Éros et Psyché (Giraud)/04
Scène IV
Désir ! ô mon Désir ! Cher maître de ma vie !
Époux mystérieux aux baisers parfumés !
Laisse-moi savourer, épuisée et ravie,
Un repos sans sommeil dans tes bras refermés !
Oh ! Laisse sans dormir, dans mes bras renversée,
L’orage s’apaiser de tes seins en émoi,
Et ton âme d’enfant, sans rêve ni pensée,
Comme en un gouffre heureux s’anéantir en moi
Est-ce que je t’enlace ou bien suis-je enlacée ?
Est-ce que je te baise ou bien suis-je baisée ?
Ô délice ! ô langueur ! Es-tu moi ? Suis-je toi ?
Tu soupires, Psyché ! N’es-tu donc pas heureuse ?
Si ta Psyché soupire, il faut lui pardonner.
Elle étreint son Désir, mais sa chair amoureuse
Regrette de n’avoir plus rien à lui donner.
Si je soupire ainsi, c’est d’être trop heureuse…
Tu soupires aussi : serais-tu malheureux ?
Pardonne, ô ma Psyché ! ô belle désireuse !
Ces soupirs exhalés par un homme amoureux.
Car dans l’accablement de son ivresse heureuse,
Quelque reconnaissant que puisse être le cœur,
Le plaisir trop profond ressemble à la douleur !
Chère âme ! Il se fait tard : la douce nuit s’achève.
Écoute ! C’est le coq qui chante…
C’est Pan qui poursuit une nymphe… ou bien encor
C’est Diane et ses chiens qui passent, c’est le cor !
Non ! le sombre horizon pâlit, ô ma chère âme !
Vois ! Au bas du ciel noir rôde une vague flamme.
La lune a renversé son flambeau vacillant.
Les étoiles, là-haut, d’un geste somnolent,
L’une après l’autre ont clos leurs paupières divines…
Pas encore, ô Désir !
Regarde par-dessus l’épaule des collines.
Ma vie est en danger si nous sommes surpris.
— Je suis prêt à rester si tu veux que je mettre !
Mais si tu tiens à voir dans ta belle demeure
Rentrer au crépuscule un époux plus épris,
Ah ! laisse-moi partir doucement — et souris !
Tu reviendras, Désir ?
Par Eros aux yeux roux dont je sens la brûlure !
Je te fais ce serment en échange du tien :
Si tu gardes le tien, je garderai le mien !
Adieu donc ! Mais ce soir, quand les ombres complices
Montreront à l’amour le chemin des délices,
Désir d’un pied léger reviendra vers Psyché !
Le crépuscule ami me prendra sous sa mante,
Et vivant pour toi seule, à tous les yeux caché,
Par les prés parfumés de mélisse et de menthe,
Trop subtil pour courber le brin d’herbe effleuré,
Comme hier, dans la nuit, Psyché ! j’apparaîtrai !
Adieu donc, cher Désir ! Va-t-en, pour que tu vives !
Mais que ferai-je, hélas ! en attendant la nuit,
De ma pensée errante et de mes mains oisives,
Dans ce palais désert, plein d’absence et d’ennui ?
Psyché ! L’éclat du jour et sa vive lumière
Sont faits pour le sommeil solitaire et banal.
Étends ton jeune corps sur le lit nuptial !
Pour garder mon image, abaisse ta paupière !
Souris et parmi l’or épars de tes cheveux,
Mon baiser sur la bouche, endors-toi, je le veux !
Et tu feras ainsi, pendant que tu sommeilles,
Caressée en secret par le matin vermeil
Comme un rosier qui dort sous un essaim d’abeilles,
Une sieste d’amour dans un flot de soleil !