Épaves (Prudhomme)/Pitié tardive

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ÉpavesAlphonse Lemerre. (p. 34-35).


PITIÉ TARDIVE


Il fallait être bonne au temps où je souffrais,
Quand j’étais plus crédule et que j’avais des larmes,
Lorsque j’obéissais comme un vaincu sans armes
Lié si follement par des serments si vrais !

Madame, en ce temps-là c’était vous que j’aimais,
J’ignorais le mensonge hallucinant des charmes.
Vous avez ébranlé mon cœur de tant d’alarmes
Que j’aurais le bonheur sans y croire jamais.


Un abîme éternel, infini, nous sépare.
Ah ! le baume tardif de vos lèvres s’égare :
Plus rien n’y peut fleurir qui n’ait un goût de fiel.

Adieu, laissez mon cœur dans sa tombe profonde,
Mais ne le plaignez pas, car, s’il est mort au monde,
Il a fait son suaire avec un pan du ciel.