Étude sur l’histoire d’Haïti/Tome 4/4.5

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Dezobry et E. Magdeleine, Lib.-éditeurs (Tome 4p. 153-175).

chapitre v.


Ordonnances sur la culture et contre le Vaudoux, par Toussaint Louverture. — Arrêtés de Roume, sur l’importation des marchandises étrangères, et l’exportation de divers bois du pays. — Mésintelligence entre Roume et T. Louverture. — Kerverseau quitte Santo-Domingo où il est remplacé par A. Chanlatte. — Refus de Roume d’autoriser T. Louverture à prendre possession de la partie espagnole. — Il refuse de venir au Port-au-Prince, et fait une adresse contre les agens anglais. — Mouvement insurrectionnel dans le Nord contre Roume. — Adresse de l’administration municipale du Cap à Roume. — Il rend un arrêté pour la prise de possession. — T. Louverture envoie le général Agé à Santo-Domingo dans ce but. — Examen des causes de cette prise de possession. — Mouvemens populaires à Santo-Domingo contre Agé. — Décret du gouverneur Don J. Garcia qui suspend la remise de la partie espagnole, en référant aux gouvernemens de France et d’Espagne. — Correspondance entre les diverses autorités. — Agé revient au Port-au-Prince. — Nouvel arrêté de Roume qui révoque celui sur la prise de possession. — Lettre de T. Louverture à Don Garcia, protestant contre les insultes faites à Agé.


Suspendons un instant nos relations de guerre, pour parler des actes de T. Louverture comme administrateur.

À peine il avait expulsé Hédouville, en agitant les cultivateurs du Nord, qu’il rendit une proclamation, le 15 novembre 1798, pour renforcer les dispositions de son règlement de culture du 18 mai, que nous avons fait connaître au 3e livre. Elle prescrivait aux chefs militaires et à la gendarmerie, d’assujétir tous les cultivateurs au travail, de punir les vagabonds, les voleurs et les perturbateurs du repos public. La plus grande sévérité était exigée à leur égard.

T. Louverture se donnait bien le droit des agitations populaires, afin d’en tirer parti pour ses desseins ; mais il entendait aussi que le fleuve rentrât dans son lit, quand il n’y était plus nécessaire.

Le 4 mars 1799, une nouvelle ordonnance parut encore à ce sujet, peu après les conférences des généraux avec Roume, au Port-au-Prince.

Le 4 janvier 1800, une ordonnance du général en chef fut publiée pour la répression du Vaudoux, secte africaine qui se livre aux danses connues des adeptes, lesquels pratiquent alors des sortilèges. Il est bon de produire ici cet acte.

Toussaint Louverture, général en chef, etc.,

Instruit que plusieurs personnes, mal-intentionnées et ennemies de la tranquillité publique, cherchent à détourner de ses travaux agrestes le paisible cultivateur, en flattant la passion violente qu’il a pour les danses, et principalement pour celle du Vaudoux ; pleinement convaincu que les chefs de ces danses n’ont d’autre but que celui de troubler l’ordre, et d’altérer de nouveau la tranquillité qui commence, après un éclat orageux, à se rétablir dans les villes et dans les campagnes, et de donner aux personnes qui les écoutent des principes absolument contraires à ceux que doit professer l’homme ami de son pays, et jaloux du bonheur de ses concitoyens ; voulant couper racine aux maux incalculables qu’entraînerait après elle la propagation d’une doctrine aussi vicieuse, puisqu’elle n’enfante que le désordre et l’oisiveté ; j’ordonne ce qui suit :

À dater du jour de la publication de la présente, toutes danses et toutes assemblées nocturnes seront interdites, tant dans les villes et bourgs que dans les diverses habitations des mornes et de la plaine ; punition corporelle sera infligée à ceux qui chercheront, au mépris de cette défense, à lever des danses ou tenir des assemblées nocturnes ; ils seront incarcérés, et compte me sera rendu par ceux qui auront ordonné leur arrestation[1].

Chargeons spécialement les généraux et chefs de brigade, commandans d’arrondissement, les commandans militaires et commandans de gendarmerie, de l’exécution de la présente, chacun en ce qui les concerne : les rendant personnellement responsables de son exécution.

Cette ordonnance était rendue au plus fort du siège de Jacmel : la tranquillité dont elle parle, qui commençait à se rétablir, s’entend du calme qui succéda dans le Nord, dans l’Artibonite et dans l’Ouest, après les massacres exécutés dans ces départemens. On conçoit que pendant leur exécution et les agitations qu’ils occasionnaient, tous les mauvais sujets profitèrent de ces excès pour lever la tête, puisque c’était la portion éclairée de la population noire qui en était victime.

T. Louverture avait raison de réprimer ces pratiques superstitieuses venues d’Afrique dans la colonie : elles ne pouvaient que perpétuer la barbarie dans la population noire. En agissant ainsi, il s’élevait à la dignité du législateur qui doit se proposer la civilisation des hommes. Le culte du Vaudoux ne peut qu’y nuire. Tous les chefs du pays se sont attachés, comme lui, à le défendre, en employant plus ou moins de sévérité. Il est à remarquer que ceux du Nord ont toujours mis une rigueur très-grande dans la punition de ces sorciers, dont l’influence sur les esprits ignorans finit toujours par devenir excessivement dangereuse[2]. Un chef s’honore aux yeux de la postérité, quand il protège son pays contre l’invasion de la barbarie, qui abrutit les âmes.


De son côté, Roume, pour concourir avec T. Louverture à obtenir de la complaisance des navires des États-Unis, qu’ils aidassent au blocus de Jacmel et des ports du Sud, rendit un arrêté, le 24 novembre 1799, qui réduisit à 1 pour cent les droits d’importation sur les marchandises des neutres qui avaient été imposées à 12 ½ pour cent, par un autre arrêté du 1er août. Ce nouvel arrêté mentionne que ce fut sur les représentations d’Edouard Stevens, consul général des États-Unis. Le motif réel de cette réduction de droits fut déterminé ainsi que nous venons de le dire.

Quatre jours après, le 28 novembre, Roume rendit un autre arrêté pour permettre l’exploitation des bois de campêche et autres bois de teinture. Le 4 janvier, un arrêté de lui permit aussi l’exploitation du bois d’acajou. Ces produits furent taxés à 35 pour cent à l’exportation.

Jusque-là, Roume marchait d’accord avec le général en chef : il fallait écraser, annihiler les anciens libres, et l’agent du Directoire exécutif se montrait docile à tout ce que voulait leur ennemi. Mais la division survint entre eux, dès qu’il s’agit des blancs.

Le 5 juillet, ignorant la proclamation de Roume, du 3, contre Rigaud, Kerverseau, agent à Santo-Domingo, lui avait écrit une lettre pour l’engager à interposer son autorité entre lui et T. Louverture et empêcher la guerre civile. Mécontent sans doute de cette lettre qui était une désapprobation de sa conduite, Roume l’avait communiquée à T. Louverture qui lui répondit, le 12 août, en lui demandant la révocation de Kerverseau[3]. Roume ne céda point. Comme il paraît que T. Louverture se fondait sur ce que Kerverseau laissait continuer dans la partie espagnole, la vente des noirs que d’anciens officiers de Jean François et de Biassou, restés dans cette partie, faisaient toujours de concert avec les habitans, Roume envoya l’ordre à cet agent de réclamer contre ce trafic, auprès de Don J. Garcia. Kerverseau exécuta cet ordre.

Mais, toujours persévérant dans une idée quand il l’avait conçue et méditée, étant au siège de Jacmel, T. Louverture écrivit à Roume, le 28 décembre, pour lui demander l’autorisation de prendre possession de la partie espagnole, afin de faire cesser ce trafic des noirs. N’agréant point cette demande qu’il n’avait pas prévue, n’étant pas lui-même autorisé à l’accorder, parce que le Directoire exécutif s’était réservé d’ordonner cette occupation quand il pourrait envoyer des troupes européennes pour l’effectuer, Roume refusa encore ; mais il eut assez de condescendance pour T. Louverture, en mandant Kerverseau au Cap, sans doute pour l’aider à convaincre le général en chef de l’impossibilité de lui accorder l’autorisation qu’il désirait obtenir.

Kerverseau se garda de se rendre à cette invitation ; il jugea au contraire devoir saisir cette occasion, pour aller en France éclairer le Directoire exécutif sur la marche de T. Louverture vers tous les envahissemens possibles. Dans ce dessein, il partit pour Porto-Rico, où il espérait trouver le moyen de se rendre en Europe : ne le pouvant pas, après y avoir passé quelques mois inutilement, il revint à Santo-Domingo. Mais, déjà, Roume l’avait fait immédiatement remplacer par le général A. Chanlatte, qui était dans la partie française, et que T. Louverture n’avait pas voulu employer dans la guerre du Sud, comme le disait la proclamation du 3 juillet. Le nouvel agent avait eu ordre de Roume, de réclamer de nouveau, avec les plus vives instances, que Don J. Garcia fît cesser absolument le trafic des noirs, pour ôter tout prétexte à T. Louverture de prendre possession de la partie espagnole. Une lettre de Chanlatte à ce gouverneur, du 14 janvier, témoigne de cette sollicitude en faveur des noirs qu’on y vendait.

T. Louverture était parvenu à l’une de ses fins, par le départ de Kerverseau qu’il avait pris en haine, pour sa lettre du 5 juillet ; et Roume le crut apaisé par ce résultat ; mais il ne connaissait pas encore tout ce qu’il y avait de persévérance et de résolution dans ce caractère[4].

Il l’avait mécontenté par son refus formel de l’autoriser à prendre possession de la partie espagnole, et déjà la capture de sa flotille par les Anglais l’avait indisposé contre cet agent. Or, T. Louverture savait garder rancune. Le 2 février, il fit refuser à Roume, une somme de mille piastres qu’il lui demandait à valoir sur son traitement. En même temps il l’invita à se rendre au Port-au-Prince, pour légaliser les opérations qu’il voulait ordonner contre Rigaud. La résistance de Jacmel l’inquiétait, ou plutôt, étant obligé de se tenir dans l’Ouest pour activer le siège de cette ville, il voulait avoir Roume à sa portée, afin d’exercer sur lui la pression nécessaire à l’obtention de l’autorisation demandée pour la partie espagnole.

Roume, qui pouvait et qui savait résister quand il le voulait, fît publier une adresse pour ordonner l’expulsion des agens anglais de la colonie. M. Wrigloworth venait d’y arriver de Londres, à propos des difficultés survenues par la tentative d’insurrection à la Jamaïque et la capture de la flotille, et pour les aplanir avec T. Louverture[5]. En refusant de se rendre au Port-au-Prince, Roume lui écrivit le 4 mars : « Faites exécuter cette adresse, mon cher général, si vous voulez que je me rende auprès de vous. Alors, réunis de principes, nous agirons de concert. Les ennemis de la France vous ont proposé des mesures qui doivent justifier la révolte de Rigaud, si vous n’avez pas le courage de vous prononcer contre les Anglais.  » Il termina cette lettre, en lui demandant de lui envoyer au Cap, la corvette la Diligente, arrivée depuis quelque temps, pour se rendre en France[6].

Roume pouvait donc résister à T. Louverture ! Quand il se rendit au Cap avec lui, après les conférences du Port-au-Prince, c’était donc par sa volonté, ainsi que nous l’avons dit, contrairement aux assertions de Kerverseau ! C’était pour avoir le prétexte de dire, qu’étant éloigné du théâtre des hostilités, il ne pouvait les empêcher. En se refusant maintenant de se rendre dans cette ville, il était encore parfaitement libre ; en fulminant contre les agens anglais, il l’était encore. Quelle preuve plus grande peut-on administrer de la complicité de cet agent, par sa soumission aux instructions qu’il avait reçues du Directoire exécutif, pour attiser entre Rigaud et T. Louverture, les dissensions qui firent éclater la guerre civile[7] ?

Mais, en faisant acte de résistance à T. Louverture, et d’autorité par rapport aux agens britanniques, il blessa profondément le général en chef par les expressions de sa lettre. Il crut le menacer d’aller le dénoncer en France, en lui demandant la corvette pour s’y rendre : il avait affaire à un homme plus habile qu’il ne le pensait, et surtout audacieux.

La lettre de Roume parvint à T. Louverture au moment où Jacmel tombait en son pouvoir. Peu inquiet alors sur les résultats probables de la guerre du Sud, il tourna ses regards vers le Cap où était l’agent. Il se rendit aux Gonaïves. Il avait déjà envoyé l’ordre au général Moïse qui était au Cap, et aux autres commandans militaires, de faire un mouvement insurrectionnel dans les campagnes pour se porter sur le Cap. Un attroupement de 7 à 8 mille noirs se rendit à une demi-lieue de cette ville ; ils vociférèrent contre Roume et tous les blancs qui laissaient, disaient-ils, vendre leurs frères dans la partie espagnole. Enfin, ils demandèrent que Roume et l’administration municipale tout entière comparussent devant eux, pour recevoir leurs plaintes, sinon ils envahiraient la ville qu’ils pilleraient et incendieraient.

Pour éviter un résultat aussi funeste, les habitans pressèrent ces autorités d’aller au-devant de cet attroupement. Aussitôt leur arrivée, un des chefs brandit son sabre sur la tête de Roume, et tous l’accablèrent d’injures, de menaces. Ils lui dirent qu’il fallait qu’il rendît compte de tout l’argent qu’il avait indûment dépensé, qu’il donnât aux cultivateurs la moitié des terres des colons, et la faculté de travailler à leur profit et non à celui des anciens propriétaires, et enfin qu’il rendît un arrêté pour autoriser la prise de possession de la partie espagnole. C’était l’objet principal et même unique du rassemblement ; le reste n’était que des accessoires, pour produire plus d’impression sur l’esprit de Roume et des membres de la municipalité.

Roume ayant montré de la fermeté et se refusant à accorder aucun des points de cette singulière demande, les noirs dirent alors qu’on en référerait au général en chef, vers qui ils députèrent pour l’appeler sur les lieux : en attendant son arrivée, ils enfermèrent Roume et ses compagnons dans un poulailler rempli d’immondices. T. Louverture pouvait y venir en moins d’une journée ; mais il laissa ces hommes passer neuf jours et neuf nuits dans cette prison d’un genre tout nouveau.

En arrivant, il affecta d’être excessivement étonné et affligé d’une telle détention. Lui qui savait imposer sa volonté à la multitude, il eut l’air de dire aux noirs assemblés de déclarer ce qu’ils voulaient pour avoir agi ainsi. On conçoit bien que leur réponse principale fut en faveur de la prise de possession de la partie espagnole. Roume ne pouvant être dupe de cette infernale comédie, adressa à T. Louverture les paroles les plus énergiques : « Non ! « dit-il, je ne signerai point l’arrêt de mort de ces paisibles habitans de la partie espagnole ; et puisque je suis dans l’alternative d’être sacrifié ou de demander cette prise de possession, mon choix est fait. La France me vengera ; frappez !… »

T. Louverture qui ne savait pas reculer, lui dit alors, avec non moins d’énergie : « Si vous ne signez pas un arrêté pour m’autoriser à cette prise de possession, c’en est fait de tous les blancs de la colonie ; et j’entrerai dans la partie espagnole la torche et le fer à la main. »

Les membres de l’administration municipale, plus effrayés peut-être que Roume, le supplièrent de céder ; ils lui firent une adresse au nom du peuple assemblé, en le requérant de remplir ses vœux. Et Roume céda[8] ! Voici ces deux pièces d’une scène tragi-comique :

Au Cap, le 7 floréal an 8 (27 avril 1800).
L’administration municipale du Cap-Français,
À l’agent Roume.

Citoyen agent, — Nous avons eu connaissance des peines que vous avez prises pour faire cesser dans la partie ci-devant espagnole, l’infâme abus qui s’y est introduit depuis que vous en êtes parti, de vendre et de traiter comme esclaves, des citoyens français conduits de la partie française à celle-là. — Le cri public s’est élevé contre un abus qui insulte à la majesté du peuple français ; ce peuple aussi vertueux que courageux s’est prononcé ; il demande par notre organe, qu’en vertu du traité de Bâle et des instructions dont vous êtes porteur, vous fassiez immédiatement prendre possession de la ci-devant partie espagnole.

Nous vous requérons, citoyen agent, au nom du salut public, de concerter avec le citoyen général en chef, les moyens les plus convenables pour cette prise de possession, afin qu’elle s’exécute à la satisfaction commune.

Nous vous invitons l’un et l’autre, à ne point faire aucune espèce de changement en ce qui regarde le culte religieux.

(Suivent les signatures).
Au Cap-Français, le 7 floréal an 8.
L’agent du gouvernement national français à Saint-Domingue,

Considérant que l’abus qui s’est introduit, en transportant des cultivateurs et autres citoyens de l’ancienne partie française à la nouvelle de Saint-Domingue, a justement excité l’indignation de toute la portion du peuple français résidant dans cette colonie ;

Que ce peuple l’a requis, par l’organe de l’administration municipale du Cap, de prendre, de concert avec le citoyen général en chef, en vertu du traité de Bâle et des instructions du gouvernement national, les mesures les plus convenables pour prendre immédiatement possession de ladite partie ci-devant espagnole ;

Considérant que ce moyen est réellement le seul qui puisse empêcher la continuation de cet abus ; Arrête :

1o Le général en chef de l’armée de Saint-Domingue est requis de donner ordre au général de brigade Agé, chef de l’état-major général de l’armée de Saint-Domingue, dont le patriotisme et la sagesse sont connus, de se transporter à la partie ci-devant espagnole pour en prendre possession au nom du peuple français, avec tel nombre de troupes blanches que le général en chef jugera nécessaires.

2o L’agence prendra, de concert avec le général en chef, les mesures convenables pour instruire le gouverneur et capitaine-général de la partie espagnole, de cette prise de possession et mettre sur sa responsabilité les ordres qu’il devra donner pour la bonne réception du général Agé et de sa troupe, partout où ils se transporteront.

3o Le général de brigade Chanlatte, actuellement employé comme commissaire du gouvernement à la partie ci-devant espagnole, exercera provisoirement, dès le jour de la prise de possession de la ville de Santo-Domingo, les fonctions de délégué de l’agence dans ladite partie.

4o Il se concertera avec le gouverneur et capitaine-général espagnol, ainsi qu’avec le général Agé, pour que ce glorieux événement s’opère à la satisfaction de tous les anciens et nouveaux Français.

5o Il maintiendra, d’accord avec le général Agé, l’exercice du culte tel qu’il subsiste actuellement, et invitera les curés et autres ecclésiastiques à concourir de tous leurs moyens au bonheur public.


6o Le délégué Chanlatte et le général Agé sont expressément chargés d’avoir pour le gouverneur et capitaine-général et les autres officiers et fonctionnaires publics espagnols, tous les égards dus à leur mérite personnel et à leurs grades respectifs, jusqu’à ce qu’ils sortent de la colonie.

Il faut rendre cette justice à Roume, que s’il fut contraint de faire cet arrêté, il n’omit rien de ce qui pouvait persuader, rassurer les habitans de la partie espagnole. Il était, dit-on, de la secte des Théophilanthropes dont Laréveillère-Lépaux, un des membres du Directoire exécutif, était le grand prêtre. En consacrant un article de son arrêté au maintien du culte catholique, Roume prouvait à ces habitans qu’il respectait leur foi religieuse, et il entrait aussi dans les vues de T. Louverture qui, sans doute, aura dicté cette disposition.

D’un autre côté, en chargeant le général Agé de cette prise de possession avec des troupes blanches, c’était donner une garantie aux blancs de cette partie, et entrer en même temps dans les vues du gouvernement français qui, en différant depuis si longtemps la prise de possession, s’était réservé de ne l’opérer que par de telles troupes. Mais, il y en avait peu alors. Le général en chef avait eu la précaution de faire marcher contre le Sud, le peu de soldats français qui restaient dans la colonie, et les chefs de son armée ne les ménagèrent pas ; ils les firent placer au premier rang : beaucoup avaient péri, comme nous l’avons vu au siège de Jacmel. Il fut donc forcé d’envoyer le général Agé seul, espérant qu’aucune difficulté ne lui serait faite à Santo-Domingo, puisqu’il était muni d’un acte de l’agent du gouvernement français. Il se trompa dans son attente.

Agé était porteur aussi d’une lettre de Roume et d’une autre de T. Louverture, de la même date de l’arrêté, adressées à Don J. Garcia, à qui ils annonçaient les motifs de la prise de possession, fondés sur la vente des noirs. À l’égard des dispositions favorables au maintien du culte, Roume disait au gouverneur espagnol :

« Les habitans doivent se féliciter de devenir membres de la République française, au moment où toutes les crises de la révolution (en France) viennent de cesser par l’établissement d’un gouvernement sage et énergique, qui accorde la liberté la plus étendue au culte catholique. » C’est du gouvernement consulaire qu’il s’agit[9]

T. Louverture lui donnait les mêmes assurances à cet égard : « J’ai également chargé le général Agé, conformément audit arrêté et attendu que nous sommes catholiques, de faire respecter la religion, les églises, ses ministres et tous les chrétiens qui professent le divin culte, de protéger et faire protéger tous les habitans, de faire respecter les propriétaires et leurs propriétés.  » Enfin, il annonçait le prochain envoi des troupes blanches, soit par terre ou par mer ; en attendant, il requérait le gouverneur d’opérer la remise du pouvoir et de tout le matériel militaire aux mains d’Agé.


Quel a été le vrai motif de cette prise de possession, tentée alors par T. Louverture ? Est-ce uniquement à cause de la vente des noirs qui se continuait dans la partie espagnole ?

Et remarquons, avant de chercher une solution à ces questions, que ce trafic infâme se faisait dans la partie du Nord, et non dans l’Ouest qui avoisine aussi la partie espagnole : cette pratique odieuse s’y continuait depuis que Jean François et Biassou l’avaient établie à leur profit. Les noirs de l’Ouest avaient des idées plus élevées, des sentimens plus dignes de la nature humaine : ils ne s’y livrèrent jamais !

M. Madiou explique ainsi les motifs de T. Louverture :

« En s’emparant de la partie de l’Est, Toussaint Louverture voulait augmenter ses forces et ses ressources, que la guerre civile avait considérablement affaiblies, et prévenir le général Rigaud qui aurait pu y envoyer des députés dans le but d’en prendre lui-même possession. D’un autre côté, en y faisant reconnaître son autorité, il enlevait au général de couleur la faculté de s’y réfugier s’il était obligé d’abandonner les Cayes, et d’y organiser un nouveau parti au centre de l’île. Sa perspicacité lui faisait prévoir ce à quoi Rigaud n’avait jamais songé. Cependant, Antoine Chanlatte était un ami politique de Rigaud, son ancien compagnon d’armes et partageait toute sa haine contre Toussaint Louverture… Nous voyons que les considérans (de l’arrêté) n’étaient nullement en harmonie avec les causes qui portaient Toussaint à vouloir occuper la partie de l’Est. Le général en chef cachait sous les apparences des intérêts publics ceux de sa profonde politique [10] »

Nous allions dire : Quel honneur fait à Rigaud ! À Rigaud dont les vues politiques, légitimes et grandes dans le principe, arrêtèrent l’élan du guerrier. Mais notre compatriote nous dit qu’il ne songea jamais à s’emparer de la partie espagnole, pendant la guerre civile ; et nous pensons comme lui à cet égard, puisque Rigaud avait à peine des troupes pour faire la guerre. S’en emparer par des députés, lui, déclaré rebelle par l’agent de la France ! Et qui aurait cédé le terrain à ces députés ? S’y réfugier après avoir été vaincu dans le Sud, y organiser un nouveau parti contre T. Louverture et Roume, même avec le concours d’A. Chanlatte ? Qui connaissait Rigaud dans cette partie ?

Quant à T. Louverture, nous avons une trop haute idée de sa capacité politique, de sa perspicacité, pour admettre jamais qu’il ait été guidé par de si frivoles motifs, qu’il ait pu supposer de telles vues à Rigaud.

Ensuite, M. Madiou prétend que T. Louverture voulait augmenter ses forces et ses ressources affaiblies par la guerre civile. Les augmenter par des troupes formées des habitans de l’Est ! Augmenter ses ressources dans un pays pauvre, dont les fonctionnaires coûtaient à l’Espagne, annuellement, 350 à 400 mille piastres pour leurs traitemens[11] ! Mais, les forces de T. Louverture n’étaient pas si affaiblies par la guerre, puisque M. Madiou les porte à 30 mille hommes sous les ordres de Dessalines, et celles de Rigaud à 900 hommes, immédiatement après l’évacuation de Jacmel[12]. Ses ressources, il les trouvait dans la terreur qu’il exerçait, dans la maraude que faisaient ses troupes pour se nourrir dans le territoire conquis, jusque-là bien cultivé ; car elles n’étaient pas soldées.

Il faut donc chercher une autre combinaison de la part de T. Louverture, dans la prise de possession de la partie espagnole.

Il n’y a nul doute pour nous, que cette partie étant cédée à la France depuis 1795, et le gouvernement français en ayant ajourné la prise de possession pour l’effectuer par des troupes européennes, quand la paix avec la Grande-Bretagne lui permettrait d’en envoyer, du jour où T. Louverture fut devenu général en chef de l’armée, il visait à y étendre sa domination. Cette idée n’a été qu’en croissant, après qu’il eut expulsé Sonthonax et Hédouville. Parfaitement informé de la situation de la France sous le Directoire exécutif, occupé de sa guerre contre Rigaud, qui avait l’approbation anticipée de ce faible gouvernement, il était assuré d’exécuter la prise de possession, malgré lui, dès qu’il aurait vaincu son rival.

Mais, en apprenant que le 18 brumaire avait appelé le général Bonaparte au pouvoir, le Premier des Noirs savait qu’il aurait affaire désormais au Premier des Blancs. La nouvelle de cette immense révolution a dû lui parvenir promptement par la voie des États-Unis ou par celle de l’Angleterre, intéressés l’un et l’autre dans la question du commerce avec Saint-Domingue. Et alors, T. Louverture aura pensé que le génie actif qui dirigeait la France, trouverait moyen, soit par la paix, soit en hasardant une expédition maritime, de jeter des troupes blanches dans la partie espagnole, avec quelques-uns de ces généraux fameux de l’armée française[13]. Prévenir un tel résultat, fut, selon nos appréciations, son unique but. Aussi le voyons-nous écrire à Roume, dès le 28 décembre, au sujet de la prise de possession : c’est à cette époque que dut parvenir la nouvelle du 18 brumaire. Il ne voulut pas perdre de temps après la prise de Jacmel, dans la crainte aussi que le colonel Vincent reviendrait bientôt avec de nouvelles instructions du gouvernement consulaire, pour maintenir le statu quo dans la partie espagnole.

Il se cramponna au motif résultant de la vente des noirs, pour passionner ceux du Nord qu’il dirigeait à volonté, comme il les avait passionnés contre les hommes de couleur, en attribuant à ces derniers le projet du rétablissement de l’esclavage. Mais nous allons voir une lettre curieuse et intéressante, qu’il écrivit au général Agé : auparavant, reprenons la suite de la mission de ce général.


Dès le 10 mai, A. Chanlatte avait reçu l’arrêté de Roume qu’il notifia à Don Garcia. En même temps, on apprit à Santo-Domingo la violence qui lui avait arraché cet acte. Ce fut un motif pour Don Garcia et Chanlatte, d’être opposés à la prise de possession, lorsque les instructions du gouvernement français et ses arrangemens avec la Cour de Madrid étaient formels à cet égard. Ces deux autorités communiquèrent indubitablement leur répugnance aux fonctionnaires publics, aux habitans : tous redoutaient de passer sous les lois, l’autorité d’un homme qui, à ses antécédens connus dans la partie espagnole, venait d’ajouter le massacre de tant d’infortunés pour assurer sa domination tyrannique. On conçoit alors quelle explosion eut lieu, de craintes, de répugnance, de haine, de la part de cette population jusqu’alors si paisible. Elle fut telle, que le général Agé fut menacé d’être lapidé, poignardé.

Le cabildo ou municipalité de Santo-Domingo, le clergé, et la population par une pétition revêtue de nombreuses signatures, s’adressèrent à Don Garcia pour lui demander, le prier de résister à la prise de possession ; mais, pour ne pas exciter la vengeance de T. Louverture, on proposa d’envoyer de suite des députés auprès des deux gouvernemens d’Espagne et de France, afin de recevoir leurs ordres définitifs.

Ce mezzo-termine fut adopté par Don Garcia qui rendit un décret à cet effet, lequel prononçait la suspension de la prise de possession. Avant de le rendre le 21 mai, il avait consulté A. Chanlatte qui lui répondit le 20, qu’il s’en remettait à sa sagesse et à sa prudence. Don Garcia notifia ce décret au général Agé, qui lui fit réponse, le 22, qu’envoyé en mission, il ne pouvait point discuter aucune question à ce sujet, qu’il resterait à Santo-Domingo pour attendre les ordres du général en chef. Mais, bientôt l’effervescence des esprits fut telle, que cet envoyé fut forcé de quitter cette ville pour revenir au Port-au-Prince. Don Garcia dut l’accompagner lui-même hors des murs de la cité des Colomb, et le faire escorter jusqu’aux anciennes limites des deux colonies, pour éviter qu’il ne fût insulté par les populations des bourgades et des campagnes à traverser : partout, le mouvement d’opposition s’était répandu.

Agé s’était empressé d’informer T. Louverture du peu d’empressement que mettait Don Garcia à accomplir le vœu de l’arrêté de Roume ; il espérait alors de parvenir à aplanir les difficultés.

Le 12 prairial (1er juin), étant au Port-au-Prince, T. Louverture lui répondit, évidemment pour qu’il communiquât cette réponse : la voici ; c’est cette lettre que nous venons d’annoncer comme intéressante :

Personne plus que vous ne connaît ma façon de penser sur les propriétaires de Saint-Domingue, à l’effet de les réintégrer dans leurs propriétés. Si la prise de possession de la partie ci-devant espagnole s’était déjà effectuée, elle deviendrait le bonheur des propriétaires français qui s’y sont réfugiés. Mes ennemis auraient beau cherché à me calomnier ; ils continueraient de le faire, que je ferais dans tous les temps tout ce qui dépendrait de moi pour être favorable aux propriétaires, et pour faire lever le séquestre de dessus leurs propriétés ; et je croirais d’autant moins faire le mal, que c’est justice de rendre à César ce qui appartient à César.

Depuis quelque temps, j’ai remarqué avec peine que des pères et mères de familles sont absens de leurs biens abandonnés, sans moyens, errans dans un pays étranger. L’humanité et la sensibilité ont toujours eu des droits sur mon cœur, et je n’ai jamais pu être insensible à l’infortune de tant de malheureux. C’est pourquoi je désire depuis longtemps les voir sur leurs propriétés.

Prenez donc toutes les mesures qui dépendront de vous pour remplir votre mission : rendez-moi compte, à cet égard, de vos plus petites opérations ; et pour que vos lettres ne puissent éprouver aucun retard, envoyez-les directement au Port-Républicain.

Comme je n’ai reçu encore aucune lettre de monsieur le Président, mandez-moi le plus promptement possible à quoi vous en êtes de votre mission. Je ne puis trop vous recommander de ne rien déranger dans les usages des Espagnols ; laissez-les tels qu’ils sont ; au contraire, loin de les inquiéter par un nouvel ordre de choses, employez tous vos moyens de prudence et de sagesse pour qu’ils soient protégés dans leurs habitudes. Vous connaissez ma manière de voir à ce sujet. Cette partie continuera d’être traitée et gouvernée comme par le passé, ne pouvant l’être comme la partie française. Il appartient à votre prudence de la gouverner sagement. Nous avons souvent causé ensemble sur la mauvaise manière dont la liberté générale a été donnée à la partie française, et combien il importait d’être sage pour la faire régner dans cette partie, sans secousse ; il ne faut donc rien changer au système qui existe. Vous me demanderez seulement la garnison qui vous sera nécessaire.

J’ai fait partir dernièrement pour Santo-Domingo des troupes d’Europe : il reste à Jacmel le bataillon des troupes blanches[14]

Voilà le langage de l’homme qui disait à Laveaux, dans une de ses lettres, que Sonthonax n’était pas plus ami des noirs que lui ; qui accusait tout récemment Rigaud et tous les hommes de couleur, de vouloir rétablir leur esclavage ! Dans cette lettre à Agé, il se montre tout au plus partisan d’une liberté graduelle qui, selon lui, aurait dû être préférée à la liberté générale subite. Eh bien ! n’était-ce pas, dans le principe de la révolution, l’idée qui dominait Vincent Ogé et beaucoup d’autres hommes de couleur, dans la pensée d’amener la liberté de tous sans secousse[15] ? Mais quand la liberté générale fut proclamée, Rigaud et les autres qui combattaient sous lui, n’acceptèrent-ils pas cet ordre de choses avec sincérité, tandis que T. Louverture servait les Espagnols pour rétablir l’esclavage ? La sollicitude de ce dernier pour les colons, pour ces Césars qui erraient dans les pays étrangers, ne se dévoile-t-elle pas dans toutes les lignes de cette lettre ? Ne fut-elle pas constamment le sentiment qui domina en lui, soit avant, soit après la guerre du Sud ? Changea-t-il effectivement l’ordre de choses qui existait dans la partie espagnole, après qu’il l’eut réunie à la partie française ?

Le 3 juin, il écrivit encore une lettre à Agé, en réponse à celle que ce général lui adressa pour lui rendre compte des adresses du cabildo, etc., à Don Garcia. Il insista dans celle-ci sur la nécessité de la prise de possession, pour faire cesser le trafic des noirs ; il repoussa, comme mal fondés, les bruits courus à Santo-Domingo sur la violence exercée contre Roume : « Vous étiez encore au Port-Républicain, dit-il, quand je partis précipitamment pour le Nord et me rendis auprès du peuple qui, s’étant réuni en masse, demandait l’embarquement de l’agent, et que je prisse les rênes du gouvernement : bien loin d’adhérer à sa demande, je le blâmai fortement, et je lui fis entendre raison… » Il méditait dès-lors d’absorber l’autorité de Roume, pour prendre effectivement les rênes du gouvernement : c’est ce qui arriva avant la fin de l’année 1800, afin de pouvoir entrer librement dans la partie espagnole.

Cette lettre maintenait la mission du général Agé ; mais, arrivé au moment de la signer ; il lui dit : « Réflexions faites, pour ne pas abandonner un représentant de la nation française à de nouvelles vexations, je vous ordonne de quitter Santo-Domingo et de vous rendre au Port-Républicain. » Immédiatement après l’avoir écrite, T. Louverture partit pour Léogane.

Le lendemain, le général Agé arriva au Port-au-Prince : il y trouva encore cette lettre écrite la veille. Il s’empressa d’écrire à Don Garcia pour protester contre toutes les insultes personnelles qu’il avait reçues à Santo-Domingo, contre l’injure faite au général en chef et même à Roume : il lui rendit cependant témoignage de la bonne conduite des hommes de son escorte envers lui, des attentions dont il avait été l’objet de la part des cabildos de Bany et d’Azua. Il se rendit ensuite à Léogane auprès de T. Louverture.

Le même jour, 4 juin, ce dernier adressa une lettre, de Léogane, à Don Garcia, pour lui exprimer sa surprise, son étonnement de la manière dont le général Agé avait été traité à Santo-Domingo. « Je ne puis vous dissimuler, M. le Président, combien cette insulte est grande, de gouvernement à gouvernement, surtout liés par l’union la plus sincère… Je n’ai plus rien à vous dire, M. le Président ; je ne puis que vous manifester mon mécontentement du mauvais traitement fait au représentant de la « colonie, à un général français. J’en donnerai connaissance à l’agent du Directoire.  »

Il y avait sept mois que ce pauvre Directoire avait été chassé du palais du Luxembourg ; T. Louverture ne l’ignorait pas, mais il était formaliste. Roume n’ayant encore reçu aucune confirmation de la part du gouvernement consulaire, il était toujours, pour T. Louverture, l’agent du défunt gouvernement ; c’est-à-dire, un agent presque aussi mort que le pouvoir dont il tenait ses instructions. Quant à A. Chanlatte, qui ne s’était pas montré bien fervent pour la prise de possession, il prit bonne note de sa conduite en cette circonstance. C’est alors que Chanlatte fit son rapport du 9 juin 1 800, déjà cité, qu’il envoya au ministre de la marine par J. Boyé, qui était à Santo-Domingo[16].

Cependant, Roume s’était enhardi, en apprenant qu’Agé était de retour au Port-au-Prince. Le 16 juin (27 prairial), il rendit un nouvel arrêté pour révoquer celui du 27 avril. Il en envoya des expéditions à T. Louverture, à Don Garcia, à Chanlatte et au gouvernement français. Par une lettre du 5 juillet, au gouverneur espagnol, il lui donna l’assurance que le général en chef avait renoncé à la prise de possession ; et il approuva l’envoi en Europe, des députés de Santo-Domingo à l’effet de recevoir les derniers ordres des gouvernemens de France et d’Espagne.

T. Louverture ne s’en tint pas à sa lettre du 4 juin à Don Garcia. Le 20 juillet, il lui en adressa une autre où il se plaignit longuement des injures faites au général Agé qui le représentait. Mais il ne lui dit pas un mot qui pût faire soupçonner qu’il avait renoncé à la prise de possession, comme l’affirma Roume.

On voit dans cette lettre le langage du chef qui triomphait en ce moment de son ennemi : son armée était partout vainqueur contre les troupes du Sud. Il était alors au Petit-Goave, où il venait de recevoir une députation de Rigaud, qui se décidait à se rendre en France[17].

Il est temps de reprendre la narration de ces combats.

  1. La punition corporelle consistait à être battu de verges, quelquefois jusqu’à mort.
  2. Dessalines, devenu chef du gouvernement, fui inexorable envers les Vaudoux et tous les sorciers : il les punissait de mort. Au reste, la sorcellerie n’est pas une invention de la race africaine : la race européenne l’a pratiquée aussi dans les siècles d’ignorance. Il faut des lumières à tous les hommes, pour les affranchir de toutes les erreurs.
  3. Nos appréciations différent à ce sujet de celles de M. Saint-Rémy, qui a fait tous ses efforts pour justifier ou excuser Roume. (Vie de Toussaint Louverture, p. 241.)
  4. T. Louverture était vindicatif. Au mois d’août, Martial Besse arriva au Cap venant de Bordeaux. Roume écrivit au général en chef et lui annonça son arrivée, en lui disant que Martial Besse pouvait lui parler de ses enfans qu’il avait vus à Paris ; mais quelque temps après, il le fit déporter aux États-Unis. Dieu vengea ce mulâtre, en permettant qu’il pût lui être utile au château de Joux.
  5. Rapport de Kerverseau.
  6. Un rapport d’A. Chanlatte au ministre de la marine, du 9 juin 1800, affirme que le capitaine et les officiers de la Diligente furent mis en prison par ordre de T. Louverture, dès que la demande de cette corvette lui parvint : sans doute, il voulut faire sentir à Roume qu’étant son complice, il devait rester dans la colonie pour partager la solidarité de tous ses actes.
  7. Ce même rapport de Chanlatte représente Roume comme agissant de bonne foi, éprouvant la plus vive douleur d’avoir été contraint de proclamer Rigaud rebelle. Dans un autre passage, il dit que cet agent montra dans bien des circonstances une énergie étonnante pour s’opposer aux vues de T. Louverture. A. Chanlatte prouve seulement qu’il était dupe et de Roume et du gouvernement français, si toutefois sa dépendance de ce gouvernement ne le contrgnait pas à tenir ce langague.
  8. Nous avons puisé tous ces faits dans ! e rapport d’A. Chanlatte. Dans sa Vie de Toussaint Louverture, p. 278 à 280, M. Saint-Rémy les relate différemment : il n’attribue qu’à Moïse les violences faites à Roume, dans la maison qu’il occupait. Mais nous avons lieu de croire qu’il confond ces faits avec ceux qui eurent lieu, à l’occasion de la réclusion de Roume au Dondon, en novembre 1800.
  9. M. Madiou prétend (t. 2, p. 44) qu’on ignorait en juin, la révolution du 18 brumaire. La lettre de Roume, en avril, prouve le contraire. Est-il admissible, d’ailleurs, qu’un tel événement n’ait pas été appris à Saint-Domingue deux mois après, par la voie des États-Unis ou d’Angleterre ?
  10. Histoire d’Haïti, t. 2, pages 30, 33.
  11. Rapport précité d’A. Chanlatte.
  12. Histoire d’Haïti, t. 2, p. 26.
  13. Il est probable qu’il apprit alors l’expédition maritime qui se préparait en France, sous les ordres de l’amiral Gantheaume et du général Sahuguet. Nous en parlerons plus loin.
  14. Il n’y eut que 60 Européens envoyés à Santo-Domingo.
  15. Dans une lettre à Laveaux, en 1796, à l’occasion de l’affaire de Villatte, T. Louverture dénia tout sentiment de sympathie pour les noirs, de la part de Vincent Ogé : en 1800, ne raisonnait-il pas comme cet infortuné, même après la liberté générale ? Voyez ch. VI, p. 159 du 3me livre.
  16. J. Boyé fut capturé par les Anglais, presque en vue de Santo-Domingo. (M. Lepelletier de Saint Rémy, t. 1er p. 306.)
  17. Nous possédons en copie toutes les pièces et lettres que nous avons citées dans ce chapitre. Nous avions pris les originaux dans les archives de Santo-Domingo ; et à la fin de 1828 nous les remîmes aux archives du palais national du Port-au-Prince. Nous avons encore tous les autres documens concernant la prise de possession de la ci-devant partie espagnole, effectuée en 1801.