Étude sur la race bovine gasconne

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ÉTUDE
SUR LA
RACE BOVINE GASCONNE
L’empire de l’homme sur les
animaux est l’empire de
l’esprit sur la matière.
(Buffon)



ÉCOLES NATIONALES VÉTÉRINAIRES



INSPECTEUR GÉNÉRAL
M. H. BOULEY, O. ❄, Membre de l’Institut de France, de l’Académie de Médecine, etc.



ÉCOLE DE TOULOUSE



Directeur.

M. LAVOCAT ❄, Membre de l’Académie des Sciences de Toulouse, etc.

PROFESSEURS.

MM. LAVOCAT ❄, Tératologie.
Anatomie des régions chirurgicales.
LAFOSSE ❄, Pathologie spéciale
Police sanitaire et Jurisprudence
Clinique et Consultations.
LARROQUE,.. Physique.
Chimie.
Pharmacie et Matière médicale.
Toxicologie et Médecine légale.
GOURDON, Hygiène générale et Agriculture.
Hygiène appliquée ou Zootechnie.
Botanique.
SERRES, Pathologie et Thérapeutique générale.
Pathologie chirurgicale et Obstétrique
Manuel opératoire et Maréchalerie.
Direction des exercices pratiques.
ARLOING, Anatomie générale.
Anatomie descriptive.
Phyiologie.

CHEFS DE SERVICE.
 
MM. MAURI, Clinique, Pathologie spéciale, Police sanitaire et Jurisprudence.
BIDAUD, Physique, Chimie et Pharmacie
LAULANIÉ, Anatomie générale et descriptive, Histologie, Physiologie.
LAUGERON, Clinique chirurgicale et chirurgie, Pathologie générale, Histologie pathologique, Extérieur et Zootechnie.


JURY D’EXAMEN

MM. BOULEY O. ❄, Inspecteur-général.
LAVOCAT ❄, Directeur.
LAFOSSE ❄, Professeurs.
LARROQUE,
GOURDON,
SERRES,
ARLOING,
MAURI, Chefs de service.
BIDAUD,
LAULANIÉ,
LAUGERON,


――✾oo✾――


PROGRAMME D’EXAMEN

Instruction ministérielle
du 12 octobre 1866.


THÉORIE Épreuves
écrites
Dissertation sur une question de Pathologie spéciale dans ses rapports avec la Jurisprudence et la Police sanitaire, en la forme soit d’un procès-verbal, soit d’un rapport judiciaire, ou à l’autorité administrative ;
Dissertation sur une question complexe d’Anatomie, de Physiologie et d’Histologie.
Épreuves
orales
Pathologie médicale spéciale ;
Pathologie générale ;
Pathologie chirurgicale ;
Maréchalerie, Chirurgie ;
Thérapeutique, Posologie, Toxicologie, Médecine légale ;
Police sanitaire et Jurisprudence ;
Agriculture, Hygiène, Zootechnie.
PRATIQUE Épreuves
pratiques
Opérations chirurgicales et Ferrure ;
Examen clinique d’un animal malade ;
Examen extérieur de l’animal en vente ;
Analyses chimiques ;
Pharmacie pratique ;
Examen pratique de Botanique médicale et fourragère.
À MON PÈRE ET À MA MÈRE

INTRODUCTION.


Il est peu de travaux relatifs à la race bovine gasconne avant 1856. À cette époque le concours de Paris l’ayant mise en évidence, tous les agronomes ont pu apprécier ses belles qualités, principalement ceux du nord de la France qui ne la connaissaient point encore et depuis elle a été souvent étudiée. Seulement ces travaux divers, à l’exception des applications de la zootechnie par M. Sanson, se trouvent incomplets, dispersés dans différentes publications et n’ont pas permis jusqu’à présent une étude d’ensemble ; c’est à cela que je me suis proposé de suppléer. Aussi dans mon travail me suis-je principalement attaché à exposer les mesures générales d’hygiène applicables à notre race tout en tenant compte des milieux et des circonstances pouvant exercer une influence sur son perfectionnement.

Étudier le pays habité par la race gasconne, examiner ses caractères, son aptitude, pour déduire les améliorations qu’on aurait à lui faire subir, telles sont en conséquence les questions que je vais essayer de traiter.

H. CAZENEUVE

TOPOGRAPHIE DU GERS


La race bovine gasconne n’habite point tout le territoire compris dans l’ancienne province de ce nom. On la trouve dans la partie sud des départements de Tarn-et-Garonne et de Lot-et-Garonne, dans la partie occidentale de la Haute-Garonne et dans le département du Gers tout entier. — C’est du Gers que cette race est originaire, c’est là son principal centre de production ; aussi ce département est-il le seul que nous allons envisager dans notre sujet. Quelques considérations préliminaires sur la topographie de cette région.

Formé de l’Armagnac, du Condomois et d’une portion du Comminges, le Gers est situé entre le 43e et le 44e de latitude et le 1er  et le 2e de longitude à l’Ouest du méridien de Paris. Il est couvert de coteaux qui forment les derniers contreforts des Pyrénées : les points les plus culminants sont à 390 m. au-dessus du niveau de la mer ; ce sont les plus méridionaux. Plus on s’avance vers le nord, moins les coteaux sont élevés : le point le plus septentrional, Lectoure, n’est qu’à 216 mètres.

Ce pays appartient à l’époque secondaire ; le sol est à base argileuse : suivant que l’argile est mêlée de matières calcaires ou de sable, les cultivateurs distinguent des terres fortes dans le premier cas et des boulbennes dans le second. Ces terrains ne se retrouvent pas indistinctement dans les différentes parties du territoire : ainsi le sol est siliceux dans le Bas-Armagnac, argilo-siliceux dans la Ténarèze et calcaire dans le Haut-Armagnac. Ces divisions du sol correspondent aux anciennes divisions politiques. Les coteaux qui sillonnent le pays sont formés par une pierre argilo-calcaire.

De ces monticules partent des cours d’eau qui arrosent les vallées. En raison du rapprochement des collines, ces cours d’eau sont très nombreux mais peu importants ; ce n’est guère que pendant l’hiver et le printemps qu’ils laissent écouler leurs eaux. Et à ces deux époques, sous l’influence de pluies considérables et à la suite de la fonte des neiges, le lit de ces ruisseaux augmente-t-il parfois au point de provoquer des inondations d’autant plus désastreuses qu’elles couvrent les prairies de vase et de limon, qu’elles renversent les récoltes et détruisent ainsi en quelques instants tout l’espoir du cultivateur.

La chaîne des Pyrénées fait que le climat du département est tempéré. Ce climat toutefois se trouve exposé à des changements brusques de température : les vents d’Ouest et de Sud-Ouest rendent souvent nos printemps pluvieux. À cette même époque et durant l’été surviennent des orages qui dévastent les campagnes. Comme causes climatériques nuisibles à l’agriculture, signalons encore les brouillards et le vent du Sud-Est, connu dans le pays sous le nom d’autan. Personne n’ignore les effets funestes que ces météores exercent sur les cultures et sur l’économie. L’Agriculture est excessivement variée et les produits fournis par le sol sont très nombreux : blé, vin, maïs, fèves, fourrages, etc. « En général, comme le faisait observer Dralet à la fin du dernier siècle, le cultivateur n’est peut-être que trop fidèle à cette maxime de Calumelle : on doit regarder comme mauvais cultivateur celui qui est obligé d’acheter ce que sa terre aurait pu lui fournir. » Trop fidèle en ce sens qu’il néglige les prairies pour s’adonner de préférence à d’autres cultures telles que celles de la vigne, le blé. En effet sur une surface de 478000 hectares, on comptait en 1873 : Froment 169000 hectares, autres céréales 52000, fourrages 81000, jachère morte 76000, vigne 100000. Les terrains consacrés aux pâturages sont, comme on le voit, relativement bien faibles. Les terres s’appauvrissant chaque jour davantage, on peut aisément prévoir les conséquences. Les cultivateurs devraient donc s’appliquer à augmenter l’étendue des prairies : Les prairies sont le nerf de l’agriculture ; elles donnent le moyen d’avoir de nombreux troupeaux ; ceux-ci produisent des engrais et les engrais doublent la fécondité des terres. De cette réforme découlerait un autre avantage pour notre pays : « Par suite du prix toujours croissant de la viande, écrit M. Barral dans le journal d’Agriculture, un avenir très avantageux est réservé au pays d’élevage, comme à tous ceux qui sauraient développer les produits du bétail. Le Gers peut prendre sa place dans ce mouvement économique, et malgré que son climat ne le place pas sous ce rapport parmi les contrées privilégiées, il tramer par l’accroissement du nombre et de la qualité de son bétail une nouvelle source de richesse. »

Des conditions topographiques et climatériques du département, que devons-nous conclure par rapport à la race que nous étudions ? C’est que le Gers, comme toute contrée, possède dans son atmosphère, dans la nature de son sol, dans son agriculture la mesure de l’ampleur et de la taille de ses bestiaux. Le climat dont nous jouissons est tempéré, et ce climat convient essentiellement à un bœuf de taille moyenne, au tempérament sanguin ; il est plus petit, plus nerveux dans, les pays chauds, plus lourd, plus lymphatique au contraire dans les pays froids. Nos prairies ne donnent point des fourrages aqueux ni assez abondants, l’atmosphère n’est pas suffisamment imprégnée d’humidité pour que les animaux prennent un développement considérable, pour que leurs muscles s’entourent d’une masse de tissu conjonctif, en un mot pour produire en eux tous les attributs du tempérament lymphatique. D’un autre côté, grâce à la chaîne des Pyrénées, le climat n’est point assez chaud pour exercer son influence sur notre race bovine et lui communiquer des caractères opposés ; en effet dans les pays chauds les plantes renferment beaucoup de principes alibiles sous un petit volume, l’air sec pousse rapidement à la peau, et pour les animaux il en résulte un resserrement des tissus fortifiant leur complexion au détriment de leur ampleur. Le département du Gers tenant le milieu entre les pays froids et les pays chauds par sa position topographique, par la qualité des fourrages qu’on y récolte, se trouve donc dans les meilleures conditions pour entretenir cette race de bœufs vraiment remarquable par sa souplesse et par sa vigueur. Rien ne laisserait à désirer si à la qualité des fourrages on ajoutait la quantité.

L’altitude apporte aussi son contingent de modifications dans la manière d’être de ces animaux : en gravissant les coteaux, leur pied se familiarise en quelque sorte avec les accidents de terrain et devient plus solide ; ils acquièrent plus de rusticité, ils sont plus durs à la fatigue. Cette rusticité est encore accrue par les changements brusques de température qu’on observe dans cette région, car leurs organes s’habituent peu à peu à se suppléer entre eux durant ces variations atmosphériques.

Chaque terrain imprimant au sujet qui l’habite des caractères qui dévoilent son origine, cet aperçu général sur le Gers était nécessaire pour comprendre ce que nous allons dire de la race bovine Gasconne habitant ce département. Passons aux caractères de cette race.

CARACTÈRES DE LA RACE BOVINE GASCONNE.

Le bœuf gascon appartient au type blaireau de la classification de M. Gourdon. Il est classé parmi les races de travail de la région Sud Ouest de la France. Le pelage de nuance gris-blaireau, la tête courte et carrée, des cornes épaisses dirigées en avant en s’incurvant en bas et en dehors, le cou court et volumineux avec un fanon pendant, la ligne du dos d’une rectitude parfaite si elle n’était parfois infléchie en arrière du garrot, la poitrine développée, le corps court et cylindrique, les membres forts aux articulations saillantes, la taille moyenne (1m 35 — 1m 45), un pied petit et solide, les testicules volumineux, enfin un aspect trapu et une physionomie fière, tels sont les caractères extérieurs de la race Gasconne.

À cet ensemble, joignons quelques particularités fort prisées des connaisseurs, deux particulièrement, la cupule et la cocarde, car elles témoignent de la bonne origine de l’animal. La cupule est cette enveloppe noire que l’on observe au fond des bourses, et la cocarde est représentée par un cercle de même couleur entourant la marge de l’anus. Tous les sujets de la race n’offrent pas ces caractères distinctifs ; il en est qui ont une cupule incomplète, c’est-à-dire le derrière des bourses seulement de couleur noire, d’autres n’ont pas de cupule, et le fond des bourses est complètement blanc. Les bœufs qui présentent cette distinction se rencontrent principalement du côté de Mirande. De là deux variétés que l’on peut admettre dans la race : une variété avec cupule et une variété sans cupule. Qu’ils appartiennent à l’une ou à l’autre de ces variétés, le mufle et l’extrémité des cornes sont le plus souvent noirs, le mufle fait quelquefois exception et se trouve gris-foncé ; dans tous les cas il présente une bordure blanche couronnant l’extrémité inférieure de la tête. Aux pieds existe également une auréole noirâtre.

Chez le taureau, le pelage presque noir dans la jeunesse, devient ordinairement blaireau mêlé de noir, réparti surtout à la tête, à l’encolure, aux membres ; le long du dos et sur les côtés la nuance de la robe est plus claire, plus lavée. Chez le bœuf ces teintes se trouvent quelque peu affaiblies. La vache a une robe de couleur froment ; seulement comme cette robe s’observe chez toutes les femelles des différentes races bovines, elle ne peut fournir dans ce cas un caractère distinctif, et il faut consulter pour la vache la couleur des muqueuses, des sphincters, de l’anus, des oreilles et des naseaux.

Malgré ses bonnes qualités, cette race n’est point sans offrir quelques défauts de conformation : Ainsi la côte est généralement plate surtout au défaut de l’épaule, celle-ci est plutôt osseuse que charnue ; les lombes sont étroites, l’attache de la queue est trop haute, les fesses sont resserrées par suite du rapprochement de deux os minces que l’on désigne sous le nom d’ischions ; c’est ce défaut qui rend la croupe pointue et le bassin très étroit, surtout chez le mâle, le jarret est étroit et trop ouvert : en un mot il y a un défaut de proportion entre la partie antérieure du corps et la partie postérieure.

Origine. — Par ses caractères la race gasconne ne pourrait-elle se rapprocher de deux races voisines, la race Garonnaise et la race Bazadaise ? Sur ce point la robe suffirait pour établir une distinction. Chacune de ces trois races forme en effet le type des trois robes que l’on rencontre dans la région du Sud-Ouest : au Garonnais la couleur froment, au Bazadais la couleur fauve, et au Gascon la couleur blaireau. En outre le bœuf Garonnais est un bœuf de boucherie ; c’est dire que par sa conformation il s’éloigne complétement du bœuf Gascon. Le Bazadais ne se distingue guère que par son pelage. Les caractères de la race se fondent cependant avec les caractères des races voisines sur les limites du département : aux environs de Condom et de Lectoure par exemple on trouve un grand nombre d’animaux issus de vaches gasconnes et de taureaux garonnais. On a donné un nom à cette famille et on l’appelle sous-race de Nérac. Dans le Gers, c’est principalement dans l’arrondissement de Lombez que se trouve la race Gasconne dans toute sa pureté ; c’est là que se reproduisent les types le mieux accentués. C’est de là qu’elle est originaire et qu’elle s’est répandue dans le Tarn-et-Garonne, dans la Haute-Garonne et dans l’Ariége, où elle a constitué des races avec lesquelles elle offre certainement plusieurs points de contact. « Point de différence, en effet, entre les Ariégeois et les Gascons, que celle de la taille, écrit M. Sanson dans le Livre de la Ferme. Ces derniers sont un peu moins grands, voilà tout, et l’on trouve une explication facile de ce fait dans l’agriculture locale. Il n’y a donc pas de race Ariégeoise, mais une tribu Ariégeoise de la race Gasconne. » Le Carolais et le Gascon sont identiques et dans les concours, depuis quelques années, on ne forme point de catégorie spéciale pour chacun d’eux. Au dernier concours régional de Foix (mai 1875) les Carolais et les Gascons étaient compris dans une même catégorie et classés sous le titre de : Race Gasconne-Carolaise. Il est vrai que les propriétaires de l’Ariége ont réclamé contre cette assimilation qu’ils jugent contraire à leurs intérêts. Mais elle est fondée en fait.

La sous-race de Nérac, nous l’avons déjà dit, est également un dérivé de la nôtre. La sous-race de la Montagne-Noire proviendrait aussi de la même source d’après M. Rendu. Et la race d’Aubrac, de laquelle M. Gobin, dans l’Économie du bétail, veut faire dériver le bœuf gascon, pourquoi n’émanerait-elle point elle-même de ce type gascon ? En ce qui regarde la question d’origine, la conclusion n’est pas des plus faciles ; il n’existe point de Herd-boock assez ancien qui puisse nous éclairer, et le meilleur moyen d’arriver à connaître la vérité serait peut-être de compulser les archives des départements. En attendant, le mieux est de s’abstenir : on voit le bœuf, dit M. Gayot, sur tous les points où l’homme s’est établi, et il semble si bien être chez lui en tous lieux, que chacune de ses nouvelles patries paraît être celle de l’espèce. » Tout ce que l’on sait, c’est qu’à la suite de l’épizootie de 1770 qui détruisit en partie la population bovine du Sud-Ouest de la France, on a importé une grande quantité de bœufs pour repeupler les étables. On est allé les chercher en Suisse et dans le Nord de la France, ils se sont acclimatés à tel point dans les pays où ils ont été importés, qu’ils paraissent en être originaires. D’après quelques auteurs le gascon ne serait qu’une branche de la race de Schwitz.

Aptitudes. — Quoi qu’il en soit de la race Gasconne, on ne peut contester que par son énergie et sa docilité, elle ne forme une race précieuse pour les travaux de l’agriculture. « Il n’y a peut-être pas dans toute l’étendue de notre pays de race plus essentiellement travailleuse que celle-là, a dit M. Sanson » (loc. cit.) Grâce à sa force, à sa corpulence, elle résiste aux plus rudes travaux ; elle offre en effet les quatre conditions indispensables au bœuf de travail ; les organes de la digestion et de la respiration fonctionnent très bien, les reins sont solides bien que possédant peu de largeur, et les principales articulations des membres sont bien conformées, malgré que le jarret soit un peu étroit.

Est-ce à dire pour cela qu’elle ne puisse être soumise à l’engraissement ? Si cette croyance se trouve encore accréditée, c’est par suite des mauvaises mesures que l’on prend lorsqu’on veut préparer un bœuf à la boucherie. Nous aurons le soin de revenir sur ce sujet en traitant des améliorations. Nous pouvons dès à présent poser en principe qu’un animal à tempérament sanguin, soumis à l’engraissement « possède ordinairement de forts muscles, et fournit non pas des masses de tissu cellulaire et de mauvaise graisse, mais d’épais morceaux de viande ferme et marbrée (Magne).

En conséquence, de ce que notre race est une race essentiellement de travail, il ne s’ensuit pas qu’elle ne puisse avoir en même temps quelque aptitude pour la boucherie. Et pour la production du lait, bien que la vache gasconne soit très mauvaise laitière, il ne serait peut-être pas impossible d’obtenir un rendement suffisant pour le bon entretien des produits. Ce sont tout autant de questions que nous examinerons ultérieurement.

Emploi. — Si les animaux gascons ont une destination spéciale, le travail, on peut dire qu’ils le remplissent parfois au-delà de la mesure. On les soumet aux plus rudes labeurs : à la vache incombent les charrois, car si elle est moins forte que le bœuf, elle est plus légère à la marche ; à celui-ci le soin de défricher les terres lors des premiers labours. Seule notre race bovine ouvre et féconde le sol, elle seule exécute les pénibles travaux des champs, car elle ne possède guère d’auxiliaire dans les autres moteurs agricoles.

Éminemment propre à remplir les travaux de la contrée qu’elle habite, elle ne saurait être remplacée à cet effet par le cheval, quoi qu’en aient pu dire d’habiles théoriciens : celui-ci est trop léger, trop irritable, et d’un élevage trop difficile ; son entretien est plus coûteux que celui du bœuf, il succomberait vite à la tâche dans un département aussi accidenté que le nôtre. Le mulet pas plus que le cheval n’est propre aux travaux des champs et pour les mêmes motifs. Sans doute les solipèdes conduisent les travaux agricoles avec beaucoup plus de rapidité, mais ils sont loin de convenir à tous les pays. Dans ce cas, on ne saurait les préférer au bœuf qui, malgré sa lourdeur, est mieux approprié à notre agriculture. Le bœuf offre de plus un avantage que ne pourrait procurer le cheval, du moins de longtemps ; il ne subit pas de moins-value en prenant de l’âge, et il nous fournit sa viande après avoir donné le travail. Le cheval, au contraire, subit un amortissement annuel de 16 à 17% à partir de l’âge de six ans, et l’hippophagie n’est point encore assez répandue pour que l’on espère réaliser quelques bénéfices en le sacrifiant pour la boucherie.

Production. — Aussi dans notre département les animaux de l’espèce bovine sont-ils infiniment supérieurs en nombre aux solipèdes. Les vaches surtout sont en plus grand nombre, et cela résulte de la division des propriétés, une des grandes œuvres de la révolution[1]. La division des propriétés, en effet, a permis de mieux travailler les terres, de faire plus de fourrages et de mieux nourrir les animaux. Or la vache convient essentiellement à la petite culture ; le prix d’achat, inférieur au prix des bœufs, la met plus à la portée de la bourse du petit cultivateur, de plus, les produits qu’elle donne compensent les frais d’entretien pendant la morte-saison, alors que le bœuf est nourri en pure perte une grande partie de l’année, excepté durant l’époque des labours. Aussi les femelles sont-elles beaucoup plus nombreuses, et pour en retirer le plus de bénéfices, les livre-t-on à la reproduction. On possède de la sorte un nombre d’élèves supérieur aux besoins de l’agriculture. Ce n’est pas à dire cependant que l’élevage ne dût encore titre pratiqué sur une plus vaste échelle, les éleveurs y trouveraient leur intérêt ; les débouchés ne faisant point défaut, on écoulerait facilement les produits.

Commerce. — Les débouchés exercent une heureuse influence, sur la production du bétail. Le cultivateur devant retirer des produits un prix rémunérateur, est encouragé à élever de bêtes de croît ; les bénéfices qu’il espère réaliser sont un puissant mobile. Dans le Gers on n’a pas besoin de créer des débouchés, il en existe suffisamment. Mirande, Montesquiou, Auch, Fleurance, L’Isle-en-Jourdain, sont autant de centres de rendez-vous commerciaux où se réunissent les acquéreurs des départements voisins. Des marchands viennent de la Haute-Garonne, du Tarn-et-Garonne, du Lot-et-Garonne et de l’Ariège, pour acheter, soit de jeunes animaux de 48 mois à 2 ans, soit de grandes paires de bœufs pour le travail. Les plus belles vaches qui se trouvent sur les marchés de l’Isle-en-Jourdain sont importées dans la Haute-Garonne. Le commerce d’exportation comprend en outre les vieux attelages de bœufs et de vaches que l’on soumet à un engraissement imparfait pour les livrer à la boucherie ; il est vrai que les achats de ce genre sont assez rares. Mais si le commerce extérieur n’est pas plus étendu pour les bêtes de croît, la faute en est tout entière aux habitants du Gers qui ne font point autant d’élèves qu’ils le devraient, et si l’on achète peu de ces animaux qui ne sont plus affectés au travail, c’est qu’ils sont exposés en vente à un âge trop avancé pour qu’ils puissent fournir de la bonne viande. Ces bœfs, ces vaches mal engraissés sont acquis en grande partie par le commerce intérieur qui achète également les produits les moins bien réussis, et ces produits représentent environ 1/5 du chiffre des jeunes, les propriétaires s’en débarrassent de l’âge de trois à six mois.

La race bovine Gasconne trouve donc des débouchés avantageux, malgré les imperfections qu’on est bien obligé de lui reconnaître ; et la production du bétail, lucrative pour l’agriculteur, ne l’est point assez cependant pour qu’elle ne puisse le devenir davantage. On atteindra ce but en corrigeant les défauts que l’on reproche au type Gascon. Le meilleur moyen de lui faire acquérir une conformation meilleure tout en lui conservant ses aptitudes, telle est la question que nous allons traiter dans le suivant chapitre.


AMÉLIORATION DE LA RACE GASCONNE


En examinant les caractères de la race bovine Gasconne, nous avons vu les reproches qu’on lui adresse relativement à sa conformation. Elle montre également peu d’aptitude à la production de la viande et à la production du lait. Cherchons en conséquence s’il est possible de lui faire acquérir des formes plus régulières, voyons si sa qualité de race travailleuse exclut d’une façon absolue l’aptitude à l’engraissement, et si les propriétés lactifères de la vache ne peuvent se développer. Car s’il est important d’améliorer la race, il est indispensable que cette amélioration ne lui enlève aucun de ses attributs. Conserver et améliorer, telle doit être la devise du progrès en semblable matière.

Il est deux moyens d’arriver à ce résultat : les uns concernent les reproducteurs, les autres sont relatifs à l’hygiène.

Choix des Reproducteurs. — Lorsqu’il s’agit de faire choix de reproducteurs pour l’amélioration d’une race, on doit se demander s’il est plus rationnel de prendre ces reproducteurs dans la race elle-même, ou bien s’il est nécessaire d’aller les chercher au dehors parmi les races étrangères. La première de ces méthodes constitue la sélection, la deuxième est dite méthode par croisement.

La race bovine Gasconne possédant les éléments propres à faire développer tout ce qu’on pourrait exiger d’elle, on doit se garder d’introduire une race étrangère comme moyen améliorateur. Par le croisement avec une race précoce, le Durham par exemple, on n’améliorerait point, on tomberait dans la dégénérescence : on n’obtiendrait pas la précocité que l’on recherche, car le climat, les nécessités culturales s’y opposent, et on finirait par perdre la force, la rusticité, et l’aptitude au travail. Il y a quelques années cependant, on s’est occupé de l’amélioration de la race au point de vue de la boucherie, par le croisement avec le Garonnais. De ces accouplements sont issus des taureaux actuellement acclimatés dans les pays avoisinant le Lot-et-Garonne ; ils forment la sous-race de Nérac dont nous avons déjà parlé. À leur égard on peut faire une restriction et les conserver comme reproducteurs à la condition toutefois qu’ils soient bien conformés. Mais on ne doit pas pratiquer de nouveaux croisements. Tout au plus pourrait-on faire usage de ce procédé entre les races d’une même catégorie et croiser les races travailleuses entre elles. Ainsi un croisement avec le Bazadais ne serait pas trop irrationnel, celui-ci se trouvant par sa constitution physiologique assez rapproché du type Gascon. Mais la préférence doit être accordée à la sélection, mot qui remplace avec avantage l’ancienne périphrase par laquelle on désignait autrefois l’amélioration des races par elles-mêmes. La sélection repose sur ces trois grands faits, écrivent Moll et Gayot dans la Connaissance générale du bœuf : 1° La présence dans toutes les races, même les plus anciennes, les plus constantes, les plus rayées (où tous les individus se ressemblent), d’individus qui ont certaines aptitudes manquant à la race, ou qui les possèdent à un degré plus éminent que la généralité ; 2° l’influence toute puissante du régime et du traitement ; 3° la faculté qu’ont les animaux de transmettre à leur descendance les qualités exceptionnelles qu’ils possèdent, soit qu’elles existent de naissance chez eux, soit qu’on les ait fait naître et développées artificiellement. » Or la race Gasconne par la couleur de son pelage est une des plus fixes et des mieux caractérisées de France ; on y trouve des individus possédant à un plus haut degré les qualités propres à la race, qualités qu’ils transmettront à leurs descendants par hérédité. De plus, en modifiant le système de culture dans le département, il devient facile d’aider au choix des individus par un régime et un traitement approprié. La sélection offre donc dans ce cas des avantages incontestables. Comme preuves à l’appui des résultats heureux auxquels on est arrivé par cette méthode, il suffirait de citer deux exemples : la race ovine de Mauchamp et la race bovine de Parthenay. Mais il est inutile de chercher des faits en dehors de notre pays, il suffit de consulter les agriculteurs, malheureusement trop rares, qui par un choix intelligent des reproducteurs et par une nourriture abondante, se sont efforcés de faire disparaître les défauts que l’on reproche au bœuf gascon.

Nous donnons en conséquence la préférence à la sélection, aidée du régime. Et si le consentement universel était une preuve indéniable de cet avantage, nous citerions le passage suivant emprunté à un article de M. Sanson sur le Livre de la Ferme : « Le principe de son amélioration par la sélection, de sa conservation par conséquent à l’état de pureté a été admis par toutes les sociétés d’agriculture des quatre départements qu’elle habite ; et il faut dire pour être juste que les efforts de M. le professeur Lafosse, de l’École vétérinaire de Toulouse, n’ont pas été étrangers à ce résultat. » Le principe de la sélection étant admis, passons au choix que l’on doit faire du mâle et de la femelle.

Choix du taureau. — D’après ce qui a été dit à propos des caractères de la race Gasconne, nous voyons ce qu’on doit rechercher chez le taureau destiné à la reproduction : une côte plus arrondie au défaut de l’épaule, moins de longueur de la ligne dorsale, une largeur du bassin suffisante, des fesses moins rapprochées, des jarrets plus larges et moins ouverts, voilà tout autant de qualités qui méritent d’être fixées dans notre race. On s’appliquera également à rendre l’attache de la queue moins haute pour donner plus de régularité l’ensemble. C’est le train postérieur qu’il faut mettre, en harmonie, autant que faire se peut, avec le train antérieur. Ajoutons à ces considérations relatives aux formes extérieures d’autres considérations plus générales concernant l’énergie, le caractère et la taille. Sous le rapport de l’énergie, nous l’avons déjà vu, le bœuf Gascon n’a rien à envier aux autres races : fortes creantur fortibus et bonis, a dit Horace. Pour le caractère, il est d’une docilité remarquable, et cette docilité résulte des précautions que prend le cultivateur pour l’élever. Reste par conséquent la taille : Tel qu’il est, le bœuf Gascon suffit pleinement au travail qu’on exige de lui. Inutile donc de s’attacher spécialement à choisir des reproducteurs de grande taille ; on obtiendrait des produits qui nécessiteraient une plus abondante quantité de nourriture, et les fourrages font défaut. Au reste ce n’est point tant l’hérédité que l’alimentation qui exerce une influence sur la taille des produits ; en nourrissant largement les animaux pendant la première jeunesse, on la modifie avantageusement. « L’expérience a si bien prouvé ce principe aux éleveurs de l’Agenais, dit Lafore dans son Mémoire, que lorsqu’ils achètent de jeunes veaux pour les élever, ils ne considèrent que la beauté des formes et ne tiennent presque aucun compte de la taille, parce que, disent-ils, en les nourrissant abondamment ils les feront grandir à volonté. » Peu importe la taille pourvu que le taureau soit ramassé dans ses formes, qu’il soit exempt autant que possible des défauts propres à la race, qu’il soit régulier dans son ensemble. De plus qu’on ne livre à la reproduction que des animaux présentant le pelage et les signes extérieurs de la race, c’est-à-dire la couleur gris-blaireau et les marques particulières du fond des bourses et de la marge de l’anus.

Une dernière réserve quant à l’âge : ne pas faire effectuer la saillie à des taureaux trop jeunes ni trop vieux. Cette question n’est pas généralement bien comprise, car l’étalon est livré à la monte de l’âge de 1 à 2 ans, alors qu’on ne devrait point lui faire effectuer de saillies avant 18 mois jusqu’à 2 ans 1/2. Parvenu à cet âge le taureau devient indocile et on est obligé de pratiquer l’émasculation.

Choix de la femelle. — Pour si bien conformé que soit le taureau, si l’on ne fait point un choix judicieux des femelles qu’on livre à l’accouplement, on ne peut arriver à l’amélioration de la race. Lorsque les types paternel et maternel offriront une harmonie parfaite dans les formes, alors seulement on retrouvera cette même harmonie dans les produits. Le contraste de ces formes donne pour résultat des produits décousus. Car il n’y a pas que le mâle qui exerce une influence dans l’acte de la fécondation ; les auteurs s’accordent à dire que la femelle possède une influence aussi grande, bien que dans l’état actuel de la science il ne soit pas permis de se prononcer sur la part proportionnelle qui peut être dévolue à chacun des reproducteurs dans la constitution ultérieure du produit. Néanmoins grâce aux travaux d’embryologistes distingués, on a pénétré assez avant dans l’étude de la fonction génératrice : M. Coste nous a fait connaître « la plupart des conditions de la fécondation de l’œuf par la liqueur séminale du mâle. M. Pouchet d’abord, puis M. Balbiani nous ont fait assister au développement, au sein de l’ovaire de la mère, de l’ovule qui doit donner naissance à l’être nouveau, après sa fécondation. M. Ch. Robin nous a initiés à l’apparition des propriétés qui communiquent au fluide séminal sa vertu prolifique, (Sanson » Mais quant à baser l’hérédité sur des données positives, c’est chose impossible. Ce que l’on sait, ce que l’expérience a démontré, c’est que les caractères secondaires tout aussi bien que les caractères essentiels ne se fixent chez le produit que s’ils existent déjà chez les deux reproducteurs. On objectera peut-être que certains mâles, mieux que d’autres, transmettent leur qualités, qu’ils se reproduisent bien, qu’ils racent bien ; mais ceci n’infirme en rien la part que l’on doit accorder à la femelle, et l’on peut poser en régle générale que « les semblables engendrent leur semblable. »

Dans le Gers, la grande majorité des propriétaires ne s’occupe nullement du choix des femelles ; ils les livrent indistinctement au taureau. De ce nombre il s’en trouve peut-être quelques uns qui recherchent seulement de belles qualités chez le mâle ; ils lui font saillir les femelles sans tenir compte de la conformation de ces dernières, espérant qu’il suffit d’opposer à une imperfection relative une perfection correspondante, pour que le produit hérite de celle-ci en lieu et place de l’autre. Qu’arrive-t-il ? Nous le répétons, on obtient des produits décousus et sans valeur.

Si nous avons insisté si longuement sur des considérations générales à propos de l’hérédité, c’est en raison du peu de soins que portent les éleveurs du Gers au bon choix des reproducteurs. Et cette cause n’est pas la moindre de celles qui s’opposent à l’amélioration de la race. Mais passons aux caractères que doit fournir la vache destinée à la reproduction. Quelques défectuosités dans sa conformation extérieure, son peu d’aptitude à la production du lait, tels sont les reproches qu’on lui adresse.

Les défauts de conformation sont absolument les mêmes que chez le mâle : indiquer le mal, c’est donc indiquer le remède, puisque déjà, nous avons dit ce qu’on devait rechercher chez ces derniers. Inutile par conséquent de répéter ici ce qui a été dit à propos du choix du taureau. Faisons remarquer toutefois qu’il est un défaut que l’éleveur ne saurait trop s’attacher à corriger, c’est l’étroitesse du bassin. Sans doute ce défaut est grand chez le bœuf, mais combien est-il plus nuisible chez la femelle par suite des difficultés du part qu’il entraîne si souvent, surtout chez la femelle primipare.

Et si l’on fait un choix des vaches le mieux conformées pour améliorer les caractères extérieurs de la race, ne pourrait-on également pratiquer la sélection pour développer chez la femelle l’aptitude à la production du lait ? La vache gasconne, on le sait, est mauvaise laitière, mais est-il impossible de lui faire réaliser des progrès sous ce rapport ? Nous ne le pensons point. Sans doute quelques tentatives que l’on fasse, on ne parviendra jamais à lui faire acquérir les caractères que tous les auteurs donnent à la vache laitière : peau fine, poils doux, fins, bien lustrés, tête peu volumineuse, encolure longue et déliée, etc ; certes ce n’est point à désirer, car elle perdrait sa vigueur, et la qualité qu’elle aurait acquise ne compenserait point pour l’agriculteur une pareille perte. Mais si l’on ne peut faire de la vache gasconne à entreprendre parler une vache laitière, du moins peut-on entreprendre de développer en elle cette faculté : user de la sélection en choisissant les femelles qui offrent les caractères indicateurs de cette aptitude suivant le procédé indiqué par Guenon, ou bien comme l’a fait M. Gayot pour créer la sous-race de Parthenay, telle serait la marche qu’il y aurait à suivre. Cette méthode donne de bons résultats, malheureusement son application demande beaucoup de temps. Néanmoins elle mérite d’être mise en pratique à l’égard de notre race gasconne. La vache deviendrait meilleure laitière, elle entretiendrait plus facilement son produit, et on ne serait point obligé de donner ce dernier à deux nourrices comme il arrive fréquemment, alors qu’on le destfine à la boucherie. Lorsqu’on est dans l’impossibilité d’agir de la sorte, on donne au jeune animal de la farine délayée dans l’eau, ou bien des fèves qu’on a le soin de faire tremper dans l’eau depuis la veille. Le veau engraisse alors moins facilement et sa viande est moins bonne. Et ces inconvénients n’existent pas uniquement pour l’animal de boucherie ! Comment se développeront les élèves s’ils n’ont pas une nourriture abondante ?

Ces, principes généraux posés relativement au choix que l’on doit faire des femelles en vue d’obtenir une meilleure conformation et une plus grande aptitude à la production du lait, voyons quel est l’âge convenable auquel elles doivent être livrées à la reproduction.

Dans l’état actuel de notre agriculture, il n’est pas prudent de faire saillir les femelles avant l’âge de trois ans. Des gestations trop précoces, les épuiseraient et amèneraient la dégénaration de la race, loin de l’améliorer ; car d’après la loi d’hérédité les formes et les aptitudes se transmettent d’autant mieux que les animaux sont arrivés à leur plus complet développement. Il se peut encore qu’à cet âge, la vache trop jeune donne des produits de mince valeur.

En pratiquant la sélection comme nous venons de le faire entendre pour développer l’aptitude à la production du lait et pour avoir une conformation plus régulière, il est beaucoup de femelles que l’on devrait éloigner de la reproduction. Partant les considérations physiologiques primeraient les considérations économiques, et il y aurait perte pour l’agriculteur. En entretenant les vaches sans les faire saillir, il éprouverait un déficit considérable ; dans son intérêt mieux vaut donc qu’il en tire tout le parti possible ; seulement les produits seront livrés à la boucherie alors qu’ils ne seront pas issus d’une bonne origine. On ne conservera comme élèves que ceux d’entre eux qui proviendront de vaches bien conformées. La sélection ainsi ne sera nullement entravée dans sa marche.

Pour terminer ce chapitre, peut-être trop long pour le cadre que nous nous sommes tracé, nous répéterons qu’il ne faut rien négliger dans le choix des reproducteurs. De là dépend en grande partie le progrès. On ne doit pas s’attacher exclusivement à la bonne conformation du mâle, mais encore et au même titre à la régularité des formes de la femelle. Virgile a dit depuis longtemps :

Seu quis, Olympiacæ miratus præmia palmæ,
Pascit equos, seu quis fortes ad aratra juvencos,
Corpora præcipue matrum legat.
(Georgiques, L. III).

Hygiène des reproducteurs. — Lorsqu’on livre un taureau à la reproduction, il ne faut pas le laisser dans un isolement complet, il deviendrait dangereux pour l’homme. On doit au contraire le familiariser davantage en le traitant avec douceur et ménagement. Le meilleur moyen de le rendre docile c’est de le dresser dans sa jeunesse et de le faire travailler. Le travail, loin de nuire à sa destination, le rend fort et prolifique. « Les mâles reproducteurs, dit M. Bella, ont besoin d’exercice pour conserver la faculté prolifique et engendrer les descendants robustes….. Il faut que le taureau travaille, transpire, pour ne pas tomber dans l’obésité, pour ne pas devenir dangereux et ennemi de l’homme. »

Relativement au nombre de saillies que le taureau doit effectuer, il faut prendre en considération son âge, sa force, sa constitution. Je ne parle point de la nourriture, car elle ne doit rien laisser à désirer. Habituellement l’étalon couvre deux, trois vaches par jour ; il arrive souvent que la troisième saillie ne donne aucun résultat, surtout lorsqu’il est jeune, lorsqu’il a douze à quatorze mois. À l’âge de dix-huit mois, on ne lui donnera pas à couvrir au delà de soixante-dix vaches par saison.

Pour les femelles, on attendra qu’elle manifestent des signes de chaleur, sans chercher à provoquer ces chaleurs par des moyens bizarres que l’on a encore l’habitude de mettre en usage en pareille circonstance. Une saignée si la femelle est pléthorique, de petites rations de grains au contraire si elle est débilitée par une mauvaise nourriture, voilà les seules ressources auxquelles il faut recourir, Quant au procédé que l’on suit dans le Gers pour faire couvrir les vaches, la monte en main, il n’est pas défectueux, bien qu’il fût encore préférable de placer le taureau et la vache dans un enclos afin que la monte se fit d’une manière mixte, dans une demi-liberté. Dans ce cas, dit-on, la copulation se fait avec plus de succès. Une fois saillie, la vache doit être laissée en repos, et durant la gestation on la conduit avec douceur et précaution. La gestation se manifeste par la cessation des chaleurs ; si on la ramène au taureau, celui-ci refuse de la saillir : « beaucoup mieux que le cheval et le bélier, écrit Grognier, le taureau reconnait la gestation et s’abstient de saillir les femelles en cet état ; il les lèche, il les caresse, les console en quelque sorte et calme ainsi leur ardeur. » L’habitude que l’on a de faire travailler les vaches pendant cette période n’est point mauvaise en elle-même ; on allégera toutefois leur travail lorsque arrive le terme de la mise bas. Chez quelques femelles de notre race se présentent alors des difficultés de part par suite de l’étroitesse du bassin, difficultés nécessitant l’intervention d’un homme expérimenté.

C’est ici le cas de signaler une mauvaise pratique assez générale dans le Gers et à laquelle on a recours immédiatement après le part, Pensant que le premier lait est nuisible, les cultivateurs l’expulsent par mulsion pour ne pas le laisser téter au nourrisson. En agissant ainsi, on va contre la nature : ce premier lait appelé colostrum jouit de propriétés purgatives, et il est nécessaire pour chasser le méconium, c’est-à-dire les excréments alvins qui se sont accumulés dans l’intestin pendant la vie intra-utérine. Ici, comme partout, la nature s’est montrée mère prévoyante, elle a placé le remède à côté du mal.

Mode d’élevage. — Le mode d’élevage ne présente rien de particulier : le veau destiné à la boucherie vers l’âge de trois, quatre mois, n’est pas entretenu exclusivement avec du lait, on lui donne des fèves, de la farine, on le laisse même téter à plusieur vaches. En développant les propriétés lactifères de la race, on n’aurait pas besoin d’avoir recours à un pareil procédé qui n’est rien moins que défectueux, et qui expose le produit aux coups de la nouvelle nourrice. Pour l’engraisser plus facilement, c’est alors qu’on lui donne des farineux ; mais il est de fait que dans ce cas la qualité de la viande change, et l’on croit que le veau nourri avec du lait fournit une meilleure viande que celui qui a été soumis à un autre mode d’engrais.

Les jeunes que l’on réserve comme élèves sont sevrés vers l’âge de quatre ou cinq mois, époque à laquelle on les lâche dans les pâturages avec le reste du bétail. Dans les premiers jours ils ne savent point ramasser l’herbe devant leur servir désormais de seule nourriture, ils veulent prendre la mamelle de la mère, préférant l’ancien régime à celui qu’on veut leur faire adopter. Pour éviter cet inconvénient il suffirait de les séparer les uns des autres pendant une semaine environ ; au bout de ce temps on n’aurait pas besoin d’avoir recours à la muserole ou à tout autre procédé aussi défectueux et présentant un danger plus grand que celui que l’on veut empêcher.

À l’entrée de l’hiver, le veau habituellement âgé de six mois, quitte les pâturages et se trouve condamné à une stabulation permanente : dans ces étables il est mal nourri, il respire un mauvais air, et le pansage s’exécute d’une manière bien imparfaite. Nous signalons ces inconvénients, sauf à y revenir ultérieurement en traitant des moyens hygiéniques à mettre en usage pour l’amélioration de la race.

Vers l’âge de deux ans commence le dressage : c’est-peut-être la partie la mieux entendue des éleveurs. Ils le pratiquent en général immédiatement après le bistournage, alors que l’humeur des animaux est docile encore et leur jeune corps facile à manier, suivant le précepte transmis à ses contemporains par le poète laboureur de Mantoue dans les Géorgiques :

Tu quos ad studium atque usum formabis agrestens,
Jam vitulos hortare ; viamque insiste domandi,
Dum faciles animi juvenum, dum mobilis ætas.
(Livre III).

La jeunesse en effet étant l’époque la plus favorable pour (les dresser à la vie et aux travaux de la campagne), on a le soin de les (façonner dès leurs premières années). À cet effet on met au joug le jeune élève avec un animal déjà habitué, plus tard on attelle les élèves deux à deux et on leur fait effectuer de légers travaux. Peu de temps suffit pour rendre le dressage complet.

Les attelages formés, on les vend à moins qu’ils ne soient destinés à remplacer des animaux rendus impropres au travail par leur grand âge. Le bœuf gascon, en effet, travaille jusqu’à une époque reculée de sa vie, et c’est seulement vers l’âge de treize à quatorze ans qu’il est vendu au boucher, après avoir été soumis, à un engraissement bien incomplet. La vache subit la même destination de quatorze à dix-huit ans. Bornons-nous à dire pour le moment que si la première partie de l’élevage est bien comprise, il n’en est plus de même de la seconde : elle prête matière à critique.

Après avoir indiqué le choix des reproducteurs, les soins qu’on doit leur donner, après avoir signalé les principaux points relatifs à l’élevage du bœuf gascon, il nous reste à examiner les moyens hygiéniques propres à mettre en usage pour l’amélioration de la race. En disant qu’on devrait se borner à la sélection, nous avons ajouté à la sélection aidée de l’alimentation. Étudions donc tout d’abord les effets de l’alimentation.

Alimentation. — De tous les herbivores, le bœuf est peut-être le plus sensible à l’influence du régime. Grâce à une nourriture abondante, on transforme les races, on crée des types nouveaux en quelque sorte. L’alimentation rend l’animal dépendant du sol et lui communique son influence et pan la quantité et par la qualité. Pour s’en convaincre il suffit de comparer le bœuf de la Normandie au bœuf de nos contrées méridionales. La taille, le volume se trouvent tellement modifiés que l’on peut bien dire : Tels fourrages, tels bestiaux. Avec une alimentation abondante et bien choisie on imprime en effet aux animaux toutes les modifications qu’ils sont susceptibles d’acquérir, tandis que sans une nourriture convenable tous les autres moyens sont inefficaces et ne donnent que des résultats passagers. On aura beau pratiquer la sélection pour la race gasconne, si l’on ne modifie pas le régime, on n’obtiendra pas de résultat réel. Une des premières améliorations à tenter, ce serait donc de faire une part plus large aux cultures fourragères, de s’intéresser avant tout à la production des aliments nécessaires à l’entretien du bétail. Or, nous l’avons déjà dit, dans le Gers, il n’est environ qu’un cinquième de l’étendue du département qui soit consacré au prairies ; cependant ce ne sont point précisément les prairies naturelles qui font défaut, elles sont suffisantes ; mais l’on devrait surtout s’attacher à augmenter les prairies artificielles. Les diverses variétés de plantes que l’on trouve dans ces dernières font que ces fourrages sont plus recherchés par les animaux de l’espèce bovine.

Il serait facile, quoi qu’on en dise, de rémédier à la pénurie de fourrages que l’on observe dans notre pays ; il suffirait d’accorder une part moins considérable aux céréales, à l’avoine par exemple. On modifierait la rotation que l’on suit le plus généralement, et après avoir ensemencé un tiers de la terre en blé la première année, l’année suivante au lieu de semer tout le terrain en avoine, on lui ferait produire du maïs, des fèves, des pommes de terre etc.. Dans les assolements on pourrait encore faire une place soit à la luzerne, au sainfoin, soit au trèfle des prés. Le cultivateur trouverait là une abondante provision pour ses bestiaux, sans compter les feuilles de la plupart des arbres, celle de la vigne, quelques espèces de choux fournissant un vert très-avantageux, qui constituent d’excellentes ressources pour passer la saison rigoureuse. Il ne serait nullement embarrassé pour les alimenter pendant l’hiver et il ne se verrait point dans la nécessité de leur distribuer la nourriture avec parcimonie en attendant les récoltes nouvelles. Pour lui, ce serait un grand avantage : les bœufs, mieux nourris, lui donneraient plus de bénéfices, car si « bien nourrir coûte, mal nourrir coûte encore davantage, » et le bœuf au printemps suivant est long à reprendre un état satisfaisant. Le cultivateur aurait en outre une plus grande quantité de fumier pour porter sur ses terres et celles-ci mieux fumées, les produits doubleraient. Le bétail en effet est le nerf de la culture, comme on l’a répété bien souvent, et sans fourrages, il n’y a point de bétail.

Il y aurait donc des avantages incontestables à nourrir abondamment les animaux. Au point de vue du rendement des terres, ce rendement augmenterait au lieu de diminuer ; et cette considération n’est point d’une minime importance. Mais ce n’est point là le seul bénéfice réalisable, c’est-à-dire l’augmentation du revenu par une production moins considérable de céréales ; il en est un autre qui ne lui est pas inférieur, nous voulons parler de l’amélioration de la race par l’alimentation. L’agriculteur réaliserait un double bénéfice en modifiant le système de culture.

On définit l’alimentation « l’ensemble des effets produits par les aliments sur les animaux. Dict. Bouley et Reynal. » C’est surtout dans le jeune âge que ces effets sont manifestes depuis l’époque du sevrage jusqu’à l’âge de trois ans, on peut juger facilement ce que produit chez le jeune sujet une copieuse nourriture. À cet âge, il prend son développement, il compose son organisme ; largement entretenu, le squelette se complète plus vite, les épiphyses se soudent plus promptement aux diaphyses, les masses musculaires augmentent, l’animal devient plus régulier dans son ensemble, ses formes s’arrondissent et la taille augmente. Tels sont les effets merveilleux d’une alimentation bien entendue : le taureau sera utilisé de meilleure heure, la génisse sera fécondée plus jeune sans que la gestation lui soit nuisible, on devancera l’époque du dressage, on pourra la faire saillir à dix-huit mois et le propriétaire ne la nourrira point jusqu’à deux trois ans sans compensation. Si l’on ménage la nourriture au contraire, l’animal reste chétif, se développe peu, et plus tard on a un type dégénéré. Avec de pareils sujets, l’éleveur ne réalisera pas de gros bénéfices.

De là par conséquent l’indication de ne pas ménager les aliments, aux élèves, et de mieux nourrir les bestiaux surtout pendant l’hiver, époque à laquelle on observe principalement la pénurie de fourrages. 12 à 15 k. de foin, 5 kil. de paille pour un bœuf de moyenne taille, telle serait la nourriture qu’on devrait lui donner tous les jours. Nous signalons le mal, au propriétaire d’appliquer le remède, ce qui pour lui est chose facile. « Si le propriétaire ne veut pas, l’agriculture ne changera pas ; mais quand le propriétaire voudra, l’agriculture changera, a dit au dernier siècle, Jacques Bujault, laboureur qui a siégé parmi les législateurs du pays, et, qui nous a laissé d’excellents écrits sur l’agriculture. »

Avant de terminer ce qui a trait à l’alimentation, signalons encore une mauvaise coutume de notre pays, c’est de conduire les bœufs dans des prairies naturelles durant l’été et pendant de longues heures. Le plus souvent, les animaux ne trouvent dans ces pâturages que quelques herbes desséchées par le soleil, de telle sorte que cette pratique entraîne perte de temps pour le cultivateur et perte d’engrais. Que faudrait-il pour faire cesser cette pratique mauvaise ? Des fourrages.

Travail. — Le bœuf gascon nous l’avons déjà dit, appartient à une race essentiellement travailleuse : on met largement à contribution cette précieuse qualité, on va même trop loin, car durant certaines saisons on le surcharge de travail, et c’est seulement lorsqu’il est dans un âge avancé qu’on le livre à la boucherie. Le travail sans doute est un excellent moyen améliorateur ; que l’on procède par sélection ou par croisement, il ne faut point négliger de le mettre à profit. Un travail modéré exerce favorablement son influence sur la santé, il est indispensable à l’exercice des fonctions pour les maintenir en équilibre. Le résultat de l’exercice est en effet de rendre la circulation plus active, d’amener une série de contractions musculaires qui activent des fonctions, et exigent l’apport par le sang d’une quantité de molécules nécessaire pour réparer les pertes de l’organisme. De là, la santé se maintient par suite du parfait exercice des fonctions. L’exercice, en se produisant d’une manière suivie donne aux animaux une habitude de la fatigue et les rend plus vigoureux tout en développant leur ampleur. Pour les taureaux destinés à la reproduction, le travail est encore nécessaire en ce sens qu’il assouplit leur caractère et qu’il les rend plus familiers à l’homme. Et chez les animaux soumis à l’engraissement pour être transformés en viande, il évite les œdèmes, l’anasarque et autres maladies qui rendent la viande insalubre et malsaine. — Dans la race Gasconne, que l’on considère un animal de travail, ou une bête à l’engrais, on verra que cette précaution n’est pas négligée. Mais ce n’est point précisément dans un but d’amélioration que l’on soumet le bœuf au travail ; on l’utilise plus ou moins suivant les exigences, les besoins de l’agriculture, et à certaines époques de l’année ces besoins sont nombreux et puissants. C’est alors surtout que le travail n’est point appliqué comme il devrait l’être, comme une gymnastique fonctionnelle, c’est-à-dire comme un « ensemble de procédés hygiéniques à l’aide desquels les animaux domestiques peuvent être méthodiquement exercés, en vue de leur perfectionnement et du développement des organes qui concourent à leur exécution. (Sanson). Pendant certaines saisons, on les soumet à de rudes labeurs, on les épuise de fatigue. Un moyen de rendre ces travaux agricoles moins pénibles, ce serait de multiplier les attelages de travail, ce que l’on pourrait faire sans la nécessité où l’on se trouve de compter avec les fourrages.

Après avoir fécondé le sol et donné à l’homme la partie essentielle de sa nourriture, le pain, le bœuf est sacrifié à son tour pour nous fournir une nourriture plus substantielle, sa viande. Vers l’âge de treize à quatorze ans, on le soumet à l’engraissement ; cette époque est encore plus reculée pour la vache et n’arrive guère pour elle que de quatorze à dix-huit ans. À cet âge, ces animaux sont épuisés, la force de désassimilation l’emporte sur la force d’assimilation : les phénomènes de la respiration et de la circulation sont accélérés, le carbone est conservé en plus grande quantité que dans le jeune âge et les aliments sont impuissants à réparer les pertes de l’organisme ; en un mot, les animaux s’engraissent mal et très difficilement. « Le progrès pour la race Gasconne, écrit M. Sanson dans le Livre de la Ferme (loc. cit.), consiste à réduire, dès maintenant, la durée de la vie des individus par le renouvellement plus fréquent des attelages de bœufs, en les livrant aux engraisseurs au moment où ils commencent à entrer dans la période décroissante de la vie. On ne peut que perdre à faire travailler un bœuf au delà de huit à neuf ans. Le capital qu’il représente va rapidement en décroissant à partir de ce moment. Le prix de revient de ses services se trouve donc augmenté d’autant. »

Il ne faut point croire que l’aptitude au travail doive exclure nécessairement l’aptitude à la boucherie. Nous avons vu qu’une alimentation abondante rend nos bœufs plus lourds, plus volumineux. Qu’on ne croie pas cependant qu’ils cessent pour cela de répondre aux besoins des cultivateurs, et qu’ils montrent moins d’énergie pour les travaux agricoles, l’amélioration de notre race au point de vue de la boucherie ne la rend point impropre au travail et ne lui enlève rien de sa vigueur. Cette aptitude si remarquable reste la même, et en sacrifiant les animaux à l’âge indiqué par M. Sanson, on constate deux faits essentiels : les bœufs sont engraissés facilement, et la viande qu’ils fournissent est d’excellente qualité ; les fibres musculaires sont entremêlées de graisse et non point recouvertes de masses adipeuses comme chez les bœufs affectés spécialement à la boucherie, et partant la viande est meilleure que celle de ces derniers. En raison de ce fait, bien que notre race soit avant tout une race travailleuse, il n’en résulte pas moins, que sous le rapport de la boucherie elle ne soit préférée aux autres animaux engraissés spécialement dans ce but. Ce résultat est dû à la double intervention du travail et de l’alimentation.

Sans doute, pour le rendement, le bœuf gascon ne peut entrer en lice avec les races dites de boucherie, avec le Durham, le Garonnais ; il ne peut lutter avec eux sous le rapport de la précocité. Du reste, tel n’est point le but que l’on cherche à atteindre, car la précocité qu’il acquerrait lui ferait perdre son principal attribut. Cependant, si nous consultons les Applications de la Zootechnie, par M. Sanson, nous trouvons, à l’article Rendement : « La preuve du degré d’amélioration auquel les animaux gascons sont susceptibles d’être conduits, se trouve dans le rendement constaté à la suite du concours de Poissy sur l’un d’eux. Le poids vif de cet animal était de 890 kilog. ; il a rendu 598 kilog. de poids net, soit 67.191 pour 100, proportion supérieure à celle des Durhams, qui ne s’est montrée, dans les mêmes circonstances, que de 66.026 pour 100 ; le poids du suif a été de 93 kilog., celui du cuir, de 56 kilog. pour un poids vif moyen de 901 kilog. 665, par conséquent plus élevé. » Cet exemple s’appliquant à un seul sujet de l’espèce, prouve que le bœuf n’est nullement réfractaire à l’engraissement lorsqu’il est dans de bonnes conditions. C’est un moule que l’éleveur peut développer à son gré. Nous voyons là une heureuse exception sur laquelle nous nous appuyons pour confirmer la règle ; car si tous les animaux de la race ne sont point semblables à celui ci, il ne s’ensuit pas que, sous l’influence de la sélection et de l’alimentation, beaucoup, pour ne pas dire tous, ne puissent arriver au même point.

De tous les moyens hygiéniques mis en œuvre pour l’amélioration de la race, les deux que nous venons d’énumérer entrent évidemment en première ligne. Il en est d’autres cependant, dépendant également de l’éleveur, qui, pour n’être pas aussi importants, n’en doivent pas moins être pris en considération : ce sont les habitations et la castration. Tous ces moyens sont sous la dépendance de l’homme, il peut les faire naître, les développer à volonté ; il les dirige, il les gouverne. Pour être complet sur ce point, il resterait à parler d’autres milieux exerçant aussi une influence, tels que le sol, l’altitude, le climat, la température, les vents ; mais il en a été question à propos de la topographie du département.

Habitations. — Les logements prennent une part presque égale à l’alimentation dans le développement des facultés et des aptitudes des animaux. « Pour mon compte, écrit M. Gayot (Dict. de Bouley et Reynal), je ne fais pas plus de cas d’un animal substantiellement nourri dans une étable incommode, insalubre, insuffisante de toutes les manières, que de cet autre qui, habitant un palais, n’y recevrait qu’une maigre pitance composée d’aliments de mauvaise qualité. » C’est à l’étable, en effet, en raison de la stabulation permanente adoptée dans notre pays, c’est à l’étable que l’animal transforme les aliments qu’on lui donne en des produits différents ; c’est là que s’opèrent les mutations que l’éleveur cherche à lui faire acquérir. Cette transsubstantiation ne s’accomplira d’une manière parfaite que tout autant que les habitations rempliront les conditions prescrites par une bonne hygiène.

On ne tient nul compte de ces prescriptions dans les étables habitées par la race gasconne. On ne se préoccupe guère que de l’alimentation et du moyen de recueillir les engrais : on dispose un râtelier pour que l’animal puisse prendre les aliments sans les mettre sous les pieds, et on incline le sol pour que l’urine ne séjourne pas dans l’intérieur. Voilà toutes les précautions que l’on prend. On entasse les animaux dans des étables basses, étroites, obscures, n’ayant pour toute ouverture que la porte d’entrée du bétail et parfois une fenêtre, et où l’air ne peut se renouveler qu’avec difficulté ; c’est là qu’ils sont condamnés à passer tout l’hiver. Aussi absorbent-ils un air vicié, impropre à la respiration, et contractent-ils en ce lieu le germe de maladies nombreuses que l’on voit éclater à cette époque, telles que le charbon, le coryza gangréneux, les digestions languissantes, les coliques, etc. Pour y remédier, allant contre les préjugés du plus grand nombre des agriculteurs, il faudrait adopter le système de l’aération permanente, c’est-à-dire disposer les étables de façon que l’air se renouvelle constamment tout en évitant avec grand soin qu’il ne tombe directement sur les animaux : on parviendrait à ce résultat par, le moyen de cheminées d’appel, de barbacanes, etc., etc., par tous les moyens de ventilation que l’on a l’habitude d’employer en pareil cas.

Une aération permanente est nécessaire pour entretenir la salubrité de l’étable : dans l’étroit milieu où ils se trouvent confinés, les animaux rejettent de l’acide carbonique formé dans l’acte de la respiration ; du poumon et de la peau : se dégagent une vapeur abondante et une grande quantité de calorique ; l’oxygène de l’air se raréfie de plus en plus et cet air se trouve échauffé, il n’exerce pas une pression suffisante sur le corps, il est spécifiquement plus léger. Ajoutons à ces produits de la respiration, de l’azote, de l’hydrogène carboné et sulfuré, de l’ammoniaque ; avec ces éléments l’air peut-il servir deux fois à la même fonction ! Il faut donc le tenir constamment renouvelé dans les étables, car il est nécessaire à l’animal, il lui est aussi nécessaire que la nourriture qu’on lui donne, c’est le pabulum vitæ : la composition qui a été déterminée à cet élément par le Créateur dans ses principes constituants ne saurait être modifiée d’une manière notable sans occasionner de graves accidents.

De plus en adoptant l’aération permanente, on évite pour les bestiaux les changements brusques de température qui provoquent chez eux tant de maladies. Qu’arrive-t-il en effet le plus souvent ? Les animaux sont comme dans une étuve, tant est élevée la température des étables ; on les sort de ce milieu sans transition aucune, soit pour les faire travailler, soit pour les conduire à l’abreuvoir, ce qui est encore bien plus préjudiciable. Certains jours d’hiver on est même obligé de briser la glace pour qu’ils puissent s’abreuver. Quel changement brusque ne s’opère-t-il pas alors dans l’économie ! Doit-on s’étonner après cela de les voir malades ? Et pendant l’été, les courants d’air que l’on développe parfois pour renouveler la température des étables, ne sont-ils pas aussi nuisibles ?

Les habitations amènent une conséquence forcée, le pansage ; c’est un résultat de la domesticité. Durant l’hiver les animaux sont couverts de longs poils qui déterminent sur la peau une accumulation de matières sébacées ; les fonctions de l’organe cutané sont alors entravées et il en résulte un surcroît d’activité pour le poumon qui, à la longue, peut finir par succomber à sa tâche. On obviera à ces inconvénients par des pansages énergiques ; il est important en effet que les sécrétions de la peau s’effectuent avec facilité : un animal bien pansé a les poils lisses, la peau souple ; il en est tout autrement lorsqu’on a négligé ce soin, les poils sont hérissés, le bœuf a non-seulement moins d’apparence, mais encore il paraît moins gai, on dirait qu’il souffre. Ce signe n’est pas toujours loin d’être dénué de fondements : car si l’on a dit des yeux qu’ils sont le miroir de l’âme, on peut ajouter que la peau est le miroir de la santé.

À propos des habitations, bien que déjà un peu long, malgré les vastes détails que comporte le sujet, qu’on nous permette une dernière réflexion relative principalement aux élèves.

Ceux ci, durant les deux premières années de leur existence, restent enfermés tout l’hiver. Et cependant, plus que les animaux adultes, ils réclament de l’air et de l’espace pour se développer à leur aise. S’ils ne paraissent point se ressentir dans une certaine mesure des influences malsaines de cette stabulation forcée, ils le doivent à l’habitude que l’on peut appeler en ce cas et avec beaucoup de raison une seconde nature. Ce qu’il y aurait à désirer, ce serait que les taureaux, les bouvillons, les génisses que l’on garde comme élèves, ne fussent point tenus constamment enfermés. Il faudrait qu’on les conduisît dans les bois pendant la mauvaise saison et durant quelques instants, alors même qu’ils ne trouveraient rien pour leur nourriture. Ces sorties occasionneraient sans doute une perte de fumier pour l’éleveur ; mais cette perte serait minime en comparaison des avantages que procurerait un pareil usage. Les animaux acquerraient une force de tempérament plus considérable, leur constitution se fortifierait bien davantage ; partant la mortalité diminuerait.

Nous ne saurions mieux faire en terminant ce passage sur les logements de l’espèce bovine que de rapporter ce qui a été écrit dans le dictionnaire de MM. Bouley et Reynal, par M. Gayot, à l’article ayant pour titre : Habitations. « Quelle que soit sa destination et à tous les âges, la bête bovine veut être sainement et commodément logée. Toute habitation qui ne répond pas dans une juste mesure à ses besoins, met obstacle à l’épanouissement des actes de la vie et, par conséquent, à l’étendue des forces chez le travailleur, à l’abondance et à la richesse du lait chez la laitière, au développement rapide des jeunes, à l’engraissement de tous. »

Castration. — Parmi les moyens améliorateurs à mettre en usage, il en est encore un dernier que nous avons signalé. Nous allons dire quelques mots sur la castration. Par la castration, on supprime les fonctions du testicule, les animaux ne sont plus aptes à se reproduire. Ce procédé procure un simple avantage : docilité de caractère, conformation plus régulière et meilleure qualité de la viande.

Le jeune taureau en effet est inquiet, turbulent, il poursuit les vaches et se livre à des efforts inouïs pour les couvrir. Déjà dès le second mois il exprime des désirs amoureux et cherche à monter sur tous les animaux de son espèce qui l’environnent ; on le contient difficilement. Après le bistournage (mode d’opération suivi habituellement pour le taureau gascon, et consistant dans la torsion du testicule), après le bistournage, disons-nous, le dressage est beaucoup plus facile ; le jeune animal devient plus docile, il obéit sans trop de contrainte à son conducteur. Le caractère se trouve donc ainsi modifié. Mais ce n’est pas tout ; par la castration le taureau acquiert un ensemble plus régulier, ce défaut d’harmonie entre le train antérieur et le train postérieur tend à s’effacer. Celui-ci acquiert de l’ampleur tandis que les parties antérieures se dépouillent de la surabondance de tissu cellulaire pour devenir plus légères. La fonction génératrice se trouvant supprimée, les matières qui servaient à son entretien se transforment en graisse et la viande devient de meilleure qualité.

Tels sont les avantages qui résultent de la castration. Tous ces avantages sont-ils également à rechercher pour l’espèce Gasconne ? Nous avons vu que sous le rapport de la docilité on n’avait point de reproche à adresser à notre race. Néanmoins, comme le taureau, sans être précisément inabordable pour l’homme, se montre toujours difficile à manier, il est d’une bonne pratique de lui faire subir cette opération, afin de l’habituer au joug avec moins de contrainte. Pour cela l’âge auquel il doit être bistourné est de quinze à dix-huit mois. Jusqu’à cette époque les fonctions des glandes testiculaires se trouvant suractivées, la circulation et la respiration se sont accélérées, d’où l’augmentation du volume des organes qui remplissent ces fonctions. Les organes digestifs se sont également développés pour fournir au sang les matériaux propres à réparer les pertes entretenues dans l’économie par ce surcroît de combustion, ce qui fait que les animaux se nourrissent bien et s’accommodent de tout aliment. De plus, à cet âge, le taureau offre une membrure forte, des articulations larges, des formes anguleuses, et une force musculaire très-prononcée : il présente toutes les qualités requises pour un animal de travail. Ainsi le caractère devient plus doux, l’animal est plus robuste, plus fort lorsqu’il est châtré de quinze à dix-huit mois ; et cela se comprend par suite du développement qu’ont acquis le système osseux et le système musculaire. Ce développement n’est point entravé par la castration, il se reporte sur le train postérieur et celui-ci trop peu développé chez le bœuf gascon, s’améliore par le fait. Pour modifier les formes extérieures, cet âge est donc le plus favorable ; on peut néanmoins devancer cette époque si la disproportion entre le train antérieur et le train postérieur est trop considérable.

Par ce qui vient d’être dit plus haut, on voit encore que, par la castration, l’animal acquiert plus d’aptitude à la production de la viande. Dans le cas où l’on chercherait exclusivement à développer les masses musculeuses afin d’obtenir un plus fort rendement pour la boucherie, il y aurait tout avantage à bistourner les jeunes produits dès l’âge de deux mois. Ce développement s’opère infiniment mieux : le train postérieur se fournit, la cuisse est tombante, les reins et les lombes acquièrent un plus grand volume, la graisse s’accumule avec rapidité, et on obtient d’excellents résultats. Nous pouvons citer, à l’appui de cette assertion, cet exemple rapporté par M. Serres dans le Journal des Vétérinaires du Midi, année 1853 : « Quatre bœufs de race gasconne, âgés de quatre ans, d’un poids à peu près égal, dont deux bistournés à l’âge de un mois et demi et deux à dix-huit mois, furent soumis à l’engraissement. Durant trois mois, ils mangèrent la même ration, qui consista en fourrages secs, son, fèves, maïs, pommes de terre, tourteaux de lin. Après ce délai, ils furent vendus le même jour et au même boucher : les uns, ceux bistournés à l’âge de un mois et demi, 650 francs ; les autres, 525 francs ; et l’acquéreur nous dit plus tard qu’il avait gagné plus sur ceux qui lui coûtaient 650 francs, attendu qu’ils avaient donné (toute proportion gardée quant au prix) plus de rendement, soit en suif, soit en viande, et la viande était de meilleure qualité. »

Nous concluons donc en disant que pour les animaux destinés au travail, on doit les bistourner à quinze, dix-huit mois, à moins que le train postérieur n’ait besoin d’être modifié avant cette époque, tandis que pour ceux destinés exclusivement à la boucherie, le bistournage pratiqué de un à deux mois est une bonne mesure.

Quant à la castration de la vache, quel avantage en retirerait-on pour la vache gasconne ? Nous ne pensons point que les avantages résultant de cette opération soient aussi considérables qu’on a bien voulu le dire. La vache castrée prend facilement sa graisse, sa viande est de bonne qualité, l’expérience le prouve ; mais pour cela il faut l’abattre jeune et dans un état satisfaisant d’embonpoint. Or, nos vaches, lorsqu’on les livre à la boucherie, sont déjà vieilles et épuisées de fatigue ; dans ce cas, la castration ne produirait aucun résultat et la viande ne serait point rendue meilleure. Pour obtenir ces résultats, il faut châtrer la vache alors qu’elle est encore jeune. Mais chez un animal jeune l’opération est-elle indispensable pour qu’il puisse s’engraisser, et les génisses destinées à la boucherie ne prennent-elles point facilement la graisse ? À notre avis, la castration ne serait nécessaire que pour les vaches taurelières, c’est-à-dire celles qui ne donnent pas de lait, qui ne peuvent pas être fécondées et qui maigrissent, quelque nourriture qu’on leur donne.

Il n’y a donc pas intérêt à pratiquer cette opération à laquelle on a à peu près renoncé aujourd’hui. D’un autre côté les dangers encourus par les animaux opérés, sont loin de compenser les avantages, si toutefois avantages il pouvait y avoir. Et par le procédé Chartier, malgré qu’on l’ait tant préconisé, ces accidents n’ont pas toujours été évités, alors même que ce genre d’opération était pratiqué par son inventeur.

MOYENS DE PROVOQUER DES AMÉLIORATIONS


Nous venons de voir la part qui incombe aux éleveurs dans l’amélioration de la race. Pour terminer sur ce point, il nous reste examiner les moyens employés pour provoquer cette amélioration. Ces moyens sont de deux sortes, les Étalons départementaux et les Encouragements.

Étalons départementaux. — Le conseil général du Gers, en vue du perfectionnement de la race, affecte chaque année une certaine somme à l’achat d’animaux destinés à la reproduction. Un ou plusieurs délégués sont chargés de cette mission. À cet effet ils se rendent dans ces réunions nombreuses où les éleveurs de toute une région conduisent l’élite des bestiaux, réunions que l’on désigne sous le nom de Concours. Nous en parlerons dans un instant. Ils achètent les taureaux les mieux conformés, c’est-à-dire ceux qui présentent à un moindre degré les défauts que l’on reproche à la race gasconne. On les confie ensuite à des propriétaires, qui s’engagent à bien les entretenir et à les livrer à la reproduction moyennant un salaire déterminé, pendant dix-huit mois. Passé cette époque, le taureau leur appartient, libre à eux d’en disposer comme bon leur semble. C’est ainsi que l’on place un étalon dans chaque canton avec le titre d’étalon départemental. Malgré les avantages d’une pareille mesure, il est des cultivateurs qui plutôt que de livrer leur vache à l’étalon du département, préfèrent la conduire chez le voisin, ce dernier ne pouvant en cette qualité réclamer un salaire. Certes ils sont éloignés du canton, ils perdraient une demi-journée, et puis ils seraient obligés de payer la saillie. Peu leur importe que le taureau du voisin soit plus ou moins bien conformé, qu’il soit gascon ou garonnais ou tout autre, ils voient pour eux bénéfice de temps et bénéfice d’argent. Le présent les préoccupe plus que l’avenir ; l’avenir est incertain sur l’avenir, bien fou qui se fiera.

Cependant si l’on veut améliorer la race, nous le répétons encore ici, bien que nous l’ayons déjà dit assez souvent ; on n’y parviendra qu’en faisant un choix judicieux des reproducteurs pris dans la race elle-même. Pour tous les zootechniciens en effet il n’y a qu’un moyen d’arriver au but, la sélection. Et c’est pour assurer la parfaite exécution de cette méthode que le département alloue certaines sommes à l’acquisition d’étalons régulièrement conformés. À l’agriculteur de ne plus se laisser guider par la routine, et de comprendre que si l’on agit de la sorte, c’est pour le bien de tous. Déjà dans la Haute-Garonne, grâce au zèle éclairé de M. Lafosse, qui a fait adopter le système des étalons départementaux, cette pratique a produit et donne encore d’excellents résultats.

Encouragements. — Les encouragements exercent une heureuse influence sur l’amélioration du bétail. Leur but est de récompenser les éleveurs qui ont obtenu des résultats dans cette voie, et de stimuler les autres, par l’appât des récompenses. On conçoit que les encouragements doivent être ainsi un puissant stimulant. On distribue des primes importantes dont les fonds proviennent des subventions de l’État et du département, ainsi que du produit des cotisations et quelquefois de dons constitués par la générosité d’hommes de progrès. — Ces récompenses se distribuent dans des concours régionaux ou départementaux. Grâce à l’impulsion énergique imprimée à l’agriculture depuis une vingtaine d’années, la France agricole se trouve divisée en un certain nombre de régions comprenant chacune sept ou huit départements. Chacune de ces régions est pourvue d’un concours d’animaux reproducteurs, d’instruments et machines, de produits. Le Gers appartient à la région du Sud-Ouest. C’est principalement dans les concours qui ont lieu dans les divers chefs lieux de cette région que l’on trouve des représentants de la race gasconne. On y conduit en grand nombre des taureaux, des génisses, des vaches que l’on dispose dans un vaste local et que chacun peut examiner à son aise. C’est là surtout ce qui constitue l’utilité des concours : il est permis à chacun de juger des améliorations apportées, et de voir ce qu’il reste à faire pour perfectionner encore. Les concours sont un objet d’études, un enseignement.

Les éleveurs qui ont obtenu les meilleurs résultats méritent des récompenses. Comme il est dans le caractère de tous d’être assez friand de distinctions, on comprend que ces réunions soient un puissant mobile. Mais bien que cet effet soit à considérer, il n’est point le principal avantage, nous le répétons, et « les concours sont surtout utiles, comme le dit Baudement, en ce sens qu’ils appellent l’attention sur l’état actuel de notre bétail et qu’ils présentent aux éleveurs des modèles qui leur donnent une juste idée de la perfection. »

Les animaux primés dans les concours régionaux ne dépassent guère huit à dix par département. Ils sont trop peu nombreux pour exercer une grande influence sur l’amélioration.

Les concours départementaux produisent un résultat plus efficace par suite du plus grand nombre d’animaux que l’on prime. On a ainsi plus de reproducteurs à mettre à la disposition des éleveurs. Et s’il existait des concours cantonaux, les animaux primés seraient encore plus rapprochés les uns des autres et plus à la portée des propriétaires.

En résumé les concours d’animaux reproducteurs ne peuvent agir que d’une manière favorable sur l’amélioration de la race : ils sont un stimulant pour les éleveurs, et ils permettent aux agriculteurs d’étudier les plus beaux échantillons de l’espèce bovine.

CONCLUSION


Au proverbe, tant vaut l’homme, tant vaut la terre, on peut ajouter : Le bon éleveur fait le bon bétail. De l’éleveur dépendent le plus grand nombre des conditions propres à obtenir l’amélioration de notre race. C’est à lui qu’il appartient de modifier le système cultural pour augmenter ses ressources en fourrages, clef du perfectionnement de l’espèce. À l’éleveur encore de répondre mieux qu’il ne le fait aux encouragements qu’il reçoit, soit de l’administration, soit des sociétés d’agriculture qui ne négligent rien pour le bien public. Qu’il ne se départisse point de cette règle que M. Lembezat lui traçait naguère au dernier concours régional d’Auch (septembre 1873 « faire de la sélection, éviter tout croisement ». Qu’il observe mieux les règles de l’hygiène, et la race gasconne acquerra les modifications qu’on lui demande ; ses caractères déjà si fixes le deviendront encore davantage ; l’atavisme se confondra avec l’hérédité individuelle et l’on parviendra à former une race dans laquelle, suivant le beau langage de Baudement « chaque individu ne sera plus qu’une épreuve, tirée une fois de plus, d’une page une fois pour toutes stéréotypée. »

Malheureusement le procédé que l’on indique exige deux conditions que l’on accorde difficilement : patience et longueur de temps.

Si l’on songe cependant aux qualités de notre race, aux bénéfices qu’elle procure lorsque son élevage est bien entendu, on voit qu’on aurait tort de la négliger ou de vouloir la remplacer par une autre. Le bœuf gascon donne en effet non-seulement du travail, mais encore une viande excellente ; et aujourd’hui que l’engouement pour primer les animaux fin gras est passé de mode dans les concours de boucherie, le gascon peut y prendre place, et ce qui prouve qu’il y figure encore avec avantage, c’est qu’il a été couronné au dernier concours de Poissy. Quant à la vache, si elle ne donne point du lait en abodance, du moins peut-on parvenir à la rendre meilleure laitière. Conserver et améliorer la race du pays, telle doit être en conséquence la devise de l’éleveur gascon. À ces conditions, l’élevage deviendra pour le Gers une nouvelle source de richesse, loin de regarder le bétail comme un mal nécessaire, suivant la parole de Mathieu de Dombasle, on le considérera comme le premier des biens, on reviendra à l’aphorisme des anciens : A pecu pecunia.

H. CAZENEUVE.



  1. Pour donner une idée de la supériorité du nombre des vaches, nous indiquons la statistique du bétail de l’arrondissement de Lectoure en 1872, bien que cette statistique comprenne des animaux issus pour la plupart de croisements avec le Garonnais.
    Veaux de la naissance à 3 ans, 3.679
    Bouvillons, Taurillons, Génisses, 3.584
    Taureaux, 858
    Bœufs, 2.776
    Vaches, 15.251

    26.148