Épitre du duc de Nevers, au duc de Vendôme, demeuré malade à la Charité-sur-Loire

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Épitre du duc de Nevers, au duc de Vendôme, demeuré malade à la Charité-sur-Loire
Œuvres de ChaulieuPissotTome 1 (p. 55-58).


ÉPITRE DU DUC DE NEVERS[1], AU DUC DE VENDÔME


Demeuré malade de la petite vérole à la Charite-
sur-Loire, lorsqu’il alloit prendre possession
de son Gouvernement de Provence, en 1680.


      Votre Altesse Sérénissime
      

Me recevroit en Hermotime[2],
      Si, comme lui, je pouvois au dehors
      Développer mon ame de mon corps,
      Et l’envoyer errante & vagabonde
      Se promener par tous les coins du monde.
            Vous l’auriez vue, en vérité,
            Apparoître à la Charité,
En parure d’esprit, en aimable fantôme,
Pour égayer les sens du malade Vendôme,
            Et lui rendre dans les besoins
            Mille devoirs & mille soins.
Mais l’ame[3] dans le corps est trop embarrassée,
Et ne peut par son hôte être ainsi délaissée,
            À moins que le fatal ciseau,


Sans retour ne l’envoie en la nuit du tombeau ;
Mais treve de ce mot qui fait peur aux malades :
            Parlons de jeux, de mascarades,
De fêtes, de tournois, de bals & de balets,
            De gais festins, d’Amours folets.
Ici l’on vous attend avec impatience,
Plus sain, plus vigoureux, plus fringant que jamais,
Chargé des riches dons de la belle Provence ;
En état de goûter un sort tout plein d’attraits,
De choisir les plaisirs dans l’aise & l’abondance,
            Et de courir à tout moment
De divertissement en divertissement :
            Le jeu, la chasse & la musique,
Le repas clandestin, le repas Mosaïque,
L’Amour même en sera, si ses transports pressans
Font jouer à la fin vos ressorts impuissans.
      En[4] attendant l’effet de cet augure,
Et que votre air charmant, votre blonde figure,
            Vous redonne un plaisir parfait,


Ne songez qu’à vous faire une santé qui dure ;
      Dorlotez-vous sur le tendre duvet,
Du profond Rabelais écoutant la lecture
            Qu’explique[5] à votre chevet
Épicure Chapelle, & Chapelle Épicure.

  1. S. Marc a fait ici une Note que nous avons cru devoir rapporter.

    M. le Duc de Vendôme, avant que de revenir à la Cour, après sa petite vérole, alla passer l’hyver à Anet, où le Duc de Nevers lui écrivit plusieurs Épitres ou Lettres en Vers, au nom d’un Provincial de ses amis, nommé Moriez. C’est lui qu’il appelle le Baron de l’Arsée. Chapelle & l’Abbé de Chaulieu qui tenoient compagnie à M. de Vendôme, firent pour lui différentes réponses qu’on lira ci-après. S. Marc. Le changement fait par notre Auteur à l’endroit où est nommé le Baron de l’Arsée, auroit pu donner le change au Lecteur. En effet, il ne reste rien dans l’Épitre telle que nous l’imprimons, qui dénote que le Duc de Nevers écrivoit sous le nom d’un autre.

  2. Magicien, à qui les Habitans de Clazomene rendirent des honneurs divins.
  3. Ces Vers corrigés par Chaulieu, étoient ainsi dans l’original.

    Mais l’ame dans le corps est trop embarrassée
                 Chez le Baron de l’Arsée ;
    Et n’en sauroit sortir que le fatal ciseau
    Sans retour, &c.

  4. Entre ce Vers & le précédent, il y en avoit cinq que Chaulieu a retranchés.

    Peut-être dérouillés & changeant de nature,
    Leur vertu productrice en votre sang s’épure ;
    Et, coulant dans vos nerfs avec activité,
    Vous rendra quatre-vingt à la postérité,
                Tel qu’un autre Scilure.
  5. Ce verbe est au pluriel dans S. Marc, & alors le Vers est de quatre pieds.