Émile Zola : l’homme & l’œuvre/Zola à l’Académie ou le candidat perpétuel, vers de M. Clovis Pierre

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ZOLA À L’ACADÉMIE
OU
LE CANDIDAT PERPÉTUEL



L’Académie
S’est endormie ;
De l’éveiller, j’ai plus d’une raison.
J’ai fait un rêve.
Ah ! qu’il s’achève,
Je me croyais déjà de la maison.

Oui, mes amis, moi je veux bien en être.
Pourquoi toujours vous adresser ailleurs ?
Pour l’Institut, le bon Dieu m’a fait naître,
Vous n’avez guère d’écrivains meilleurs.
Sous la coupole,
Sur ma parole,
Je ne viens pas à titre d’étranger ;
Bien qu’on en glose,
Je me propose,
Ne voulant pas imiter Béranger.
 
Recevez-moi, car je suis bon apôtre,
Et sans médire ici de mon prochain,
Sans me llatter, certes, j’en vaux un autre,
Que cela soit Chose, Un Tel ou Machin.
J’ai dans mon œuvre
Plus d’un chef-d’œuvre.

 
Je suis connu du monde à tous les bouts ;
J’ai du mérite
Et l’on m’édite,
Pour m’accueillir, pourquoi méditez-vous ?

J’ai dédaigné la cohorte ennemie,
Sachez-le bien, tous mes romans sont lus.
Ah ! ce n’est pas comme à l’Académie.
Hélas ! combien d’appelés, peu d’élus !
Mais patience,
J’ai l’espérance,
Car toute chose arrive dans son temps ;
À mes ouvrages,
Par vos suffrages,
Vous ouvrirez la porte à deux battants.

Du grand Balzac le renom se propage.
Je veux souffler sur cet astre qui luit…
Mais c’est en vain, cela me décourage,
Que je voudrais être aussi grand que lui !
Pauvre éphémère,
À sa lumière,
Je suis, hélas, comme le papillon
D’allure folle,
Qui vole, vole,
Et va s’abattre en un brûlant sillon.

J’ai quelquefois parlé de politique,
Causé beaux-arts, livres, et cœtera,
J’ai jugé plus d’une œuvre dramatique
Et je n’en suis pas plus fier pour cela.
Naturalisme
Et réalisme,
Comme écrivain, si je suis réputé,
Malgré mes haines,
J’ai des aubaines,
Car avant tout, je suis documenté.

J’aime l’argent… pour avoir des espèces,
Il faut profiter des événements ;

Quand je verrai tous mes romans en pièces,
Je taillerai mes pièces en romans.
Les sombres drames,
Les mélodrames,
Page d’amour et Thérèse Raquin.
Pour la musique
Patriotique,
Voici venir l’Attaque du Moulin.

Dans mon Salon, je cause à l’improviste,
Qui mieux que moi vous parle de Manet ?
Et si je ne suis pas sur votre liste,
Ce n’est pas la faute à l’abbé Mouret.
Pour vous déplaire,
Qu’ai-je pu faire ?
Est-ce Ninon, la Morte ou Rabourdin,
Claude à confesse,
Je le délaisse,
Et c’est encore moins Naïs Micoulin !

Je vous présente une pure merveille…
Un court récit : Madeleine Férat
Et mes fameux Mystères de Marseille,
Le capitaine Burle, qu’on lira.
Quelle salade,
J’en suis malade.
Il me faut un traitement radical
Pour ma souffrance,
Une ordonnance,
— Bien à propos vient le docteur Pascal.

Me souvenant que je fus un poète,
J’ai pu décrire en d’agrestes accents
Un beau pays dont je fis la Conquête,
Les prés fleuris, les côteaux de Plassans.
Bouton de rose,
Ma pièce en prose,
Fit peu d’honneur aux beaux Soirs de Médan.
Dans l’Art scénique,

Dame critique
Ne me verra triompher qu’en m’aidant.

Mieux que Vadé, moi j’ai décrit des Halles
Le mouvement, les disputes, les cris,
Les mots risqués, les rixes, les scandales,
Lisez plutôt le Ventre de Paris.
Quel tintamarre,
Quelle bagarre !
C’est un amas d’huîtres, de salaisons,
De victuailles,
Pour les ripailles ;
Légumes, fruits, fleurs des quatre saisons.

Eh ! oui, j’ai fait l’Assommoir et Pot-Bouille,
Messieurs, ce n’est déjà pas si banal ;
Livres écrits, dit-on, d’un style arsouille.
J’ai fait du Roman expérimental.
Enfin Renée,
Puis la Curée,
Une Campagne et les Rougon-Macquart,
La Bête humaine
Qui vous entraîne,
Pour revenir à son point de départ.

Chers Immortels, je n’en fais pas mystère,
N’ai-je pas eu des succès mérités ?
À mes lecteurs, j’ai montré dans la Terre
Le paysan sous ses mauvais côtés.
J’écris… Je bâcle…
C’est la Débâcle
C’est l’an terrible avec ses jours maudits ;
L’horrible guerre,
Puis la misère,
Enfin, c’est mil-huit-cent-soixante-dix.

À chaque instant je cherche, j’examine,
Je dois ici le noter en passant ;
Loti parla des héros de marine,
Avec Lantier, j’en ai fait tout autant,

Et ma Gervaise,
Sa Japonaise,
En choisissant un galant à leur goût
Ma fille blême,
Sa chrysanthème,
Font voir le Bonheur des Dames partout.
 
La bouche en cœur, la mine souriante,
Ayant pourtant un haut siège au Sénat,
Un candidat influent se présente,
Faisant la nique au père de Nana.
Quelle défaite !
Elle est complète,
Eh quoi ! me dis-je, on me reprend mon tour.
Par politique
Académique,
Vous l’accueillez… vous lui faites la cour.

Si Monsieur Berthelot, ce grand chimiste,
Peut démontrer le gaz exhilarant,
Moi j’ai créé un type réaliste
Qui, mieux que lui, fait du gaz détonant !!!
Le pétomane
Au doux organe,
Par ses beaux airs vous captive souvent,
Loin d’être un bouge,
Le Moulin-Rouge
Se transformait en un moulin à vent.

H. de Bornier, le bibliothécaire,
Sournoisement, quittant son Arsenal
Pour l’Institut, soudain partit en guerre,
Et fit sauter l’auteur de Germinal.
Et manche à manche,
Ô ma revanche…
Très crânement il endossa le frac.
Je dus me taire,
Je laissai faire,
Mais, par Pingard, c’est un coup de Jarnac !


Il ne faut pas montrer de fatalisme,
De bons conseils, on n’est jamais à jeun,
À l’Institut par ce temps d’anarchisme ;
Il ne fallait pas y fourrer Dangin !!!
La joie de vivre,
Dit plus d’un livre,
N’égale pas celle d’être Immortel ;
C’est ma toquade,
Et sans bravade,
Zola vaut bien Monsieur Tel ou Tel.

J’enrichirai votre Dictionnaire
De mots choisis…, j’en suis préoccupé.
Vous jugerez tous de mon savoir-faire,
Quand viendra la lettre qui suit le P.
Je suis linguiste,
Je suis puriste,
Comme Boileau, j’appelle un chat… un chat…
Perde à sa rime,
Un mot sublime,
Que notre Hugo dans son œuvre plaça.

Après Messieurs Brunetière et Lavisse,
De me nommer, prenez votre parti !
C’est à mon tour à rentrer dans la lice,
À l’Institut je serai bien loti.
Et si j’arrive
Sur votre rive,
Je me dirai : « Bonheur inattendu !
J’y suis, j’y reste. »
Et je l’atteste
Je saurai rattraper le temps perdu.

Pardonnez-moi si je vous importune,
Je ne dis pas : « Haro sur le baudet ! »
Car envers vous, je n’ai pas de rancune,
Je ne veux pas agir comme Daudet…
L’enfant terrible
Vous prit pour cible ;

Chers Immortels, calmez votre courroux.
Zola s’avance,
Plein de jactance,
Et bravement il parera les coups.

En admirant mes gestes, ma tournure,
Des ducs, des princes, en me voyant l’égal,
Chacun dira, contemplant ma figure :
« Oh ! mince alors, pour les yeux quel régal ! »
Comme Coppée,
Portant l’épée,
L’habit vert pomme,
Comme Prud’homme,
On chantera : « Qu’il est donc bien, Zola ! »

J’ai mon discours, Messieurs, je vous l’apporte,
Il est fort beau, d’un style étincelant,
Je ne veux pas le laisser à la porte,
Pan, pan, ouvrez ! je suis tout chancelant.
Je viens de Lourdes,
Non, plus de bourdes ;
Pour cette fois, faites-moi bon accueil.
Le temps me presse,
Las ! je m’affaisse,
Il est grand temps de m’offrir un fauteuil !


CLOVIS PIERRE.