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Éthique (Appuhn, 1913)/Notice sur l’« Éthique »

La bibliothèque libre.
Traduction par Charles Appuhn.
Garnier Frères (p. 1-15).


NOTICE SUR L’ÉTHIQUE



Dès l’année 1661 pendant son séjour à Rijnsburg[1], Spinoza entreprit d’exposer sa doctrine sur Dieu selon la méthode des géomètres. Un passage d’une lettre adressée à Oldenburg[2] en fait foi, et l’Appendice I du Court Traité dont la composition est à peu près du même temps, nous permet de juger de ce que furent ses premiers essais en ce genre[3].

Ce mode d’exposition est aussi, rappelons-le, celui des Principes de la Philosophie de Descartes[4], et Descartes lui-même en avait usé dans les Réponses aux deuxièmes objections (Raisons, etc.)

Pour des raisons qui apparaissent clairement à tous les lecteurs attentifs du Traité de la Réforme de l’Entendement[5] et de l’Éthique elle-même, l’ordre géométrique, c’est-à-dire synthétique, ne pouvait manquer d’être tenu par Spinoza pour l’ordre juste et nécessaire, une fois sa pensée arrivée à la pleine possession d’elle-même[6]. À la vérité, il a rendu possibles ainsi bien des méprises.

Le lecteur qui sans préparation ouvre l’Éthique à la première page et se trouve en présence des définitions de la substance, de l’attribut, du mode, puis des axiomes, dont le véritable sens lui échappe, se juge fort loin de toute réalité. Les mots qu’il lit n’éveillent aucune image et presque aucune pensée dans son esprit ; les démonstrations qui suivent, sans qu’il croie possible de les réfuter, ne le touchent guère : Spinoza n’a-t-il point d’avance défini Dieu et l’existence de façon que l’existence de Dieu fût logiquement nécessaire et que toute autre fût impossible ? Est-ce par de tels raisonnements sur des notions abstraites, qu’on s’est données comme on a voulu, qu’on rendra compte des choses qui nous importent réellement et qu’on apaisera l’inquiétude de l’âme ? L’entreprise paraît insensée ; beaucoup sont rebutés dès les premières pages et ferment le livre, leur mépris du philosophe et de la philosophie se traduit par quelque parole d’apparence modeste comme celle-ci : je n’y comprends rien ; c’est trop aride ; j’admire les spéculations abstraites, mais la capacité me manque pour m’y adonner. Ceux même qui poursuivent et achèvent la lecture, s’ils rendent meilleure justice à l’auteur, méconnaissent souvent la part, très grande cependant, faite par lui à l’intuition et ne sentent qu’après une longue étude, la merveilleuse intensité de vie non pas turbulente et égoïste, mais large, profonde et sereine qui est dans son livre[7].

Une introduction dans laquelle Spinoza eût indiqué son dessein et justifié par l’analyse approfondie des idées les plus communes, l’emploi qu’il fait des notions jugées abstraites par le lecteur non prévenu, une explication préalable des axiomes, par exemple de l’axiome 6 : une idée vraie doit s’accorder avec l’objet dont elle est l’idée[8], sans empêcher toute erreur d’interprétation, eussent incontestablement rendu plus aisée la lecture de l’Éthique et l’influence de Spinoza eût pu s’exercer plus tôt dans un cercle plus étendu[9].

Tout persuadé que je suis de sa bienfaisance, je me demande s’il faut beaucoup regretter que cette introduction et cette explication n’aient pas été jointes à l’Éthique par son auteur. Le Traité de la Réforme de l’Entendement et les Lettres fournissent, je crois, aux personnes vraiment curieuses de sa pensée les éclaircissements désirables, et il n’a pas écrit, cela est certain, pour ceux qui plaignent leur peine.

Les lignes par lesquelles se termine l’Éthique pourraient, en changeant quelques mots, servir d’avertissement au lecteur : « Si la voie que j’ai montrée, qui conduit au vrai contentement, paraît être extrêmement ardue, encore y peut-on entrer. Et cela certes doit être ardu qui est trouvé si rarement. Comment serait-il possible, si le salut était sous la main et si l’on y pouvait parvenir sans grand’peine, qu’il fût négligé par presque tous ? Mais tout ce qui est beau, est difficile autant que rare.»

Pendant le séjour à Rijnsburg fut rédigée dans sa première forme, et communiquée à quelques amis, la première partie de l’Éthique. Nous avons à ce sujet le témoignage de Simon de Vries[10] qui était comme l’âme du petit groupe recevant de Spinoza sa nourriture spirituelle et pour lequel avait déjà été composé le Court Traité[11]. Les disciples du maître se réunissaient pour étudier en commun sa doctrine. L’un d’eux lisait le texte envoyé de Rijnsburg et le commentait de son mieux ; les points embarrassants étaient examinés en commun, et, si quelque difficulté trop grande se présentait, on en prenait note et on demandait par écrit des éclaircissements à l’auteur. C’est ainsi que, dans la lettre[12] d’où nous extrayons ce renseignement, Simon de Vries signale comme embarrassante la troisième définition[13] et prie Spinoza de lui expliquer le troisième scolie de la proposition 8. Le texte cité est d’ailleurs celui du scolie de la proposition 10 dans la rédaction définitive, et nous pouvons par là nous faire quelque idée des remaniements que Spinoza jugea nécessaires par la suite.

Il est fait mention de l’Éthique dans une lettre adressée par Spinoza à Guillaume de Blyenbergh[14] le 13 mars 1665[15]

« J’entends, dit l’auteur, par un homme juste, celui qui désire d’une façon constante que chacun possède ce qui lui appartient en propre, et je démontre dans mon Éthique (non encore éditée) que ce désir chez les hommes pieux tire nécessairement son origine de la connaissance claire qu’ils ont, tant d’eux-mêmes que de Dieu. » La composition de l’ouvrage est, on le voit, déjà très avancée à cette date, car la théorie à laquelle il est fait allusion se trouve exposée dans les propositions 36 et 37 de la quatrième partie.

Il faut observer, toutefois, que l’ordonnance en est différente de celle que nous connaissons : la quatrième partie est réunie à la troisième, comme le montre un passage d’une autre lettre écrite au mois de juin de la même année 1665[16]. Spinoza s’y exprime en ces termes : « Pour ce qui concerne la troisième partie de notre philosophie, je vous enverrai prochainement un fragment, soit à vous-même si vous voulez en être le traducteur, soit à notre ami de Vries. Bien que j’eusse résolu de ne rien communiquer avant d’avoir terminé ce travail, comme il se trouve prendre plus de temps que je ne pensais, je ne veux pas vous faire attendre et je vous enverrai les 80 premières propositions à peu près.»

La troisième partie de l’Éthique comprend dans son état actuel 59 propositions. En rapprochant le passage qui vient d’être cité de l’allusion contenue dans la lettre à Blyenbergh, on voit que la quatrième partie, en raison sans doute du développement donné à la pensée de Spinoza sur les rapports des hommes entre eux et la constitution de la cité, a dû être postérieurement à 1665 détachée de la troisième. On s’explique par là que, vers la fin de la deuxième, Spinoza annonce comme devant être exposé dans la partie suivante ce qui l’est seulement dans la quatrième. Ce passage aurait dû être modifié et ne l’a pas été.

Pour des raisons sur lesquelles on trouvera plus de détails dans une autre Notice[17], le travail qui avait occupé Spinoza à peu près exclusivement, semble-t-il, depuis la publication des Principes de la Philosophie de Descartes (1663) et qu’il croyait sans doute devoir terminer rapidement, fut abandonné peu après la lettre dont nous avons reproduit un fragment ci-dessus.

Au lieu de terminer l’Éthique, il composa et fit paraître le Traité Théologico-Polilique. S’il était resté le même homme en effet, les circonstances avaient changé : Spinoza ne pouvait rester indifférent à la lutte soutenue de son temps pour la liberté contre les abus de la force, et l’intolérance des églises calvinistes en Hollande lui donnait d’assez pressants motifs de joindre ses efforts à ceux des hommes qui dans leurs écrits soutenaient le principe de la laïcité de l’État : son ami, Louis Meyer[18], Lambert van Velthuysen[19], Pierre et Jean de la Court[20], Jean de Witt[21], neveu du grand-pensionnaire. Depuis 1663, Spinoza, il faut l’observer, résidait principalement à Voorburg, dans le voisinage immédiat de La Haye ; sans que ses relations avec ses amis d’Amsterdam eussent cessé ou changé de caractère, il avait fait connaissance avec des personnages d’autre sorte, étroitement mêlés aux luttes politiques, avec le grand-pensionnaire lui-même, et l’on conçoit très bien qu’il ait eu le désir de servir à sa manière, en philosophe et en homme connaissant la Bible mieux que personne en son temps, la cause républicaine déjà fort menacée par les intrigues du parti orangiste et ultra-calviniste.

Le Traité Théologico-Politique parut en 1670, et sans doute Spinoza se remit presque aussitôt à la composition de l’Éthique où des remaniements importants étaient devenus nécessaires. L’étude théorique des passions remplit désormais la troisième partie à elle seule[22] ; la morale proprement dite de Spinoza, c’est-à-dire l’application à la conduite de la vie de la connaissance rationnelle[23], forme le contenu de la quatrième, et sans doute les conséquences politiques et sociales de ce qu’on peut appeler l’utilitarisme spinoziste, furent aperçues par l’auteur plus clairement et exposées plus complètement qu’elles n’auraient pu l’être avant la composition du Traité Théologico-Politique ; le livre bénéficia aussi, cela va sans dire, des lectures faites par l’auteur dans l’intervalle, en particulier de celle de Hobbes et des réflexions auxquelles elle donna lieu. Enfin fut écrite, ou au moins récrite[24], la cinquième partie, c’est-à-dire la théorie de la liberté, l’exposition des moyens par lesquels il est possible à l’homme de s’affranchir de toute détermination extérieure et de faire son salut, c’est-à-dire de trouver la joie dans l’amour intellectuel de soi-même et de Dieu (à ce degré c’est tout un).

Dès la fin de 1674 et en 1675, nous voyons par la correspondance de Spinoza que la nouvelle rédaction de l’Éthique est terminée[25] et que des copies du manuscrit original sont entre les mains non seulement de ses premiers amis, mais de jeunes gens récemment entrés en relation avec lui, tels que Tschirnhaus et Schuller[26]. En dépit des attaques violentes dirigées contre le Traité Théologico-Politique, des condamnations prononcées par tous les synodes des Pays-Bas, des mesures prises pour empêcher la publication d’un nouvel et plus dangereux ouvrage du même auteur[27], Spinoza s’était même décidé à faire paraître l’Éthique, comme le montre une phrase d’une lettre[28] à lui écrite par Oldenburg, le 22 juillet 1675 : « Ayant compris par votre réponse en date du 5 juillet que vous aviez résolu de donner au public votre traité en cinq parties… » À cette lettre Spinoza répond quelque temps après[29] :

« Votre lettre m’est parvenue au moment où je partais pour Amsterdam[30] afin de faire imprimer le livre dont je vous avais parlé. Tandis que je m’en occupe, le bruit s’est répandu partout qu’un livre de moi sur Dieu est sous presse, et que je m’efforce d’y montrer qu’il n’y a point de Dieu, et ce bruit a trouvé accueil auprès d’un très grand nombre de personnes. Quelques théologiens (les mêmes peut-être qui en sont les premiers auteurs) ont saisi cette occasion de déposer une plainte contre moi auprès du prince[31] et des magistrats ; d’imbéciles cartésiens, en outre, qui passaient pour m’être favorables, ne cessent, afin de se laver du soupçon, de dire en tout lieu tout le mal possible de mes opinions et de mes écrits[32]. L’ayant appris de personnes dignes de foi qui me prévenaient en même temps des manœuvres insidieuses des théologiens contre moi, j’ai résolu de surseoir à la publication que je préparais, jusqu’à ce que la situation fût plus claire, mais elle semble empirer tous les jours, et je suis incertain de ce que je ferai. » En fin de compte l’ouvrage resta inédit jusqu’après la mort de Spinoza, survenue le 21 février 1677[33]. On ne peut être surpris qu’affaibli comme il l’était par la maladie, en butte aux attaques d’un parti nombreux et devenu tout-puissant par la révolution de 1672, Spinoza ait préféré renoncer à la publication de l’Éthique de son vivant. Il était permis à ce sage qui avait déjà entrepris d’autres travaux, le Traité Politique en particulier, de vouloir jouir d’un peu de tranquillité dans la dernière année de sa vie, et le désir d’accroître le bruit fait autour de son nom ne pouvait certes trouver place dans son âme épurée. Il se contenta de prendre des dispositions pour qu’après sa mort ses manuscrits fussent remis aux mains de son ami et éditeur Jan Rieuwertsz[34].

On est un peu choqué d’abord de voir que les amis de Spinoza songèrent à vendre ces manuscris, que même des pourparlers furent engagés avec Leibniz à cet effet[35] ; pour ne pas juger ce projet de vente avec une sévérité imméritée, il faut observer[36] que plusieurs copies avaient été prises de ces manuscrits, en particulier de l’Éthique ; la cession de l’original n’eût donc pas empêché la publication, elle eût même pu la faciliter, car Spinoza était mort dans une extrême pauvreté, ses héritiers naturels avaient renoncé à sa succession, et l’on avait craint un moment que la vente du peu d’objets laissés, par lui ne suffit pas à payer son inhumation ; l’argent produit par la vente des manuscrits eût probablement servi à faire les frais de l’impression des Œuvres posthumes ; enfin, il était permis de croire que Leibniz, plus capable que personne de juger de l’importance des papiers laissés par Spinoza, les eût précieusement conservés et finalement laissés à quelque bibliothèque où la postérité les eût retrouvés.

Quoi qu’il en soit, on ne donna point suite au projet de vente, et, grâce à un généreux anonyme d’Amsterdam qui procura l’argent nécessaire, la publication des Œuvres posthumes[37] eut lieu dès le mois de novembre 1677. Presque en même temps parut une traduction hollandaise due à Glazemaker, et qui a été consultée avec fruit par tous les éditeurs et traducteurs récents de Spinoza ; faite non sur le texte déjà imprimé, mais sur un texte manuscrit qui en diffère parfois, elle donne des indications précieuses pour un assez grand nombre de passages.

  1. Rijnsburg est un village situé à quelques kilomètres en aval de Leyde sur le vieux Rhin. Spinoza s’y établit au commencement de 1660 et y résida jusqu’au mois d’avril 1663 ; il y fit un nouveau et court séjour l’hiver suivant, comme le montre un passage de la lettre écrite à Balling en juillet 1664 (Lettre 17). Rijnsburg servait de lieu de réunion aux Collégiants parmi lesquels Spinoza comptait tant d’amis ; par là s’explique le choix qu’il fit de cette résidence et aussi, vraisemblablement, la résolution qu’il prit de l’abandonner, — il y recevait trop de visites. La maison habitée par Spinoza à Rijnsburg existe encore et est connue dans le pays sous le nom de Spinoza-huis. Une société qui a pour secrétaire le Dr W. Meijer (auteur d’importants travaux sur Spinoza), a rendu aux deux chambres occupées par le philosophe l’aspect qu’elles pouvaient avoir de son temps, et y a réuni, outre divers objets intéressant sa mémoire, les livres que nous savons qu’il possédait (voir l’Inventaire de sa bibliothèque, publié par van Rooijen, ou mieux Freudenthal : Die Lebensgeschichte Spinoza’s, p. 160).
  2. Lettre 2. N. B. : je cite toujours les lettres d’après l’édition van Vloten et Land, La Haye, 1882 (2e éd., 1895).
  3. Voir cet Appendice dans le Ier volume de cette traduction, page 196 ; voir aussi la Notice relative au Court Traité (même vol., p. 14) et les notes explicatives (p. 533). — N. B. : pour les renvois que j’aurais à faire dorénavant à ce volume, je me contenterai de l’indication : vol. I
  4. Vol. I, p. 303.
  5. Vol. I, p. 223.
  6. Lire, à ce sujet, la Préface composée par Louis Meyer des Principes de la Philosophie de Descartes vol. I, p. 292.
  7. L’intelligence, on l’observera, ne suffit pas ici : suivant Renan (Discours prononcé à la Haye en 1877), Spinoza est un idéaliste étranger à l’idée de la vie et au sentiment de la réalité. Cf. II. Heine : « À la lecture de Spinoza on est saisi du même sentiment qu’à l’aspect de la grande nature dans son plus vivant repos : une forêt de pensées, hautes comme le ciel, dont la cime ondoyante se couvre de fleurs, tandis qu’elles poussent dans la terre éternelle des racines inébranlables ».
  8. Au sujet de l’idée vraie, voir Traité de la Réforme de l’Entendement, § 41 (vol. I, p. 256), et la note explicative relative à ce passage ; voir aussi Éthique, II, prop. 34 et 43 (avec le scolie).
  9. C’est à travers les penseurs allemands du xviiie siècle ou au moins de sa dernière moitié, que le spinozisme a été vu pendant presque tout le xixe siècle : Lessing et Jacobi, Herder, Goethe, ont fait assurément beaucoup pour sa popularité, et l’on peut dire que par eux il est devenu notoirement une des grandes époques de l’histoire générale de l’esprit (voir, sur ce point, Delbos : le Problème moral dans la philosophie de Spinoza, et un article de M. Andler dans la Revue de Métaphysique et de Morale, 1895). Il ne faut pas oublier cependant que l’Éthique a eu des lecteurs et des admirateurs fervents dans les Pays-Bas et même en France dès le xviie siècle et pendant une partie au moins du xviiie. L’histoire du spinozisme en France, en particulier, n’a pas encore été écrite et rien ne prouve qu’elle ne vaille pas la peine de l’être. (L’étude, intéressante d’ailleurs, de M. Paul Janet dans les Maîtres de la Pensée Moderne, Paris, 1887, est par trop insuffisante et incomplète.) Il faut souhaiter que la publication récente, par M. Colonna d’Istria, de la traduction de l’Éthique, restée si longtemps manuscrite, du comte de Boulainvilliers, attire de ce côté l’attention de quelque historien des idées.
  10. Simon Joosten de Vries, riche commerçant d’Amsterdam, un peu plus jeune que Spinoza, fut peut-être le plus dévoué de tous ses amis. C’est lui qui, d’après Colerus, voulut faire présent au philosophe d’une somme de 2.000 florins que celui-ci n’accepta point. Plus tard, sentant sa fin prochaine (il est mort en septembre 1667 d’après Meinsma : Spinoza en zijn Kring, p. 265), il voulut léguer toute sa fortune à Spinoza qui refusa encore ; il dut se contenter d’insérer dans son testament une clause par laquelle il obligeait son frère et héritier naturel, Isaac de Vries, à servir une rente à Spinoza. Isaac de Vries voulait que cette rente fût de 500 florins. Spinoza ne consentit à en recevoir que 300. — Voir Colerus, Vie de Spinoza, dans Freudenthal Die Lebensgeschichte Spinoza’s, p. 62.
  11. Voir, à, ce sujet, vol. I, p. 19.
  12. Lettre 8, datée du 24 février 1663.
  13. C’est celle de la substance à laquelle était jointe primitivement celle de l’attribut.
  14. Sur Blyenbergh, voir vol. I, p. 218.
  15. Lettre 23.
  16. Lettre 28. D’après l’édition Van Vloten et Land le destinataire serait un certain Bresser, auquel il faudrait également attribuer la composition de la petite poésie latine mise en épigraphe à la première édition des Principes de la Philosophie de Descartes (voir vol. 1, p. 228). Meinsma (op. cit., p. 210) a montré que Bresser était un personnage imaginaire et que le véritable auteur de la poésie latine était Johannes Bouwmeester, l’un des membres du groupe, auquel appartenait S. de Vries. Meinsma ne considère cependant pas la lettre 28 comme adressée à Bouwmeester (op. cit., p. 246, note}. D’après lui le véritable destinataire serait probablement Adrien Koerhagh, et Freudenthal (Spinoza Sein Leben und seine Lehre, vol. I, p. 140) se montre disposé à accepter cette hypothèse. Adrien Koerhagh joignait à un esprit hardi un caractère sans modération ; il ne se contentait pas, comme les autres amis ou disciples de Spinoza, de travailler à son propre affranchissement, attaquait le dogme assez violemment dans ses écrits (en particulier dans l’ouvrage resté inachevé qu’il intitula Een Ligtschynendein Duystere Plaatsen, « Une lumière brillant dans des lieux ténébreux » et par toute sa manière de vivre se signalait dangereusement à l’attention de l’autorité religieuse. Son frère Johannes Koerhagh et lui-même furent poursuivis en justice, emprisonnés et eurent une fin des plus malheureuses (Voir Meinsma, op. cit., chap. x). Il n’est pas douteux que le zèle antireligieux des frères Koerhagh ait contribué à discréditer Spinoza et été pour quelque chose dans la réputation d’impiété qui lui fut faite ; d’autre part, le procès intenté à ces amis compromettants lui donna de nouvelles raisons de conformer sa conduite à sa devise : Caute.
  17. Dans la Notice sur le Traité Théologico-Politique.
  18. Sur Louis Meyer, voir vol. I, p. 279.
  19. Lambert van Velthuysen, à la fois théologien et philosophe, avait, dès 1655 et 1656, publié en hollandais un ouvrage où il établissait que la théorie de Copernic sur le mouvement de la terre et la philosophie de Descartes ne contredisaient pas à la parole de Dieu. Il se prononça pour la liberté religieuse dans son Munus pastorale. Plus tard il combattit vivement le spinozisme.
  20. Pierre de la Court (Pieter van den Hove) était un ami du grand-pensionnaire Jean de Witt qui fut même un peu son collaborateur pour la composition de l’ouvrage intitulé : Interest van Holland (1662 et 1669). C’est, d’après Leibniz, le même Pierre de la Court qui, sous le pseudonyme de Lucius Antistius Constans, publia en 1665 un petit livre intitulé De jure Ecclesiasticorum (ce livre a été attribué faussement à Spinoza lui-même ; Colerus le croit de Louis Meyer). Jean de la Court est l’auteur de deux ouvrages intitulés Politicke Discoursen et Politieke Weegschal (Balance politique).
  21. Ce Jean de Witt composa un livre appelé Publik Gebedt (Prière publique).
  22. D’après Freudenthal (Spinoza sein Leben und seine Lehre, p. 151), l’Éthique suivant le plan primitif se serait composé de trois parties seulement : Théorie de Dieu (première partie actuelle) ; Théorie de l’âme (deuxième partie), Éthique proprement dite (les trois dernières parties). On pourrait aussi bien, remarquons-le, rattacher la théorie des passions (troisième partie actuelle) à la psychologie qu’à l’éthique proprement dite. Je croirais plutôt, quant à moi, que la cinquième partie a toujours été dans la pensée de Spinoza distincte de la quatrième ; déjà dans le Court Traité les six derniers chapitres forment une section à part et les mois de allera pars Ethices, dont il se sert dans la préface de la cinquième partie, montrent qu’il distingue nettement entre la conduite raisonnable de la vie, alors qu’on n’est pas encore affranchi, et l’usage de l’entendement qui conduit à la liberté. J’inclinerai donc à penser que l’Éthique primitive, telle que Spinoza la concevait en 1665, comprenait quatre parties : les deux premières étant à peu près les mêmes que dans la rédaction définitive, la troisième contenant à la fois la théorie des passions, probablement moins développée primitivement, et l’essentiel de ce qui forme actuellement la quatrième partie ; la dernière enfin — peut-être seulement esquissée en 1665 — devait correspondre à la cinquième de l’Éthique définitive.
  23. Nous faisons observer que la connaissance rationnelle (ratio) n’est nullement pour Spinoza la plus haute sorte de connaissance ; voir Éthique, II, prop. 40, scolie 2, et la note explicative où l’on trouvera les références les plus importantes.
  24. La cinquième partie de l’Éthique faisait certainement partie du plan primitif ; j’irais jusqu’à dire que tout l’ouvrage a été composé pour établir que la béatitude n’est pas le prix de la vertu (Éthique, V, prop. 42 et dernière), mais la pensée de Spinoza s’était à la fois précisée et fortifiée pendant les années écoulées de 1661 à 1670, et je pense qu’en 1665 il ne devait pas encore avoir mis sous forme géométrique la théorie de la liberté.
  25. Spinoza aurait probablement retouché le texte en maint passage s’il avait pu en surveiller lui-même l’impression ; les divers manuscrits qui ont servi à la publication tant du texte latin que de la traduction hollandaise (voir plus loin) n’étaient pas parfaitement identiques et aucun d’eux n’était irréprochable, autant qu’on en peut juger.
  26. Lettres 57, 58, 59, 60, 63, 64, 65, 66. Tschirnhaus est assez connu comme amateur de science et de philosophie pour qu’il soit inutile de rien dire ici de lui. Quant à Schuller, né en 1651 à Wesel, bien qu’il eût étudié et exerçât même la médecine (voir note, p. 13), il s’occupait surtout d’alchimie, comme le montre sa correspondance avec Leibniz. Sans grande culture (on en peut juger par son latin) et d’esprit assez médiocre, il avait de la curiosité à l’endroit de la philosophie et sut gagner la confiance de Spinoza qu’il mit en rapport avec Tschirnhaus et Leibniz. Il prit une certaine part, qu’on a parfois exagérée, à la publication des Œuvres posthumes. Au nombre des personnes qui eussent voulu avoir communication de l’Éthique manuscrite, on sait qu’il faut compter Leibniz ; mais Spinoza, un peu méfiant, ne voulut pas que Tschirnhaus la lui donnât à lire ; lui-même cependant, lors de la visite mémorable que lui fit Leibniz, lui montra son manuscrit et lui en lut plusieurs passages.
  27. Voir les décisions prises par les synodes et les conseils presbytéraux dans Freudenthal, Die Lefensgeschichte Spinoza’s (pp. 147, 150, 151) ; voir aussi, dans le même ouvrage (p. 200), un fragment de la lettre adressée par Th. Rizekins, professeur à l’Université de Leyde, à un magistrat de Dordrecht pour empêcher la publication de l’Éthique.
  28. Lettre 62.
  29. Lettre 68.
  30. 3. Spinoza résidait alors à La Haye, dans la maison de van der Spyck où il est mort.
  31. Le prince d’Orange ; il est utile d’observer que le gouvernement républicain avait été renversé, Jean de Witt massacré, et le stathoudérat rétabli en 1672.
  32. Cf. Lucas, la Vie de M. Benoît de Spinoza, dans Freudenthal, Die Lebensgeschichte Spinoza’s, p. 13.
  33. Telle est la date exacte d’après les documents officiels et aussi d’après Schuller qui, appelé comme médecin, fut seul présent à la mort de Spinoza. Colerus, dans son récit, indique le 23 et commet d’autres inexactitudes plus graves. D’après lui, c’est Louis Meyer qui aurait assisté Spinoza à ses derniers instants, et il se serait rendu, à cette occasion, coupable d’un vol. M. W. Meijer (Navorscher, octobre 1897) a rétabli la vérité. Voir, outre son étude sur ce point, les lettres écrites par Schuller dans L. Stein, Leibniz und Spinoza (le livre de Freudenthal, Die Lebensgeschichte Spinoza’s, reproduit les fragments intéressants de ces lettres). Sur les autres légendes mensongères relatives à la mort de Spinoza, voir Freudenthal, Spinoza sein Leben und seine Lehre (p. 305).
  34. Sur Rieuwerts, voir vol. I, p. 1.
  35. Schuller, qui était en correspondance avec Leibniz, servit d’intermédiaire. — Voir Stein, op. cit., p. 286 ; — Freudenlhal, Die Lebensgeschichte Spinoza’s, p. 302.
  36. Voir les remarques judicieuses faites à ce sujet par Freudenthal, Spinoza sein Leben und seine Lehre (p. 307).
  37. Pour le contenu de cette édition, voir vol. 1, p. 207, note 1. J’ai eu l’occasion de dire ailleurs que la préface est de Jarig Jelles, en collaboration peut-être avec Louis Meyer.