Ériphyle, suivi de quatre Sylves/Ériphyle

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Ériphyle, suivi de quatre SylvesBibliothèque Artistique & Littéraire (p. 7-17).

ÉRIPHYLE

Suivant la docte trace
Du Mantouan fameux qui m’a nourri de sa grâce,
Sur le Styx odieux et l’Achéron avare,
Ériphyle, je viens au fond du noir Tartare.


Ne me dédaigne pas, Mâne charmante, laisse
Brûler devant mes yeux ton antique tristesse,
Et tes larmes couler dans mon esprit pieux,
Comme en un vase pur un baume précieux.


« Essence pareille au vent léger,
« J’erre
« Depuis que la vie a quitté
« Mon corps.
« Mais les souillures et les maux du corps,
« La mort ne les efface.

« Ainsi, écoute : Le souci
« D’une ceinture dorée
« Ne m’a vaincu’, comme l’ont conté
« Des bouches abusées.
« Mais c’est Cypris aux crins dorés,
« Déesse des trophées.


« Mon époux, c’était un héros,
« Il était fils d’Oïclée ;
« Il avait ramé sur le navire Argo
« À côté de Thésée.
« De Phébus aux longs traits, d’Apollon,
« Il était augure ;

« Mais sa barbe était à son menton
« Chenue et dure.
« Et l’autre, quand il vint, il était
« Dans sa jeunesse tendre ;
« Sur sa joue à peine un blond duvet
« Commençait à s’étendre.
« Le tambour Bérécynthian
« N’emporte l’âme
« Comme faisait sa voix disant :
« Les Dieux vous gardent, noble Dame.
« Alors je sentis que ma pudeur
« Était la feuille tombée,
« Et mon désir semblable à la fureur
« Rapide de Borée.



« Ô jeunesse, tes bras
« Sont comme lierre autour des chênes,
« Mais la vieillesse, hélas !
« Est une foule d’ombres vaines. »


Elle dit, puis se tait, déçue en son courage.
Tel un coursier rétif qui soudain prend ombrage,
Ta mémoire recule, ô spectre épouvanté,
Et jamais de ta bouche il ne sera conté

Qu’un fils, pensant venger ton amour adultère,
A souillé de ton sang la terre nourricière.
Au séjour de Minos et d’Éaque inflexibles,
Ô femme, tu n’as plus tes membres corruptibles,
Ces yeux porte-lumière et l’épais de ces tresses,
Ces délicates mains, délices des caresses.
Maintenant de l’amour la tendresse divine
Décrirait un vain cercle autour de ta poitrine.
Mais du bras d’Alcméon la parricide offense
Trouve tangible encor’ ta trompeuse apparence.
Ainsi frappe le coin une yeuse abattue
Au profond des forêts pour former la charrue.
Hélas ! mortels, fuyez comme un port dangereux
Les perfides conseils d’un soin ambitieux.
Que diverse est la chance et l’attente peu sûre,
Alors que nous passons la commune mesure !



D’un cœur jamais surpris la sage volonté
Ressemble ce beau char qu’un bras adextre guide,
Mais l’aveugle courroux, comme un taureau stupide,
Souvent manque le but et s’élance à côté.


Ô ma Muse, quittons ce fleuve et ces campagnes,
Et Pluton, et les sœurs que l’on n’ose nommer,
Et que cette Ombre enfin rejoigne ses compagnes
Qui sont mortes d’aimer.


Je vois la triste Phèdre, innocente et coupable.
Myrrhe qui consomma son désir exécrable.
D’un funeste présage Aglaure déchirée.

Et Canacé, épouse et sœur de Macarée,
La reine de Lemnos, qui brûla pour son hôte,
Le parjure Jason, l’intrépide Argonaute,
Héro, Laodamie, Hermione, Eurydice,
Cydippe, prise aux lacs d’un fatal artifice,
Procris au tendre cœur, jalouse de l’Aurore,
Hypermnestre, Évadné, cette Phyllis encore,
Et la sage Didon, que le pieux Énée
Pour obéir aux dieux avait abandonnée.


Comme ce pâle essaim de malheureuses Ombres,
Du Styx au triple tour couvrant les rives sombres,
Au penser doux-amer de son ancien martyre
S’agite tristement et doucement soupire !

Ainsi par un beau soir, au milieu de la plaine,
La tige que le vent bat d’une tiède haleine.


 


Grand honneur mantouan, harmonieux Virgile,
Telle sur son passage une onde au cours tranquille
Favorise les plants de son humeur nourris,
Telle la docte voix de ton plectre rendue.
D’âge en âge épandue,
Élève la vertu des intègres esprits.

Et toi Dante qui sus, égalant les antiques,
Hausser le faible essor de tes Muses gothiques,
Tant tu avais le cœur de Calliope plein.
Dans la grave douceur de tes divines rimes,
Du grand Parnasse saint tu gravis les deux cimes
Pour chercher le chemin du paradis chrétien.
Ô mes maîtres chéris, à vos leçons docile,
J’osai faire parler les mânes d’Ériphyle ;
Veuille donc Apollon, illustre entre les dieux,
Renflammer tout soudain ma fureur languissante,
Que sur le luth français j’accorde pour vous deux
Les paroles que dit dans la Cité dolente,
En langage toscan, le plus jeune au plus vieux :


Ô fonts de poésie, ô pères, fameux sages,

Ô des autres chanteurs ornement et clarté,
Soutenez ma faiblesse et que me soit compté
Le désir qui m’a fait rechercher vos ouvrages.