Épreuve par le poison

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ÉPREUVE PAR LE POISON, EN AFRIQUE.

Nous avons lu ce qui suit dans un fragment communiqué par Lander, le fidèle domestique de Klapperton.

« J’étais un matin à déjeuner avec de l’huile de palmier et du maïs rôti, lorsqu’un envoyé du roi nègre entra brusquement et me donna l’ordre de me trouver à midi dans la cabane du fétiche pour être interrogé par les prêtres sur une accusation portée contre moi. Je connaissais parfaitement la manière dont ces sortes d’affaires se conduisent dans le pays ; aussi ma première, ma seule réflexion, fut celle-ci : faut-il mourir aussi jeune et après avoir surmonté tant de périls ? Faut-il que mon corps devienne la proie des bêtes féroces ? Cependant j’employai le peu de temps qui me restait à me préparer à la mort, et quand le moment fut venu, je me rendis avec beaucoup de calme à la cabane du fétiche. La nouvelle du jugement d’un blanc s’était répandue aux environs, et tous les habitans, armés de pieux, de lances, d’arcs et de flèches, me servaient de cortége. Je trouvai dans la hutte une troupe de prêtres assis et formant un cercle au milieu duquel on me fit placer. Un d’eux se leva et me dit avec beaucoup d’emphase et de gravité, en me présentant une coupe qui contenait une liqueur transparente et limpide comme l’eau : « Tu es accusé de former des projets contre le roi et son gouvernement, et en conséquence tu vas avaler le breuvage contenu dans ce vase. Si tu es coupable, il te donnera la mort ; dans le cas contraire, il ne te fera aucun mal ; car nos dieux ne commettent pas d’injustice. » D’une main tremblante, je saisis la coupe, en jetant un coup d’œil sur mes juges. Ils étaient impassibles et sérieux ; un silence de mort m’environnait. Dans l’impossibilité de tromper ces nombreux regards fixés sur moi, j’élevai une courte prière au Dieu des chrétiens, j’avalai le terrible breuvage, et je laissai tomber la coupe vide à mes pieds. Un murmure sourd et prolongé se fit entendre parmi la foule qui s’attendait à me voir expirer à l’instant, et qui s’ouvrit pour me laisser sortir en s’apercevant que je n’éprouvais aucun symptôme de mort prochaine. Rentré chez moi, je me hâtai de prendre un puissant vomitif, et j’eus le bonheur d’expectorer le poison en totalité. Mes esclaves me racontèrent qu’on le composait avec l’écorce d’un arbre très-abondant dans le pays, et que j’étais le premier individu qu’on se souvînt d’avoir vu échapper à ses funestes effets. Il avait une saveur amère, mais je n’éprouvai du reste que quelques vertiges qui se dissipèrent complétement deux ou trois heures après l’épreuve. »

Lander.