Étude sur l’histoire d’Haïti/Tome 1/1.10

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Dezobry et E. Magdeleine, Lib.-éditeurs (Tome 1p. 305-327).

CHAPITRE X.

Conduite des hommes de couleur de l’Ouest, après leur expulsion du Port-au-Prince. — Conduite de ceux du Sud. — Événemens dans les deux provinces. — Saint-Léger se transporte dans l’Ouest. — La commission civile se décide à retourner en France. — Départ de Mirbeck et de Saint-Léger. — Roume prend la résolution de rester à Saint-Domingue. — Ses motifs.

Après leur expulsion du Port-au-Prince, les hommes de couleur se réfugièrent à la Croix-des-Bouquets, où ils continuèrent la confédération qu’ils avaient formée avec les blancs de cette paroisse et des autres paroisses de la province de l’Ouest. Nous avons vu que Hanus de Jumécourt et Coustard n’étaient pas moins exposés qu’eux à la haine des factieux du Port-au-Prince. Ces contre-révolutionnaires, qui visaient toujours au rétablissement de l’ancien régime de la colonie, à moins de changer d’opinion, étaient forcés de les accueillir et de maintenir les principes de la confédération.

On a beaucoup accusé les contre-révolutionnaires, par rapport à leur projet de refouler à Saint-Domingue la révolution française ; mais il nous semble que jusqu’alors ils avaient un certain mérite, comme citoyens français, en ce sens qu’ils voulaient néanmoins le maintien de l’autorité de la métropole dans la colonie, tandis que les colons de la faction de l’assemblée de Saint-Marc n’avaient paru accepter la révolution que pour parvenir à l’indépendance : projet auquel ils furent constamment fidèles, soit qu’ils espérassent se maintenir eux-mêmes dans cet état, ou qu’ils reconnussent la nécessité de soumettre la colonie au protectorat de la Grande-Bretagne ou de la lui livrer à discrétion, pourvu que cette puissance conservât la forme ancienne de l’esclavage des noirs et de l’abaissement des hommes de couleur.

Ainsi, si d’un côté, les contre-révolutionnaires espéraient maintenir la race noire dans l’avilissement, de l’autre, la faction léopardine, s’accordait aussi avec eux dans le même but final. Les uns et les autres avaient donc une égale horreur pour les principes de la révolution française, dont les conséquences étaient naturellement la réhabilitation de cette race.

Quant aux hommes de couleur, la liberté civile dont ils jouissaient devait nécessairement les amener à la jouissance de la liberté politique et de l’égalité avec les blancs, par l’influence même des principes de la révolution. C’est ce qui explique leur profond attachement à la France, mais à la France révolutionnaire. Le but qu’ils se proposaient d’atteindre leur commandait de se rattacher à celui des deux partis, parmi les blancs, qui voulait la conservation de St-Domingue à sa métropole, parce qu’ils étaient assez éclairés pour reconnaître que la contre-révolution était impossible, soit en France, soit dans la colonie. Ils sentaient que ce parti, avec lequel ils se liguèrent, n’avait point d’avenir, et que tôt ou tard il serait forcé de leur faire toutes les concessions qu’ils désiraient obtenir. Voilà les motifs de leur confédération avec les blancs des paroisses qui s’empressèrent d’accepter les concordats. Ils voulurent bien leur laisser l’illusion où ils étaient, depuis les manœuvres de Peinier et de Mauduit, jusqu’à la conduite tortueuse de Blanchelande et des autres agens du gouvernement. La déclaration de Bauvais à Roume prouve ce que nous avançons ici : — enrégimenter le diable, s’il se présente.

Un autre motif avait guidé les chefs des hommes de couleur. Il était essentiel au succès de leur cause que les blancs restassent divisés entre eux. S’ils avaient refusé l’alliance des contre-révolutionnaires, qui étaient presque tous propriétaires d’esclaves, ces contre-révolutionnaires se seraient vus forcés, probablement, d’abjurer leurs principes, de renoncer à leur projet, pour se liguer avec les autres colons, ainsi qu’ils firent plus tard. Alors, les hommes de couleur auraient eu à combattre toute la race blanche à Saint-Domingue. Or, comme la métropole avait tout naturellement ses sympathies pour cette race, il aurait fallu combattre également les forces qu’elle n’eût pas manqué d’y envoyer à son aide. La conduite de Pinchinat, de Bauvais, de Rigaud, fut donc habile. Sachons en tenir compte à ces premiers révolutionnaires, qui furent d’abord mis en suspicion par les commissaires civils envoyés en 1791, à cause de leurs principes apparens, mais qui leur dessillèrent les yeux.

Qu’on ne croie pas, néanmoins, que ces hommes de couleur étaient guidés par un sentiment d’égoïsme pour leur classe, et qu’ils étaient insensibles ou indifferens au sort des esclaves noirs. En poursuivant l’œuvre qui devait leur faire acquérir la jouissance de leurs droits politiques, ils n’étaient pas moins disposés à travailler à l’amélioration de la condition de ces infortunés auxquels ils tenaient par des liens sacrés. Si nous avons eu à leur reprocher leur faiblesse au sujet des suisses, nous démontrerons bientôt qu’ils surent réparer ce tort dans l’Ouest même ; que Rigaud, dans le Sud, assura la liberté à de nombreux esclaves, avant l’arrivée des nouveaux commissaires civils, ils eurent ainsi l’honneur d’avoir précédé la déclaration de la liberté générale. Nous citerons un aveu de Sonthonax lui-même à cet égard, quelques mois après son arrivée au Cap.

Et remarquons encore que la conduite des noirs insurgés du Nord fut entièrement conforme à celle tenue dans l’Ouest par les hommes de couleur. Nous avons cité assez de documens et de faits qui prouvent l’alliance des noirs avec les agens contre-révolutionnaires, et la même conformité de vues de la part des hommes de couleur qui servaient dans leurs rangs comme auxiliaires. C’est qu’en effet, pour les uns comme pour les autres, il n’y avait pas d’autre marche à suivre, dans ces premiers momens de la révolution de Saint-Domingue.


La duplicité des factieux du Port-au-Prince était telle, que, dès le 24 novembre, la municipalité de cette ville, dont la conduite avait été si odieuse dans l’affaire du 21, adressa une lettre aux confédérés de la Croix-des-Bouquets où elle leur disait que le traité de paix du 23 octobre ne pouvait être considéré comme détruit, et qu’elle les engageait à rentrer au Port-au-Prince. Elle leur disait en outre (ce qui était faux) qu’elle avait rappelé les députés de la paroisse à l’assemblée provinciale de l’Ouest et à l’assemblée coloniale ; et elle invitait les hommes de couleur à se réunir à elle pour former une nouvelle municipalité. Le fait est, qu’elle voulait donner le temps aux blancs de la ville d’achever ses fortifications, et qu’elle redoutait l’insurrection des esclaves de la part des hommes de couleur.

Ceux-ci, voulant prouver leur modération, commandée du reste par la position de leurs familles qui avaient été emprisonnées, posèrent pour condition préalable qu’elles leur fussent remises. Cette condition acceptée, ces familles furent en effet envoyées sous escorte à la Croix-des-Bouquets.

Mais, reconnaissant aussitôt que le choix qu’ils avaient fait de Caradeux la Caye, frère du Cruel, était peu propre à inspirer de la confiance aux hommes de couleur, les blancs lui substituèrent M. de Grimouard, commandant du vaisseau le Borée, qui se rendit à la Croix-des-Bouquets. La condescendance de cet officier honorable, homme de bien, à se prêter à ce rôle de médiateur, fut cependant cause de sa mort, provoquée par les colons au tribunal révolutionnaire de Rochefort. Ils ne lui pardonnèrent point la modération dont il fit preuve dans sa mission[1].

En recevant ses communications, les hommes de couleur posèrent leurs conditions pour le rétablissement de la paix et de leur rentrée au Port-au-Prince. Elles consistaient principalement dans les points suivans : 1o  l’embarquement des troupes et des canonniers de Praloto, et des chefs de brigands et autres incendiaires du Port-au-Prince ; la restitution de leurs armes et munitions à l’arsenal, et la remise de Praloto et de Binse, son lieutenant, aux mains de la justice ; 2o  la remise du fort Saint-Joseph et de celui de Belair aux hommes de couleur ; 3o  la formation d’une nouvelle garde nationale et d’une municipalité provisoire ; 4o  l’annulation des actes de l’ancienne municipalité et de l’assemblée de l’Ouest, comme portant atteinte aux droits des citoyens de couleur, etc.

Les blancs ne souscrivirent point à ces conditions ; et après de vaines tentatives de la part de M. de Grimouard pour concilier les prétentions respectives, les négociations cessèrent. Elles furent entièrement rompues par la notification que firent les blancs du Port-au-Prince aux hommes de couleur, de l’arrivée des commissaires civils au Cap et de la publication du décret du 24 septembre, d’après lequel les concordats étaient virtuellement annulés, et le sort des hommes de couleur et des esclaves remisa la décision de l’assemblée coloniale.


Pendant ces infructueuses négociations, les chefs des hommes de couleur n’étaient pas restés inactifs. Ils avaient écrit à leurs frères de toutes les paroisses de l’Ouest, de venir à leur secours pour contraindre, par la force des armes, les blancs du Port-au-Prince à reconnaître leurs droits déjà sanctionnés par les concordats. Ceux du quartier populeux du Mirebalais, de l’Artibonite et de Saint-Marc, de l’Arcahaie et de Jacmel, accoururent à leur appel. André Rigaud, qui était parti pour se rendre aux Cayes, le jour précédant l’affaire du 21 novembre, apprit, avant d’y arriver, la violation du traité de Damiens : « Je fus instruit dans ma route, dit-il, de la violation du traité par les colons blancs du Port-au-Prince, de leur trahison atroce, et des moyens qu’ils avaient employés pour anéantir les hommes de couleur. J’écrivis de suite à mes frères du Sud, je les instruisis de ce malheureux événement qui annonçait évidemment le projet de nous exterminer ; je les engageai à se méfier des colons des Cayes, dont les intentions étaient aussi perverses que celles des scélérats du Port-au-Prince ; je les invitai à se mettre en mesure, pour repousser par la force une agression injuste ; et je revins me réunir à ceux de mes frères qui se préparaient à une nouvelle défense[2]. »

Mais déjà, le même jour du 21 novembre, l’assemblée provinciale du Sud et la municipalité des Cayes faisaient naître une rixe entre un blanc et un mulâtre, pour arriver au même résultat qu’au Port-au-Prince. La sortie des hommes de couleur des Cayes fut donc occasionnée par cette rixe particulière : ils allèrent se camper sur diverses habitations. Les blancs de cette partie s’empressèrent d’armer le dixième de leurs esclaves, pour détruire les hommes de couleur. Dans le même temps, ceux des quartiers de la Grande-Anse et de Tiburon opéraient la même organisation contre les mulâtres de ces quartiers. Mais, dit Rigaud, « les noirs que les colons avaient armés pour combattre à leurs côtés, clairvoyans sur leurs vrais intérêts, convaincus que leur cause était liée à celle de leurs parens, se réunirent à eux, et conçurent, à leur exemple, le projet de conquérir leur liberté[3]. » Ce qu’il dit ici des noirs ne doit s’entendre que de ceux des Cayes et des paroisses voisines, et non ceux de la Grande-Anse et de Tiburon.

Tandis qu’André Rigaud avançait vers l’Ouest, avec une armée d’environ mille hommes, composée de citoyens libres de toutes couleurs, pour aider les confédérés de la Croix-des-Bouquets, sa lettre aux hommes de couleur des Cayes (qu’on a mal à propos attribuée à son frère Augustin Rigaud) produisait son effet. Cette lettre fut datée d’Aquin où il était en ce moment. Nous la donnons ici en son entier, afin que le lecteur juge sous quelle impression était André Rigaud en ce moment ; car pour être impartial, il faut connaître toutes les circonstances qui accompagnèrent cette provocation de sa part.


Aquin, le 24 novembre 1791.
Mes chers frères et bons amis,

Je suis parti du Port-au-Prince, dimanche (le 20) ; j’avais tout laissé en paix. Je faisais diligence pour vous joindre et vous embrasser tous. Étant à Saint-Michel, je reçus un exprès du Petit-Goave qui m’annonce que nos frères du Port-au-Prince ont été assassinés par leur trop grande confiance. Je l’avais bien prédit, je vous l’avais bien marqué, bien assuré. Bauvais tué, Faubert égorgé sur son lit, et beaucoup d’autres de nos frères sacrifiés. On me demande surtout ma promesse de vouloir bien les secourir à la première réquisition ; et je ne suis arrivé à Aquin que pour prévenir nos frères de la surprise, et vous prévenir aussi aux Fonds et aux Anses. Ma douleur est bien grande, de ne pouvoir arriver : le sang de mes camarades veut être vengé, je veux mourir en emportant le souvenir qu’il est vengé.

Je viens d’apprendre que nos frères de Léogane et du Petit-Goave ont désarmé tous les blancs, et se préparent à marcher contre le Port-au-Prince.

La paroisse d’Aquin vient d’accepter le traité de paix ; mais il n’y a aucune sûreté avec des hommes aussi pervers. Le coup est sûrement concerté aux Cayes, et partout. Prenez garde à vous ; quittez la ville ; campez-vous aux moindres mouvemens. Tuez, saccagez, brûlez, sinon il n’y a plus de salut pour vous. Il ne faut pas que nos ennemis profitent de leur perfidie. Point d’arrangemens surtout, qu’après les instructions (qu’on attendait, dit Garran, de la Croix-des-Bouquets). Je vole à la vengeance. Si ma destination n’est point de mourir dans cette expédition, je reviendrai aussitôt vous joindre. Campez-vous, et nous vaincrons les brigands qui veulent égorger notre parti, et le réduire à l’esclavage. Vengeance ! vengeance ! je vous embrasse tous : mon dernier mot est de me venger de ces barbares.

A. Rigaud.

P. S. Au moment où ma lettre allait partir, je reçois un courrier de la Croix-des-Bouquets. J’apprends que nos frères ont eu le dessus cette fois. Nous allons si bien faire, que nous serons désormais à l’abri de toute surprise. Envoyez-nous le plus de monde que vous pourrez, commandé par de bons officiers. Vous prendrez partout des chevaux sur la route. Volez au secours de vos frères égorgés. Nous allons terminer. Vive la liberté ! Vive l’égalité ! Vive l’amour !

P. P. S. Prêtons-nous secours, tous à tous. Acceptons-en partout


On voit que Rigaud croyait Bauvais, Faubert et d’autres, assassinés par les blancs. Cependant, son premier post-scriptum annonce qu’il avait dû apprendre le contraire. Il n’y eut pas moins des victimes dans la classe de couleur, et nous avons déjà parlé des femmes qui furent égorgées au Port-au-Prince. Cela explique les expressions virulentes de cette lettre. Le cri de Vive L’amour ! a attiré l’attention de Garran, et de Pamphile de Lacroix après lui ; ils l’ont considéré comme la preuve d’une démoralisation, d’un délire d’esprit de la part de son auteur. Mais Rigaud n’aura-t-il pas voulu entendre parler de l’amour fraternel ? Car toute sa lettre ne roule que sur la nécessité de porter secours à ses frères.

Tuez, saccagez, brûlez, sont des termes affreux assurément : ils expriment les idées de vengeance qui animaient André Rigaud, dont la colère était souvent portée à la violence. Mais, Raynal n’avait-il pas prédit la vengeance et le carnage qui signaleraient l’entreprise des opprimés, pour secouer le joug ignominieux que les Européens appesantissaient sur eux ? Mais Sonthonax, le fougueux Sonthonax, n’ordonna-t-il pas un jour à Laveaux, de brûler, par conséquent de saccager, tous les lieux que cet officier général serait forcé d’abandonner aux Anglais et aux traîtres qui leur livraient la colonie ? Il n’ordonna pas, certainement, de tuer ; disons mieux, il ne tarda pas, à son honneur, de rétracter ces ordres barbares, avant même d’avoir reçu de Polvérel la lettre de reproches que ce dernier lui adressa à cette occasion. Toutefois, Sonthonax a fourni la preuve qu’il arrive un moment où le sentiment de la vengeance entraîne les esprits les plus fermes[4].

Et les chefs des hommes de couleur de l’Ouest, Pinchinat, Bauvais et les autres, ne lancèrent-ils pas aussi, à peu près dans le même temps qu’André Rigaud écrivait sa lettre, l’appel suivant qui respire la vengeance la plus cruelle ?


Amis, la patrie est en danger ; de tous côtés nos frères armés marchent à la défense de leurs droits méprisés, et à la vengeance de la foi des traités violés. Il n’y a pas un instant à perdre : quiconque diffère ou balance à marcher dans ce moment, est, à trop juste titre, suspect, coupable du crime de lèse-nation, déclaré traître à la patrie, indigne de vivre, ses biens confisqués, et son nom voué à l’exécration contemporaine et future.

Volons, chers amis, vers le siège du Port-au-Prince ; plongeons nos bras ensanglantés, vengeurs du parjure et de la perfidie, dans le sein de ces monstres d’Europe. Assez et trop longtemps nous avons servi de jouet à leurs passions et à leurs manœuvres insidieuses ; assez et trop longtemps nous gémissons sous un joug de fer.

Détruisons nos tyrans, ensevelissons avec eux jusqu’aux moindres vestiges de notre ignominie : arrachons, jusqu’à ses racines les plus profondes, cet arbre du préjugé. Engagez les uns, intimidez les autres ; promettez, menacez, entraînez dans votre marche les citoyens blancs et vertueux ; mais surtout, chers amis, union, courage et célérité ; amenez-nous bagages, canons, munitions de guerre et ce bouche, et venez de suite vous rallier sous l’étendard commun ; c’est là que nous devons tous périr ou venger Dieu, la nature, la loi et l’humanité, si longtemps outragés dans ces climats d’horreur.


Juste Chanlatte, rédacteur de cette adresse, était alors dans toute la vigueur de la jeunesse. D’un caractère violent, il révélait déjà dans cette pièce le futur secrétaire général de J.-J. Dessalines, auteur de la proclamation du 28 avril 1804 où se retrouvent plusieurs des pensées exprimées en 1791[5].

L’armée des hommes de couleur forma le siége du Port-au-Prince, Bauvais du côté de la plaine au nord, et des mornes de la Charbonnière à l’Est, Rigaud du côté du sud, campé à Bizoton et à Martissans où il établit des pièces de canon qui inquiétaient les assiégés. Ils détournèrent les eaux qui alimentent les fontaines de cette ville, et empêchèrent toutes communications entre elle et le dehors.

Dans l’intérieur de la ville, Praloto et ses sicaires ne mirent plus de bornes à leur scélératesse. Assouvissant leur rage sur les blancs qu’ils soupçonnaient d’être des partisans de la confédération de la Croix-des-Bouquets, ils en tuèrent plusieurs et forcèrent d’autres à fuir, soit dans cette paroisse, soit à l’étranger. Les meneurs qui les poussaient aux fureurs contre les hommes de couleur, ne pouvaient plus les contenir ; de même qu’au Cap, l’assemblée coloniale ne pouvait souvent maîtriser tous les mauvais sujets que renfermait cette ville et qui lui avaient servi d’instrumens contre les mulâtres et les nègres. Là, comme au Port-au-Prince, les petits blancs, classe ignorante et dépravée par la haine et la jalousie, s’étaient accrus d’une foule de bandits arrivés dans la colonie et venant de plusieurs pays étrangers. La ville des Cayes renfermait aussi de ces misérables.


Dans le Sud, les hommes de couleur, suivant les inspirations des deux Rigaud, résistaient avec quelque avantage aux blancs acharnés contre eux. Après avoir été battus au camp Mercy où périt Narcisse Rollin, l’un des chefs du camp Prou, ils s’emparèrent de la ville de Saint-Louis et devinrent puissans dans les paroisses circonvoisines. On les accusa de vouloir le rétablissement de l’ancien régime, parce qu’ils abolirent les municipalités pour leur substituer des bureaux de police. Mais cette mesure devenait une nécessité impérieuse, puisque dans toute la colonie, les corps populaires, composés de colons, excitaient contre eux tous les malfaiteurs.

La preuve que ces corps populaires, dans le Sud comme dans l’Ouest, n’acquiesçaient qu’à regret, que par la force des circonstances, aux concordats signés entre eux et les hommes de couleur, se trouve dans Garran :


« Ces traités, dit-il, avaient été arrachés par la force, et tout indique qu’en les signant, les blancs ne comptaient pas les exécuter. La municipalité de Cavaillon écrivit à l’assemblée coloniale, que ses commissaires n’avaient accepté le traité de paix que pour avoir la tranquillité, et conformément aux lois. L’assemblée du Sud fait le même aveu, à plusieurs reprises, dans une lettre à l’assemblée coloniale. La ville des Cayes n’était pas plus sincèrement réconciliée avec les hommes de couleur. On peut en juger par une lettre que le commandant du Sud, Mangin d’Ouence, écrivait à Blanchelande pour lui témoigner ses perplexités sur le traité fait avec la ville des Cayes. — « Si je le reconnais, disait-il, j’enfreins la loi, parce que la commune des Cayes, considérée isolément, n’a pas le droit de déroger aux lois constitutionnelles de l’État. D’un autre côté, mon refus peut porter les hommes de couleur aux plus cruelles extrémités ; la torche brûle dans leurs mains… Je crois qu’il serait bien à désirer pour cette province, livrée à ses propres moyens de défense, que MM. les commissaires gardassent le silence jusqu’à l’arrivée des troupes ; actuellement nous sommes assurés que les gens de couleur, qui ne veulent reconnaître ni les commisaires venus de France, ni l’assemblée nationale, ni celle coloniale existante, se porteront aux dernières extrémités, s’ils entrevoient que leurs traités ne soient pas exécutés. »

« Les troubles qui ne cessaient d’agiter les paroisses voisines de l’Ouest, continue Garran, ne fournirent que trop de prétextes pour rompre une paix si mal assurée. On peut induire de quelques aveux des blancs eux-mêmes, que les hommes de couleur ne furent pas les agresseurs ; mais tous les mémoires que nous avons sous les yeux attestent qu’ils se livrèrent à des cruautés et des perfidies qui font frémir…[6] »


D’après ces passages de Garran, il est démontré qu’il n’y avait pas bonne foi de la part des blancs du Sud, des Cayes particulièrement, quand ils souscrivent aux concordats avec les hommes de couleur. Comme ceux du Port-au-Prince, ils les signèrent dans la pensée perfide d’inspirer de la confiance à leurs adversaires, afin de pouvoir mieux les accabler. Ils violèrent ces conventions ; ils furent les premiers à les rompre. L’intérêt politique des hommes de couleur n’était-il pas de maintenir ces actes qu’ils avaient signés, dans le Sud comme dans l’Ouest ? Ils ne pouvaient donc pas violer, les premiers, ces concordats.

Que les hommes de couleur du Sud se soient livrés à des actes cruels, atroces, après la rupture de la paix par les blancs, c’est un fait acquis à l’histoire. Mais la faute, le tort en sont imputables à ces derniers, de même que nous avons fait remarquer que, dans le Nord, les crimes commis par les noirs insurgés ne sont imputables qu’à la haine de l’assemblée coloniale, aux crimes commis par les blancs qui ne voulurent point sanctionner les propositions de paix que firent les insurgés. Il reste donc démontré que les cruautés commises dans le Sud par des hommes de couleur contre les femmes et les enfans blancs, ne furent que les représailles de celles commises là même et au Port-au-Prince par des blancs, sur les femmes et les ←enfans de cette classe ; et l’adresse rédigée par Juste Chanlatte, signée de lui, de Pinchinat, de Bauvais, etc., ne les excitait que trop à ces actes : — détruisons nos tyrans, plongeons nos bras ensanglantés, vengeurs du parjure et de la perfidie, dans le sein de ces monstres d’Europe, telles furent les instructions dictées par les chefs de la classe de couleur. Ceux du Sud les prirent à la lettre, tandis que ces chefs, disons-le à leur honneur, agirent différemment qu’ils ne l’ordonnaient : ils surent mettre dans leurs actions, dans leur conduite, une louable modération qui ne se trouve pas certainement dans leur adresse.

Et Garran ne dit-il pas encore, à la page 533 du 2e  volume de son rapport : — « Si ces atrocités paraissent peu conformes à ce que l’on a dit des hommes de couleur au commencement de cet ouvrage, on doit songer que les funestes exemples des brigands du Port-au-Prince et du Trou-Coffi n’avaient été que trop propres à les démoraliser… » Et à la page 536 : — De leur côté les blancs {dans le Sud) traitaient les hommes de couleur avec une grande barbarie : ils ne faisaient aucune grâce aux prisonniers… Partout des commissions prévôtales (comme dans le Nord) jugeaient ceux qui avaient été pris les armes à la main, et les condamnaient aux supplices les plus cruels, après les avoir appliqués à la question ordinaire et extraordinaire. Un des chefs des hommes de couleur, nommé Bleck, fut ainsi brûlé vif, quoique la procédure instruite contre lui, et son procès-verbal de torture en particulier, n’indiquent pas même qu’on lui eût reproché d’avoir commis personnellement des atrocités ou des incendies…[7] »

S’il est prouvé que ce sont les blancs qui rompirent les premiers les concordats, dans le Sud comme dans l’Ouest ; s’ils ont commis des actes de cruauté contre les hommes de couleur, est-il étonnant que ces derniers en aient commis de semblables ? Fallait-il donc qu’au privilège de la peau, qui donnait à la race blanche à Saint-Domingue les droits politiques et la faculté de tout faire, de tout oser, elle joignît encore le privilège du crime contre la race noire ? Les représailles ne sont-elles pas dans le droit de la guerre[8] ? Les nations les plus civilisées n’en exercent-elles pas souvent ? Et quelle guerre que celle qui armait les blancs, d’une part, et les mulâtres et les nègres, de l’autre ? Quel en fut le principe, le but, quelles en furent les causes et les nécessités ? Si Augustin Rigaud a dit, a proclamé — qu’il n’était plus temps de feindre ni de composer, qu’il fallait nécessairement qu’une des deux classes (mieux dire qu’une des deux races) fît place à l’autre ; » — il n’a eu en cela que l’avantage, nous n’osons dire le mérite, d’avoir prévu ce qui arriverait en 1804. Toute cette longue histoire de la révolution de Saint-Domingue démontre malheureusement cette impérieuse nécessité, à chacune de ses pages, du moment (observons-le bien) que les blancs colons ne voulurent point céder sur leurs prétentions à maintenir perpétuellement les noirs dans l’esclavage, les mulâtres dans l’avilissement, malgré les droits que ceux-ci tenaient de la nature comme tous les autres hommes, du moment que la métropole elle-même consacrait ces prétentions par une législation aussi odieuse, dans le temps de sa régénération politique et sociale, que celle qui existait sous l’ancien régime.


Quoi qu’il en soit, les blancs du Port-au-Prince, et l’armée des confédérés de la Croix-des-Bouquets députèrent respectivement auprès des commissaires civils : — les blancs, pour signaler les hommes de couleur comme des forcenés qui ne méritaient aucune commisération, ; — les hommes de couleur et les blancs contre-révolutionnaires unis à eux, pour demander l’approbation des concordats et solliciter surtout leur présence dans l’Ouest, afin d’y interposer leur autorité.

Ces commissaires, liés par le décret du 24 septembre qui attribuait des pouvoirs si exorbitans à l’assemblée coloniale, ne purent que se prononcer contre les concordats. Réduits à l’impuissance de faire le bien, ils s’efforcèrent, par des conseils et des exhortations, de ramener le calme dans les esprits, de désarmer les haines. Ils prêchaient dans le désert !

L’assemblée coloniale profita de cet aveu d’impuissance de leur part, pour déclarer, comme eux, nuls, illégaux, inconstitutionnels et attentatoires à ses prérogatives, tous les concordats passés entre les blancs et les hommes de couleur, dans toutes les paroisses où ces actes avaient été signés.

Après cette déclaration de l’assemblée coloniale, les commissaires civils renouvelèrent leurs exhortations aux confédérés de la Croix-des-Bouquets et de la paroisse du Fond-des-Nègres, dans le Sud ; mais leur lettre, du 8 janvier 1792, ne fut pas exempte de partialité pour les blancs : on y lit ces passages étranges :


« Des motifs estimables en eux-mêmes, mais altérés par des passions, vous ont conduits au comble de l’égarement. Vous désiriez rester Français ! L’êtes-vous depuis que vous combattez des Français pour faire adopter vos pactes, en empêchant l’exécution d’une loi constitutionnelle ? Vous vouliez obéir aux décrets ! vous ne les reconnaissez plus. Vous prétendiez empêcher des malheurs dans les provinces de l’Ouest et du Sud ! Quels malheurs pourraient donc être plus affreux que les incendies et les assassinats, occasionnés par votre confédération ? N’avez-vous pas à vous reprocher les crimes qui se commettent non-seulement par des scélérats de votre parti, mais encore par ceux du parti contraire que provoque votre coalition ? Vous aviez l’intention d’accorder des droits aux hommes de couleur, qui pouvaient et qui devaient participer aux avantages de la révolution ! Ne les exposez-vous pas même à perdre l’état dont ils jouissaient sous l’ancien régime ? La France entière les protégeait et ne voyait en eux que les victimes d’un préjugé ; elle ne les verra plus que comme des ingrats dont l’audace doit armer son bras vengeur. »


Après cette lettre, Augustin Rigaud n’avait-il pas raison de répondre à la municipalité de Torbeck : « Nous savons qu’il y a trois blancs de plus dans la colonie. »

Cependant, malgré les termes de la lettre des commissaires, empreinte d’une si criante injustice, les hommes de couleur de l’Ouest furent disposés plus que jamais à faire la paix avec le Port-au-Prince. Ils s’empressèrent de faire des propositions à ce sujet, aux blancs de cette ville qui repoussèrent, à coups de canon, Pinchinat et le blanc Chancerel qui y allaient pour les leur soumettre. Alors, ils écrivirent de nouveau aux commissaires civils et insistèrent sur la nécessité de leur présence dans l’Ouest : leur lettre du 26 janvier 1792 fut signée par Hanus de Jumécourt et Bauvais.

C’est à cette époque que Saint-Léger se rendit au Port-au-Prince, où il arriva le 29 janvier. Pendant son séjour en cette ville, s’il obtint quelque heureux résultat pour la paix, pour la cessation des hostilités, ce ne fut que du côté des confédérés qui s’empressèrent, à son invitation, de rétablir la circulation des eaux et des approvisionnemens du dehors. Les blancs de la ville continuèrent à se montrer injustes, récalcitrans à toute recommandation qu’il leur faisait en faveur du bien général.

Requis par les habitans de Léogane d’y venir pour les soustraire à l’oppression qu’exerçait dans cette paroisse le fourbe connu sous le nom de Romaine la Prophétesse, qui, à l’aide du fanatisme religieux, entraînait les ateliers d’esclaves dans toutes sortes de crimes, Saint-Léger ne put obtenir des blancs aucune force pour s’y transporter. Il fut obligé de s’adresser à Pinchinat et à Bauvais qui lui fournirent un détachement de cent hommes de couleur, commandé par Baptiste Boyer, le porte-étendard du camp de Diègue. Avec ce détachement et les secours qu’il reçut des hommes de couleur du Petit-Goave et du Grand-Goave, il parvint, non sans quelque difficulté, à traquer Romaine et ses bandes, et à délivrer Léogane des ravages de cet imposteur.


Pendant que Saint-Léger était à Léogane, s’efforçant d’inspirer la modération aux blancs et aux hommes de couleur, les corps populaires du Port-au-Prince firent opérer une sortie contre la Croix-des-Bouquets. Leur armée se composait des troupes de ligne, des gardes nationales soldées par la commune, des canonniers de Praloto, et des nègres esclaves déjà armés sous la conduite de Cayeman. Un colon, nommé Breton La Villandry secondait Praloto. Cette armée se divisa en deux corps dont l’un passa par le chemin de la Coupe, et l’autre par la grande route du Cul-de-Sac. Le premier reçut une forte résistance de la part des hommes de couleur campés à la Charbonnière : néanmoins, ces derniers furent enfoncés. La colonne qui marcha directement sur la Croix-des-Bouquets éprouva une résistance moindre et s’empara de ce bourg. Ces succès ne furent obtenus par les blancs, que parce que l’armée de couleur s’était presque dissoute, par la désapprobation donnée aux concordats par les commissaires civils, notamment depuis l’arrivée de Saint-Léger au Port-au-Prince.

Les habitans du Cul-de-Sac, les vieillards, les femmes et les enfans avaient dû fuir cette plaine pour se porter dans les montagnes des Grands-Bois et au Mirebalais. En vain ces féroces vainqueurs leur signifièrent d’y revenir, sous peine d’être réputés traîtres à la patrie ; ils préférèrent de rester dans les asiles qu’ils s’étaient choisis.

Mais alors les hommes de couleur, fatigués des injustices de tous ces blancs, mirent en usage leur dernière ressource. Ils soulevèrent les esclaves, en leur donnant pour chef un jeune noir intelligent, nommé Hyacinthe, esclave du colon Ducoudray. Agissant sous l’influence des hommes modérés qui dirigeaient l’armée de couleur et de Hanus de Jumécourt, Hyacinthe ne permit aucun assassinat, aucun incendie. Cette levée de boucliers des esclaves se fît avec autant d’ordre que celle des hommes de couleur. Dans leurs rangs figuraient des chefs secondaires, tels que Garion Santo, Halaou, Bébé Coustard, trois noirs, et Bélisaire Bonnaire, mulâtre.

Les insurgés marchèrent sur la Croix-des-Bouquets d’où ils chassèrent l’armée du Port-au-Prince, après des prodiges de valeur et beaucoup de pertes. Les blancs perdirent aussi du monde et rentrèrent en désordre dans la ville.

Dès lors les hommes de couleur acquirent une prépondérance marquée dans l’Ouest. À l’instar de ce qu’ils avaient pratiqué dans la plaine du Cul-de-Sac, ils firent soulever les ateliers de l’Arcahaie et de l’Artibonite. Ils purent enfin recommencer le siége du Port-au-Prince. Ceux de l’Arcahaie avaient pour chefs Cameau, Juste Chanlatte, J.-B. Leroux et J.-B. Lapointe, tous hommes de couleur. Ce dernier était sans contredit le plus habile et le plus énergique. Nous le verrons reparaître plus tard.


Pendant son séjour à Léogane, Saint-Léger avait envoyé André Rigaud dans le Sud, porteur d’une proclamation où il invitait les blancs et les hommes de couleur de cette province à la paix, à la modération. Rigaud n’avait pas réussi dans cette mission ; il revint alors dans l’Ouest et s’établit à Bizoton avec son corps d’armée. Ces faits se passaient en avril 1792.

Dans le même temps, la commission civile, fatiguée du rôle passif et impuissant qu’elle remplissait à Saint-Domingue, et reconnaissant la perversité croissante des colons et leur désir de se rendre indépendans de la France, prit la résolution d’y retourner afin d’éclairer la métropole sur la situation de la colonie. Cette résolution fut arrêtée, le 27 mars, entre Roume et Mirbeck qui étaient restés au Cap. De son côté, Saint-Léger, venu à Saint-Marc, prenait la même résolution. Mirbeck quitta le Cap le 1er avril, Saint-Léger partit de Saint-Marc le 8 du même mois.

Roume devait s’embarquer le 4 ; mais à ce moment, il reçut de l’un des membres de l’assemblée coloniale un aveu qui le porta à différer son départ, pour déjouer le projet formé d’une contre-révolution à Saint-Domingue, semblable à celle qui venait de s’opérer à la Martinique. Ce projet, selon lui, devait amener une effroyable catastrophe ; il resta pour la conjurer.

Il en reçut l’aveu de Dumas, membre du côté Est de l’assemblée coloniale, qui se rapprochait, par ses opinions, des agens du gouvernement, tous partisans de l’ancien régime, et conséquemment contre-révolutionnaires. Le côté Ouest était formé des anciens membres de l’assemblée générale de Saint-Marc qui avaient été réélus à la nouvelle assemblée coloniale, et d’autres membres qui avaient adhéré à leurs principes, lesquels étaient en faveur de l’indépendance de la colonie ou de sa soumission à la Grande-Bretagne.

Jusqu’à cette époque du 1er avril 1792, le côté Ouest avait dominé dans l’assemblée ; mais cette assemblée, voyant partir les commissaires civils pour la France, fut effrayée des conséquences des rapports qu’ils ne manqueraient pas de faire contre elle et contre tous les colons en général. Elle n’ignorait pas d’ailleurs que depuis l’admission de Brissot et des Girondins, à l’assemblée nationale législative, ils pouvaient amener un changement dans la législation relative aux colonies. Elle était informée des discussions survenues dans le mois de décembre 1791, et du décret par lequel il était défendu d’employer les forces nationales contre les hommes de couleur. Toutes ces circonstances réunies contribuèrent à amener une sorte de fusion des opinions respectives des deux côtés de l’assemblée coloniale, pour pouvoir mieux résister aux actes qu’ils redoutaient de la part de l’assemblée nationale. C’est ce qui donna alors une grande influence à Dumas qui s’était fait en quelque sorte le chef du côté Est. Son aveu à Roume détermina celui-ci à rester dans la colonie pour pouvoir déjouer leurs intrigues combinées. Dans son rapport à la convention nationale, du 28 janvier 1795, il dit « qu’il craignait un engagement général dans la ville du Cap : engagement dont le succès, quoique douteux relativement au parti vainqueur, produirait nécessairement, soit une contre-révolution, soit la formation d’une nouvelle Guinée, ou peut-être ces deux états l’un après l’autre. »

  1. Rapport de Garran, tome 2, page 430. — C’est une remarque à faire que dans beaucoup de circonstances, des officiers supérieurs de la marine française se sont conduits honorablement dans leur position ou dans les missions dont ils ont été chargés, soit dans le cours de la révolution, soit depuis l’indépendance d’Haïti. Les faits successifs le prouveront.
  2. Mémoire de Rigaud déjà cité, page 11.
  3. Ibid., page 12.
  4. « La rupture du concordat du 23 octobre a été le signal d’une nouvelle guerre civile dans l’Ouest et dans le Sud de Saint-Domingue. Le sang des femmes et des enfans des hommes de couleur égorgés, criait vengeance ; ils écoutèrent la voix de cette passion impérieuse ; ils reprirent les armes… » — (Paroles de Sonthonax aux Débats, tome 3, page 171.)
  5. C’est à la même époque que J. Chanlatte nomma le Port-au-Prince, Port-aux-Crimes. Il lui appliqua de nouveau ce nom, en 1807, dans une diatribe qu’il publia contre les membres du sénat de la république. Il était alors un des secrétaires de H. Christophe.
  6. Rapport, tome 2, pages 531 et 532. Voyez aussi le 3e volume des Débats, pages 92 et 93, où Sonthonax soutient que les hommes de couleur, loin d’être les agresseurs, ont été constamment attaqués ; bien loin d’avoir été perfides, traîtres, ont constamment été trahis par les blancs.
  7. Joseph Bleck, né Saint-Louis du Sud, avait été élevé à Bordeaux, où son éducation fut soignée. Prisonnier dans l’attaque dirigée par les blancs contre le camp Mercy, le 8 février 1792, il fut d’abord roué, goudronné et brûlé encore vivant.
  8. « Je ne puis me refuser à une réflexion dont la justesse et l’évidence vont, j’espère, vous frapper. Qu’on entasse dans les deux bassins d’une balance, d’un côté, les crimes que l’on reproche aux blancs, de l’autre ceux des hommes de couleur ; qu’on suppose, si l’on veut, que les plus grandes horreurs ont été commises par les hommes de couleur, cela n’empêchera pas de penser que ceux qui, les premiers, ont manifesté des prétentions injustes, ceux qui ont, les premiers, refusé d’accorder une chose juste, ont été les premiers agresseurs, les premiers provocateurs de la guerre civile, par conséquent seuls responsables de toutes les représailles qui en ont pu être la suite. » — (Paroles de Polvérel aux Débats, tome 2, page 85.)