Équation de la production
Quelque compliqué que soit un ordre de phénomènes, et l’ordre des phénomènes économiques l’est assurément à un haut degré, il y a toujours moyen de l’étudier scientifiquement à la condition d’observer la règle qui prescrit d’aller du simple au composé. J’ai traité dans un premier mémoire de l’échange de deux marchandises entre elles en nature, et dans un second mémoire de l’échange de plusieurs marchandises entre elles avec intervention de numéraire. Ce faisant, j’ai laissé de côté, comme je l’avais annoncé, cette circonstance que ces marchandises sont des produits résultant de l’association de services producteurs tels que des terres, des hommes et des capitaux. Le moment est venu de faire intervenir cette circonstance essentielle et de poser, après le problème de la détermination mathématique du prix des produits, celui de la détermination mathématique du prix des services producteurs. La résolution du premier problème et des équations de l’échange nous a conduits à la formule scientifique de la Loi de l’offre et de la demande. La résolution du second et des équations de la production nous conduira à la formule scientifique de la Loi des frais de production ou du prix de revient. Ainsi j’aurai retrouvé les deux grandes lois de l’économie politique ; seulement, au lieu de les mettre en concurrence et en contradiction l’une avec l’autre en vue de la détermination des prix, je leur aurai fait leur part à chacune en fondant sur la première la détermination des prix des produits et sur la seconde la détermination des prix des services producteurs. Il est certain, comme les économistes l’ont reconnu, et comme, on voudra bien le croire, cela ne m’a pas échappé non plus complètement à moi-même, qu’à un certain état normal et idéal, le prix de vente des marchandises est égal à leur prix de revient. À cet état, qui est l’état d’équilibre de l’échange et de la production, une bouteille de vin qui se vend 5 fr. a coûté à produire 2 fr. de fermages, 2 fr. de salaires et 1 fr. d’intérêts. Reste à savoir si c’est parce qu’on a payé 2 fr. de fermages, 92. fr. de salaires et 1 fr. d’intérêts que cette bouteille de vin se vend 5 fr., ou si ce ne serait pas plutôt parce que cette bouteille de vin se vend 5 fr. qu’on paie 2 fr. de fermages, 2 fr. de salaires et 1 fr. d’intérêts. Reste à savoir, en un mot, si c’est, comme on le dit, le prix des services producteurs qui détermine le prix des produits, ou si ce ne serait pas plutôt le prix des produits, déterminé, comme nous l’avons vu, en vertu de la loi de l’offre et de la demande, qui détermine le prix des services producteurs en vertu de la loi des frais de production ou du prix de revient. C’est ce que nous allons examiner.
Les services producteurs sont au nombre de trois. Lorsqu’ils en font l’énumération, les auteurs disent le plus souvent : la terre, le travail et le capital. Mais ces énonciations ne sont pas assez rigoureuses pour servir de base à des déductions rationnelles. Le travail est le service des facultés personnelles ou des personnes ; il faut donc ranger à côté de lui non la terre et le capital, mais le service des terres sous le nom de rente et le service des capitaux sous le nom de profit. Comme je prends ces termes dans une acception non pas précisément autre, mais un peu plus limitée qu’on ne le fait d’ordinaire, je dois insister. J’appelle, comme le fait mon père dans sa Théorie de la richesse sociale, capital en général toute espèce de la richesse sociale qui ne se consomme point ou qui ne se consomme qu’à la longue, toute utilité limitée en quantité qui survit au premier usage qu’on en fait, en un mot qui sert plus d’une fois : une maison, un meuble ; et j’appelle revenu toute espèce de la richesse sociale qui se consomme immédiatement, toute chose rare qui ne subsiste plus après le premier service qu’elle rend, bref, qui ne sert qu’une fois : du pain, de la viande. Les matières premières de l’agriculture et de l’industrie : semences, matières textiles, etc., sont, en tant que matières premières, des revenus et non des capitaux ; au contraire, les bâtiments, les machines sont des capitaux et non des revenus. J’ajoute que si certaines espèces de la richesse sociale sont naturellement des capitaux, et certaines autres naturellement des revenus, il y en a aussi, en grand nombre, qui sont ou des capitaux ou des revenus selon l’usage auquel on les emploie ou le service qu’on leur demande. Tels sont les animaux, qui sont des capitaux lorsqu’ils travaillent ou qu’ils donnent du lait ou des œufs et qui sont des revenus lorsqu’on les tue pour s’en nourrir. Toujours est-il que, soit par nature, soit par destination, toute utilité limitée en quantité, toute chose rare, ou sert plus d’une fois ou ne sert qu’une fois, et qu’elle est, en conséquence, ou un capital ou un revenu. Les terres, les personnes et les capitaux proprement dits sont des capitaux ; le service des terres ou la rente, le service des personnes ou le travail, le service des capitaux proprement dits ou le profit sont des revenus. Il faut donc, pour être exact et précis, reconnaître, comme services producteurs, trois sortes de capitaux et de revenus, les capitaux et revenus fonciers, personnels et mobiliers : les terres et la rente, les personnes et le travail, les capitaux proprement dits et le profit. Ainsi rectifiées, les dénominations courantes peuvent être admises. Elles sont alors fondées sur la nature des choses. Les terres sont des capitaux impérissables ; les facultés personnelles sont des capitaux intransmissibles ; les capitaux proprement dits sont des capitaux artificiels ; et ces caractères ont une importance économique, qui non-seulement explique, mais justifie la distinction. Ainsi, la circonstance que les terres ne se consomment ni ne se détruisent fait que le prix de leur revenu ne comprend pas de prime d’amortissement ni de prime d’assurance. Celle que les capitaux proprement dits sont des produits de l’industrie fait que leur prix de vente concorde avec leur prix de revient, etc.
Cela dit, nous avons à rechercher pourquoi et comment il se fait, dans une société économique soumise au régime de la libre concurrence, qu’il y a pour le service des terres ou pour la rente, pour le service des facultés personnelles ou pour le travail, pour le service des capitaux proprement dits ou pour le profit, des prix courants qui sont des quantités mathématiques ; nous avons à proprement parler à formuler le système d’équations dont les fermages, les salaires et les intérêts sont les racines. L’importance de cette étude n’apparaît-elle pas suffisamment si l’on songe qu’en économie politique il y a actuellement cinq ou six théories de la rente, ce qui revient exactement à dire qu’il n’y pas de théorie de la rente, pas plus qu’il n’y a, du reste, de théorie du salaire ou de théorie de
l’intérêt ?
II
Mécanisme de la production.
De même qu’en abordant le problème de la détermination mathématique du prix des produits, nous avons dû définir avec précision le mécanisme de la libre concurrence en matière d’échange, de même, en abordant le problème de la détermination mathématique du prix des services producteurs, il nous faut interroger soigneusement les faits et l’expérience pour leur demander la notion exacte du mécanisme de la libre concurrence en matière de production. Or si, pour les besoins de cette analyse, nous supposons arrêté pour un instant le fonctionnement de la production économique dans un pays donné, nous pouvons classer sous les 13 chefs ci-après les capitaux et revenus composant, dans ce pays, l’ensemble de la richesse sociale.
Nous avons, en fait de capitaux, les suivants :
1o, 2o et 3o Capitaux fonciers, personnels et mobiliers productifs d’un revenu directement consommé soit par les détenteurs des capitaux eux-mêmes, soit par les acquéreurs de ce revenu, soit par les individus, soit par la communauté ou l’État. Ainsi : parcs et jardins, sol supportant des maisons d’habitation, rues, routes, places ; gens oisifs, domestiques ; maisons d’habitation, meubles, vêtements.
4o, 5o et 6o Capitaux fonciers, personnels et mobiliers productifs d’un revenu à transformer en produits par l’agriculture, l’industrie ou le commerce. Ainsi : terres de rapport, sol supportant des bâtiments d’exploitation, des usines, des magasins ; travailleurs salariés ; bâtiments d’exploitation, usines, magasins, machines, instruments, outils.
7o Capitaux mobiliers neufs momentanément improductifs de revenu, en vente chez les producteurs à titre de produits.
Nous avons, en fait de revenus, les suivants :
8o Approvisionnement de revenus consistant en objets de consommation chez les consommateurs. Ainsi : pain, viande, vin, bois à brûler.
9o Approvisionnement de revenus consistant en matières premières chez les producteurs. Ainsi : engrais, semences, métaux, bois a ouvrer, textiles, tissus à confectionner.
10o Revenus neufs consistant en objets de consommation et matières premières en vente chez les producteurs à titre de produits.
Nous avons enfin pour la monnaie :
11o, 12o et 13o Monnaie de circulation chez les consommateurs, de circulation chez les producteurs, d’épargne.
Nous avons supposé le fonctionnement de la production économique arrêté pour un instant. Supposons-le remis en marche.
Parmi les articles classés sous les 6 premiers chefs, les terres, qui sont impérissables, ne se consommeront ni ne se détruiront ; les hommes mourront et naîtront par le mouvement de la population, en dehors du mouvement de la production agricole, industrielle et commerciale ; les capitaux proprement dits, qui sont consommables à la longue et destructibles par accident, s’useront ou disparaîtront, mais seront remplacés par des capitaux proprement dits neufs classés sous le 7e chef. Ainsi, la quantité de ces derniers diminuera par ce fait, mais sera rétablie par la production. On pourrait, à la rigueur, pour simplifier les données du problème, et sauf a y revenir plus tard, faire abstraction de ce 7e chef en supposant que les capitaux mobiliers neufs passent aussitôt produits sous les 3e et 6e chefs.
Les articles classés sous les 8e et 9e chefs, objets de consommation et matières premières, qui sont des revenus immédiatement consommables, seront consommés, mais seront remplacés par des revenus neufs classés sous le 10e chef. Ainsi la quantité de ces derniers diminuera aussi par ce fait, mais sera rétablie par la production. On pourrait encore faire abstraction de ce 10e chef, en supposant que les revenus neufs passent aussitôt produits sous les 8e et 9e chefs. On pourrait même faire abstraction de ces 8e et 9e chefs eux-mêmes, en supposant que les objets de consommation et les matières premières sont consommés aussitôt que produits, sans approvisionnement préalable.
La monnaie interviendra dans les échanges. À chaque instant, une partie de la monnaie de circulation sera absorbée par l’épargne, et une partie de la monnaie d’épargne sera rejetée dans la circulation par le crédit. Si l’on fait abstraction du fait de l’épargne, on peut faire abstraction de la monnaie d’épargne. Nous verrons tout à l’heure qu’on peut faire également abstraction de la monnaie de circulation.
En résumé, il se consomme des capitaux proprement dits à la longue et des objets de consommation et matières premières immédiatement, les uns et les autres reproduits tout aussitôt par l’association des capitaux fonciers, personnels et mobiliers classés sous les 4e, 5e et 6e chefs. C’est cette association qui demande à présent à être bien définie ; mais la distinction du capital et du revenu, donnée dans le paragraphe précédent, et qui nous a déjà permis de classer les éléments de la production, va nous permettre, en outre, d’en résumer le mécanisme. En effet, le revenu, par cela seul qu’il ne subsiste plus après le premier service qu’il rend, ne peut que se vendre ou se donner. Le capital, au contraire, par cela seul qu’il survit au premier usage qu’on en fait, peut se louer soit à titre onéreux, soit à titre gratuit. Et qu’est-ce que la location du capital ? C’est l’aliénation du revenu de ce capital. Eh bien, c’est par la location à titre onéreux que les capitaux fonciers, personnels et mobiliers classés sous les 4e, 5e et 6e chefs s’associent pour produire.
Appelons propriétaire foncier le détenteur des terres quel qu’il soit, travailleur le détenteur des facultés personnelles, capitaliste le détenteur des capitaux proprement dits. Et maintenant, appelons entrepreneur un quatrième personnage, entièrement distinct des précédents, et dont le rôle propre est de prendre à bail la terre du propriétaire foncier, les facultés personnelles du travailleur et le capital du capitaliste, et d’associer, dans l'agriculture, l’industrie ou le commerce, les trois services producteurs. Il est bien certain que, dans la réalité des choses, un même individu peut cumuler deux ou trois des rôles ci-dessus définis, ou même les cumuler tous les quatre ; mais il l’est aussi qu’il remplit alors deux, trois ou quatre rôles distincts. Au point de vue scientifique, nous devons donc distinguer ces rôles et éviter l’erreur soit des économistes anglais qui confondent l'entrepreneur et le capitaliste, soit celle d’un certain nombre d’économistes français qui font de l'entrepreneur un travailleur en le considérant comme spécialement chargé du travail de la direction de l’entreprise.
Comme conséquence de cette première conception du rôle de l’entrepreneur, il nous faut concevoir deux marchés distincts. L’un est le marché des services producteurs : la se rencontrent les propriétaires fonciers, travailleurs et capitalistes comme vendeurs et les entrepreneurs comme acheteurs de services producteurs, c’est-à-dire de rente, de travail et de profit. Ces services producteurs s’échangent suivant le mécanisme de la libre concurrence ; ils se paient en monnaie. Le prix de la rente s’appelle fermage ; le prix du travail, salaire ; le prix du profit, intérêt. L’autre marché est le marché des produits : là se rencontrent les entrepreneurs comme vendeurs et les propriétaires fonciers, travailleurs et capitalistes comme acheteurs de produits. Ces produits s’échangent, eux aussi, suivant le mécanisme de la libre concurrence ; ils se paient, eux aussi, en monnaie.
L’état d’équilibre de la production, contenant implicitement l’état d’équilibre de l’échange, est à présent facile à définir. C’est celui où l’offre et la demande effectives des services producteurs sont égales sur le marché de ces services, ou l’offre et la demande effectives des produits sont égales sur le marché des produits, et où enfin le prix de vente des produits est égal à leur prix de revient en services producteurs. Cet état est un état idéal et non réel ; mais c’est l’état normal en ce sens que c’est celui vers lequel les choses tendent d’elles-mêmes sous le régime de la libre concurrence appliqué à la production comme à l’échange. Sous ce régime, en effet, si, dans certaines entreprises, le prix de vente des produits est supérieur à leur prix de revient en services producteurs, ce qui constitue un bénéfice, les entrepreneurs affluent ou développent leur production, ce qui augmente la quantité des produits, en fait baisser le prix, et réduit l’écart ; et si, dans certaines entreprises, le prix de revient des produits en services producteurs est supérieur à leur prix de vente, ce qui constitue une perte, les entrepreneurs se détournent ou restreignent leur production, ce qui diminue la quantité des produits, en fait hausser le prix, et réduit encore l’écart. Remarquons qu’à cet état d’équilibre, on peut faire abstraction sinon du numéraire, au moins de la monnaie, les services producteurs s’échangeant contre des produits et les produits contre des services producteurs, ou, pour mieux dire, les services producteurs s’échangeant, en fin de compte, les uns contre les autres.
Ainsi, à l’état d’équilibre de la production, les entrepreneurs ne font ni bénéfice ni perte. Ils subsistent alors non comme entrepreneurs, mais comme propriétaires fonciers, travailleurs ou capitalistes dans leurs propres entreprises ou dans d’autres. J’estime que, pour tenir une comptabilité rationnelle, un entrepreneur qui est propriétaire du sol qu’il exploite ou qu’il occupe, qui participe à la direction de son entreprise, qui a des fonds engagés dans l’affaire, doit débiter ses frais généraux et se créditer lui-même d’un fermage, d’un salaire et d’un intérêt calculés au taux du marché des services producteurs et au moyen desquels il subsiste, sans faire, à la rigueur, comme entrepreneur, ni bénéfice ni perte. Et, en effet, n’est-il pas évident que, s’il retire de ses propres services producteurs dans son entreprise un prix supérieur ou inférieur à celui qu’il en retirerait partout ailleurs, il est en bénéfice ou en porte de la différence ?
III
Système des équations de la production.
Revenons à présent aux services producteurs classés sous les 6 premiers
chefs, qui demeurent, après toutes les simplifications indiquées, comme les don-
nées essentielles du problème; et soient ces services producteurs des rentes de
terres d’espèces (T), (T’), (T)… peut, en outre, acquérir, si l’on veut, de la rente, du travail ou du profit, non
comme entrepreneur pour les transformer en produits, mais comme consommateur pour en user directement. C’est ce que nous avons reconnu en faisant figurer dans une catégorie à part, à côté des services producteurs classés sous les 4e, 5e et 6e chefs, ceux classés sous les 3 premiers chefs. Les services producteurs sont donc, eux aussi, des marchandises dont l’utilité pour chaque individu peut s’exprimer par une équation de la forme
Cela dit, soit un individu porteur de de (T), de de (P), de de (K)… Et soient les équations d’utilité ou de besoin des services producteurs (T), (P), (K)… et des produits (A), (B), (C), (D)… pour cet individu. Soient les prix courants des services producteurs et des produits en (A). Soient les quantités effectivement offertes des services producteurs ai ces prix, quantités qui peuvent être positives et qui représentent alors des quantités offertes, mais qui peuvent aussi être négatives et qui représentent alors des quantités demandées. Soient enfin les quantités effectivement demandées des produits aux mêmes prix d’équilibre. On aura d’abord entre ces quantités et ces prix l' équation
En raison d’ailleurs de la condition de satisfaction maximum, qui est évidemment la condition déterminante d’offre positive ou négative des services producteurs et de demande des produits, on aura ensuite entre les mêmes quantités et les mêmes prix les équations
et les équations suivantes de demande de (B), (C), (D)…
La demande de (A) serait fournie par l'équation
On aurait de même les équations d’offre ou demande partielle des services producteurs et les équations de demande partielle des produits par tous les autres porteurs de services producteurs. Et maintenant, en désignant par …les offres totales des services producteurs, par … les demandes totales des produits, par …… les sommes des fonctions …… on aurait, en vue de la détermination des quantités cherchées, le système suivant de équations d’offre totale des services producteurs :
soit en tout équations.
Soient, en outre, les quantités respectives de (T), (P), (K)… qui entrent dans une unité de (A), de (B), de (C), de (D) on aurait encore les deux autres systèmes d’équations suivants :
soit équations exprimant que les quantités de services producteurs employées sont égales aux quantités effectivement offertes ;
soit équations exprimant que les prix de vente des produits sont égaux à leurs prix de revient eu services producteurs.
Nous supposons, comme on voit, les coefficients déterminés a priori. En réalité ils ne le sont pas : on peut employer, dans la confection d’un produit, plus ou moins de tels ou tels services producteurs, par exemple, plus ou moins de rente, à la condition d’y employer moins ou plus de tels ou tels autres services producteurs, par exemple, moins ou plus de profit ou de travail. Les quantités respectives de chacun des services producteurs qui entrent ainsi dans une unité de chacun des produits sont déterminées seulement après la détermination des prix des services producteurs, par la condition que le prix de revient des produits soit minimum. Il serait facile d’exprimer cette condition par un système d’équations ; mais, comme ce système serait en quelque sorte indépendant des autres que nous considérons, nous en faisons abstraction, pour plus de simplicité, en supposant que les coefficients ci-dessus figurent parmi les données et non parmi les inconnues du problème.
Nous ramenons, comme nous l’avons annoncé, le cas d’application de services producteurs à des matières premières au cas de combinaison de services producteurs entre eux. C’est ainsi qu’il faut faire, vu que les matières premières sont elles-mêmes des produits obtenus soit par combinaison de services producteurs entre eux, soit par application de services producteurs à d’autres matières premières desquelles on pourrait dire la même chose, et ainsi de suite.
L’unité du produit (B), par exemple, s’obtenant par application des quantités, de (T), de (P), de (K)… à la quantité, de matière première (M), le prix de revient de (B), , est donné par l’équation
étant le prix de revient de (M). Mais la matière première (M) étant elle-même un produit et l’unité de ce produit s’obtenant par combinaison de , de (T), de (P), de (K)… entre eux, le prix de revient de (M), , est donné par l’équation
Or, en portant cette valeur de pm dans l’équation précédente, on a
équation qui n’est autre que la seconde du système [4] pour peu que l’on pose
On voit immédiatement ce qu’il y aurait à faire si la matière première (M) était obtenue non par combinaison de services producteurs entre eux, mais par application de services producteurs à quelque autre matière première.
Nous aurons ainsi, en tout, équations. Mais ces équations se réduisent à . En effet, si on multiplie les deux membres des équations du système [3] respectivement par …. et les deux membres des in équations du système [4] respectivement par … et qu’on additionne séparément les équations de chaque système, on arrive ai deux équations totales dont les premiers membres sont identiques, ce qui donne, entre les seconds membres, l’équation
équation qui n’est autre que la ième équation du système [2]. On peut donc à volonté conserver celle-ci, en retranchant, par exemple, la première du système [4], ou réciproquement. De toute manière, il restera équations pour déterminer inconnues qui sont 1o les quantités totales offertes des services producteurs, 2o les prix de ces services, 3o les quantités totales demandées des produits et 4o les prix de d’entre ces produits en le ième, à l’état d’équilibre général. Reste seulement à montrer, en ce qui concerne l’équilibre de la production comme en ce qui concernait celui de l’échange, que ce même problème dont nous avons donné la solution théorique est aussi celui qui se résout pratiquement sur le marché par le mécanisme de la libre concurrence.
IV
Résolution des équations de la production. Marché des produits.
Pour cela, venons sur le marché et supposons qu’on y détermine au hasard prix de services producteurs … Afin de mieux faire saisir les opérations qui vont suivre, nous les partagerons en deux phases au moyen de la double hypothèse que voici. Nous supposerons d’abord que les entrepreneurs de (A), (B), (C), (D)… vont acheter leurs services producteurs (T), (P), (K)… sur un marché étranger, en s’engageant à restituer plus tard des quantités de ces services non pas égales, mais simplement équivalentes. Nous supposerons ensuite qu’ils s’engagent à restituer plus tard des quantités non plus seulement équivalentes, mais égales, auquel cas nous pourrons supposer aussi qu’ils achètent leurs services producteurs sur le marché du pays aux propriétaires fonciers, travailleurs et capitalistes auxquels ils vendent leurs produits. On voit assez comment cette manière de procéder fait abstraction sinon du numéraire, au moins de la monnaie.
Peut-être n’est-il pas inutile de faire observer que, dans les données et conditions qui sont ici les nôtres, nous supposons les capitaux proprement dits se louant en nature. C’est plus tard seulement que nous les considérerons comme se louant en espèces.
Les prix … étant déterminés comme il a été dit, il en résulte, pour les entrepreneurs, certains prix de revient … conformément aux équations
Nous eussions été libres, on le remarquera, de déterminer …, de telle sorte que l’on eût eu . Nous profiterons de cette latitude en temps et lieu. Pour le moment, nous raisonnerons comme si le prix de revient de (A) était ou plus grand ou plus petit que le prix de vente aussi bien qu’égal à ce prix.
Maintenant il faut supposer que les entrepreneurs trouvent sur le marché étranger, aux prix … des services producteurs (T), (P), (K)… en quantités indéfinies, et qu’ils produisent, aux prix de revient … des quantités déterminées au hasard … de (A), (B), (C), (D)… exigeant des quantités … de (T), (P), (K)… conformément aux équations
Les quantités ... étant alors apportées sur le marché du pays que nous considérons, y seront vendues par les entrepreneurs suivant le mécanisme de la libre concurrence. Étudions d’abord les conditions de la vente des produits (B), (C), (D)... Nous étudierons ensuite celles de la vente du produit (A) servant de numéraire.
Les quantités de (B), (C), (D) se vendront à des prix de vente conformément aux équations
En effet, le marché étant régi par la libre concurrence, les produits s’y vendent conformément à la triple condition : 1o de la satisfaction maximum des besoins, 2o de l’unité de prix des produits comme des services producteurs, 3o de l'équilibre général. Or le système qui précède est un système de équations si inconnues qui répond précisément a ces trois conditions.
Dès lors, et les prix de vente étant généralement différents des prix de revient les entrepreneurs de (B), (C), (D) feront des bénéfices ou des pertes exprimés par les différences
et se vendant à des prix de vente conformément aux équations
Or ce tâtonnement est précisément celui qui se fait de lui-même, sur le
marché des produits, sous le régime de la libre concurrence, alors que les
entrepreneurs affluent vers les entreprises ou s’en détournent suivant qu’on y
fait des bénéfices ou des pertes.
Aux prix de vente, égaux aux prix de revient, correspondent, sur le marché du pays, aux quantités effectivement demandées de (B), (C), (D)… des quantités effectivement offertes de (T), (P), (K)… conformément aux équations d’offre totale des services producteurs
lesquelles forment avec les équations de demande totale des produits un système d’équations d’échange répondant aux trois conditions de satisfaction maximum, d’unité de prix et d’équilibre général.
Alors aussi, on demande effectivement une quantité , de (A) déterminée par l’équation
On tire d’ailleurs des deux systèmes d’équations relatifs l’un aux prix de revient des produits en fonction du prix des services producteurs et l’autre aux quantités demandées des services producteurs en fonction des quantités de produits fabriquées
On a donc aussi
La quantité produite de la marchandise numéraire (A) n’est encore déterminée qu’au hasard ; mais il est facile de la déterminer, elle aussi, de manière à ce que les entrepreneurs ne fassent ni bénéfice ni perte. Il faut, pour cela, que les quantités de services producteurs achetées sur le marché étranger et les quantités reçues sur le marché du pays par les entrepreneurs soient équivalentes puisque, par hypothèse, les entrepreneurs de (B), (C), (D)… ne font ni bénéfice ni perte. Ainsi il faut que
soit que
et comme il faut, pour l’équilibre, que la demande de (A), , et l’offre de (A), soient égales, il faut que , soit égal à 1, c’est-à-dire que le prix de revient du numéraire soit égal à son prix de vente. C’est ce qui aura lieu, si l’on a pris soin de poser
En dehors de cette équation, il n’y a pas d’équilibre possible. Et, cette équation supposée satisfaite, l’équilibre existera quand sera égal à . Ainsi, pratiquement, lorsqu’on aura fixé le prix des services producteurs de manière à ce que le prix de revient du numéraire soit égal à l’unité, il suffira, pour obtenir l’équilibre partiel que nous cherchons, que les entrepreneurs de (A) fabriquent à ce prix de revient égal au prix de vente, par conséquent sans bénéfice ni perte, toute la quantité de (A) qu’on leur demandera. Alors sera remplie cette première condition que les entrepreneurs s’engagent à restituer des quantités de services producteurs non pas égales, mais simplement équivalentes. En d’autres termes, alors seront satisfaites toutes les équations de la production, sauf toutefois le système [1] des équations d’offre totale des services producteurs.
V
Résolution des équations de la production. Marché des services producteurs. Loi d’établissement des prix des produits et des services producteurs.
Mais ce système doit être satisfait comme les autres. En d’autres termes, il ne suffit pas que les quantités de services producteurs achetées et vendues soient équivalentes ; il faut qu’elles soient égales puisque ce sont ces quantités même qui doivent entrer dans la confection des produits. Ainsi, le moment est venu de fermer pour ainsi dire le cercle de la production en éliminant la supposition du marché étranger et en introduisant celle, conforme à la réalité, que les entrepreneurs achètent les services producteurs aux propriétaires fonciers, travailleurs et capitalistes du pays auxquels ils vendent leurs produits.
La condition d’égalité dont nous venons de parler serait remplie si on avait
, | , | … |
mais généralement, on aura
, | , | … |
Remarquons que étant essentiellement positifs, dans le cas où l’on aura fait et , si, parmi les quantités … certaines sont positives, les autres seront nécessairement négatives, et réciproquement.
La fonction eut être mise sous la forme , la fonction U exprimant la somme des positifs, soit des quantités effectivement offertes du service producteur (T), et la fonction exprimant la somme des négatifs, soit des quantités effectivement demandées de ce service producteur non pas par des entrepreneurs pour la production de (A), (B), (C), (D)… mais par des consommateurs à titre de marchandise. Ainsi l’inégalité peut se mettre sous la forme
Supposons que , ne varie pas, c’est-à-dire que les entrepreneurs de (A) en produisent toujours la même quantité quelles que soient les variations de … et par conséquent du prix de revient . Restent, dans le premier membre, les termes variables … qui sont des fonctions décroissantes des prix … et par conséquent des fonctions également décroissantes du prix , puisque les prix de revient sont eux-mêmes des fonctions croissantes des prix des services producteurs, et le terme variable qui est, lui aussi, une fonction décroissante du prix . Ainsi, croissant de zéro à l’infini et … demeurant fixes, diminuera depuis une certaine valeur déterminée jusqu’à zéro.
Quant au terme unique du second membre de l’inégalité, , il est nul pour une valeur nulle ou même pour certaines valeurs positives de . C’est le cas où les valeurs des divers produits par rapport à la valeur du service producteur (T) sont assez élevées pour que la demande de ces produits par les propriétaires de ce service producteur soit nulle. Le prix croissant, la fonction est d’abord croissante. Les produits deviennent alors moins chers par rapport au service producteur (T), et la demande de ces produits a lieu en même temps que l’offre du service producteur qui l’accompagne. Mais cette offre n’augmente pas indéfiniment. Elle passe par un maximum au moins, lequel ne saurait être supérieur à la quantité totale possédée de (T) ; puis elle diminue pour redevenir nulle si le prix de (T) devient infini, c’est-à-dire si (A), (B), (C), (D)… sont gratuites. Ainsi, croissant de zéro à l’infini, part de zéro, augmente, puis diminue et revient à zéro.
Dans ces conditions, et à moins que ne devienne nul avant que ait cessé de l’être, auquel cas il n’y a pas de solution, il y a une certaine valeur de , qui est , selon que est , pour laquelle l'offre et la demande effectives de (T) sont égales. Soit , cette valeur ; soient … les prix de vente, égaux aux prix de revient, de (B), (C), (D)… ; soit , l’offre correspondante de (T) égale à la demande, on a
Cette opération effectuée, la fonction
est devenue
et cette offre du service producteur (P) est plus grande ou plus petite que sa demande. Mais il y a une certaine valeur de pour laquelle l’offre et la demande effectives de (P) sont égales et que l’on peut trouver par le même moyen qui a servi à trouver . Soit , cette valeur ; soient … les prix de vente, égaux aux prix de revient, de (B), (C), (D)… ; soit , l’offre correspondante de (P) égale à la demande, on a
On obtiendrait de même
et ainsi de suite.
Toutes ces opérations effectuées, on a
et ce qu’il faut établir, c’est que cette offre est plus près d’être égale à la demande que l’offre ne l’était d’être égale à la demande . Or cela semblera certain si l’on considère que la variation de en qui avait ramené l’offre et la demande à l’égalité avait eu son effet tout entier dans le même sens, tandis que les variations de … en … qui ont éloigné cette offre et cette demande de l’égalité ont eu leurs effets en sens contraire et se compensant jusqu’à un certain point les uns les autres. Le système des nouveaux prix … est donc plus voisin de l’équilibre que le système des anciens prix et il n’y a qu’à continuer suivant la même méthode, dans la pratique du marché des services producteurs, pour l’en rapprocher de plus en plus.
Supposons qu’il y soit arrivé, on a les prix de revient
et l’on a d’autre part les quantités demandées des services producteurs
les quantités ... satisfaisant d’ailleurs aux équations de demande des produits (B), (C), (D) et les quantités , , … aux équations d’offre des services producteurs (T), (P), (K) dans lesquelles … … sont variables indépendantes. On tire de ces deux systèmes l'équation
Or on demande alors une quantité de (A) suivant l'équation
Puisque , , … on a donc
Par où l’on voit que l’on a satisfait à toutes les équations du problème sauf à
l'équation du prix de revient du numéraire d’où résulterait l'égalité de l’offre et
de la demande, ou à l’équati0n de demande de ce même numéraire d’où résulterait l’égalité du prix de vente au prix de revient soit à l’unité. Ainsi, si l’on avait par hasard , on aurait aussi , ou si l’on avait par hasard , on aurait aussi , et le problème serait entièrement résolu. Mais, généralement, on aura, après les variations de … en … effectuées comme il a été dit plus haut,
et, par conséquent,
Pour achever, toujours par tâtonnement, la résolution du système général des équations de la production, on devrait alors déterminer … conformément à l’équation
en faisant , , ... selon qu’on aurait .
En partant de ce nouveau point, on arriverait d’abord, durant la première phase, sur le marché des produits, à une détermination de suivant l’équation
et ensuite, durant la seconde phase, sur le marché des services producteurs, à
un détermination de suivant l’équation
et ce qu’il faut établir, c’est que est plus près de l’unité que ne l’était . Or cela paraîtra certain si l’on songe que dans le cas, par exemple, où était > 1, on a eu , , … et par conséquent , , … et par conséquent aussi . Ainsi , pour devenir , a augmenté par l’augmentation de demande de (B), (C), (D)... et diminué par la diminution de demande de (A). Dans le cas où aurait été , , pour devenir , aurait diminué par la diminution de demande de (B), (C), (D)… et augmenté par l’augmentation de demande de (A). Dans l’un et l’autre cas, ces tendances étant de sens contraire, se sera moins éloigné de l’unité par leurs effets qu’il ne s’en était rapproché par l’effet de la diminution ou de l’augmentation de … Et, en continuant suivant la même voie, on l’en rapprochera de plus en plus. Supposons qu’il y soit arrivé et que l’on ait , on a aussi , et le problème est entièrement résolu.
Or le tâtonnement que nous venons de décrire se fait encore naturellement et de lui-même sous le régime de la libre concurrence. En effet, quand on a
les producteurs de (A) doivent . S’ils donnent alors la quantité demandée de (A) au prix de 1, , ils ont comme bénéfice . Cette différence est bénéfice proprement dit si est et . Mais alors ils développent leur production, ils font augmenter … et par conséquent qui se rapproche de l’unité. La différence serait perte si était et . Les producteurs resteraient devoir cette perte . Mais alors ils restreindraient leur production, ils feraient diminuer … et par conséquent qui se rapprocherait de l’unité. Il est à remarquer que les entrepreneurs de (A) sont libres d’éviter cette situation en ne produisant pas lorsque le prix de revient de la marchandise numéraire est supérieur à son prix de vente, c’est-à-dire à l’unité, et les met en perte certaine, et en ne produisant que lorsque le prix de revient est inférieur ou égal à l’unité. Quoi qu’il en soit, et en fin de compte, les entrepreneurs de (A), comme ceux de (B), (C), (D)… n’ont qu’à développer leur production en cas d’excédant du prix de vente sur le prix de revient et à la restreindre en cas d’excédant du prix de revient sur le prix de vente. Dans le premier cas, ils font la hausse du prix des services producteurs, dans le second cas ils en font la baisse, sur le marché de ces services. Dans les deux cas ils tendent à produire l’équilibre.
En réunissant toutes les parties de cette démonstration, nous sommes amenés et formuler comme suit la loi d’établissement des prix d’équilibre de l’échange et de la production : — Plusieurs services producteurs étant donnés avec lesquels on peut fabriquer divers produits, et dont l’échange se fait contre ces produits avec intervention de numéraire, pour qu’il y ait équilibre du marché, ou prix stationnaire de tous ces services producteurs et de tous ces produits en numéraire, il faut et il suffit 1o qu’à ces prix la demande effective de chaque service producteur et de chaque produit soit égale à son offre effective, et 2o que le prix de vente des produits soit égal il leur prix de revient en services producteurs. Lorsque cette double égalité n’existe pas, il faut, pour arriver à la première, une hausse du prix des services producteurs ou des produits dont la demande effective est supérieure à l’offre effective, et une baisse du prix de ceux dont l’offre effective est supérieure à la demande effective ; et, pour arriver à la seconde, une augmentation dans la quantité des produits dont le prix de vente est supérieur au prix de revient, et une diminution dans la quantité de ceux dont le prix de revient est supérieur au prix de vente.
VI
Définition analytique de la production. Loi de variation des prix des produits et des services producteurs.
Il résulte de la démonstration faite aux §§ IV et V que la libre concurrence en matière de production, c’est-à-dire la liberté laissée aux entrepreneurs de développer leur production en cas de bénéfice et de la restreindre en cas de perte, jointe à. la libre concurrence en matière d’échange, c’est-à-dire à la liberté laissée aux propriétaires fonciers, travailleurs et capitalistes d’une part, et aux entrepreneurs de l’autre, de vendre et d’acheter les services producteurs et les produits à l’enchère et au rabais, est bien la résolution pratique des équations du § III. Or, si nous nous reportons à. ces équations et aux conditions sur lesquelles elles reposent, nous voyons que :
La libre concurrence en matière d’échange et de production est une opération par laquelle les services producteurs se combinent en les produits de la nature et de la quantité propres à donner la plus grande satisfaction possible des besoins dans les limites de cette condition que chaque service producteur comme chaque produit n’ait qu’un seul prix sur le marché.
Peut-être voudra-t-on bien enfin reconnaître l’importance de l’économie politique pure traitée scientifiquement. Placés à ce point de vue de la science pure, nous n’avons dû prendre et n’avons pris jusqu’ici la libre concurrence que comme un fait, ou même que comme une hypothèse ; car il importait peu que nous l’eussions vue : il suffisait à la rigueur que nous l’eussions pu concevoir. Dans ces données, nous en étudiions la nature, les causes, les conséquences. Il se trouve à présent que ces conséquences se résument en l'obtention, dans certaines limites, du maximum d’utilité. Par là, ce fait devient un principe d’intérêt, ou une règle dont il n’y a plus qu’à poursuivre l’application détaillée à l’agriculture, à l’industrie, au commerce, au crédit. Ainsi, la conclusion de la science pure nous met au seuil de la science appliquée. Que l’on remarque combien tombent ici d’elles-mêmes certaines objections à notre méthode. On nous disait entre autres choses : « La libre concurrence absolue n’est qu’une hypothèse. Dans la réalité, la libre concurrence est entravée par une infinité de causes perturbatrices. Il n’y a donc aucun intérêt quelconque, sinon de curiosité, à étudier la libre concurrence en elle-même et dégagée de ces éléments de perturbation qu’aucun calcul ne saurait mesurer, dont aucune formule ne saurait tenir compte. » L’erreur de cette opinion se révèle pleinement. À supposer qu’aucun progrès ultérieur de la science ne permette d’introduire et de faire figurer les causes perturbatrices dans les équations de l'échange et de la production, ce qu’il est peut-être imprudent et certainement inutile d’affirmer, ces équations, telles que nous les avons établies, n’en conduisent pas moins à la règle générale et supérieure de la liberté de l’échange et de la production. Cette liberté procure, dans certaines limites, le maximum d’utilité ; donc les causes qui la troublent sont un empêchement à ce maximum ; et, quelles que puissent être ces causes, on en aura suffisamment tenu compte en concluant qu’il faut les supprimer autant que possible.
C’est bien là, en somme, ce que les économistes ont déjà dit en préconisant le laisser-faire laisser-passer. Malheureusement, il faut bien le dire, les économistes jusqu’ici ont moins démontré leur laisser-faire laisser-passer qu’ils ne l’ont affirmé à l’encontre des socialistes, anciens et nouveaux, qui, de leur côté, affirment, sans la démontrer davantage, l’intervention de l’État. Je sens qu’en m’exprimant ainsi je vais heurter quelques susceptibilités. Et cependant, on me permettra bien de le demander : Comment les économistes auraient-ils pu démontrer que les résultats de la libre concurrence étaient bons et avantageux s’ils ne savaient pas au juste quels étaient ces résultats ? Et comment l'auraient-ils su quand ils n’avaient ni posé les définitions, ni formulé les lois qui s’y rapportent et les constatent ? C’est là une raison a priori ; en voici d’autres a posteriori. Lorsqu’un principe est scientifiquement établi, la première chose que l’on peut faire, en conséquence, c’est de discerner immédiatement les cas où il s’applique et ceux où il ne s’applique pas. Et, réciproquement, ce sera sans doute une bonne preuve que le principe de la libre concurrence n’est pas démontré, que les économistes l’aient souvent étendu au-delà de sa portée véritable. Ainsi, par exemple, notre démonstration, à nous, du principe de la libre concurrence repose, comme sur une première base, sur l’appréciation de l’utilité des services producteurs et des produits par le consommateur. Elle suppose donc une distinction fondamentale entre les besoins individuels, ou l’utilité privée, que le consommateur est apte à apprécier, et les besoins sociaux, ou l’utilité publique, qui s’apprécient d’une toute autre manière. Donc le principe de la libre concurrence, applicable à la production des choses d’intérêt privé, ne l’est plus à la production des choses d’intérêt public. N’y a-t-il pas cependant des économistes qui sont tombés dans cette erreur de vouloir soumettre des services publics, comme ceux des travaux publics, de l’instruction publique, à la libre concurrence en les remettant à l’industrie privée ? Autre exemple. Notre démonstration repose, comme sur une seconde base, sur le nivellement du prix de vente et du prix de revient des produits. Elle suppose donc la possibilité de l’affluence des entrepreneurs vers les entreprises en bénéfice comme de leur détournement des entreprises en perte. Donc le principe de la libre concurrence n’est pas non plus applicable à la production des choses qui sont l’objet d’un monopole naturel et nécessaire. N’y a-t-il pas cependant des économistes qui nous parlent tous les jours de libre concurrence à propos d’industries qui s’exercent naturellement et nécessairement en monopole, comme celles de l’exploitation des mines, de l’exploitation des chemins de fer ? Une dernière observation enfin, et de la plus haute importance, pour terminer sur ce point. Notre démonstration de la libre concurrence, en mettant en évidence la question d’utilité, laisse entièrement de côté la question de justice ; car elle se borne à faire sortir une certaine distribution des produits d’une certaine répartition des services producteurs, et la question de cette répartition reste entière. N’y a-t-il pas cependant des économistes qui, non contents d’exagérer le laisser-faire laisser-passer en matière d’industrie, l’appliquent encore, et tout-à-fait hors de propos, en matière de propriété ? Tels sont les dangers de la méthode littéraire substituée à la méthode scientifique. On affirme à la fois le vrai et le taux ; sur quoi il ne manque pas de gens pour nier à la fois le faux et le vrai. Et la science s’arrête indéfiniment tiraillée en sens contraire par des adversaires qui ont, les uns et les autres, raison et tort tout ensemble.
… étant les valeurs d’échange des services producteurs (T), (P), (K)… dont les rapports avec la valeur d’échange du produit (A) constituent les prix de ces services ……… étant les raretés de ces services producteurs, ou les intensités des derniers besoins satisfaits après l'échange, chez les individus (1), (2), (3)… qui en ont gardé ou acquis pour les consommer directement, on doit compléter comme suit le tableau d’équilibre général :
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Et ainsi, on doit généraliser, en l’étendant aux services producteurs comme aux produits, la proposition que : — Les valeurs d’échange sont proportionnelles aux raretés.
Par cela même, on doit généraliser aussi la loi de variation des prix en l’énonçant en ces termes :
Plusieurs produits ou services producteurs étant donnés à l’état d’équilibre général, sur un marché ou l’échange se fait avec intervention de numéraire, si, toutes choses restant égales d’ailleurs, l’utilité d’un de ces produits ou services augmente ou diminue pour un ou pour plusieurs des échangeurs, le prix de ce produit ou service en numéraire augmente ou diminue.
Si, toutes choses restant égales d’ailleurs, la quantité d’un de ces produits ou services augmente ou diminue chez un ou chez plusieurs des porteurs, le prix de ce produit ou service diminue ou augmente.
Plusieurs produits ou services producteurs étant donnés, si l’utilité et la quantité d’un de ces produits ou services à l’égard d’un ou plusieurs des échangeurs ou porteurs varient de telle sorte que les raretés ne varient pas, le prix de ce produit ou service ne varie pas.
Si l’utilité et la quantité de tous les produits ou services à l’égard d’un ou plusieurs des échangeurs ou porteurs varient de telle sorte que les rapports des raretés ne varient pas, les prix ; de ces produits ou services ne varient pas.
À quoi l’on peut ajouter encore ces deux autres propositions :
Si, toutes choses restant égales d’ailleurs, la quantité d’un service producteur possédée par un ou plusieurs individus augmente ou diminue, l’offre effective de ce service par ces individus augmentant ou diminuant sur le marché des services producteurs, et, par suite, le prix baissant ou haussant, le prix des produits dans la confection desquels entre ce service diminuera ou augmentera.
Si, toutes choses restant égales d’ailleurs, l’utilité d’un produit pour un ou plusieurs des consommateurs augmente ou diminue, la demande effective de ce produit par ces consommateurs augmentant ou diminuant sur le marché des produits, et, par suite, le prix haussant ou baissant, le prix des services producteurs qui entrent dans la confection de ce produit augmentera ou diminuera.
Telle est la Loi de variation des prix d’équilibre de l’échange et de la production ; en la réunissant à la Loi d’établissement des prix ci-dessus énoncée, on a bien la formule scientifique de la double Loi de l’offre et de la demande et du prix de revient.
- ↑ Mémoire lu à la Société vaudoise des sciences naturelles, à Lausanne (séances des 19 janvier et 16 février 1876).