Épaves (Prudhomme)/Désenchantement

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ÉpavesAlphonse Lemerre. (p. 23-25).


DÉSENCHANTEMENT


Elle fut Cérès en personne
Quand à ses blonds cheveux cendrés
Elle eut ce jour-là pour couronne
Donné les simples fleurs des prés.

En la voyant tordre la gerbe
Autour de son front droit et court
Et la fixer d’un nœud superbe
Sur sa nuque à son chignon lourd,


J’avais cru que le ciel antique
Veillait au salut de ses dieux,
Qu’une déesse de l’Attique
Ressuscitait devant mes yeux.

Mais elle a changé la coiffure
Où la nature épousait l’art :
Son élégance agreste et pure,
N’était-ce qu’un jeu du hasard ?

L’enchanteresse est toujours blonde,
Mais elle a tout à coup cessé
D’évoquer, avec l’ancien monde,
L’idéal dont je fus bercé.

Cette perfide évocatrice
M’a rajeuni, durant un jour,
De deux mille ans ! puis par caprice
Me vieillit d’autant sans retour…


Elle souffle comme une lampe
Le rêve qui m’a fasciné,
Et voici qu’à nouveau je rampe
Dans l’affreux siècle où je suis né.