercle ; ses amis tirent ce qu’ils purent pour l’empêcher de publier cette prétendue découverte ; il fut toujours inflexible et la fit imprimer[23] ; nous ne pouvons nous dispenser d’avouer que ce fut une faute, et pourquoi ne l’avouerions nous pas ? nos éloges ne sont pas des panégyriques, et une faute de cette espèce, qui ne peut être attribuée qu’à l’affaiblissement de génie qu’amènent nécessairement le grand âge et les longs travaux, trouve son excuse dans sa propre cause, et n’intéresse que bien peu sa gloire.

L’âge, cependant, de M. Quesnay s’avançait toujours, et son corps s’affaiblissait visiblement ; les douleurs de la goutte qui le tourmentait depuis sa jeunesse, devinrent plus aiguës et presque continuelles, il les souffrit avec une patience héroïque, et lorsque ses amis lui témoignaient combien ils en étaient touchés, il répondait naïvement, « il faut bien avoir quelques maux à mon âge, les autres ont la pierre, sont paralytiques, aveugles, sourds, cacochymes ; eh bien, moi j’ai la goutte ! je ne suis pas plus à plaindre qu’eux ; » il changeait alors de propos, et la conversation devenait très vive, et souvent même très gaie et très amusante. Cet homme cependant si dur pour lui-même, était d’une sensibilité rare pour les souffrances des autres ; il ne pouvait même voir souffrir un animal sans éprouver la plus vive émotion.

Malgré la multiplicité des connaissances de M. Quesnay et la vivacité de son esprit, il avait senti que la liberté de penser devait avoir des bornes ; il avait fait une étude suivie des matières de la religion[24], et tous ses écrits portent l’empreinte du respect qu’il avait pour elle ; on lui a toujours rendu justice sur cet article ; ses mœurs et sa conduite étaient pour ainsi dire l’image et l’expression vivante de ses sentiments à cet égard. Il en a recueilli le fruit par la tranquillité qui accompagna ses derniers moments ; il est mort le 16 décembre 1774, ayant vu approcher la mort avec la même sérénité qu’il aurait contemplé la fin d’un beau jour, calme précieux qui n’accompagne que la mort des gens de bien, et qui fuit alors loin de ceux qui se sont égarés hors des sentiers de la vertu.

M. Quesnay n’était ni d’une taille ni d’une figure avantageuses ; il avait cependant une physionomie spirituelle, et sa conversation ne démentait pas ce coup-d’œil ; elle était également instructive et amusante ; il possédait l’art précieux de se mettre à la portée de tous ceux avec lesquels il avait à traiter, et de ne laisser paraître de sa capacité que ce qui était nécessaire pour les instruire sans choquer leur amour-propre en leur faisant sentir une supériorité inutile.

Il possédait au suprême degré l’art de connaître les hommes ; il les forçait pour ainsi dire sans qu’ils s’en aperçussent, à se montrer à ses yeux tels qu’ils étaient ; aussi accordait-il sa confiance sans réserve à ceux qui la méritaient, et le long usage de la cour l’avait mis à portée de parler sans rien dire aux autres ; il ne les ménageait cependant à ce point que lorsqu’ils ne s’étaient pas trop démasqués ; ceux qui lui montraient à découvert une âme vile et corrompue pouvaient être sûrs, de quelque qualité qu’ils fussent, d’être traités comme ils le méritaient.

La quantité de connaissances en tout genre qu’il avait amassée était immense et paraît incroyable, si on remarque le peu de temps qu’une vie toujours très active lui avait laissé, mais il savait en mettre à profit jusqu’aux moindres instants ; une heureuse mémoire et une tête excellente lui donnaient le moyen de rejoindre si parfaitement ces morceaux détachés, qu’ils formaient chez lui un tout continu ; il eût presque trouvé les éléments d’une science dans un dictionnaire, Cette érudition au reste n’était chez lui qu’en dépôt pour le besoin ; elle ne lui servait qu’à être toujours au pair de la conversation ; toutes les sciences et tous les arts lui étaient familiers ; il était bien éloigné de se servir de tout ce savoir pour s’épargner des recherches ; les opinions des plus grands hommes ne devenaient pour lui des autorités qu’après qu’il les avait soumises à l’examen et à l’expérience ; et en ce sens, on peut dire que les idées mêmes qu’il avait empruntées des autres étaient à lui, et que ses ouvrages étaient absolument neufs. Toutes ces qualités étaient couronnées chez lui par une simplicité naïve, qui rendait son commerce extrêmement agréable, même dans la société domestique où on le trouvait toujours égal et où la sérénité de son âme se peignait jusque dans ses moindres actions.

Quoiqu’il fût depuis longtemps à la cour et qu’il y jouît d’un crédit considérable, il n’a jamais eu même la pensée de l’employer pour lui ni pour les siens, et s’il en a quelquefois fait usage, ce n’a jamais été qu’en faveur de ceux qu’il croyait pouvoir mettre en état de servir le public ; la nation française était sa famille, et il se croyait débiteur de quiconque la pouvait servir ; en un mot, on peut dire que si l’enthousiasme du patriotisme, une très longue carrière et les talents les i)lus précieux, employés sans relâche et dans toute leur étendue au bien de la société, donnent quelque droit à la reconnaissance des hommes, personne n’y en a jamais eu plus que M. Quesnay. Il n’a laissé de son mariage qu’un fils et une fille ; cette dernière avait été mariée à M. Hévin, premier chirurgien de Madame, auquel en mourant elle a laissé quatre enfants. La place d’associé libre qu’occupait M. Quesnay dans cette Académie a été remplie par M. Menard de Chousy, conseiller d’état, contrôleur général de la maison du roi, chevalier des ordres royaux, militaires et hospitaliers de Notre-Dame du Mont-Carmel et de Saint-Lazare de Jérusalem, déjà surnuméraire dans cette classe.


    pour soutenir leurs prétentions respectives, sont enfin terminées par un arrêt du conseil d’État du 4 juillet 1750. „Le roi voulant prévenir ou faire cesser toutes nouvelles difficultés entre deux professions (la médecine et la chirurgie) qui ont un si grand rapport, et y faire régner la bonne intelligence, qui n’est pas moins nécessaire pour leur perfection et pour leur honneur que pour la conservation de la santé et de la vie des sujets de Sa Majesté, elle a résolu d’expliquer ses intentions sur ce sujet.“ Le roi prescrit par cet arrêt : 1o un cours complet des études de toutes les parties de l’art et science de la chirurgie, qui sera de trois années consécutives ; 2o que pour rendre les cours plus utiles aux élèves en l’art et science de la chirurgie, et les mettre en état de joindre la pratique à la théorie, il sera incessamment établi dans le collège de St-Côme de Paris, une école pratique d’anatomie et d’opérations chirurgicales, où toutes les parties de l’anatomie seront démontrées gratuitement, et où les élèves feront eux-mêmes les dissections et les opérations qui leur auront été enseignées ; 3o Sa Majesté ordonne que les étudiants prendront des inscriptions au commencement de chaque année du cours d’étude, et qu’ils ne puissent être reçus à la maîtrise qu’en rapportant des attestations en bonne forme du temps d’études. Le roi règle par plusieurs articles comment la faculté de médecine sera invitée, par les élèves gradués, à l’acte public qu’ils soutiennent à la fin de la licence, pour leur réception au collège de chirurgie : et Sa Majesté veut que le répondant donne au doyen de la faculté, la qualité de decanus saluberrimæ facultatis, et à chacun des deux docteurs assistants, celle de sapientissimus doctor, suivant l’usage observé dans les écoles de l’université de Paris. Ces trois docteurs n’ont que la première heure pour faire des objections au candidat ; les trois autres heures que dure l’acte, sont données aux maîtres eu chirurgie, qui ont seuls la voix délibérative pour la réception du répondant. Par l’article xix de cet arrêt, Sa Majesté s’explique sur les droits et prérogatives dont les maîtres en chirurgie doivent jouir ; en conséquence elle ordonne que conformément à la déclaration du 23 avril 1743, ils jouiront des prérogatives, honneurs et droits attribués aux autres arts libéraux, ensemble des droits et privilèges dont jouissent les notables bourgeois de Paris ; et Sa Majesté par l’article xx déclare qu’elle n’entend que les titres d’école et de collège puissent être tirés à conséquence, et que sous prétexte de ces titres les chirurgiens puissent s’attribuer aucun des droits des membres et suppôts de l’université de Paris. Cette restriction mot le collège de chirurgie au même degré où sont le collège royal et celui de Louis-le-Grand.“

    Lors de la solution définitive de la contestation qui s’était terminée par la victoire des chirurgiens, Quesnay se trouvait déjà depuis une année dans une situation influente à la cour. Il a sans doute fait de grands efforts en faveur de l’arrêt du 4 juillet 1750 et c’est peut-être sur cela que repose l’assertion de Fouchy disant que dans cette affaire Quesnay s’est aussi montré comme „jurisconsulte“ et a rédigé divers „mémoires juridiques“. A. O.

    public parlait en faveur du droit des chirurgiens. Dans les conclusions du mémoire on lit : „Le public a sa vie à défendre dans les contestations des médecins et des chirurgiens ; ceux-ci, au contraire, combattent pour des intérêts bien importants L’intérêt public est donc réellement l’unique objet de la décision des contestations des médecins et des chirurgiens ; et cet intérêt est de la dernière importance.“ L’article Chirurgien de l’Encyclopédie de d’Alembert et Diderot donne des renseignements détaillés sur le sujet spécial de la lutte. D’après cet article, la patente royale de 1731 par laquelle l’Académie royale de chirurgie avait été fondée, avait accordé au corps de St-Côme divers droits qui rapprochaient des médecins les membres de cette communauté.

    „Cette loi — ainsi s’exprime l’article dont il s’agit — les lavait de l’ignominie qui les couvrait : en rompant le contrat d’union avec les barbiers, elle rendait les chirurgiens à l’état primitif de leur art, à tous les droits, privilèges, prérogatives dont ils jouissaient par l’autorité des lois avant cette union. La faculté de médecine disputa aux chirurgiens les prérogatives qu’ils voulaient s’attribuer, et elle voulut faire regarder le rétablissement des lettres dans le sein de la chirurgie, comme une innovation préjudiciable au bien public et même au progrès de la chirurgie. L’université s’éleva contre les chirurgiens, en réclamant le droit exclusif d’enseigner. Les chirurgiens répondirent à toutes les objections qui leur furent faites. Ils prouvèrent contre l’université, qu’une profession fondée sur une législation constante les autorisait à donner, partout où bon leur semblerait, des leçons publiques de l’art et science de chirurgie ; qu’ils avaient toujours joui pleinement du droit d’enseigner publiquement dans l’université ; que la chirurgie étant une science profonde et des plus essentielles, elle ne pouvait être enseignée pleinement et sûrement que par les chirurgiens ; et que les chirurgiens ayant toujours été de l’université, l’enseignement de cette science avait toujours appartenu à l’université. De là les chirurgiens conclurent que l’université, pour conserver ce droit, qu’ils ne lui contestaient pas, avait tort de s’élever contre la déclaration du roi, qui en maintenant les chirurgiens (obligés dorénavant à être maîtres-ès-arts) dans la possession de lire et d’enseigner publiquement dans l’université, lui conservait entièrement son droit. Ils ajoutèrent que si l’université refusait de reconnaître le collège et la faculté de chirurgie, comme faisant partie d’elle-même, elle ne pourrait encore faire interdire aux chirurgiens le droit d’enseigner cette science, étant les seuls qui soient reconnus capables de l’enseigner pleinement ; et que l’université voudrait en vain dans ce cas opposer aux lois, à l’usage et à la raison, son prétendu droit exclusif d’enseigner, puisqu’elle ne peut se dissimuler que ce droit qu’elle tient des papes, a donné par nos rois, seuls arbitres du sort des sciences, à différents collèges qui enseignent, hors de l’université, des sciences que l’université enseigne elle-même. Ces contestations, qui furent longues et vives, et dans le cours desquelles les deux principaux partis se livrèrent sans doute à des procédés peu mesurés

  1. L’éloge se trouve reproduit dans l’Histoire de l’Académie royale des sciences, année 1774, parue à Paris en 1778. — Grand-Jean de Fouchy, astronome, fut depuis 1731 membre et depuis 1743 secrétaire perpétuel de l’Académie. En cette dernière qualité et conformément à l’usage, il avait à prononcer l’éloge des membres décédés. Grand-Jean de Fouchy ne fut nullement physiocrate ; c’est pourquoi ses communications sur les études économiques de Quesnay sont très brèves, et ne sont d’ailleurs pas tout à fait exactes. Au surplus, presque toutes les données renfermées dans les trois éloges qui suivent doivent être examinées et pesées avec soin, attendu non seulement qu’elles se contredisent souvent, mais encore qu’elles sont parfois d’une sature bizarre. A. O.
  2. L’Almanach royale, annuaire politique de l’ancien régime, indique, pour cette époque, l’ordre suivant des médecins du roi. En tête, se trouve le „premier médecin du roi“ qui est à considérer comme le médecin proprement dit du roi en cas de maladie. Vient ensuite le „premier médecin ordinaire du roi“ qui avait, paraît-il, à surveiller quotidiennement le régime du roi au point de vue hygiéniquea. La troisième catégorie est formée des „ médecins servants par quartier en cour“. Leur nombre s’élevait en moyenne à huit, et une remarque de l’Almanach royal dit d’eux : „Les médecins ordinaires du roi servant par quartier, font au Louvre des consultations gratuites tous les mardis de chaque semaine, excepté les jours de fête, depuis trois heures de l’après-midi jusqu’à cinq“. La plus grande partie d’entre eux avaient leur domicile à Paris. Dans la quatrième catégorie, il y a les, médecins consultants du roi“, demeurant les uns à Versailles, les autres à Paris. Cette rubrique comportait en moyenne quatre noms. Enfin, la liste se termine par les, autres „médecins consultants du roi“. Ce sont des médecins que le roi charge de missions spéciales soit à Paris, soit à Versailles. L’Almanach royal indique, dans cette rubrique, le nom de Quesnay pour la première fois en 1750, ensuite de changements qui avaient eu lieu déjà dans le courant de l’année 1749. Deux autres noms y figurent aussi, et tandis que ceux-ci sont suivis de divers titres, Quesnay y est simplement inscrit comme suit : „Quesnay en cour“. C’est l’époutie où Quesnay a quitté le service du duc de Villeroi pour entrer à celui de la marquise de Pompadour. En 1752 eut lieu sa promotion au titre de „premier médecin ordinaire“ et de „médecin consultant du roi“. L’Almanach royal ne cite pas sous un titre spécial la dignité de „premier médecin consultant du roi“. Les membres de cette catégorie sont mentionnés dans l’ordre d’ancienneté. Voir aussi note 2, page 31.

    Quant au titre de conseiller du roi, le nom de Quesnay manque complètement dans la liste des membres du conseil d’état publiée chaque année par l’Almanach royal. Dans les autres listes officielles, ce titre ne lui est non plus nulle part donné, ce qui a cependant eu lieu pour quelques-uns de ses collègues ou prédécesseurs. A. O.

  3. Les incertitudes commencent déjà à propos du lieu de naissance. Que le comte d’Albon écrive Méré (orthographe maintenant admise) au lieu de Merey, cela n’est qu’une différence d’orthographe. D’autre part, Romance de Mesmon nomme le village d’Ecquevilly non pas expressément comme endroit de naissance de Quesnay, mais cependant comme lieu de domicile de ses parents. Cet auteur a ensuite été probablement suivi par lord Crawford, premier éditeur des Mémoires de Madame du Hausset, qui dans son esquisse biographique de Quesnay désigne formellement Ecquevilly comme lieu de naissance. A. O.
  4. Il existe également des divergences en ce qui concerne la profession du père. Tandis que de Fouchy et d’Albon s’accordent à dire que le père était avocat, mais habitait avec sa famille un petit endroit de la campagne, Romance de Mesmon fait entrevoir que le père et la mère étaient de simples cultivateurs. Il paraît, ici aussi, que lord Crawford n’a fait qu’accentuer plus fortement en disant en propres termes „fils d’un laboureur“. Chose curieuse, cette indication se trouve aussi dans la Notice sur les économistes que Dupont de Nemours a ajoutée aux œuvres de Turgot, éditées par lui (1808) ; on y lit (avant l’éloge de Gournay) : „M. Quesnay, né dans une ferme, fils d’un propriétaire, cultivateur habile“, etc. Mais sa plume a sans doute été conduite par la manie de faire paraître Quesnay comme un cultivateur accompli dès sa jeunesse. Sous ce rapport aussi, on doit s’en remettre aux indications données par de Fouchy et d’Albon, car elles concordent avec les autres renseignements qui sont fournis sur le père de Quesnay et qui proviennent en partie du fils lui-même. A. O.
  5. Voir le jugement infiniment meilleur sur le mode d’éducation de la mère, dans l’éloge de d’Albon, page 42, note 2. A. O.
  6. La communauté des chirurgiens de Paris était organisée comme un corps de jurandes. Elle se divisait en deux sections ; la section inférieure comprenait les barbiers-chirurgiens, la section supérieure, les chirurgiens de Saint-Côme. Les membres de cette dernière section, à laquelle Quesnay appartenait, avaient suivi les cours de l’école de Saint-Côme et étaient considérés comme de vrais maîtres. — Comme il est souvent question, dans la suite, des institutions dont il s’agit, nous reproduisons ci-après un abrégé de leurs statuts, tel qu’il est contenu dans le Dictionnaire du Commerce de Savary, édition de 1759, article „Chirurgien“. Les statuts datent de 1699 et 1701 et se divisent en 17 titres.

    „Le 1er titre traite des droits et de la juridiction du premier chirurgien du roi, qui est déclaré chef et garde des chartes et privilèges de la chirurgie et barberie du royaume.

    Le 2e parle de ceux qui composent la communauté, qui sont le premier chirurgien du roi et son lieutenant ; les quatre prévôts et gardes ; le receveur, le greffier et les maîtres, divisés en quatre classes.

    Dans le 3e, l’élection des prévôts et du receveur est réglée, savoir, celle de deux nouveaux prévôts chaque année. et celle du receveur seulement tous les deux ans ; toutes trois à la pluralité des voix et dans l’assemblée générale.

    Le 4e est pour la convocation das assemblées, l’ordre des séances et la manière de donner et recueillir les voix. Le premier chirurgien du roi est président né îles assemblées ; son lieutenant préside en son absence : et en celle du lieutenant, l’ancien des prévôts en charge.

    Il est parlé dans le 5e titre, de ceux qui doivent composer les assemblées générales ; dans le 6e, de ceux qui composent les assemblées du conseil : et dans le 7e, de l’élection de ces derniers.

    Le 8e traite des droits, immunités, prérogatives et fonctions de la communauté. L’art de la chirurgie y est déclaré un art libéral, avec attribution de tous les privilèges des arts libéraux. Les armes de la communauté, qui sont d’azur, a trois boîtes d’or, deux en chef et l’autre en pointe, avec une fleur de lys d’or en abîme, lui sont confirmées : et l’on y donne aux maîtres de Paris, le droit d’être reçus aggrégés dans toutes les communautés du royaume, sans nouvelle expérience, et sans rien payer, avec séance du jour de leur réception dans celle de Paris.

    Le 9e marque qui sont ceux qui peuvent exercer la chirurgie dans la ville et faubourgs de Paris ; ce qui n’est permis qu’aux maîtres, ou aux aggrégés. reçus dans la communauté, soit au grand chef-d’œuvre, soit à la légère expérience.

    Le 10e parle des apprentis, des aspirants à la maîtrise, et des qualités qu’il tant avoir pour être admis au grand chef-d’œuvre. Aucun des maîtres ne peut avoir plus d’un apprenti à la fois ; l’apprentissage ne peut être moins de deux ans sans interruption : nul ne peut être aspirant pour le grand chef-d’œuvre, s’il n’est fils de maître, ou apprenti de maître, ou s’il n’a servi l’un des maîtres pendant six ans consécutifs, ou plusieurs maîtres pendant sept ans. En cas de concurrence, les fils de maîtres ont le premier lieu, suivant l’ancienneté de leur père : ensuite les apprentis, et puis les garçons et serviteurs des maîtres.

    Dans le 11e titre, on explique les actes qui composent le grand chef-d’œuvre : ces actes sont l’immatricule, la tentative, le premier examen, les quatre semaines, le dernier examen et la prestation du serment. L’immatricule, c’est l’enregistrement du nom de l’aspirant sur le registre de la communauté, comme admis au chef-d’œuvre, qui ne lui est accordé qu’après qu’il a été jugé suffisant et capable par un examen sommaire. Les interrogats du premier examen se font par neuf maîtres, au choix du premier chirurgien, et ceux du dernier, par douze au moins, tirés au sort. Les quatre semaines sont, la première de l’ostéologie, la seconde de l’anatomie, la troisième des saignées, et la quatrième et dernière des médicaments, pendant lesquelles l’aspirant soutient divers actes, fait plusieurs démonstrations, compose divers médicaments, et répond à plusieurs interrogations qui lui sont faites par les quatre prévôts en charge. Enfin dans le dernier acte, appelé de réception, ou de I)reptation de serment, l’aspirant est interrogé par le premier chirurgien, ou son lieutenant, sur quelque maladie, ou quelque opération chirurgique, dont sur-le-champ il est obligé de faire son rapport par écrit : et son rapport lu et approuvé, il est reçu et prête le serment.

    Dans le 12e titre, on traite de la légère expérience, qui consiste en deux examens faits en deux jours différents, l’un sur la théorie et l’autre sur les opérations.

    Le 13e titre est des aggrégés à la communauté, et de la manière de les aggréger et recevoir. Ceux qui peuvent être aggrégés sont les chirurgiens du roi, ceux de la famille royale, les quatre barbiers-chirurgiens suivant la cour, à la nomination du grand prévôt ; les huit chirurgiens servant en la grande artillerie ; les principaux chirurgiens de l’hôtel royal des invalides, qui y auront servi six ans, etc., qui tous après avoir été reçus, ne font plus qu’un même corps avec la communauté, jouissent des mêmes privilèges, sont sujets à la même police, soumis aux mêmes statuts, et régis par les mêmes règles.

    On parle des experts pour les bandages des hernies dans le 14e titre, et de la réception des maîtresses sages-femmes dans le 15e. À l’égard des premiers, il leur est défendu de faire aucune opération, ni incision, sous quelque prétexte que ce soit ; et il leur est permis de faire seulement l’application de leur bandage. Aucun aspirant ne peut être admis à être reçu à la qualité d’expert pour les bandages que sur le consentement du premier médecin du roi, et s’il n’a servi deux ans chez l’un des maîtres chirurgiens, ou chez l’un des experts, pour lors établis à Paris. Dans l’examen qu’il doit subir, les interrogatif se font par le premier chirurgien, ou son lieutenant, et par les quatre prévôts en charge. Enfin, il doit payer les droits réglés par l’article 126 des statuts. Pour ce qui concerne la réception des sages-femmes, elles ne peuvent être reçues qu’elles ne soient filles de maîtresses, ou apprenties, savoir de trois ans chez les maîtresses, ou de trois mois à l’Hôtel-Dieu. Leur examen se fait par le premier chirurgien, ou son lieutenant, les quatre prévôts en charge, et les quatre jurées sages-femmes du Châtelet. en présence du doyen de la faculté de médecine, des deux médecins du Châtelet. du doyen de la communauté et de huit maîtres. Les droits qu’elles doivent payer sont réglés par l’article 127 des statuts.

    Les droitis qui doivent être payés pour les réceptions et agrégations sont réglés par les huit articles du 16e titre. Enfin le 17e et dernier titre établit la police générale qui doit être observée dans la ville et faubourgs de Paris, par tous ceux qui exercent la chirurgie, ou qui sont tenus à l’exécution des statuts et règlements ; et pour y tenir la main, les visites des prévôts en charge sont ordonnées, même dans les lieux privilégiés“. A. O.

  7. Adrien-Maurice duc de Noailles, maréchal depuis 1704 et, pendant la régence, longtemps à la tête des finances de l’État avec le duc de Villeroi. † 1766. Quesnay lui a dédié plusieurs de ses ouvrages, ainsi qu’à son fils Louis de Noailles, qui fut également plus tard maréchal. A. O.
  8. 1729. A. O.
  9. Sous le titre : „Observations sur les effets de la saignée, par François Quesnay, maître ès arts, membre de la société des arts, et chirurgien de Mantes, reçu à Saint-Côme, Paris 1730.“ Ce premier écrit de Quesnay est dédié : à M. d’Abos, chevalier, seigneur de Binanville, Arnauville, Boinville, Breuil et autres lieux, conseiller au parlement de Paris. A. O.
  10. On y cherche vainement des communications sur sa position vis-à-vis de Quesnay. A. O.
  11. „L’Académie royale de chirurgie, établie depuis 1731, continuée par lettres patentes de 1748, est sous la direction du secrétaire d’état de la maison du roi, ainsi que les autres académies royales établies à Paris. Le premier chirurgien du roi y préside ; les assemblées se tiennent dans la salle du collège de Saint-Côme, le jeudi. Le jeudi d’après la Quasimodo, elle tient une assemblée publique, dans laquelle l’Académie déclare le mémoire qui a remporté le prix fondé par feu M. de la Peyronie. Ce prix est une médaille d'or de la valeur de 590 liv. Cette médaille représentera, dans quelque temps que la distribution s’en fasse, le buste de Louis le Bien-aimé“. Art. „Chirurgie“ de l’Encyclopédie par d’Alembert et Diderot. A. O.
  12. L’ouvrage de Quesnay : „Essai physique sur l'économie animale“, dont la première édition a paru en 1736, s’ouvre par un „Discours sur la théorie et l’expérience en médecine, présenté à l’Académie des sciences et belles-lettres de Lyon le 15 février 1735“. Comme l’auteur se donne, sur la page-titre de l’ouvrage, la qualité de membre de cette académie, il est évident que son admission a eu lieu lors de sa présence à Lyon. En outre, l’auteur se nomme déjà „chirurgien de Monseigneur le duc de Villeroi“. L’ouvrage est toutefois dédié à Monseigneur Adrien Maurice duc de Noailles et maréchal de France. L’incipit du discours présentant quelque intérêt biographique, nous le reproduisons ici ; il est connu en ces termes : „Mon établissement en province (l'auteur était établi à Mantes sur Seine d’où Mgr le duc de Villeroi l'a retiré depuis peu pour le placer auprès de lui) m’a mis dans la nécessité absolue de m’appliquer autant à l’étude de la médecine qu’à celle de la chirurgie : et pendant environ vingt ans que j’y ai exercé sans relâche ces deux professions ensemble, j’ai été fort attentif à remarquer quelles sont les connaissances que l’on peut acquérir dans l’art de guérir par ce qu’on appelle vulgairement expérience, et combien on peut compter sur les recherches que l’on fait du côté de la théorie, pour nous éclairer dans la pratique de cet art“, etc. — Par ce qui précède, nous pouvons fixer avec assez de certitude l’époque où Quesnay est allé s’établir à Paris. Comme le discours a été présenté à la mi-février 1735, que l’auteur y parle de son entrée au service du duc de Villeroi, qui a eu lieu „depuis peu“, et que l’éloge lui-même dit que sa mission à Lyon lui a été donnée „quelque temps après“ cette entrée, il est de toute probabilité que Quesnay s’est fixé à Paris au nouvel an 1735. A. O.
  13. Cette indication de Fouchy ne concorde pas complètement avec l’Almanach royal. Dans cette publication, Quesnay n’a jamais été porté sous la rubrique « chirurgiens ordinaires du roi », mais il commence à figurer dans l’Almanach de 1738 (qui répondait déjà en partie à l’état de choses de 1737), comme l’un des 174 « chirurgiens jurés de Paris », avec domicile « rue de Varenne, à l’hôtel Villeroi ». En 1740 seulement (soit 1739), son nom figure aussi dans la rubrique « démonstrateurs (non pas professeurs) royaux en chirurgie, matière chirurgicale ». Deux ans plus tard, nous trouvons à côté de lui, comme « substitut » son gendre (d’alors ou futur ?) M. Hévin, qui fut ultérieurement premier chirurgien de la reine. L’année suivante (1743, soit 1742), la situation se présente dans le sens inverse, Hévin est démonstrateur et Quesnay substitut. Les choses restent dans le même état jusqu’en 1750, année où le nom de ce dernier disparaît soudain de toutes les catégories concernant Paris et est transféré dans la rubrique « autres médecins consultants du roi » avec la qualification « en cour », conformément à sa promotion, qui a eu lieu en, 1749, comme médecin particulier de la marquise de Pompadour. A. O.
  14. Mémoires de l’Académie royale de chirurgie, tome premier, Paris 1743. in-4o. Le deuxième volume n’a été publié qu’en 1753. Quesnay avait alors le titre de « secrétaire vétéran ». Ce volume, non plus que le tome troisième qui a paru en 1757, ne renferme plus aucun travail de Quesnay. En revanche, le tome troisième contient des articles flatteurs sur les ouvrages publiés dans intervalle par Quesnay. A. O.
  15. C’est l’Académie royale des sciences. A. O.
  16. Cette analyse des mémoires n’est pas complètement exacte. Voir le Tableau des Œuvres complètes de Quesnay. À la fin de cet ouvrage. A. O.
  17. Le titre complet de cet ouvrage qui a paru sous un pseudonyme, est : Examen impartial des contestations des médecins et des chirurgiens, considérées par rapport à l’intérêt public, par M. de B. 1748, in- 12o. Bien que Quesnay fût lui-même, depuis quatre ans déjà, docteur en médecine, il combattait dans cet ouvrage les prétentions excessives des médecins. L’intérêt
  18. C’est-à-dire qu’il accompagnait le duc de Villeroi comme étant alors son médecin, et non pas encore en qualité de médecin du roi. A. O.
  19. De Fouchy n’est pas dans le vrai en disant que Quesnay avait „peu après“ 1744, acheté la survivance de la charge de premier médecin ordinaire du roi. Déjà ailleurs (note 2, page 16), nous avons établi que Quesnay n’a été appelé à la cour que dans le courant de l’année 1741), et d’abord en qualité de „autre médecin consultant du roi“. Il a revêtu ces fonctions pendant trois ans et ce n’est qu’en 1753 que l’Almanach royal diffère des précédents par suite des changements survenus en 1752. Tout-à-coup nous trouvons le nom d’abord à la deuxième place comme suit :

    Premier médecin ordinaire :

    M. : Marcot, médecin de la faculté de Montpellier, en cour.
    Quesnay, docteur en médecine, en survivance.


    En même temps, son nom figure aussi dans la rubrique : „médecins consultants du roi“, tandis qu’il disparaît de celle intitulée ; „autres médecins consultants du roi“ . Le „peu après“ de Fouchy s’étend ainsi en réalité à huit ans. Quesnay n’a pas non plus acheté la survivance de la place importante, „pour se mettre en état d’exercer la médecine sans inquiétude“, mais c’est un événement déterminé qui a amené ce changement dans la position de Quesnay (voir à ce sujet note 1, page 32). Après la mort de Marcot, survenue en 1755, le nom de Quesnay parait seul, et avant lui, comme „premier médecin“, figure celui de M. Pierre Senac en remplacement de messire François Chicoyneau, décédé la même année. En 1762, l’Almanach royal donne un second nom à côté de celui de Quesnav, savoir Le Monnier, médecin de la faculté de Paris, en survivance. En 1773 et 1774, la charge de „premier médecin“ demeure vacante. Il est bien possible que Quesnay en ait rempli les fonctions sans en être le titulaire légal, et ce fait peut avoir donné lieu, pendant la maladie de Louis XV, à ces frottements qui ont provoqué la disgrâce dont Louis XVI a frappé Quesnay. L’Almanach de l’année 1775 (Quesnay est mort le 16 décembre 1774) l’indique cependant encore dans son ancienne charge. Mais dans la rubrique „premier médecin“ paraissent subitement deux nouveaux noms, ceux de MM. Lieutaud et de la Sone. A. O.

  20. Quesnay a, pour la première fois, ajouté le titre d’„écuyer“ sur son „Traité des fièvres continues“, „l’ouvrage le plus intéressant peut-être qui sortit de sa plume“ (Fouchy, page 34), paru en 1753. Ce titre est donc en connexité avec ses autres avancements. Ceux-ci ont été la récompense de ce que Quesnay a sauvé le dauphin atteint de la petite vérole en 1752. L’anoblissement de Quesnay et la qualification de „penseur“ qui lui a été donnée de la part du roi sont d’autant moins dus aux travaux économiques du créateur de la physiocratie, que son premier traité économique (article „Fermiers“ de l’Encyclopédie) ne date que de 1756. Il est hors de doute que la marquise de Pompadour, qui était alors au plus haut degré de sa puissance, ait concouru d’une manière décisive à tous ces bienfaits. Un document lui attribue même directement à ce sujet une action qui sans cela est attribuée au roi. Dans l’ouvrage de Capefigue, Madame la marquise de Pompadour, Paris 1858, p. 262, on lit : „Madame de Pompadour avait dessiné ses armoiries (celles de Quesnay) comme elle l’avait fait pour le comte de Buffon. Les armoiries consistaient en trois feuilles de pensée avec cette devise : „Propter cogitationem mentis“. Ceci concorde mieux avec les renseignements que nous avons sur la position de Quesnay vis-à-vis du roi et vis-à-vis de la Pompadour que les données de Fouchy qui cependant sont encore soutenues par d’Albon et Romance de Mesmon.

    Quoiqu’il en soit, celui qui avait été subitement comblé de bienfaits s’est senti profondément obligé envers la Pompadour. Sinon il lui aurait difficilement dédié son „Traité des fièvres continues“, publié peu après (1753) et dont nous communiquons ici la dédicace assez humble :

    „À madame de Pompadour.
    Madame,

    L’estime que Vous faites des talents et le soin que Vous avez d’attirer sur eux ces regards puissants qui font leur gloire et leur récompense. Vous donnent un droit légitime aux hommages de tous ceux qui cultivent les sciences et les arts. Celui que je Vous rends aujourd’hui Vous appartient à des titres plus particuliers. La confiance dont Vous m’honorez, Madame, me donne un avantage sur tous ceux qui, comme moi, Vous adressent leurs respects. Elle me met à portée de voir chaque jour le principe même de ces sentiments généreux dont les autres ne ressentent que les effets. Oui, Madame, j’admire sans cesse cette bonté d’âme qui s’étend à tous et qui met tant d’attention à saisir les instants de faire le bien, et tant de soins à en éviter l’éclat. C’est à ce trait qui Vous distingue singulièrement que je consacre mon hommage et le respect infini avec lequel je suis. Madame, Votre très humble et très obéissant serviteur Quesnay.“ A. O.

  21. Au sujet de cette énonciation quelque peu singulière, voir, sur l’origine du Tableau économique, la note 1, page 125, du présent ouvrage Mais que l’on remarque déjà ici que cette phrase ne se rapporte pas à moins de trois ouvrages de diverses branches des sciences (savoir : médecine, philosophie et économie politique), qui „furent imprimés à Versailles par ordre exprès du roi, qui en tira lui-même quelques épreuves“. L’image que nous donnent de Louis XV les biographes de Quesnay diffère à un très haut degré de celle que nous fournissent d’autres sources historiques et notamment les Mémoires de Madame du Hausset, que l’on trouve ci-après. G. Kellner, dans son ouvrage „Zur Geschichte des Physiocratismus“, Göttingue 1847, indique même (page 18) que Louis XV a collaboré à l’ouvrage de Quesnay „Histoire de l’origine et des progrès de la chirurgie en France“ (Paris 1741), mais il fait suivre cette indication d’un (?). A. O.
  22. Turgot ? Il est probable que les trois mémoires étaient destinés aux „Nouvelles éphémérides économiques“ alors en préparation, mais dont le commencement n’a pas paru du vivant de Quesnay. Ces mémoires n’ont pas été publiés dans les Éphémérides et nous manquons de tout renseignement sur ce qu’ils sont devenus et sur ce qu’ils contenaient. A. O.
  23. En Allemagne, il est en général admis que ces recherches n’ont pas été publiées. Ainsi G. Kellner, dans son livre, „Zur Gechichte des Physiocratismus“ (Göttingue 1847), dit, p. 25 : „Vainement ses amis se sont efforcés d’empêcher la publication de cette découverte problématique. Ce qu’ils n’avaient pas pu faire, la mort l’a fait.“ De même Laspeyres (art. : Quesnay, Turgot und die Physiokraten, dans le „Staat.swôrterhuch“ de Bluntschli) dit : „Dans les dernières années de sa vie, il croyait avoir trouvé la quadrature du cercle, et la mort l’a seule empêché de publier cette prétendue découverte.“ Ceci n’est toutefois pas exact. Une année avant sa mort ont paru, sous le voile de l’anonyme, il est vrai, les „Recherches philosophiques sur l’évidence des vérités géométriques“ (in-8o 1773) ; dans cette publication il annonçait au monde sa découverte, ce qui a fait un grand chagrin à ses amis. „C’est bien là le scandale des scandales, dit Turgot, en parlant de cet ouvrage ; c’est le soleil qui s’encroûte.“ (Voir G. Schelle, Dupont de Nemours et l’école physiocratique, Paris 1888, page 124.) Nous avons parcouru le livre, et nous n’y avons découvert en aucune façon la faiblesse d’esprit de laquelle il aurait été, dit-on, le résultat. Tout bien considéré. Quesnay reste fidèle, dans cet ouvrage, à sa manière de voir manifestée aussi en matière économique. Dans le Tableau économique, il croyait avoir trouvé la pierre philosophale pour la vie sociale de l’humanité. Était-il étonnant qu’il cherchât la quadrature du cercle dans la géométrie ? La bibliothèque nationale de Paris possède encore un opuscule intitulé „Polygonométrie“ et dans lequel on reconnaît facilement l’auteur des „Recherches philosophiques“. C’est un in-4o sans doute imprimé comme manuscrit et destiné à être soumis, avant sa publication, au jugement de quelques amis et spécialistes. L’exemplaire dont il s’agit porte quelques notes marginales relatives au sujet traité, ainsi qu’une mention que l’opuscule a été écrit par Quesnay. Il est probable que celui-ci faisait souvent tirer de semblables épreuves à l’imprimerie du château royal, et que le coût de ce travail était ensuite porté au compte du roi. C’est de là qu’a pu naître la fable que ces mémoires ont été imprimés sur l’ordre exprès du roi. — Comparer la note 1. page 125. A. O.
  24. On ne sait rien d’un mémoire spécial sur cette matière. Il s’agit probablement d’un essai qui toutefois n’a pas été publié. A. O.