Épisodes, Sites et Sonnets/La Vaine Vendange

La bibliothèque libre.

Épisodes, Sites et SonnetsLéon Vanier (p. 67-70).

LA VAINE VENDANGE

Ils ont filé la laine blanche à vos genoux,
Indolents et charmés de leur tâche d’esclave,
Et sous vos yeux railleurs dont le défi les brave
Ils ont courbé la tête et se sont faits plus doux ;

Leurs armures gisaient dans l’herbe haute, et Vous,
Comme par jeu, d’un rire ironique et suave,
Fîtes sonner l’écho de la trompette cave,
Et le casque essayé couvrit vos cheveux roux ;

Et les Héros, riant de cette espièglerie,
Ignorent que leur chair imprudente et meurtrie
Doit saigner aux sabots de leurs chevaux cabrés,

Que d’une main tirant vos glaives de Tueuses
De l’autre, pour les éblouir, vous dénouerez
L’or épars de vos chevelures somptueuses.

LA VAINE VENDANGE

Un sang miraculeux saigne dans les calices
D’où déborde en caillots la pourpre des rubis,
Et voici s’allumer aux soirs des sacrifices
Les cierges, blancs comme la toison des brebis !

Du trésor opulent des laines de la tonte
Nous avons façonné par le soin de nos mains
Des ceintures d’opprobre et des robes de honte
Que nos Épouses traînèrent par les chemins ;

Leurs lèvres où s’ouvrait la rose des sourires
Ont fleuri leurs parfums pour d’autres que pour nous,
Et les doigts enhardis et velus des Satyres
Ont manié le poids de leurs cheveux d’or roux,


Chevelures blondes et fauves d’auréole
Où nous voulions l’éclat des étranges joyaux,
Trophée étrange et prix d’une gloire frivole
Qui chargent le retour opime des Héros !…

L’Île où nous a menés le vol dompté des Cygnes
Traînant la conque d’or sur des mers de saphyr,
Vers la maturité des vergers et des vignes
Sur qui de grands couchants d’Automne vont mourir,

Le jus des fruits sacrés et le pur vin des grappes
Dont s’exalte une ivresse aux cerveaux avinés
Ont trompé notre soif au soir de nos étapes
Que brûlèrent les feux des soleils déclinés,

Vendange de la Gloire insipide et cruelle
Du sang saigne au calice et déborde, rubis !
Et dans le soir la flamme pâle s’échevèle
Des cierges, blancs comme la laine des brebis.