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Épaves (Prudhomme)/Solitaire

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Pour les autres éditions de ce texte, voir Solitaire.

ÉpavesAlphonse Lemerre. (p. 100-101).


SOLITAIRE


Le froid savant poursuit la lueur qu’il devine,
Imperceptible, au bout d’un âpre et long sentier ;
Moi, je brûle de boire à sa source divine
La clarté dont le vrai se revêt tout entier.

Il me manque et la ruse et l’humble patience
Que la recherche humaine exige tour à tour ;
Pour accroître, rayon par rayon, la science,
Je suis trop dédaigneux d’un grêle demi-jour.


Il me faut la lumière éclatante et sans borne !
Le peu que j’ai tâté du dessous des couleurs,
Redoutable en dépit du beau voile qui l’orne,
Est dur, sourd à mes cris, et ne voit pas mes pleurs.

Sans un Dieu pas d’amour : les cités sont des pierres,
La terre est un cadavre et l’azur un linceul ;
Devant les astres d’or je baisse les paupières,
Ils n’ont pas de regard. J’erre affreusement seul.

Sans un père céleste, évidente chimère,
Que dispute mon cœur à ma raison sans foi,
Ô mes meilleurs amis ! ô ma sœur ! ô ma mère !
Je suis seul avec vous et n’attends rien de moi.


1862.