Épigrammes/Les Salons, où je ne vais plus

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Œuvres complètes - Tome IIIVaniervolume III (p. 253-260).

XVI


I


À Léon Deschamps.


Les salons, où je ne vais plus,
M’ont toujours fait, pétards, fusées,
Etrons de Suisse, soleils, flux
Et reflux de mises osées,

Traînes, pompons, rubans, volants,
(Las ! quoi ! pas de décolletage ?)
L’effet de feux mirobolants
D’artifice et d’art ! — avantage

Précieux, mais où les talents ?

II


Il y en a beaucoup, je crois
Mais je préfère les Musées,
Calmes et frais Champs-Elysées,
À ces foires de choix du Choix.

Le Génie enfin reconnu,
— Posthumement, il faut le dire
Mais c’est la mode et j’en soupire, —
Du moins ici se montre à nu,

Qui me console, quant à moi,
D’admirer moins fort les modernes,
Ganache parmi les badernes
Qui m’en tiens à la vieille foi

Du Soleil contre les lanternes.

III


Michel-Ange, Germain Pilon, Puget, Pigalle,
Toile ma statuaire, et rira qui voudra :
En eux j’aime la Force et l’Effort qui l’égale.
Tout en goûtant ailleurs la Grâce, et cætera.

En eux avec la Vie intense, aussi, j’adore
Peut-être mieux, de vrai ! ce précis Incertain,
Et c’est pourquoi de tous nos modernes encore
Je préfère, robuste et mystique, Rodin.

IV


La Haye.


Une vache accroupie, un taureau qui se dresse,
Des brebis toutes laine, un berger tout paresse,
Un paysage plat, comme inutile, au fond.
Le taureau, seul, vit, mais comme il vit ! Que lui font
Les bêtes et les gens ? N’a-t-il pas sa femelle ?
Il est fort triplement, et sa corne Jumelle
Corrobore un élan qu’il fait mortel s’il faut.
Or, sachant, les combats, le prix que cela vaut,
Des plus paisiblement il s’étire, il aspire
L’air pur où s’alimente et s’assure son ire.

V


Mons.


 
Je revois, quasiment triomphal,
La ville où m’attendaient ces mois d’ombres
Mon malheur était lors sans rival,
Mes soupirs, qui put compter leur nombre ?
Je revois, quasiment triomphal,
Ces murs qu’on avait cru d’oubli sombre.

Le train passe, blanc panache en l’air,
Devant la rougeâtre architecture
Où je vécus deux fois en hiver
Et tout un été… sans aventure.
Le train passe, blanc panache en l’air,
Avec moi me carrant en voiture.

Sans aventure, ah ! oui, ces hivers
Et cet été ! D’aventure, aucune !
Moi qui les aime à titres divers,

En plein scandale ou bien sous la lune.
Sans aventure, ah ! oui, ces hivers
Et cet été ! La morte infortune !

— Ingrat cœur humain ! mais souviens-toi,
Gentleman improvisé qui files.
Mais souviens-toi donc : ici la Foi
T’investit, loin du péché des villes.
Ingrat cœur humain ! mais souviens-toi
Qu’ici la Foi but tes larmes viles.

Le train passe et les temps sont passés,
Mais je n’ai pas oublié la bonne,
La grande aventure, et je le sais
Que Dieu m’a béni plus que personne.
Le train passe et les temps sont passés.
Mais l’heure de grâce reste et sonne.

VI


Amsterdam.


Cette Ronde de nuit qui du reste est de jour,
De quel jour de mystère avec quelle ombre autour ?
Crépuscule du soir ou du matin, qu’importe
À l’œil charmé du bon ou bien du mauvais tour —
Un tas d’hommes armés sort d’une vague porte
Dans un dessein terrible ou quelque but farceur.
Ce vieux batteur de caisse évoque un franc suceur.
Là-bas tel imprudent agace une arquebuse.
Un fier porte-drapeau derrière lui s’amuse
À brandir du satin jaune et noir sur le ciel.
Et l’enfant-aux-poissons (comme dans Raphaël,
Mais flamande déjà plus que toute une Flandre)
S’effraie et rit, tandis que, las un peu d’attendre,
Les chefs, soie et bijoux, le premier long et sec,
L’autre court et ventru, délibèrent avec
L’air de seigneurs qui n’ont plus grand’chose à se dire.
On s’égaie, on s’étonne, on frissonne, on admire.

VII

nascita de venere
(Botticelli)


Vénus, debout sur le plus beau des coquillages,
Aborde, nue, au moins sauvage des rivages,
Ne cachant de son corps avec ses longs cheveux
Que juste ce qu’il faut pour qu’y dardent nos vœux.
Une nymphe, éployant un clair manteau, s’empresse
À vêtir en impératrice la déesse ;
Et deux Vents accourus, beaux éphèbes ailés,
Des cuisses et des bras l’un à l’autre mêlés,
De qui l’un est Zéphyre et dont l’autre est Borée,
Soufflent l’amour divin et la haine sacrée.
Le visage est suavement indifférent,
Comme attendant le culte à venir que lui rend
Toute herbe et toute chair depuis cette naissance,
Et se pare d’une inquiétante innocence.