Épitres rustiques/11

La bibliothèque libre.
Michel Lévy frères, éditeurs (2p. 333-335).

XI

AU CHASSEUR GUILLAUME

— 186Ô —

Jeune homme aux courts sommeils, ennemi de la chambre,
Qui jamais sur ton lit n’attends l’aube en septembre,
Et par ton escalier descends à petit bruit,
De peur de réveiller ceux qui dorment la nuit,
Je voudrais aujourd’hui, te guettant au passage,
Improviser pour toi quelques vers en hommage :
Car, moi, je suis de ceux qui, légers à l’essor,
Se lèvent comme toi quand tout sommeille encor,
Et, battant en esprit la campagne et l’espace,
Poursuivent l’idéal, rapide oiseau qui passe.

Oui, je t’aime, ô chasseur, qui, d’un instinct viril,
Ne te plais qu’à des jeux qu’ennoblit le péril !
Toi qui, sur les coteaux, dans l’air et la lumière
Cherchant moins le butin qu’une liberté fière,
Marches près des buissons sans y causer un deuil ;
Toi qui laisses chanter la grive et le bouvreuil,
Et, pour tous les petits, cœur touché de tendresse,
Gardes à leurs tyrans ta balle vengeresse,
Je t’honore, et voudrais, d’un vers reconnaissant,
Applaudir ce matin à ton exploit récent.

Un aigle dans nos cieux, connu pour ses rapines,
Régnait : les vallons creux, les sillons, les ravines,
Tout lui payait tribut. Despote au bec d’airain,
Il mêlait de terreur l’azur le plus serein.
Quand il errait là-haut, au roulis de ses ailes,
Les nids s’avertissaient entre eux : les hirondelles
Cherchaient l’abri des murs ; le doux chantre des bois,
Tremblant, s’y blottissait et demeurait sans voix ;
Et l’agneau dans les près, et le lièvre en son gîte,
Pressentaient le tyran qui sur eux fond si vite.
Lui, dans l’effroi commun, tranquille, se berçant,
Sur la proie à saisir dardait un œil perçant,
Plongeait, et, de retour entre les hautes cimes,

S’y repaissait longtemps de la chair des victimes.

C’en est fait : nos vallons, par toi libres enfin,
N’auront plus à payer une dîme à sa faim.
Un bras a réprimé toute cette épouvante,
Et ce bras est le tien, jeune homme, et je t’en vante.

D’autres, le cœur ému d’une vaine pitié,
Regretteront peut-être un géant foudroyé ;
Diront qu’il était beau quand, d’une aile tendue,
Il allait mesurant en trois coups l’étendue ;
Quand, sublime, d’un vol circulaire et lointain,
On le voyait planer dans un ciel du matin ;
Ils diront que la force a partout son prestige,
Et qu’un oiseau qui monte au soleil sans vertige,
Et qui porte la foudre et qui sait l’affronter,
Tenait du ciel un droit qu’il fallait respecter.
Moi, je dis, insensible à ce droit dérisoire,
Que cet aigle n’était qu’un bandit dans sa gloire ;
Et qu’il vaut mieux le voir, chez toi, sur un bâton,
Fantôme rembourré de paille et de coton,
Laisser à l’avenir, sur nos toits verts de mousses,
Les petits passereaux chanter de leurs voix douces !