Émile Zola : l’homme & l’œuvre/Ce que je veux

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Ce que je veux

Ce que je veux, sur le coteau,
C’est, lorsque mai vient nous sourire,
Une cabane qui se mire
Dans le miroir clair d’un ruisseau.

C’est un nid perdu sous les branches,
Où ne conduise aucun chemin,
Un nid qui n’ait d’autre voisin
Que le nid des colombes blanches.

Ce que je veux, à l’horizon,
C’est, au pied d’une roche grise,
Un bouquet de pins dont la brise
Le soir apporte la chanson.

C’est une suite de vallées,
Où les rivières, dans leurs jeux,
Errent d’un pas capricieux,
Blanches sous les vertes feuillées.

Où les vieux oliviers songeurs
Courbent leurs têtes grisonnantes ;
Où les vignes, folles amantes,
Grimpent gaîment sur les hauteurs.

Ce que je veux, pour mon royaume,
C’est à ma porte un frais sentier,
Berceau formé d’un églantier
Et long comme trois brins de chaume.

Un tapis de mousse odorant,
Semé de thym et de lavande,
Seigneurie à peine aussi grande
Que le jardinet d’un enfant.


Ce que je veux, dans ma retraite,
Créant un peuple à mon désert,
C’est voir, sous le feuillage vert,
Flotter mes rêves de poète.

Mais avant tout, ce que je veux,
Sans quoi j’abdique et me retire,
Ce que je veux, dans mon empire,
C’est une reine aux blonds cheveux ;

Reine d’amour à la voix douce,
Au front pensif, aux yeux noyés,
Et dont les mignons petits pieds
Ne fanent pas mes brins de mousse.

Aix, mai 1859.

Ces derniers, adressés : À mon dernier amour, fermeront ce musée poétique :

Hier, enfant, tu m’as dit d’une voix inquiète,
Souriant et boudant, te penchant dans mes bras :
Toi qui chantes pour tous, infidèle poète,
Sur nos jeunes amours ne chanteras-tu pas ?

Va rimer nos amours dans le silence et l’ombre.
Je te donne un pensum et te mets en prison.
Va chercher sur tes doigts la césure et le nombre,
Et reviens, m’apportant aux lèvres ma chanson…

… Il est des amours profondes, des tendresses
Qui forcent les amants à se parler tout bas,
Emplissant les baisers de leurs âpres ivresses :
Ces amours on les vit, ou ne les rime pas…

Écoute-les chanter sur ton front, sur tes lèvres,
Ils ont le rythme d’or des amoureux concerts.
Ils bavardent entre eux, contant leurs douces fièvres.
J’ai toujours des baisers, je n’aurai plus de vers.

Jugeant la prose plus moderne, bien que plus rude à la plume, il renonça à la poésie, et de 1862 à 1864 il consacra ses dimanches et ses soirées à écrire de courtes nouvelles qui parurent chez Lacroix, sous ce titre : Contes à Ninon. Paris, in-18 jésus, 3 francs. Ce volume contient : La Fée amoureuse ; Le Carnet de danses ; Le Sang ; Simplice ; Les Voleurs et l’Âne ; Sœur des pauvres ; Celle qui m’aime. Le Petit Journal et la Vie Parisienne acceptèrent de lui quelques articles et deux ou trois nouvelles, entre autres, La Vierge au cirage. Le Salut public, en 1865, publia quelques études littéraires et artistiques, réunies dans le volume : Mes Haines. La Confession de Claude, sur le chantier, depuis 1862, fut terminée en 1865, et imprimée chez Lacroix, la même année, in-18 jésus, 3 francs ; elle rapporta quelques droits à son auteur, ce que n’avaient pas fait les Contes à Ninon. Troublé pour des renseignements que le procureur impérial avait cru devoir prendre chez Hachette, en raison de quelques détails réalistes de sa Confession, et craignant que ses patrons, indisposés par ces taquineries policières, ne songeassent à le remercier, il les prévint, en novembre, de son départ, et les quitta le 31 décembre 1865.

En résumé, il doit à la maison Hachette de l’avoir tiré de la misère, de l’avoir initié aux habiletés du mécanisme de la publicité et d’avoir aidé, en le mettant en relation avec les journalistes et les éditeurs, au placement de ses livres et de ses articles. Il était peu connu, c’est vrai, mais il était connu, et les portes surtout lui étaient ouvertes. Il n’y a que ce premier pas qui coûte ; mais pour cent qui se présentent pour le faire et qui ensuite en feraient cent, combien le franchissent ! Que Zola qui l’a heureusement enlevé, grâce aux Hachette, ne nous dise pas, Roman expérimental, p. 354 : « L’écrivain qui apporte un monde accouche toujours de ce monde », car La Bruyère, qui s’y connaît autant que lui, lui répondra : « Il n’y a point au monde un si pénible métier que celui de se faire un grand nom ».

Sorti de chez Hachette, il se mit, recommandé par M. Bourdin, gendre de M. de Villemessant, en rapport avec ce dernier et lui proposa de publier dans son journal l’Evénement, des articles sous la rubrique : Livres d’aujourd’hui et de demain. Son premier article de début date du 2 février 1866 ; Villemessant fut tellement satisfait de cette bibliographie anecdotique qu’il n’hésita pas à lui confier le Salon. Zola adopta comme titre : Mon Salon, et consacra sa première étude aux membres du jury. L’émotion, pour ne pas dire l’indignation, ne fit que s’accentuer dès ce premier article, et dégénéra en scandale.

Le salonnier fustigea si impitoyablement toutes ces médiocrités de l’art gorgées de succès et crevant d’orgueil, et s’acharna, avec tant d’ardeur et de conviction, à mettre en relief le talent original de Manet, que Villemessant, effrayé de tant de bruit et de colère, pria l’auteur de terminer son Salon en deux articles. Julien Lemer donna ce Salon en brochure, presque introuvable aujourd’hui, et Mes Haines le reproduisirent à la fin du volume. Son Salon si brusquement fermé ne découragea pas Zola ; il fit admettre dans le même journal un roman : le Vœu d’une morte, mais il fut si mal accueilli par le public, qu’il l’arrêta à la fin de la première partie. Cette partie, seule parue, a été imprimée, in-18 jésus, par Achille Faure, en 1866. Des portraits littéraires, republiés dans Mes Haines : Ed. About, Taine, Prévost-Paradol, Flaubert, J. Janin, parurent dans l’Événement sous le titre : « Marbres et plâtres », avec la signature Simplice. Mais l’Événement fut supprimé et remplacé par le Figaro, qui donna encore quelques articles de fantaisie de lui, mais lui ferma presqu’aussitôt ses colonnes, fin 1866. Il ne devait y collaborer de nouveau que treize ans plus tard, après la mort de M. de Villemessant.

Parti du Figaro, commencement de 1867, Zola offrit sa plume à qui voulut bien l’accepter et la payer ; c’est ainsi qu’il fit un Salon à la Situation qui, terrifiée par ses jugements artistiques, s’empressa de les arrêter, et qu’il bâcla, pour le Messager de Provence, journal de Marseille, un grand roman en trois parties : Les Mystères de Marseille, réunies en trois brochures plus que rares. Le Corsaire, journal de M. Ed. Portalis, a reproduit ce feuilleton sous le titre : Un Duel social, par Agrippa.

Thérèse Raquin, inspirée par la Vénus de Gordes de A. Belot et de Ernest Daudet, fut publiée en feuilleton dans l’Artiste et payée 600 francs ; Lacroix la mit en vente, octobre 1867, en un volume in-18 jésus, 3 francs. Ulbach qui, sous le pseudonyme de Ferragus, donnait des appréciations littéraires dans le Figaro, l’ayant traitée de littérature putride, Zola fut autorisé à relever cette accusation et à défendre son œuvre qui bénéficia d’une seconde édition, en 1868. Le mot putride ayant aiguisé la curiosité et capté l’attention, le succès venait. On ne peut s’y tromper, ce n’est ni son talent, ni sa violente polémique, ni l’ensemble de son œuvre qui le signalent au public, c’est un mot, un mot grave, il est vrai, une accusation d’immoralité. Le succès est venu pour lui, comme pour Flaubert et beaucoup d’autres, par le scandale.

Madeleine Férat, tirée d’un drame en trois actes non joué, parut d’abord en feuilleton, dans un nouvel Événement dirigé par Bauer, sous le titre : la Honte, mais ne put aller jusqu’à la fin ; les abonnés protestèrent contre ses tendances naturalistes et la firent suspendre. Le volume fut, comme les précédents, publié et mis en vente par Lacroix, 1868, in-18 jésus, 3 francs ; une deuxième édition récompensa l’auteur de sa persistance à la turpitude littéraire.

Si, à ces articles et à ces volumes, publiés de 1859 à 1868, j’ajoute un article paru sur Germinie Lacerteux, dans le Salut Public de Lyon, en 1864, et une étude sur Balzac, dans le Rappel, en 1870, mon travail sur ses débuts littéraires sera, j’en ai la conviction, absolument complet et m’amènera, à fin 1868 et 1869, époque qu’il a consacrée à l’étude du Traité de l’hérédité naturelle du docteur Lucas et autres, pour constituer le plan généalogique de l’Histoire naturelle et sociale d’une famille sous le second Empire, autrement dit son arbre des Rougon-Macquart. Le premier roman de cette série qui, actuellement, en comprend vingt, fut offert, sous le nom : La Fortune des Rougon, au journal Le Siècle, qui en commença la publication en juin 1870, la suspendit pendant la guerre et ne la reprit qu’en 1871. Le volume fut imprimé chez Lacroix, fin 1871, in-18 jésus, 3 francs.

J’arrête à cette date, 1870, et à ce premier roman : La Fortune des Rougon-Macquart, première manifestation littéraire de ses prétentions au roman scientifique, ou plutôt roman expérimental, mon étude sur l’homme : on ne comprend bien ce qu’il est qu’en connaissant exactement ce qu’il a été : le présent s’éclaire du passé.

Incertain de sa voie littéraire, il cherche et tâtonne, allant des vers à la prose, du romantisme au réalisme, du roman au drame, de la polémique artistique à la critique littéraire, arrêté, presque toujours, au début de ses articles et au commencement de ses feuilletons, par la violence de ses attaques et la hardiesse de ses peintures sociales ; un hasard, enfin, un éreintement plutôt de Ulbach provoque l’attention sur son œuvre et le fait mieux vendre ; son sort est fixé, son genre est adopté. Il va donner à sa littérature, toujours attaquée et souvent flétrie, quand elle n’est que l’expression d’une galanterie au moins correcte, dans sa langue, un drapeau scientifique, et sous cet étalage pompeux de mots savants qui cachent ou une ignorance ou un abus de confiance de la vraie science, il fera passer la dépravation littéraire la plus monstrueuse. La science n’est, dans le cas naturaliste de Zola, que la complice forcée de son immoralité.

J’espère le démontrer dans l’Œuvre.