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Étude militaire, géographique, historique et politique sur l’Afghanistan/04

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IV

OROGRAPHIE ET HYDROGRAPHIE.

A. — OROGRAPHIE.

L’Afghanistan figure un vaste amphithéâtre, dont les gradins sont formés par des chaînes de montagnes très-accentuées, principalement dans la partie nord-est du pays, et par de vastes plateaux qui descendent vers le sud-ouest.

Les lignes de faîte de ces montagnes courent généralement de l’est à l’ouest ; elles appartiennent à la grande ligne de partage des eaux de l’Asie.

La chaîne principale est formée par les monts Hindou, désignés sur les cartes sous la dénomination Hindou-Koh (Koh veut dire montagne), et qui sont une prolongation de l’Himalaya. La chaîne de l’Hindou-Koh forme une barrière naturelle entre les pays qui subissent l’influence anglaise et ceux où se fait sentir l’influence russe. La chaîne de l’Hindou-Koh se rattache, par le nord-est, aux grands plateaux de Pamir (le Toit du monde) ; elle est, en grande partie, couverte de neiges éternelles.

Certains de ses sommets atteignent une hauteur de 6,000 mètres. Les plus élevés d’entre eux paraissent être le pic de Chitral, qui atteint près de 19,000 pieds, et un autre pic, situé à l’ouest de ce dernier, qui s’élève à 19,500 pieds. Sur la chaîne principale, le défilé du Khawack qui la traverse se trouve à une hauteur qui a été évaluée à 4,025 mètres.

Le mont Blanc, le géant de nos montagnes d’Europe, atteint 4,810 mètres.

Dans la partie nord-est de l’Afghanistan, la chaîne de l’Hindou-Koh forme une série de hauts plateaux qui s’avancent en pointe vers la frontière de l’empire des Indes, et desquels sortent les plus grands fleuves qui arrosent cette contrée. Ces hauts plateaux, habités par une race guerrière et remuante, sont un danger sérieux pour la sécurité de cette partie de la frontière anglo-indienne.

À l’ouest, l’Hindou-Koh se termine par un énorme massif montagneux appelé le Koh-i-Baba (le Père des montagnes), dont certains sommets atteignent près de 5,000 mètres.

De ce massif se détache, vers l’est, tout un système de montagnes qui peut être divisé en trois chaînes principales, savoir :

1° La chaîne du Sefid-Koh oriental[1] (ou montagnes blanches), qui court de l’est à l’ouest le long de la vallée du Caboul-Daria, et dans laquelle se trouvent les fameuses passes de Koord-Caboul et du Khyber.

Certains sommets de cette chaîne atteignent plus de 4,000 mètres.

2° Une chaîne qui se dirige vers Le sud, sous les noms de monts Djadranan, monts Gats, monts Amram, qui séparent le bassin de l’Helmand de celui de l’Indus, et dans lesquels on remarque les sommets de Kand, de Joba et de Chapper.

À l’est de cette chaîne, et presque parallèlement à elle, se trouvent les monis Soleiman, Soleiman-Koh ou montagnes de Salomon, qui forment la barrière orientale de l’Afghanistan et renferment les défilés de Kurum et de Gomul.

« L’altitude moyenne de cette chaîne peut être de 3,000 à 3,500 mètres ; sa plus haute sommité, le Takht-i-Soleiman ou Trône de Salomon, que les gens du pays appellent plus communément Kaïsa-Ghor, atteint, d’après une mesure barométrique, 12,831 pieds anglais (3,910 mètres). Les monts Soleiman sont distants de 100 kilomètres environ des bords de l’Indus ; mais il faut continuer encore de gravir une pente plus ou moins inclinée de près de 250 kilomètres, pour atteindre la crête même du plateau où sont les sources des diverses rivières qui descendent vers le fleuve, en coupant sur plusieurs points les crêtes étagées du Soleiman-Koh[2]. »

3° Une chaîne qui se dirige vers Le sud-ouest, et qui sépare pendant plus de 300 kilomètres Le cours de l’Helmand de celui de l’Argand-Ab, son affluent.

Tout ce système montagneux subit, à l’ouest, une très-forte dépression, dans laquelle viennent se perdre une partie des rivières qui en découlent ; mais le sol se relève bientôt pour former en Perse de nouveaux hauts plateaux.

Du massif du Koh-i-Baba se détachent encore, vers l’ouest, plusieurs chaînes de montagnes ou chaînons fort importants.

C’est d’abord celle du Selid-Koh occidental ou montagnes blanches ; puis celle des montagnes du Turkestan, désignées généralement sous le nom de Ghor, qui lui-même veut dire montagne : et, enfin, la chaîne du Siah-Koh ou des montagnes noires, qui sert de séparation entre les eaux qui se dirigent vers le nord, soit pour se rendre dans la mer Caspienne ou la mer d’Aral, soit pour se perdre dans les déserts du Turkestan, et celles qui se dirigent vers le golfe Persique.

Nous ne possédons pas de données précises sur la hauteur de ces différentes montagnes ; mais, de leurs noms même, on peut déduire la relation qui doit s’établir entre leurs reliefs respectifs.

Ainsi, le Siah-Koh où montagne noire est très-probablement moins élevé que le Sefid-Koh ou montagne blanche, qui à dû être appelé ainsi par suite de l’aspect que lui donnent les neiges qui recouvrent ses sommets.

B. — HYDROGRAPHIE.

De la description orographique que nous venons d’étudier résulte le partage de l’Afghanistan en trois bassins principaux :

Le bassin du nord ou de la dépression aralo-caspienne ; le bassin de l’ouest, dont les tributaires convergent vers les marais du Seistan ; le bassin de l’est ou de l’Indus.

I. — BASSIN DU NORD.


Ce bassin est formé au nord par le plateau de Pamir et les montagnes de la Boukharie et du Turkestan septentrional ; au sud, par les pentes de l’Hindou-Koh, du Koh-i-Baba et des hauteurs qui se prolongent vers l’ouest. Les principaux cours d’eau qu’il renferme sont :

1° L’Amou-Daria (Amu-Daria ou Djinoun, Oxus des anciens), qui est souvent désigné, dans la partie supérieure de son Cours, sous le nom d’Ab-i-Pendjab.

L’Ab-i-Pendjab ou Amou-Daria supérieur est formé de deux branches principales qui se réunissent vers le 37° de latitude et le 70°, 30’ longitude est (Paris). La branche-mère sort du plateau de Pamir, à peu près au 37°, 30’ latitude et 71°, 30’ longitude est (Paris), à une altitude que l’on évalue à 15,000 pieds anglais (4,700 à 4,800 mètres), non loin du nœud gigantesque d’où rayonnent le Bolor, l’Himalaya, l’Hindou-Koh et le Kouen-Loun.

Cette branche du fleuve est généralement désignée par les populations riveraines sous le nom d’Ouakhsou, rivière de Ouakhan, d’après le premier pays qu’il traverse. Ce nom, qui est Wackhou dans la géographie sanscrite, parvint, après Alexandre, à la connaissance des Grecs, qui l’adoucirent en Oxos (Oxus).

La seconde branche sort également du plateau de Pamir, traverse le lac Victoria, situé à une altitude de 4,950 mètres, et rejoint la première après un parcours d’environ 140 kilomètres.

« Le fleuve se dirige alors au sud-ouest, à travers les vallées de l’Ouakhan et du Badackhan, canton renommé pour ses mines de pierres précieuses. Après s’être relevé au nord-ouest, le fleuve prend sa direction générale à l’ouest, dans le khanat de Koumdouz, laissant au sud, dans la direction de l’Hindou-Koh, qui domine à la distance de deux ou trois journées cette partie supérieure de son cours, les villes de Faizabad, de Koundouz, de Khoulm et de Balk[3]. »

L’Ab-i-Pendjab passe à Bar-Pendjab, forteresse afghane ; Kila-Khum, ville de Boukharie, reçoit sur sa rive gauche l’Ab-i-Vardoj, qui arrose Faizabad, et, sur sa rive droite, la grande rivière de Surkab, qui est son principal affluent du nord, La rivière de Surkab prend sa source à l’ouest du plateau de Pamir, et traverse toute la Boukharie orientale à partir de son confluent avec le Surkab. L’Ab-i-Pendjab devient l’Amou-Daria proprement dit : il reçoit à gauche la rivière Aksaria, qui descend de l’Hindou-Koh et arrose Kunduz. L’Amou-Daria reçoit ensuite, à droite, les rivières de Kafir-Rahang et de Tufalang, et, à gauche, des cours d’eau insignifiants, parmi lesquels nous noterons les canaux formés par la rivière de Balk, qui sont absolument à sec dans la saison d’été.

Jusque-là le fleuve a coulé dans un pays de vallées et de hautes montagnes ; à partir du canton de Balk, il entre dans la région des plaines et bientôt des déserts, À une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Balk l’Amou-Daria se tourne vers le nord-ouest et ne quitte plus cette direction générale, jusqu’au pays marécageux qui avoisine le lac d’Aral, Il laisse Boukhara à 110 kilomètres sur sa droite, Khiva à 48 ou 50 kilomètres à gauche, et se déverse dans le lac Aral, ou, prétend-on, depuis quelque temps dans la mer Caspienne, ainsi que nous le verrons plus loin.

« Depuis le canton de Balk le fleuve coule dans un lit trop profond pour être facilement amené par des canaux sur les champs de culture ; aussi est-il bordé seulement d’une lisière très-étroite de jardins, restreints à la portion de la vallée comprise entre les berges elles-mêmes ; dans le pays de Khiva un grand nombre de canaux de dérivation étendent à quelques lieues la bande de terrain productif.

« Après le canton de Balk le fleuve ne reçoit plus d’affluent ; il a dû en recevoir un jadis, le Zerafchan, qui fertilise la longue vallée où se trouvent les célèbres cités de Samarcand et de Boukhara et crée au milieu des sables du Turkestan une magnifique oasis autrefois connue sous le nom de Sogdiane, mais depuis un temps immémorial le Zerafchan se dissipe dans les sables, ou se perd dans un lac avant d’atteindre l’Amou-Daria[4]. »

D’après Arminius Vambery, la largeur de l’Amou-Daria à Karki, au-dessous de Khojah-Saleh, serait de 823 yards, c’est-à-dire à près deux fois celle du Danube entre Ofen et Pesth ; sa profondeur dans ces parages serait d’environ 19 pieds. À Kohjah-Saleh, où Burnes le traversa, ce voyageur mesura une largeur de 450 mètres et une profondeur de 6 mètres.

Le cours de l’Amou-Daria est très-rapide ; dans sa première partie, son canal est remarquablement droit, exempt de rochers et d’obstacles de quelque nature que ce soit ; mais lorsqu’il entre dans la région du Turkestan, son cours se ralentit un peu, des bancs de sable pointent çà et là et gênent souvent la navigation ; il arrive que pendant l’été des bateliers mettent au moins deux heures pour le traverser, obligés qu’ils sont à descendre plusieurs fois dans l’eau pour dégager leurs bacs engravés dans plusieurs bas-fonds.

Ce grand fleuve est navigable, dit Burnes, au moins jusqu’à Koundouz. Il est sujet à une crue périodique, de même que toutes les grandes rivières qui sortent du versant méridional du plateau de Pamir. Le débordement commence en mai et finit en octobre.

On ne supposerait guère, dit encore Burnes, qu’un si grand fleuve, sous une latitude aussi basse que celle de 38°, gelât en hiver ; c’est cependant ce qui arrive assez souvent à l’Oxus. La partie supérieure de son cours au-dessus de Koundouz est prise annuellement par les glaces ; les voyageurs et les bêtes de somme le traversent alors en allant à Yarkand. Il est vrai que là il coule dans une région haute ; toutefois, dans le désert il gèle aussi quand l’hiver est rigoureux. En 1831 les caravanes le passèrent sur la glace à Tchordjoui, à 110 kilomètres de Boukhara. On retrouve là la continuation des influences boréales qui sévissent dans les steppes kirghises, qu’aucun rideau de montagnes n’interrompt.

La longueur totale du parcours du fleuve Amou-Daria est d’environ 1,800 kilomètres ; son débouché est une question qui a fort exercé les explorateurs et les critiques autrefois, et qui aujourd’hui n’est pas encore élucidée.

Dans l’antiquité, l’Amou-Daria se jetait dans la mer Caspienne, et sur toute bonne carte du Touran on voit aujourd’hui la trace de l’ancien cours de ce fleuve au sud du plateau d’Usturt.

Par suite de bouleversements géologiques que nous n’avons pas à examiner ici et qui seraient survenus en 1643, l’Amou-Daria modifia son cours en prenant sa direction vers le nord, pour se jeter dans une excavation qu’il remplit aujourd’hui concurremment avec le Sir-Daria et qu’on appelle le lac d’Aral.

Ce changement d’itinéraire dans le cours du fleuve eut pour conséquence de transformer en un désert tout le pays compris entre la rive gauche de l’Amou-Daria, la rive droite du Murg-Ab, qui se perd maintenant dans les sables au-dessous de Merve, et la vallée de l’Atreck. Les pays touraniens se trouvèrent donc complétement isolés ; Khiva devint une oasis au milieu d’un désert impraticable aux troupes, et les Russes, après s’en être emparés, ont dû évacuer cette ville qui leur était utile comme base d’opération vers le sud. La main de l’homme contribuait, du reste, à maintenir l’Amou-Daria dans son nouveau lit, les Khivans ayant endigué toute la partie inférieure du fleuve qu’ils employaient à l’irrigation de leurs terres.

Telle était la situation, lorsque le 27 septembre 1878 on annonça tout à coup de Saint-Pétersbourg que l’Amou-Daria était rentré dans son lit primitif. Voici le texte de la dépêche par laquelle le général Lamakine, résidant à Kraznovodsk, rend compte de cet événement au grand-duc Michel, lieutenant général du Caucase, dont dépend administrativement le district militaire trans-caspianique :

« Des exprès arrivés de Khiva me communiquent que l’Amou-Daria, perçant sa grande digue à la hauteur du fort de Bend et se déversant par les canaux de Landan-Khan-Yab et Kochbeg, a poussé par l’Ousboï (nom de l’ancien lit) jusqu’aux lacs de Sary-Kamich, remplissant ces lacs ainsi que les marais salants voisins de Kalkh-Poullar. Les digues de Chakbend et de Salikbend sont rompues, le flot continue à se mouvoir sans obstacle dans l’Oubstoï. Grâce à cette circonstance, une étendue de 200 verstes jusqu’à présent sablonneuse se trouve arrosée sans aucun dommage pour l’oasis de Khiva. »

Ce phénomène n’est pas nouveau, mais il faut remarquer qu’il s’est produit cette fois avec une force extraordinaire et dans un moment où la politique russe semblait tendre tous ses efforts du côté de l’Asie.

Les Khivans ont toujours fait de grands efforts pour rétablir leurs digues quand elles se rompaient ; ils y trouvaient, en effet, non-seulement un secours précieux pour leur agriculture, mais aussi un moyen d’être séparés de voisins parfois incommodes ; l’ambition constante des Russes a été, au contraire, de faire rentrer l’Amou-Daria dans son ancien lit, ce qui leur donnerait une excellente route militaire et commerciale pour relier leurs possessions de l’Asie centrale au reste de l’empire.

Aujourd’hui la voie à suivre paraît déjà toute tracée à la Gazette de Moscou[5]. Il ne faut pas que les Khivans réédifient leurs digues, et il faut que la Russie perce le seuil de 50 verstes qui arrête encore l’Amou-Daria dans sa route vers la mer Caspienne lorsque les eaux n’atteignent pas leur plein. « Une expédition scientifique envoyée sans délai aux lacs de Sary-Kamich peut, dit-elle, résoudre sans difficulté une question ayant une importance capitale. Dieu sait si l’obstacle dont on parle est assez fort pour résister aux puissants moyens techniques de notre époque, et quelques charges de dynamite suffiraient sans doute pour changer la situation politique générale des deux hémisphères. » La conclusion inévitable c’est la rentrée des Russes à Khiva et leur occupation définitive de tout le khanat ; la conclusion possible c’est la prise de possession de tout le pays jusqu’aux plateaux de Pamir, d’où l’on peut descendre à la fois vers la Chine, vers l’Hindoustan et l’Afghanistan. C’est donc peut-être au plateau de Pamir, le Toit du monde, qu’est le nœud véritable de la question d’Orient.

2° Dans le bassin du nord, nous trouvons encore la rivière Murg-Ab, cours d’eau fort important dans certaines saisons, qui prend sa source à la naissance des monts Sefid-Koh (Sefid occidental), et va se perdre dans les déserts du Turkestan, au-dessous de la ville de Merv ou Nau-Kala, après avoir reçu les petites rivières de Dara et de Kushk.

Pendant son trajet dans l’Afghanistan, le Murg-Ab coule dans une riante vallée et arrose les villages de Shah-Mashab, Bala-Murgab, place forte, Maranchak, Agah, Panj-Deh et Robat-Abdula-Khan. Son cours est rapide, ses eaux sont claires. Au sud de Bala-Murg-Ab, la vallée du Murg-Ab devient peu à peu si étroite, qu’on pourrait l’appeler un défilé.

« La rivière, dit le voyageur Vambery, s’y précipite en écumant avec un bruit de tonnerre, et c’est seulement en aval de Panj-deh que le Mourg-Ab, devenu plus large et plus profond, modère son violent essor. »

Quand Merv était une ville riche et puissante, il a dû exister dans ces parages une civilisation assez avancée ; mais aujourd’hui les Turcomans y ont élu domicile, et la ruine et la désolation accompagnent partout leurs bandes sauvages. Les habitants du pays, d’origine iranienne, ont pris le costume et la manière de vivre des Turcomans, et se livrent comme eux au pillage et à des razzias redoutables[6].

Leurs chefs actuels sont à la solde des Afghans et ont, au dernier siége de Hérat, mérité, par leurs services, les faveurs de Dost-Mohammed et de son successeur Shere-Ali. Néanmoins, leur fidélité est très-précaire, et pour peu qu’ils y trouvent un avantage, ils sont capables de se soulever d’un moment à l’autre, car ils n’admettent pas que le maître de Hérat puisse avoir le moindre droit sur eux.

3° La rivière Hari-Rud ou Heri-Roud, formée par la réunion du Jangab-i-Ab et du Tingal-Ab, traverse la longue et étroite vallée formée par les pentes du Sefid occidental et du Siah-Koh. Elle arrose Zartala, Sarkag-Salma, Iaor-Obey-Marva, passe près de l’importante ville de Hérat ; puis, à une quarantaine de milles de là, se redresse brusquement vers Le nord, sert de limite entre l’Afghanistan et la Perse, arrose le ville persane de Saraks, et va se perdre au nord, dans les déserts du Turkestan.

Pendant son parcours sur le territoire afghan, le Hari-Rud ne reçoit aucun affluent digne d’être signalé ; la vallée qu’il traverse est très-fertile et généralement bien cultivée.

D’après le capitaine Marsh[7] qui fit, il y a cinq ans, le voyage de Meshed à Hérat au mois d’avril, l’Hari-Rud, épuisé par les canaux d’irrigation qu’il alimente dans la partie supérieure de son cours, était presque à sec le long de la frontière afghane. Quoique son lit eût près d’un kilomètre de large, on n’y voyait qu’un mince filet profond d’un pied à peine, et dont la largeur n’atteignait pas deux mètres.

II. — BASSIN DE L’HELMAND

Le bassin qui s’ouvre au S.-0. de l’Afghanistan est entouré par les deux chaînes issues de l’Hindou-Koh, qui s’avancent vers le S.-0. ; la chaîne du Siah-Koh et celles des monts Jadran, Gats, etc., prolongés jusqu’au mont Chapert,

Les principaux bassins de ce cours d’eau sont, en partant du nord, le Ha-Rud, et le Farah-Rud, qui descendent tous deux du Siah-Koh et vont se jeter dans un lac de 10 milles carrés de superficie, situé au N.-0. du vaste marais désigné sur nos cartes sous le nom de Hamun (marais).

Les géographes orientaux donnent à ces marais le nom de Zareh, c’est-à-dire l’Aria-Palus des anciens. D’après Ferrier, les gens du pays l’appellent Mechileh-Seitan, ou lac du Seistan.

Le marais d’Hamun est peu profond, couvert de roseaux, souvent à sec, sauf dans sa partie septentrionale. La hauteur du sol de l’Hamun est seulement, d’après les observations de M. Lenz, membre de l’expédition russe de 1858, de 390 mètres au-dessus de la mer, ce qui indiquerait une dépression très-considérable dans cette partie du plateau.

Dans l’Hamun vient se jeter l’Helmand, qui est la rivière la plus importante de l’Afghanistan.

L’Helmand prend sa source dans le Koh-i-Baba, traverse toute la partie méridionale de l’Afghanistan, et va se jeter dans un lac situé au N.-E. du marais Hamun.

L’Helmand est navigable en tout temps depuis la ville de Girichks, et c’est la seule rivière afghane proprement dite qui jouisse de cet avantage. Sa largeur atteint, dans la saison des pluies, plusieurs kilomètres.

Le capitaine Marsh, qui traversa l’Helmand à Girichki, à la belle saison, vers le mois de mai, dit que cette rivière avait encore de 90 à 100 mètres de large en cet endroit, et plus d’un mètre de profondeur. Ajoutons que c’est l’époque à laquelle les eaux sont les plus basses.

L’Helmand reçoit, à droite, le Musa et le Khash-Rud, qui descendent du Siah-Koh ; à gauche, il reçoit la grande rivière de l’Argand-Ab, qui a elle-même pour tributaires le Kardanai, l’Arghasan, le Tarnak.

Entre le bassin de l’Helmand et celui de l’Indus, se trouve, sur le plateau, un petit bassin du lac Ab-Istaba (l’Eau dormante), sorte d’entonnoir sans issue.

III. — BASSIN DE L’INDUS.

L’Indus ou Sind n’appartient pas, à proprement parler, à l’Afghanistan ; il ne traverse le territoire soumis à l’émir de Caboul que dans une toute petite partie de son cours moyen, mais a pour tributaires toutes les rivières qui descendent du versant oriental de l’Hindou-Koh jusqu’au massif du Koh-i-Baba, ainsi que les cours d’eau qui prennent naissance sur les pentes du Sefid oriental et les hauts plateaux des monts Soleiman. À ce titre, il doit trouver place dans le cadre de cette étude.

L’Indus est un des fleuves les plus célèbres du monde ; dès les temps les plus reculés son nom est cité dans l’histoire, et l’étendue de son cours, ainsi que le volume de ses eaux, en font un des fleuves les plus remarquables.

Sorti de la haute chaîne de l’Himalaya, où il prend naissance vers le 31°, 10’ latitude nord et le 82° de longitude est, il court pendant plus de 400 kilomètres vers le nord, à travers tout ce chaos de montagnes qui couvrent la partie septentrionale de l’empire des Indes.

Vers le 35°, 40’ de latitude nord et le 72°, 30’ de longitude est, il tourne brusquement vers le sud-ouest, traverse quelques vallées de l’Afghanistan, rentre sur le territoire indien entre le 34° et le 35° de latitude nord, et continue sa course, sans modifier sa direction générale, jusqu’au golfe d’Oman, dans lequel il se jette par onze branches vers le 24° de latitude nord et le 64°, 66’ de longitude est.

Les villes principales qu’arrose l’Indus appartiennent à l’empire des Indes ; ce sont : Attok, Dera-Ismail-Khan, Dera-Ghasi-Khan, Mithan-Kot, Bakar, Hyderabad.

La largeur du fleuve à Attok est déjà de 900 pieds ; lorsqu’il rentre, au-dessous d’Altok, dans la région montagneuse, son lit se resserre un peu, mais il acquiert alors une grande profondeur et son courant est très-rapide.

La navigation de l’Indus est très-développée. Un service régulier de bateaux à vapeur relie entre elles toutes les stations militaires qui se trouvent sur ses rives.

Les grands affluents qu’il reçoit sur sa rive gauche et dont je n’ai pas à parler ici, ainsi que les chemins de fer de Delhi à Lahore, Rawal-Pindi et Peschawar, de Lahore à Moulten, Bawalpar, Khampar et Hyderabad, mettent les places qu’il arrose en communication avec toute l’Inde anglaise.

Les principales rivières afghanes qui se jettent dans l’Indus sont, en partant du nord, la rivière de Caboul ou Caboul-Daria, le Kurum et le Gomul.

Le Caboul-Daria prend sa source à une centaine de kilomètres à l’ouest-sud-ouest de Caboul, dans le massif du Koh-i-Baba, par 34°, 30’ latitude nord et 66° longitude est environ. Il est appelé, dans cette première partie de son cours, Djouï-Chir (Tête de la rivière).

Le Caboul-Daria arrose la ville de Caboul, a pour tributaires, à droite, la rivière de Logar ; à gauche, celle de Pandschir ; se dirige ensuite, de l’ouest à l’est, à travers une riche vallée ; baigne Djellalabad, Lalpoor ; longe l’extrémité des monts Sefid, qui portent alors le nom de monts du Khyber ; entre dans la plaine de Peschawar, ville qu’il laisse à quelques kilomètres sur sa droite, et va se jeter dans l’Indus, en face d’Attok.

Depuis son point de réunion avec le Pandschir jusqu’à Atlok, le Caboul-Daria reçoit plusieurs affluents dont les plus considérables sont : à droite, le Surck-Ab (Rivière rouge) ; à gauche, le Khounar, qui descend du Tchitral, et enfin l’importante rivière de Landaï.

La longueur du cours du Caboul-Daria est d’environ 500 kilomètres. Cette rivière peut porter des bateaux depuis Caboul jusqu’à l’Indus ; mais son cours torrentueux, les nombreux rapides qu’on y rencontre, les rochers qui encombrent son lit en certains endroits en rendent la navigation pénible et même quelquefois dangereuse.

« Le bassin de la rivière de Caboul présente dans son ensemble une configuration vigoureusement accentuée. Il faut y distinguer doux régions physiques : la partie supérieure du bassin et sa partie inférieure. La première, où se trouve la ville de Caboul, est un plateau montagneux, d’une élévation considérable, et où la température rappelle successivement, selon les saisons, les étés brûlants de la Calabre, le printemps de la Toscane et les froids rigoureux des Alpes ou de la Norwége ; la seconde, qui comprend Djellalabad et Peschawar, est une suite de plaines basses et chaudes, dont le climat et la végétation ressemblent à ceux de l’Inde. Une descente rapide, marquant l’escarpement du plateau de Caboul, forme, au-dessus de Djellalabad, la transition de la haute et de la basse région[8]. »

L’altitude des sources du Caboul-Daria est de près de 3,000 mètres ; celle de la ville de Caboul de plus de 1,900 mètres. Djellalabad n’est située qu’à 600 mètres au-dessus du niveau de la mer ; Lalpoor, à 430 mètres, et Attok, à 278 mètres. Le voyageur qui remonte la vallée du Caboul-Daria doit donc trouver, pour ainsi dire à chaque étape, un changement complet dans l’aspect général du pays, ses productions et son climat.

La vallée du Caboul-Daria est entourée de tous côtés de montagnes très-difficiles à franchir. À l’est même, où la rivière se fraye un passage à travers les hauteurs du Khyber, son lit est tellement resserré entre les rochers qu’on ne peut pénétrer dans le Caboulistan que par un défilé situé à quelques kilomètres au sud, le défilé du Khyber, dont je parlerai dans le chapitre suivant.

Après le Caboul-Daria, le premier affluent de la rive droite de l’Indus, que l’on trouve en descendant vers le sud, est la rivière de Kurum. Ce cours d’eau prend sa source à l’extrémité occidentale du Sefid-Koh, au pied des monts Djadran, et parcourt, en se dirigeant vers l’est, une profonde vallée formée par les dernières pentes des Djadrans, la chaine du Sefid et celle des monts Soleiman. Il passe au pied de Mohamed-Azim ou fort de Kurum, à Ibrahim-Zai, à Bog-Sai, puis tourne au sud, reçoit la rivière Schamil, passe à Bannu ou Edwardezabad, reçoit la Toschee et se jette dans l’Indus, au-dessous d’Isakel. Dans la partie inférieure de son cours, le Kurum est très-large, mais son lit est hérissé de rochers. La vallée du Kurum renferme une des principales voies stratégiques conduisant de l’Inde anglaise vers Caboul.

En continuant sur la carte notre route vers le sud, le long de la frontière afghane, nous rencontrons la rivière de Gomul. Ce cours d’eau prend naissance dans les hauts plateaux formés par les monts Soleiman, qu’il franchit par la passe qui porte son nom et qui est, comme celle du Kurum, une des routes de communication les plus accessibles entre l’Inde et l’intérieur de l’Afghanistan.

Dans la partie supérieure de son cours, le Gomul reçoit quelques affluents dont les principaux sont le Mammeye, le Coundour et le Zhobe.

Les eaux du Gomul sont détournées par un grand nombre de canaux pour les besoins de l’agriculture, et cette rivière n’arrive jusqu’à l’Indus qu’aux époques où elle est gonflée par les pluies.

Une foule d’autres petits cours d’eau, issus des monts Soleiman, descendent vers l’Indus ; ils figurent sur presque toutes les cartes, mais ils sont presque tous insignifiants, peu ou point reconnus, et m’occuper d’eux serait arrêter inutilement l’attention du lecteur.

  1. On trouve dans l’Afghanistan deux chaînes de montagnes portant le nom de Sefid. Pour les distinguer, j’appelle l’une Sefid oriental et l’autre Sefid occidental.
  2. Vivien de Saint-Martin.
  3. Vivien de Saint-Martin, Dictionnaire géographique.
  4. Vivien de Saint-Martin.
  5. Article rapporté par le journal le Temps, du 27 octobre 1878.
  6. Arminius Vambery.
  7. Bulletin de la réunion des Officiers, du 23 novembre 1878.
  8. Vivien de Saint-Martin.