Éloge de l’âne/X

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CHAPITRE X.

L’âne et ses petits.


La vieillesse, ce marteau qui brise la tête du serpent le plus superbe, ne semble épargner que les ânes. Plus ils sont vieux, dit M.  Buffon, plus ils sont ardents au plaisir. Si les amants sont heureux, les ânes le sont toujours.

Moins tardif que l’homme, à peine l’âne a trois ans, qu’il est déjà en état de reproduire son semblable. L’ânesse est encore plus précoce, elle n’est qu’un enfant, et elle éprouve déjà les transports de l’amour. La tendresse de l’âne pour sa compagne, s’étend aussi sur sa progéniture : il a pour elle le plus fort attachement.

On ne lui reprochera jamais de l’avoir étouffée au moment de sa naissance, de l’avoir exposée au milieu des rues, de l’avoir abandonnée ; les ânes de Montmartre ont un cœur, ils en suivent toujours les tendres mouvements.

L’usage ne s’est point introduit parmi nos ânesses, de donner leurs petits à nourrir à des inconnues, à des mercenaires ; elles savent qu’elles sont mères, et ce titre est trop doux, trop respectable, pour ne pas remplir les devoirs qu’il leur impose. Rarement elles ont plusieurs petits à la fois ; mais quel qu’en soit le nombre, elles ne les quittent point : malheur à qui voudrait les enlever, elles les défendraient au péril de leur vie. Pline le naturaliste, assure que lorsqu’on sépare la mère de son petit, elle passe à travers les flammes pour aller le rejoindre. C’est ici qu’on pourrait s’écrier avec raison, le chef-d’œuvre d’amour, est le cœur d’une mère.

Lorsque l’ânon commence à s’accroître, à se fortifier, l’ânesse le mène toujours avec elle, lui donne de bons conseils, de bons exemples, de bonnes leçons. Elle sait que ce n’est rien que de lui avoir formé le corps, si elle ne cultive son cœur : elle y donne tous ses soins.

Les travaux de cette bonne mère, ne sont point infructueux : les ânons aiment leurs parents, ils les respectent : leur présence les réjouit, leur absence les afflige ; ils ne sont bien qu’avec eux. Que de pères et mères voudraient bien pouvoir en dire autant.

Les ânons entr’eux sont fort unis : comme ils partagent la tendresse de leur mère, il n’y a point parmi eux d’enfant gâté, ni par conséquent de jaloux. Toujours gais, toujours folâtrants, ils sont moins des frères, que de tendres amis.

Quand l’âge d’être utile est arrivé, ils sont déjà accoutumés au travail ; l’exemple de leur mère est leur loi : ils sentent qu’ils ne sont pas nés pour croupir dans une molle oisiveté ; ils deviennent sages, posés, laborieux : ce sont de vrais Catons.