Épaves (Prudhomme)/Sereine vengeance

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ÉpavesAlphonse Lemerre. (p. 32-33).


SEREINE VENGEANCE


Vous qui m’avez, dans l’âge où d’autres sont joyeux,
Fait assez de chagrin pour me rendre poète,
Vous par qui j’ai, dans l’âge où vivre est une fête,
Vu la vie à travers les larmes de mes yeux,

Je ne vous en veux plus : tout finit pour le mieux ;
Voilà que l’avenir à me venger s’apprête :
La fleur se fane au vol des jours que rien n’arrête,
La gloire éclôt et dure en d’immuables cieux !


Pour mon âme autrefois vous seule étiez le monde,
Mais j’ai plongé depuis dans l’Infini la sonde,
Et mon âme se mêle à l’immense univers ;

Et, tandis que les ans vous révèlent les peines,
Le temps, qui fonde un socle à la beauté des vers,
Balaiera votre forme avec les formes vaines.