Épître de l’abbé de Chaulieu à la duchesse Mazarin (Œuvres de Saint-Évremond)

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LXI. Épître de l’abbé de Chaulieu à la duchesse Mazarin, 1694.


ÉPITRE DE L’ABBÉ DE CHAULIEU À LA
DUCHESSE MAZARIN.
(1694.)

La divine Bouillon, cette adorable sœur,
Qui partage avec vous l’empire de Cythère,
Et qui sait comme vous, par cent moyens de plaire,
Séduire et l’esprit et le cœur ;
Malgré tout ce que j’ai pu faire,
Veut aujourd’hui que mes vers,
Au hasard de vous déplaire,
Aillent traverser les mers.
À cet insensé projet
Ma raison s’est opposée :
Je vais devenir l’objet,
Ai-je dit, de la risée
De cet homme si fameux,
De qui le goût seul décide
Du bon et du merveilleux ;
Et qui, plus galant qu’Ovide,
Est, comme lui, malheureux.
Ce Sage, qui se confie
Au seul secours du bon sens,
Et dont la philosophie
Bravant l’injure des ans,
Pour surprendre la vieillesse
Par de doux enchantements,
Y sait rejoindre sans cesse
Mille et mille amusements,
Et même les enjouements
De la plus vive jeunesse ;
Ce critique tant vanté,
Qui, pour sa délicatesse,
Des beaux esprits de la Grèce
Auroit été redouté,
Ne saura jamais, peut-être,
Que ces vers m’ont peu coûté.
Enfants de l’oisiveté,
L’amour seul les a fait naître,
Et, sans vous, la vanité
Leur défendroit de paroître.
Daignez donc, divine Hortense
Par un regard de ces yeux
Qui désarmeroient des Dieux
La colère et la vengeance,
Obtenir quelque indulgence,
Et d’un accueil gracieux
Payer mon obéissance.