Épisodes, Sites et Sonnets/Ariane

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Épisodes, Sites et SonnetsLéon Vanier (p. 37-41).

ARIANE

Aux grèves de soleil où s’effacent les pas
Comme la vanité de notre ombre éphémère
Se sont moulés les seins aigus de la Chimère
Qui dormit sur le sable en quelque midi las,

La mer bourdonne sourde, à dire des abeilles
Ivres de l’or des algues rousses, et l’éclat
Du ciel de pourpre où le sang d’un soir ruissela
Évoque d’autres soirs aux vendanges de treilles ;

L’ombre mystérieuse a redit aux échos
Les tambourins rythmant les rites triomphaux
Du Dieu qui porte un thyrse où se tordent des vignes

Et, dans le ciel d’été, pâle Ariane, luit
Parmi la foule des étoiles et des signes,
Ta couronne apparue un astre dans la Nuit.

ARIANE

La proue impétueuse à l’horizon des mers
N’a pas fendu les flots dont l’écume est la flore
Éclose aux renouveaux de leurs éveils amers.

Le conquérant venu des pays de l’Aurore
N’a pas quitté la rive natale où grandit
L’héroïque rumeur de son renom sonore

Et sur la proue aventureuse où se roidit
De révolte le buste nu de la Sirène,
Le bouclier n’a pas encore resplendi


Qui porte en sa rondeur rousse de lune pleine
L’image incise en l’or d’un Bacchus triomphant
Sur le char attelé d’un tigre qui le traîne,

Ce dieu viril, aux yeux de femme, aux chairs d’enfant,
Qui secoue en ses mains, hochet de son délire,
Un thyrse lourd de pampre où le raisin mûr pend,

Blond vainqueur dont le cri de guerre n’est qu’un rire
Et qui détourne au soir sa route sur les flots
Vers l’Île rencontrée où la plainte l’attire

De la voix qui sanglote aux grèves de Naxos.


Les ailes d’un oiseau de mer qui vole et plane
Font choir une ombre double aux plages de soleil
Où mon ennui s’accoude en poses d’Ariane.


De l’aurore à midi, sidéral et vermeil,
Jusqu’au soir violet où s’allume l’étoile
De chaque nuit plus douloureuse à son réveil,

Au creux des sables fins comme un linceul de toile
S’est moulé mon ennui las de l’attente où rit
Un mensonge d’oiseaux longtemps crus une voile,

Et d’éternels avrils d’écumes ont fleuri
Sur les glauques sillons des vagues éternelles,
Prés que le soc d’aucune proue encor n’ouvrit ;

Et las de cette mer et du leurre des ailes
Aux horizons lointains et nus des ciels d’azur,
Et du déferlement des lames parallèles

Dont le flux de marée efface et comble sur
La grève mon empreinte vide, je ramasse
Une conque en spirales torses d’émail dur

Où je souffle un appel à quelque dieu qui passe.