Éloge de l’âne/XIX
CHAPITRE XIX.
L’Âne est infaillible.
On a demandé s’il existait dans la nature un être incapable de se tromper : on peut répondre affirmativement que c’est un âne qui prédit le beau temps ou la pluie : il ne se trompe jamais.
Je n’entreprendrai point ici d’expliquer la raison de ce phénomène extraordinaire ; l’âne a-t-il une connaissance supérieure à l’homme sur cet objet ? Est-ce chez lui un don surnaturel, ou cela dépend-t-il de sa constitution physique ? C’est ce que j’ignore. Je laisse ce problème à résoudre à quelque académicien célèbre, curieux de connaître le principe des choses. Pour moi, je me contente de mettre à profit leurs effets : je n’en cherche pas davantage.
Je sais qu’il y a des ânes à courtes oreilles qui s’avisent aussi de prédire la pluie et le beau temps : on les nomme des astrologues, des faiseurs d’almanachs. Je me suis même une fois avisé de vérifier leurs prédictions ; j’ai reconnu que depuis l’almanach doré sur tranche, jusqu’à celui qu’on habille en bleu, ce sont tous imposteurs. L’âne seul est infaillible : le temps qu’il annonce, arrive toujours.
Cette infaillibilité a été cause que dans le temps qu’en France, les rois avaient à leur gage des fous, des astrologues, des sorciers ; un âne fut décoré de la place d’astrologue ordinaire du roi suivant la cour. C’est sous Louis XI, que les chronologistes ont placé ce célèbre événement. Un jour que ce prince, après avoir consulté son astrologue qui lui avait promis le plus beau temps du monde, s’amusait à chasser, je ne sais dans quelle forêt, il rencontra un vieux charbonnier qui marchait fort tranquillement avec un âne. Louis XI, qui aimait à parler, ne put s’empêcher de questionner ce bon homme. Entre autres choses, il lui demanda si la journée se passerait sans pluie. Le charbonnier répondit qu’il ne tarderait pas à pleuvoir, qu’il en était sûr ; que son âne lui avait dit. Le roi rit beaucoup de cette réponse, et continua de chasser ; cependant le ciel se couvre, la pluie commence ; et Louis XI, tout roi qu’il était, fut honnêtement mouillé. Il reconnut alors que le charbonnier et son âne, n’avaient pas tort ; il fit venir l’un et l’autre à la cour, leur donna les mêmes appointements qu’à son astrologue, qui fut chassé avec ignominie.
Comme le mérite, surtout lorsqu’il est récompensé, soit à la cour, soit ailleurs, fait des jaloux ; on a tâché de diminuer celui de l’âne. On a dit qu’il n’est pas le seul animal dans la nature, qui soit en état de faire de bons almanachs. Des grenouilles, des hirondelles, des macreuses, des plongeons, des canards, des chats, etc., se sont mis sur les rangs : ce sont des envieux, on ne doit point les écouter. J’ai même lu quelque part, que toutes leurs prophéties sont fausses, incertaines, schismatiques, erronées ; au lieu que celles de l’âne sont de la dernière évidence. Se roule-t-il sur la terre ? Soyez persuadé que dans peu vous aurez du beau temps. Dresse-t-il les oreilles ? Marche-t-il de côté ? C’est signe de pluie. Consultez cet almanach ; et vous verrez qu’il ne ment jamais.