Études cliniques sur les maladies mentales et nerveuses/Théories physiologiques

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J. B. Baillière et fils (p. 309-337).


IX

THÉORIES PHYSIOLOGIQUES DE L’ÉPILEPSIE[1]

— 1862 —

PREMIÈRE PARTIE

Exposé dogmatique des théories de l’épilepsie.

Dans ce travail, nous allons exposer les résultats généraux auxquels sont arrivés Schrœder Van der Kolk[2], Sieveking[3], Radcliffe[4] et Russel Reynolds[5] sur les théories de l’épilepsie. Nous montrerons comment ils ont développé et complété la théorie proposée par Marshall Hall, en s’appuyant sur leurs propres observations, ou sur les expériences du Dr Brown-Séquard, qui est parvenu à produire artificiellement l’épilepsie chez les animaux, à l’aide de diverses lésions traumatiques de la moelle épinière[6]. Nous chercherons ensuite à indiquer les objections qui nous semblent pouvoir être adressées à cette théorie. Mais nous voulons simplement les examiner au point de vue de la théorie de l’épilepsie, acceptée par ces auteurs, et qui se résume dans ce fait général qu’ils placent le siège de l’épilepsie dans la moelle allongée.

Marshall Hall est le premier qui ait émis et cherché à démontrer cette opinion, et les auteurs que nous venons de citer, tout en variant sur l’interprétation secondaire des faits, acceptent tous sa théorie générale.

Voici à peu près comment Marshall Hall et les auteurs qui l’ont suivi comprennent la production de l’accès épileptique :

Chez les épileptiques, disent-ils, la moelle allongée est surexcitée pathologiquement. C’est là la cause prédisposante, ou cause prochaine de la maladie. Comme le pouvoir réflexe de la moelle allongée se compose de deux éléments, la faculté de recevoir les impressions et celle de les répercuter sur le système musculaire, on peut comprendre que ces deux éléments soient inégalement développés chez chaque malade ; de là des divergences secondaires entre les auteurs qui admettent cependant la lésion fonctionnelle de la moelle allongée comme fait constant chez les épileptiques. Mais, pour produire l’attaque d’épilepsie, il faut autre chose que cette altération dynamique de la moelle allongée. Il faut une cause occasionnelle excitante, partant, soit du système nerveux périphérique, soit du cerveau lui-même (cause physique et cause morale). Il y a donc, dans la théorie de l’épilepsie basée sur le pouvoir réflexe de la moelle allongée, deux données principales : d’abord l’excitabilité constante de cette partie de l’encéphale, puis la cause occasionnelle, provenant d’un autre point du système nerveux. Tous ceux qui adoptent la théorie de Marshall Hall acceptent ces deux propositions.

Les divergences commencent lorsqu’il s’agit d’expliquer le mode de succession des divers phénomènes de l’accès. Pour Marshall Hall, le premier symptôme est la convulsion des muscles de la face, du larynx et du thorax, auxquels se distribuent les nerfs qui proviennent de la moelle allongée, c’est-à-dire les branches du trijumeau, l’hypoglosse, le spinal et le pneumogastrique. D’après ce physiologiste, le premier phénomène de l’accès est donc ce qu’il a appelé le laryngisme et le trachélisme, pour résumer en un mot la contraction des muscles du larynx, du cou et des parois thoraciques qui concourent aux fonctions respiratoires. Sur ce fait primitif repose toute la théorie spéciale de Marshall Hall. De là la trachéotomie, proposée par lui comme moyen de guérir les accès épileptiques, ou du moins d’en conjurer les dangers. Selon Marshall Hall, l’occlusion de la glotte et la convulsion des muscles respirateurs, en déterminant l’asphyxie et en comprimant les veines du cou, entraîne comme conséquence immédiate la stase sanguine dans le cerveau ; c’est par ce moyen détourné qu’il explique la suspension des fonctions cérébrales et partant la perte de connaissance pendant l’attaque épileptique. Cette seconde partie de la théorie de Marshall Hall a soulevé de nombreuses oppositions, elle a été repoussée par tous les auteurs qui, après lui, ont cherché à expliquer les attaques épileptiques par l’exagération du pouvoir réflexe de la moelle allongée.

Quel est le phénomène initial d’une attaque d’épilepsie ? Quel est l’ordre de succession des divers symptômes ? Voilà les points sur lesquels on diffère et qui sont devenus l’objet d’études très attentives de la part des auteurs qui nous occupent en ce moment.

Nous ne pouvons signaler ici toutes les différences qui existent entre eux sous ces divers rapports ; nous devons nous borner à indiquer les plus importantes.

Le premier phénomène d’une attaque épileptique est-il le cri, la pâleur de la face, la perte de connaissance, ou la convulsion des muscles de la face, ou bien tous ces phénomènes surviennent-ils en même temps ?

Les auteurs que nous analysons ont tous compris le rôle important que joue la perte de connaissance dans une attaque d’épilepsie. Ils n’ont pu admettre, avec Marshall Hall, qu’elle fût un phénomène consécutif à la convulsion des muscles respirateurs et à la stase sanguine dans le cerveau. Ils ont dû dès lors chercher une autre explication de ce fait évidemment primitif dans toute attaque d’épilepsie. Ils l’ont trouvée, par un procédé très ingénieux, dans la contraction des artères du cerveau. M. Brown-Séquard, en effet, profitant d’une découverte de Claude Bernard[7], relative à l’action du grand sympathique sur les vaisseaux, a trouvé moyen de rattacher dans l’épilepsie, le fait de la perte de connaissance à celui de la convulsion. Claude Bernard avait découvert qu’en coupant le grand sympathique au cou, c’est-à-dire en faisant cesser l’action de ce nerf sur les vaisseaux de la face et du cerveau, on déterminait un relâchement de ces vaisseaux, partant un excès de sang artériel dans ces parties et une élévation de la température. M. Brown-Séquard, renversant l’expérience, galvanisant le grand sympathique ou l’irritant d’une manière quelconque, au lieu de le couper, a produit le phénomène inverse, c’est-à-dire la contraction des vaisseaux capillaires, par l’intermédiaire des nerfs vaso-moteurs, et partant la pâleur de la face et l’anémie cérébrale. Il conclut de cette expérience physiologique, qu’au début de l’attaque épileptique, le centre réflexe excité n’agit pas seulement sur les nerfs qui se distribuent à la face, au cou et au thorax, pour y déterminer la convulsion des muscles de ces régions, mais qu’il agit en même temps sur les nerfs vaso-moteurs du grand sympathique, et donne lieu ainsi à la pâleur de la face et à la perte de la connaissance, par anémie cérébrale, comme dans la syncope. Cet auteur parvient ainsi à expliquer comment, dès le début de l’attaque, la perte de connaissance coïncide avec les convulsions, ainsi qu’avec le cri et la pâleur de la face.

Il réserve donc pour la seconde phase de l’accès les phénomènes d’asphyxie et de congestion cérébrale auxquels Marshall Hall avait donné la prééminence et qu’il avait placés à tort dans la première période. Les auteurs que nous analysons ont tous adopté cette manière de voir de Brown-Séquard. Voici comment ce physiologiste comprend l’ordre de succession des symptômes dans un accès d’épilepsie : l’épileptique pris subitement d’une attaque, pâlit, perd connaissance, éprouve des convulsions de la face et du larynx, voilà la première période. Par suite de la convulsion des muscles thoraciques, la respiration s’embarrasse, et il survient secondairement une gêne dans la circulation ; elle est due, non seulement à la compression des veines jugulaires, mais surtout à l’immobilisation des parois du thorax et du diaphragme, qui, en suspendant la respiration, nuisent à l’hématose plus encore qu’à la circulation artérielle ou veineuse. Donc, à la seconde période de l’accès épileptique, l’état congestionnel du cerveau, la torpeur et la somnolence, qui coïncident avec la continuation des convulsions, ou qui leur succèdent, tiennent beaucoup plus à l’action toxique du sang veineux sur les diverses parties de l’encéphale qu’à l’anémie cérébrale, qui caractérise la première période, ou à la congestion artérielle et à la stase veineuse, qui existent dans la seconde. La théorie de Brown-Séquard diffère donc de celle de Marshall Hall par deux points essentiels : d’abord, par l’explication nouvelle de la perte de connaissance, ensuite par l’interprétation différente de la stase veineuse, qui agit plutôt, selon lui, par la présence de l’acide carbonique que par la compression due à un excès de sang dans le cerveau.

Les auteurs que nous analysons ont adopté à peu près les idées de Brown-Séquard sur le mécanisme de l’accès épileptique, excepté cependant pour certains phénomènes de la seconde période. Comme Marshall Hall, ils admettent l’excitabilité spéciale de la moelle allongée, soit provoquée par le système nerveux périphérique soit survenant spontanément, et s’épuisant ensuite progressivement par son propre exercice. Ils sont disposés également à expliquer la pâleur de la face et la perte de connaissance, dès le début de l’accès, par la contraction des artères du cerveau, laquelle provient de l’excitation simultanée des nerfs du grand sympathique et des autres nerfs qui naissent de la moelle allongée. Mais, pour la période d’asphyxie, il existe entre eux des différences assez importantes, relativement à l’état du cerveau pendant cette période. Schrœder Van der Kolk, par exemple, défend énergiquement l’idée de la congestion cérébrale et de la stase veineuse contre ceux qui, comme le Dr Radcliffe et Kussmaul et Tenner, croient surtout à l’influence de l’anémie cérébrale pour la production des convulsions.

Ainsi donc, en résumé : compression cérébrale, anémie de cet organe, et action toxique du sang veineux, telles sont les trois causes qui, selon les divers auteurs dont nous parlons, serviraient à expliquer les phénomènes de la seconde période d’un accès épileptique. Mais là ne se bornent pas les différences qui existent entre eux pour l’interprétation des symptômes de l’épilepsie. Il en est une plus essentielle, sur laquelle nous devons maintenant insister, nous voulons parler de l’opinion toute particulière du Dr Radcliffe. Ce physiologiste admet bien, comme les autres auteurs dont nous venons de parler, que la cause prochaine de l’épilepsie réside dans la moelle allongée et qu’elle consiste dans une lésion fonctionnelle de cet organe ; mais là s’arrête à peu près l’analogie entre sa théorie et celle des autres auteurs. Selon lui, en effet, l’épilepsie ne serait pas due à une exagération, mais au contraire à une diminution d’action de cette partie de l’encéphale. Cette opinion, pathologique, qui paraît paradoxale à première vue, repose chez le Dr Radcliffe, sur une théorie physiologique nouvelle de la contraction musculaire, qu’il a proposée et défendue depuis dix ans et à laquelle il a consacré la première moitié de son ouvrage.

Cette théorie de l’action musculaire est précisément l’inverse de celle qui est généralement adoptée par les physiologistes. Au lieu d’admettre que le muscle, à l’état de repos, est dans le relâchement, et que la contraction musculaire résulte de l’action stimulante du système nerveux, le Dr Radcliffe prétend démontrer, par des expériences et des discussions physiologiques, que l’état normal du muscle abandonné à lui-même est le raccourcissement, et que le système nerveux n’intervient que pour déterminer son élongation, et faire cesser l’état de contraction qui est inhérent à la fibre musculaire. Appliquant à l’épilepsie cette donnée physiologique toute personnelle, le Dr Radcliffe admet que, dans l’accès épileptique, la moelle allongée, au lieu d’être exaltée dans ses fonctions, éprouve au contraire une diminution d’énergie, laquelle abandonne le système musculaire à sa contractilité naturelle, et donne ainsi naissance à des spasmes toniques ou cloniques. Sous ce rapport important, ce médecin est donc en contradiction complète avec les autres auteurs dont nous parlions tout à l’heure, puisqu’il attribue les convulsions de l’épilepsie à l’inaction, et non à l’excès d’action du centre réflexe ; il prétend même que sa théorie offre seule le moyen plausible de rendre compte de ce fait singulier, que dans l’épilepsie, les fonctions sensitives et intellectuelles de l’encéphale sont abolies, tandis que les fonctions motrices seraient augmentées. Rien de plus simple, au contraire, selon lui ; dans sa théorie, les fonctions motrices du système nerveux seraient abolies comme les autres, et les fonctions musculaires seules seraient en action, par suite de la suspension d’influence du système nerveux central. À l’exception de cette divergence fondamentale, relative à la cause première de l’épilepsie, le Dr Radcliffe adopte ensuite à peu près la même interprétation que les autres auteurs, pour le mode de production des divers phénomènes de l’accès. Ainsi, par exemple, dans la première période, il admet comme eux l’anémie cérébrale, et partant, la suspension des fonctions de l’encéphale par absence de sang artériel ; mais, dans la seconde période, il interprète différemment l’action de la congestion veineuse : selon lui, les phénomènes observés à cette période ne seraient dus, ni à la compression cérébrale, ni à l’action toxique du sang veineux, mais à l’absence du sang artériel, qui est le stimulant naturel du système nerveux. Ainsi, dans la première période, les vaisseaux vides ne contiennent pas de sang artériel ; dans la seconde, ils n’en contiennent pas non plus, puisqu’ils sont gorgés de sang veineux ; donc la cause unique de tous les symptômes de l’accès d’épilepsie réside dans la suspension des fonctions de l’encéphale, due à l’absence du sang artériel, son stimulant naturel.

Ce résumé rapide des idées émises par les auteurs qui nous occupent, sur la physiologie de l’accès d’épilepsie, suffit pour faire connaître comment ils en comprennent le mécanisme.

Nous devons maintenant rechercher sur quelles bases ils font reposer leurs opinions. Sont-ce des conceptions purement théoriques, ou bien trouvent-elles quelque appui dans l’observation clinique et dans l’expérimentation ? Voilà ce qu’on est en droit de demander aux auteurs qui cherchent à propager des idées nouvelles.

En lisant attentivement les auteurs dont nous parlons, il est facile de s’apercevoir que, malgré les divergences qui les séparent, ils s’appuient tous sur des preuves du même genre ; tous invoquent en faveur de leur opinion la physiologie humaine, les expériences faites sur les animaux, l’observation clinique et l’anatomie pathologique microscopique.

Ces théories de l’épilepsie reposent en premier lieu sur les découvertes physiologiques modernes, qui ont placé dans la moelle allongée le siège des mouvements réflexes. Assimilant aux mouvements réflexes de l’état normal les mouvements cloniques de l’épilepsie, ou des autres maladies convulsives, nos auteurs en ont conclu naturellement que l’organe qui servait de centre aux mouvements physiologiques devait être également la cause des mouvements pathologiques. De plus, poursuivant l’analogie, ils ne se sont pas contentés d’admettre l’excitabilité maladive de la moelle allongée, comme cause première des mouvements convulsifs ; de même que tout mouvement réflexe, à l’état normal, suppose deux faits connexes, à savoir : l’impression sensorielle provenant d’un nerf sensitif et sa transmission à un nerf de mouvement ; de même ils ont admis que, dans les maladies convulsives, l’excitabilité exagérée de la moelle allongée, pour être mise en action, devait recevoir une impulsion partant d’un point plus éloigné du système nerveux. Lorsqu’ils n’ont pu découvrir ce point de départ des mouvements convulsifs dans un des nerfs, des membres ou des viscères, ils ont cherché dans le cerveau lui-même cette première impulsion imprimée au centre réflexe, lequel la transmet ensuite à tous les nerfs du corps, soit directement, soit par l’intermédiaire de la moelle épinière ou du cerveau.

Cette doctrine, déduite de la physiologie humaine, a trouvé son principal appui dans les expériences faites sur les animaux. Ces expériences, citées par tous les auteurs que nous analysons, sont de deux sortes ; les unes portent sur le système nerveux, les autres sur le système circulatoire.

Les expériences les plus curieuses et les plus concluantes sur le système nerveux ont été faites par M. Brown-Séquard ; elles sont si intéressantes qu’elles méritent d’être rappelées ici avec quelques détails.

Cet habile expérimentateur s’est livré sur les animaux à des expérimentations très variées : les unes ont eu pour but de démontrer que, lorsqu’on enlevait à un animal toutes les parties supérieures de l’encéphale, en ne laissant subsister que la protubérance et la moelle allongée, on pouvait encore facilement déterminer chez lui des mouvements convulsifs dans diverses parties du corps. Mais les expériences les plus remarquables au point de vue qui nous occupe sont les suivantes : en faisant éprouver à la moelle épinière diverses lésions traumatiques, soit dans sa totalité, soit dans ses différentes portions, chez des animaux privés des parties supérieures de l’encéphale, on constate que ces animaux deviennent peu à peu épileptiques. Quinze jours ou trois semaines après cette opération, ils commencent par éprouver des convulsions partielles, puis générales, et ces convulsions se reproduisent ensuite chez eux, à volonté, soit en irritant la peau de la face ou du cou, soit même spontanément, sans aucune excitation périphérique. Le fait le plus important à noter dans ces expériences, c’est que les lésions traumatiques de la moelle épinière n’ont pas pour résultat de produire immédiatement ces convulsions, mais de rendre peu à peu les animaux épileptiques, c’est-à-dire de les prédisposer à éprouver des attaques convulsives, qui ne surviennent qu’au bout d’un certain temps, et qui se reproduisent ensuite de loin en loin, soit spontanément, soit sous l’influence de la plus simple excitation. Il suffit quelquefois de suspendre la respiration pendant quelques minutes, ou même de souffler sur la peau de la face, pour déterminer des attaques convulsives, qui continuent ensuite, pendant quelque temps encore, après la cessation de cette excitation passagère.

Habituellement, pour produire des convulsions, il suffit de pincer la peau de la face ou du cou. Si un des côtés seulement de la moelle a été lésé, c’est le même côté de la face qui donne lieu aux convulsions, si les deux moitiés de la moelle ont été coupées, on peut donner naissance à des convulsions en pinçant les deux côtés de la face. Aucune autre partie du corps n’est douée de cette propriété, et il n’y a dans la face que les portions de la peau animées par certains filets des deux dernières branches du trijumeau.

L’auteur indique quatre lignes allant de l’œil à l’oreille, de celle-ci à la partie moyenne du maxillaire inférieur, et s’étendant de ce point, d’un côté jusqu’à l’œil et de l’autre jusqu’au cou, pour revenir par un demi-cercle jusqu’à l’oreille. C’est entre ces quatre lignes que se trouve circonscrite la portion de peau qu’il suffit de pincer pour déterminer des attaques convulsives, analogues à l’épilepsie, chez les animaux qui ont subi des incisions partielles ou totales de la moelle épinière. Ce qui prouve que ces convulsions ne sont pas dues à la douleur, mais à l’action spéciale de cette partie de la peau de la face sur la moelle allongée, c’est que la piqûre d’autres parties du corps, même sur un membre hyperesthésié, ne produit aucun mouvement convulsif, tandis qu’il suffit de souffler sur cette portion de la peau de la face, ou de la pincer légèrement, pour déterminer des attaques semblables à celle de l’épilepsie.

Une dernière circonstance mérite d’être notée dans ces expériences. À l’état physiologique, l’irritation de la peau ou des membranes muqueuses, produit des mouvements réflexes que l’irritation des gros troncs nerveux ne peut déterminer ; ainsi, par exemple, la toux est constamment causée par l’irritation de la membrane muqueuse du larynx, tandis qu’elle ne résulte pas de l’irritation du tronc du pneumo-gastrique. Eh bien, il en est de même des mouvements convulsifs : lorsqu’on met à nu les troncs nerveux de la face et qu’on les irrite, on ne donne pas lieu aux convulsions que l’on produit au contraire en pinçant la peau elle-même. Il se produit même dans ces cas un phénomène plus curieux encore : si l’on dissèque chez les animaux dont nous parlons, la peau de la face, de manière à ne la laisser adhérente que par l’intermédiaire du nerf sous-orbitaire, on détermine des convulsions en piquant cette portion de peau ainsi détachée, tandis qu’on n’en produit pas en irritant le nerf sous-orbitaire lui-même.

Le Dr Brown-Séquard conclut de ces expériences que, pour produire des attaques convulsives, chez les animaux qui ont subi des lésions traumatiques de la moelle épinière, il faut irriter les extrémités nerveuses de la peau de la face et non les gros troncs nerveux eux-mêmes. Ce qu’il y a de plus remarquable enfin, c’est que les attaques convulsives, une fois produites par ces procédés, peuvent durer pendant des années et se reproduire ensuite spontanément, plusieurs fois par jour, tous les deux jours, toutes les semaines ou tous les mois, absolument comme chez les épileptiques. Les animaux se trouvent ainsi placés, par le fait de ces expériences, dans les mêmes conditions où se trouvent les individus devenus épileptiques à la suite d’une lésion traumatique des membres, du tronc ou de la tête.

Les expériences sur lesquelles s’appuient également les auteurs que nous analysons, et qui portent sur le système circulatoire, ont été faites à diverses époques, même avant qu’on eût songé à placer le siège de l’épilepsie dans la moelle allongée.

Ainsi ils se basent sur les expériences faites par Astley Cooper pour étudier l’influence de la ligature des carotides sur la circulation cérébrale[8]. Il résulte de ces expériences que lorsqu’on comprime avec les pouces les deux vertébrales, après la ligature des carotides, chez des lapins, il se produit des convulsions, qui se suspendent aussitôt qu’on cesse de comprimer les artères et se reproduisent aussitôt qu’on renouvelle la compression, d’où l’on conclut naturellement que l’anémie cérébrale est une cause puissante de mouvements convulsifs. Les expériences faites dans le même sens par Kussmaul et Tenner, physiologistes de Heidelberg, conduisirent leurs auteurs aux mêmes conclusions. Dans un travail très étendu, ces deux expérimentateurs attribuent à l’anémie du cerveau les convulsions de l’épilepsie[9] ; ils se basent principalement, pour soutenir leur opinion, sur les convulsions qui se produisent chez les animaux pendant l’hémorragie qui succède à l’ouverture des deux carotides.

Après les données de la physiologie humaine et les expériences faites sur les animaux, les auteurs dont nous parlons se sont encore appuyés sur des observations cliniques, consignées dans les annales de la science ou empruntées à leur propre pratique.

Ils ont cité des exemples nombreux d’épilepsie survenue à la suite de blessures, ou de lésions traumatiques variées, de diverses parties du corps ou de la tête, exemples réunis en grand nombre par certains auteurs sous le nom d’épilepsies périphériques. Ils en ont conclu que l’épilepsie n’avait pas sa cause première dans le système nerveux central, mais avait son véritable point de départ dans des lésions variées de diverses parties du corps, plus ou moins éloignées du cerveau. Cette conclusion paraît d’autant plus rationnelle, du moins dans certains cas, que quelques-unes de ces observations nous offrent une particularité bien remarquable : la cause périphérique de l’épilepsie une fois connue, on est parvenu dans quelques cas à guérir la maladie en supprimant cette cause, en amputant l’organe, ou même simplement en appliquant une ligature sur le membre porteur de la lésion. Schrœder Van der Kolk cite un exemple très curieux sous ce rapport. C’est celui d’une jeune fille qui, devenue épileptique à la suite de l’introduction d’un morceau de verre dans la paume de la main, fut radicalement guérie, au bout de plusieurs années, par la simple extirpation de ce morceau de verre, qui était la cause véritable de sa maladie.

Ces auteurs se sont basés également sur les faits assez nombreux d’épilepsie dans lesquels on observe, au début de l’attaque, une aura sensitive ou motrice. Considérant cette sensation périphérique comme le point de départ de la maladie, ils y ont trouvé une nouvelle preuve en faveur de leur opinion, au lieu d’y voir simplement, comme cela nous paraît plus exact, un premier symptôme de l’accès et un retentissement de la lésion centrale sur les extrémités. Enfin, les auteurs que nous analysons, non contents de rapporter les observations de lésions périphériques constatables d’une manière évidente, ou celles dans lesquelles les malades eux-mêmes accusent des sensations subjectives dans les extrémités, ont cherché à démontrer, dans d’autres cas plus douteux, l’origine périphérique de l’épilepsie, en la plaçant dans les viscères abdominaux ou dans toutes les parties de l’économie ; ils ont publié, comme Schrœder Van der Kolk par exemple, des observations d’épilepsie intestinale, rénale, utérine, génitale, etc.

Jusqu’à ces dernières années, les tentatives des divers auteurs pour étayer les théories physiologiques de l’épilepsie s’étaient bornées à ces trois ordres de preuves. Schrœder Van der Kolk a été plus loin : il a cherché une démonstration plus péremptoire de ses idées dans l’anatomie microscopique de la moelle allongée. Ayant fait l’autopsie de quatorze épileptiques morts pendant les attaques ou dans leurs intervalles, il a observé les lésions suivantes : il a d’abord rencontré une grande rougeur et une distension très marquée des capillaires dans le quatrième ventricule, pénétrant dans la moelle allongée, souvent à une grande profondeur. Les sections transversales de la totalité de cet organe, depuis le pont de Varole jusqu’à l’extrémité inférieure des corps olivaires, lui montrèrent la partie voisine du quatrième ventricule d’une couleur plus foncée qu’à l’état normal, et contenant des vaisseaux plus distendus, qui se dirigeaient soit vers les racines de l’hypoglosse dans les corps olivaires, soit vers celles du pneumogastrique et du spinal, soit des deux côtés à la fois. Lorsque le degré de rougeur était moindre, il était ordinairement limité à la moitié postérieure de la moelle. Dans la plupart des cas cependant, cette hyperémie s’étendait jusqu’aux corps olivaires, qui étaient souvent remplis de larges vaisseaux sanguins très dilatés. Cet auteur ne s’est pas borné à constater cette dilatation des vaisseaux à l’aide du microscope ; il a mesuré les dimensions des vaisseaux capillaires hypérémiés, et, les comparant à ce qu’ils sont dans un cerveau normal, il est arrivé aux résultats qui se trouvent résumés dans le tableau suivant :

Épileptiques Hypoglosse Corps olivaires Raphé Pneumo-gastrique
A.Qui se mordent la langue
0,306 8,315 0,355 0,237
B.Qui ne se mordent pas la langue
0,250 0,217 0,300 0,348
Différence
+ 0,096 A. + 0,098 A. + 0,055 A. + 0,111 B.
Dimensions des vaisseaux dans la moelle allongée normale
0,097 0,052 0,148 0,064

Il résulte de ce tableau que le professeur hollandais ne s’est pas contenté de mesurer au microscope les dimensions des vaisseaux dilatés de la moelle allongée chez les épileptiques, par comparaison avec ceux de l’état normal, mais qu’il a poussé plus loin encore son investigation.

Établissant une distinction fondamentale entre les épileptiques qui se mordent la langue pendant les attaques et ceux qui ne se la mordent jamais, il a cherché à établir une relation entre ces deux ordres de faits et le siège des lésions qu’il a trouvées à l’autopsie. Il a découvert en effet que chez les épileptiques qui se mordent la langue, les vaisseaux capillaires étaient incomparablement plus développés dans le voisinage des racines de l’hypoglosse que près des origines des pneumogastriques, tandis que l’inverse avait lieu chez les épileptiques de la seconde catégorie.

Tant que la lésion de la moelle allongée se borne, chez les épileptiques à cette simple hyperémie, qui, selon Schrœder Van der Kolk, est plutôt l’effet des accès que leur cause, la maladie, selon lui, est encore curable. Mais l’hyperémie augmentant à chaque nouvel accès, chacun d’eux augmente ainsi les chances de persistance de la maladie. Peu à peu, des dépôts albumineux se forment autour des capillaires dilatés et ce travail pathologique, conséquence de l’hypérémie primitive, aboutit en définitive à la dégénérescence graisseuse, puis à l’induration, enfin au ramollissement, et alors la maladie est devenue tout à fait incurable.

SECONDE PARTIE

Examen critique des théories physiologiques de l’épilepsie.

Après avoir résumé les idées communes et les divergences des auteurs qui ont voulu rendre compte de l’épilepsie par la lésion du pouvoir réflexe de la moelle allongée, il nous reste maintenant à examiner si ces physiologistes ont atteint le but qu’ils se sont proposé et s’ils ont établi sur des bases solides leurs théories nouvelles. Sont-ils parvenus à détrôner le cerveau, qui, depuis la plus haute antiquité, a été considéré comme le siège principal de l’épilepsie, pour mettre à sa place la moelle allongée ? Ont-ils réussi à expliquer, d’une part, le mécanisme de l’accès convulsif et l’ordre de succession de ses symptômes ; d’autre part, le mode de production de la maladie épileptique elle-même, et les lois qui président à l’évolution de ses divers phénomènes ? Telles sont les questions qu’il nous reste à examiner.

Les divergences nombreuses signalées entre les auteurs qui ont cherché à expliquer, par le pouvoir réflexe de la moelle allongée, le mécanisme de l’accès épileptique, doivent déjà faire réfléchir sur la valeur de ces explications, qui se combattent les unes par les autres. Les physiologistes, qui voudraient faire adopter cette théorie, devraient d’abord se mettre d’accord sur la manière dont ils comprennent la production d’un accès d’épilepsie et le mode de succession de ses symptômes. Or, comme nous l’avons déjà fait remarquer, il y a entre eux, sous ce rapport, des dissidences très importantes. Ils croient tous, il est vrai, que le pouvoir normal des parties situées à la base de l’encéphale est surexcité par la maladie épileptique ; que dans cette surexcitation anormale réside la cause prédisposante, ou, si l’on aime mieux, la cause prochaine de la maladie. Mais combien ils diffèrent lorsqu’il s’agit de rechercher dans quelles conditions cette surexcitation survient de préférence ; quelles sont les causes occasionnelles nécessaires pour la mettre en jeu et transformer cette prédisposition latente en cause active de mouvements convulsifs ! La faculté réflexe que possède la moelle allongée à l’état normal se compose de deux éléments distincts : l’aptitude à recevoir les impressions, et la puissance de les réfléchir sur le système musculaire. On comprend donc que l’une de ces facultés puisse être supposée lésée isolément, et que chaque auteur accorde plus ou moins d’importance à l’une ou à l’autre de ces lésions ; de là des différences secondaires sur lesquelles nous ne pouvons insister. Mais il est d’autres éléments plus importants qui interviennent dans l’explication de ce pouvoir anormal que l’on attribue à la moelle allongée, et qui deviennent des motifs de discussion entre les partisans de la même théorie. Ces éléments sont de deux sortes : ils sont relatifs au point de départ de l’impression, qui met en mouvement cette puissance réflexe exaltée, et aux modifications de la circulation ou de la nutrition, qui rendent la moelle allongée plus ou moins apte à répercuter, sous forme de convulsions, sur le système musculaire, l’impression qu’elle a reçue.

Les auteurs que nous analysons pensent tous que le point de départ de l’attaque d’épilepsie peut se rencontrer dans toutes les portions du système nerveux ; que la sensation qui donne l’impulsion première à la faculté réflexe exaltée peut partir, soit du système nerveux périphérique, cérébro-spinal ou ganglionnaire, soit de la moelle ou du cerveau lui-même. Cela a lieu, par exemple, dans les maladies cérébrales qui donnent naissance à des mouvements convulsifs ; dans les épilepsies où l’on découvre, à l’autopsie, des lésions organiques du cerveau, de ses membranes, ou des os du crâne ; enfin, dans les cas où les attaques d’épilepsie surviennent sous l’influence d’une cause morale, ou bien sont précédées de prodromes sensoriaux ou psychiques qui dénotent une participation évidente du cerveau, devançant de quelques secondes ou de quelques heures la production des mouvements convulsifs. Mais quelle est la proportion relative de ces diverses origines de l’attaque sur un nombre total d’épileptiques ? Cette origine est-elle plus fréquemment périphérique que centrale ? Voilà un point sur lequel peuvent surgir de nombreuses dissidences. Lorsqu’on constate à l’autopsie d’un épileptique la lésion d’une partie quelconque du système nerveux, doit-on lui rapporter l’origine des attaques, et placer dans l’organe qui en est le siège le point de départ véritable des accès ? L’aura epileptica, lorsqu’elle existe, est-elle toujours un indice certain du lieu qui sert d’origine à la maladie ? Lorsque l’on ne trouve pas de lésion évidente, dans un point quelconque du système nerveux périphérique ou central, doit-on, comme le fait Schrœder Van der Kolk, supposer que la cause de l’accès réside dans le système nerveux ganglionnaire ? Faut-il se contenter par exemple de l’existence de la masturbation ou d’excès génésiques pour placer ce point de départ dans les organes génitaux, chez l’homme ou chez la femme, ou de troubles variés dans d’autres organes pour admettre une épilepsie rénale, utérine, etc., etc. ? Est-il nécessaire de supposer toujours une impulsion première, partant des nerfs, de la moelle allongée ? Cette faculté ne peut-elle pas arriver à un degré d’exaltation suffisant pour s’exercer spontanément, comme Brown-Séquard l’a constaté chez ses animaux, lesquels, après avoir eu besoin pendant quelque temps d’une stimulation de la peau de la face pour éprouver des mouvements convulsifs, ont fini par avoir des attaques épileptiques, même sans stimulation ? Enfin, dernière question la plus importante de toutes, l’altération admise dans la moelle allongée des épileptiques consiste-t-elle réellement dans un excès de force ou d’activité, ainsi que le disent la plupart des auteurs, en particulier Brown-Séquard et Schrœder Van der Kolk (qui compare l’accès épileptique à la décharge d’une bouteille de Leyde ou d’un poisson électrique), ou bien au contraire cette faculté pèche-t-elle par défaut et par absence, comme le soutiennent le Dr Radclifle, et Kussmaul et Tenner ? Voilà bien des questions qui sont loin d’être résolues, et sur lesquelles discutent très longuement les auteurs qui nous occupent.

Les différences que nous constatons entre eux, relativement à l’origine et à la nature essentielle de l’altération de la moelle allongée, nous les retrouvons quand nous recherchons avec eux quel peut être son mode de production.

Schrœder Van der Kolk a étudié avec le plus grand soin cette question délicate. Il a admis que la moelle allongée étant surexcitée dynamiquement par une influence nerveuse, partie soit de la périphérie, soit du cerveau, il s’établit, à chaque accès épileptique, dans la substance intime, une congestion artérielle intense, qui donne lieu à une dilatation des capillaires ; celle-ci, d’abord temporaire, se reproduit au même degré à chaque nouvel accès et finit par devenir définitive. Ainsi, chez les épileptiques, tout accès nouveau doit être considéré comme la cause prédisposante d’accès ultérieurs. Cette congestion artérielle permanente, due à la dilatation des capillaires, entretient, par la présence d’une plus grande quantité de sang, une nutrition plus active, partant une suractivité de la fonction normale de cet organe. L’effet devenant cause à son tour, la maladie marche peu à peu vers l’incurabilité. L’afflux considérable du sang dans les capillaires dilatés entraîne à sa suite une exsudation albumineuse à travers les parois de ces vaisseaux, qui ne tardent pas à s’épaissir, puis à s’indurer. De l’induration à la transformation graisseuse, de celle-ci au ramollissement, le passage est lent mais successif. Ainsi s’expliquent, d’après cet auteur, les divers degrés des lésions qu’il a constatées dans la moelle allongée de 14 épileptiques. Dans sa pensée, elles ne sont pas la cause véritable de la maladie, mais les effets de la lésion primitivement dynamique, due à un afflux considérable de sang artériel et à une modification de la nutrition dans les cellules ganglionnaires de la moelle allongée.

Les auteurs que nous analysons sont loin d’admettre tous au même degré cette filiation des phénomènes établie par le professeur hollandais ; quelques-uns même, comme le Dr Radcliffe et les physiologistes de Heidelberg, croyant à l’anémie cérébrale et à la suspension des fonctions de la moelle allongée, pendant toute la durée de l’accès épileptique, ne peuvent accepter l’interprétation proposée par Schrœder Van der Kolk, laquelle repose entièrement sur la supposition opposée de la congestion artérielle et de la distension des capillaires. Mais ce n’est pas seulement dans l’appréciation de la lésion intime de la moelle allongée et des causes variées qui lui donnent naissance, c’est aussi dans l’étude du mode de production des phénomènes de l’accès, que se manifestent de nouvelles divergences entre les auteurs dont nous nous occupons.

Une différence importante existe d’abord entre la théorie de Marshall Hall et celle des physiologistes qui sont venus après lui, relativement au début même de l’attaque épileptique. Tous les auteurs dont nous parlons ont pris pour type de l’accès épileptique les faits exceptionnels dans lesquels on peut assister à l’évolution des phénomènes de la première période, et les étudier isolément, en en suivant, pendant quelques secondes, l’apparition successive. Dans ces cas d’épilepsie incomplète, le malade commence par éprouver une sensation douloureuse, ou un spasme musculaire, dans une partie quelconque du corps ; cette sensation remonte rapidement jusqu’au cerveau. On constate d’abord quelques légères contractions dans les muscles de la face ; le malade pousse un cri ; sa gorge se resserre, sa respiration s’embarrasse ; il perd connaissance ; il tombe ; il est pris alors de convulsions générales, toniques, puis cloniques, et bientôt survient la période d’asphyxie, puis celle de torpeur. C’est en se basant sur des exemples de ce genre, dans lesquels le début de l’attaque est en quelque sorte décomposé naturellement dans ses divers éléments, qui se succèdent à courts intervalles au lieu de survenir brusquement et tous ensemble, que Marshall Hall a été conduit à proposer son interprétation du mécanisme de l’accès épileptique. Il a admis que le centre spinal (c’est-à-dire les parties blanches situées à la base de l’encéphale), recevant une impulsion sensitive provenant du système nerveux périphérique ou du cerveau lui-même, la réfléchissait immédiatement, par l’intermédiaire des nerfs qui en émergent, d’abord sur les muscles de la face et du cou, puis sur ceux de la poitrine ; que la contraction de ces muscles déterminait la gêne de la respiration, la stase sanguine dans le cerveau, et produisait ainsi indirectement la perte de connaissance et les convulsions générales. C’est pourquoi il a proposé comme moyen thérapeutique, non pas pour guérir l’épilepsie due à l’irritation de la moelle allongée, mais les conséquences graves de ses attaques, la trachéotomie. En ouvrant un large passage à l’air et en remédiant ainsi aux inconvénients de l’occlusion de la glotte, elle empêcherait, selon lui, la congestion veineuse dans le cerveau, partant la production des symptômes les plus graves de l’accès. Il n’a pas été difficile aux médecins qui ont examiné de près la théorie de Marshall Hall de démontrer que cette succession des phénomènes du début de l’accès, telle qu’il l’avait supposée, était absolument contraire à l’observation clinique ; que les succès peu nombreux, obtenus à l’aide de la trachéotomie dans quelques cas exceptionnels, ne pourraient se généraliser, attendu que l’on peut laisser un libre passage à l’air pendant la première période des accès épileptiques, sans empêcher l’accès de continuer, les symptômes principaux n’étant pas dus, comme il le croyait, à la stase sanguine dans le cerveau[10]. Marshall Hall, en publiant cette théorie pour expliquer le mécanisme des symptômes dans les attaques d’épilepsie, semble avoir complètement perdu de vue ce fait capital, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir, à savoir que, dans tout accès d’épilepsie véritable, la perte de connaissance est l’élément primitif et principal ; qu’il est le premier dans l’ordre de succession des phénomènes et dans l’ordre d’importance ; qu’il précède les convulsions, coïncide du moins avec leur apparition, et ne leur succède que très rarement ; enfin qu’il existe toute une classe d’attaques épileptiques, connues sous le nom de vertiges et d’absences, dans lesquelles la perte de connaissance existe seule sans convulsions, ou bien avec des convulsions partielles très limitées, le plus souvent même sans coloration bleuâtre de la face, sans signes de congestion cérébrale, de stase veineuse ni d’asphyxie. Il n’a donc pas été difficile aux physiologistes venus après Marshall Hall, et qui ont adopté le principe général de sa théorie, de réfuter l’interprétation erronée qu’il avait donnée du mécanisme de la première période de l’accès, en subordonnant la perte de connaissance à la contraction des muscles du cou et du larynx. Ce qui était plus difficile, c’était de découvrir un autre moyen de rendre compte de la perte de connaissance, en admettant que la cause prochaine de l’épilepsie résidât dans la moelle allongée. En effet, le principal obstacle que rencontre toute théorie qui veut expliquer les phénomènes de cette maladie par l’altération d’un organe autre que le cerveau consiste toujours dans ce fait, que la suspension subite des fonctions intellectuelles, sensitives et volontaires, marque le début de tout accès épileptique, quelquefois même le constitue tout entier, et ne peut être rapportée raisonnablement qu’à la lésion de l’organe qui préside, à l’état normal, à l’accomplissement de ces fonctions. Je sais bien que l’on objecte à ceux qui prétendent placer dans le cerveau proprement dit le siège de l’épilepsie, qu’il semble incompréhensible que cet organe puisse en même temps être paralysé dans l’ensemble de ses facultés et surexcité au contraire dans ses fonctions motrices ; mais cette difficulté qu’on oppose aux partisans de l’altération primitive du cerveau, subsiste également dans la théorie qui attribue l’épilepsie à la lésion de la moelle allongée.

Il est étrange, en effet, que la congestion artérielle, la stase veineuse, ou l’anémie cérébrale qui, selon les divers auteurs, paralysent le cerveau dans ses fonctions, aux différentes phases de l’accès épileptique, surexcitent au contraire la moelle allongée dans les facultés qui lui appartiennent à l’état normal. Pour faire cesser cet antagonisme, il faudrait supposer, avec Henle, que les parties supérieures de l’encéphale pourraient être anémiées, tandis que celles de la base seraient hyperémiées ; ou bien encore, il faudrait croire, avec le Dr Radcliffe, que la moelle allongée est réellement paralysée dans ses fonctions, comme le cerveau, pendant l’attaque épileptique, et que les mouvements convulsifs sont dus à l’action spontanée du système musculaire. Néanmoins nous devons reconnaître que le Dr Brown-Séquard, en s’appuyant sur les expériences de Claude Bernard, a découvert un moyen très ingénieux de rattacher à la lésion de la moelle allongée la perte de connaissance, en même temps que les convulsions. Il a admis, comme nous l’avons déjà dit, que, dès le début de l’accès épileptique, la moelle allongée, surexcitée maladivement, déterminait à la fois les convulsions générales, par l’intermédiaire du système nerveux cérébro-spinal, et la contraction spasmodique des tuniques artérielles du cerveau, par l’intermédiaire des nerfs vaso-moteurs ; qu’elle produisait ainsi la perte de connaissance, d’abord par anémie cérébrale, comme dans la syncope, tant que durait cette contraction, puis bientôt par congestion artérielle et veineuse, lorsqu’à la contraction vasculaire avait succédé la dilatation des vaisseaux capillaires. Ce mécanisme très ingénieux, qui a été immédiatement adopté par tous les partisans de la théorie réflexe, et substitué à l’explication tout à fait insuffisante donnée par Marshall Hall, mériterait de devenir l’objet d’un examen attentif, au point de vue expérimental et clinique ; il aurait besoin, pour être définitivement accepté, d’être soumis au contrôle de nouvelles expérimentations et de reposer sur un plus grand nombre de preuves. Cependant, il faut avouer que si l’on admet la vérité du point de départ, c’est-à-dire la lésion initiale de la moelle allongée, comme cause prochaine des accès épileptiques, il semble difficile de rattacher l’un à l’autre les deux symptômes essentiels de l’épilepsie par un lien plus intime et plus vraisemblable. Les auteurs qui acceptent cette explication de la perte de connaissance admettent en outre, comme conséquence naturelle, que dans les cas où elle existe seule sans convulsions, c’est-à-dire dans les cas de vertiges ou d’absences simples, la moelle allongée n’agit alors que sur les nerfs vaso-moteurs du cerveau et n’exerce plus son action réflexe sur les nerfs du système cérébro-spinal. Resterait à expliquer pourquoi, dans ces cas, cette action reste ainsi isolée, mais les auteurs dont nous parlons n’ont pas encore abordé cette difficulté.

Nous ne pouvons entrer ici dans le détail des interprétations données par les auteurs qui nous occupent pour rendre compte des autres phénomènes qui marquent la première période de l’accès épileptique. La pâleur de la face, le cri initial, la chute, la dilatation des pupilles, la faiblesse du pouls, la lenteur des mouvements du cœur, deviennent pour chacun d’eux l’objet d’explications variées et souvent contradictoires : la gêne de la respiration par exemple, qui indique le passage de la première à la seconde période, est attribuée par les uns, en particulier par Marshall Hall, à la compression des veines jugulaires par la contraction spasmodique des muscles du cou, et à l’occlusion de la glotte par le spasme des muscles du larynx, qui a lieu, selon lui, dès le début de l’accès ; d’après Brown-Séquard au contraire, et les auteurs que nous analysons, la gêne de la respiration serait due principalement à l’immobilisation des parois thoraciques, produite par l’inaction du diaphragme et des autres muscles respirateurs.

Les mêmes dissidences que nous constatons entre les auteurs quand il s’agit d’expliquer les phénomènes du premier stade de l’accès, nous les retrouvons lorsque nous arrivons à la seconde période. Ils reconnaissent tous que, pendant cette période, ou période clonique, la perte de connaissance et les convulsions continuent, et que l’on commence à constater des signes extérieurs de congestion cérébrale ; mais l’interprétation du mode de production de ces symptômes varie singulièrement pour chacun d’eux. Marshall Hall attribue la persistance des symptômes primitifs à la continuation des mêmes causes qui leur avaient donné naissance à la première période, c’est-à-dire à la congestion cérébrale, laquelle serait due à l’obstacle qu’opposent le laryngisme et le trachélisme au retour du sang veineux venant de l’encéphale.

Les auteurs, au contraire, qui ont adopté la manière de voir de Brown-Séquard et qui croient à l’anémie cérébrale pendant le premier stade de l’accès sont obligés d’avoir recours à une nouvelle explication, pour rendre compte de la persistance de la perte de connaissance et des convulsions pendant le second stade.

Ils admettent que les vaisseaux du cerveau, d’abord fortement contractés sous l’influence des nerfs vaso-moteurs, ne tardent pas à se dilater brusquement, par la cessation du spasme tonique et à permettre ainsi l’afflux considérable du sang artériel, bientôt accompagné de la stase veineuse, déterminée elle-même par la gêne de la respiration, l’immobilisation des parois du thorax et par l’asphyxie qui en est la conséquence naturelle.

Mais ici surgissent des explications différentes pour rendre compte des mêmes symptômes. Les uns pensent que la compression cérébrale, due à la quantité plus grande de sang artériel ou veineux qui séjourne dans le cerveau, est la cause véritable des phénomènes observés à cette période. Schrœder Van der Kolk, par exemple, croit que le sang artériel, arrivant en grande quantité dans les capillaires de la moelle allongée, excite les propriétés réflexes de cet organe et détermine ainsi les convulsions générales. Il ajoute que la congestion artérielle et veineuse, qui existe en même temps dans tout l’encéphale, entretient la perte de connaissance, c’est-à-dire la suspension des fonctions sensitives et intellectuelles, laquelle avait été produite primitivement par l’anémie cérébrale et qui se trouve perpétuée par la cause inverse. Le Dr Brown-Séquard constate également l’afflux du sang au cerveau dans cette période, mais il rapporte à l’action du sang veineux ce que le professeur hollandais fait dépendre du sang artériel. Des expériences nombreuses auxquelles il s’est livré, relativement à l’influence toxique du sang veineux chargé d’acide carbonique sur les centres nerveux, cet habile physiologiste conclut que le sang noir, mis en contact avec ces organes, possède la double propriété de les irriter d’abord, de les stupéfier ensuite. Ces résultats de l’expérimentation lui servent à expliquer les symptômes observés pendant le deuxième et le troisième stade de l’accès épileptique. Le sang noir, séjournant dans le cerveau et en particulier dans les parties situées à la base de l’encéphale, détermine d’abord une excitation plus grande de ces organes et augmente ainsi l’intensité des convulsions, produites primitivement par une excitation purement nerveuse ; peu à peu le sang veineux, continuant à affluer, exerce alors sa propriété stupéfiante : de là la cessation des convulsions et la production du coma, de la somnolence et de la période de stertor ; mais alors, les convulsions cessant de se produire, le diaphragme et les muscles des parois thoraciques ne tardent pas à reprendre leurs fonctions, la respiration se rétablit, le sang noir se transforme de nouveau en sang rouge, et celui-ci, arrivant à son tour au cerveau, contre-balance l’action stupéfiante du sang veineux et permet à toutes les parties de l’encéphale de reprendre plus ou moins rapidement l’exercice de leurs fonctions normales.

Ainsi s’explique naturellement, d’après Brown-Séquard, par l’action toxique spéciale du sang veineux, l’ordre de succession des phénomènes de la deuxième et de la troisième période de l’attaque épileptique.

Mais il existe encore une autre explication de ces symptômes. Le Dr Radcliffe, ainsi que Kussmaul et Tenner, fidèles à leur théorie sur l’anémie cérébrale, comme cause de la suspension des fonctions de l’encéphale, aussi bien dans le cerveau que dans la moelle allongée, n’admettent ni l’interprétation de Schrœder Van der Kolk relative à l’excès du sang artériel, ni celle de Brown-Séquard qui repose sur l’action toxique du sang veineux, pour rendre compte des phénomènes de la deuxième période de l’accès épileptique.

Ils pensent que l’absence de sang artériel est, dans les deux périodes, la cause unique de tous les symptômes ; que si dans la première, le sang artériel fait défaut par suite de la contraction des capillaires, il manque également dans la seconde, puisqu’il est remplacé par du sang veineux, lequel agit en paralysant l’action propre des diverses parties de l’encéphale. Pour ces auteurs, l’absence du sang rouge dans le cerveau et la moelle allongée, est donc la cause véritable et unique de la perte de connaissance et des convulsions, à toutes les phases de l’attaque épileptique.

Nous ne pouvons entrer ici dans l’examen des preuves expérimentales et cliniques que chacun de ces physiologistes fait valoir à l’appui de l’opinion particulière qu’il défend.

Nous nous contenterons de leur faire une objection qui s’applique également à tous, et qui est relative à la cessation des attaques. Cette objection a déjà été posée en 1831, par Foville père[11]. S’adressant à ceux qui, dès cette époque, voulaient expliquer les accès d’épilepsie par la congestion générale de l’encéphale, sans spécifier aucune de ses parties ni le mode d’action particulier de la congestion, il leur posait cette question : Si la congestion cérébrale est la cause prochaine des attaques d’épilepsie, c’est-à-dire de la perte de connaissance et des convulsions, comment se fait-il que ces symptômes surviennent au moment où la congestion est moins intense, lorsqu’il y a par exemple pâleur de la face, et que d’un autre côté, ces deux phénomènes cessent brusquement, précisément lorsque les congestions artérielle et veineuse sont arrivées à leur summum ; en un mot, que l’épileptique reprenne tout à coup connaissance à l’instant même où l’asphyxie est à son comble ?

Les défenseurs de la théorie que nous combattons ont répondu à cette objection pour le début de l’attaque, en attribuant la perte de connaissance à l’anémie cérébrale et non à la congestion ; mais, pour la terminaison de l’accès, l’objection subsiste dans toute sa force. Quelle que soit en effet l’explication adoptée pour rendre compte des symptômes de la deuxième et de la troisième période, ces phénomènes sont attribués par les auteurs que nous venons de citer à un même fait, dont ils constatent tous l’existence, tout en différant sur son interprétation, à savoir : la stase veineuse et l’influence toxique du sang veineux sur les diverses parties de l’encéphale.

Eh bien, si la présence du sang veineux est la cause véritable de la perte de connaissance, à la période de coma, comment se fait-il que la connaissance reparaisse tout à coup chez les épileptiques alors que cette stase veineuse est arrivée à son plus haut degré d’intensité ? Nous avons indiqué tout à l’heure comment le Dr Brown-Séquard, et ceux qui ont adopté sa manière de voir, ont cherché à échapper à cette objection, mais nous pensons qu’ils n’ont pas par là détruit sa valeur.

Notre intention n’est pas de discuter et de combattre successivement les opinions que nous venons d’exposer, sur le mécanisme et l’ordre de succession des symptômes qui constituent les trois périodes de l’attaque épileptique. En opposant les unes aux autres ces explications disparates ; en faisant ressortir les dissidences capitales qui existent entre les auteurs pour l’interprétation des mêmes phénomènes, nous ne nous sommes proposé qu’un seul but. Nous avons voulu démontrer, que la question du siège de l’épilepsie dans la moelle allongée était loin d’être résolue ; que l’interprétation physiologique de l’accès épileptique et du mode de succession de ses divers symptômes était loin de reposer sur des bases solides et définitives, pouvant satisfaire à la fois le physiologiste et le clinicien.

Mais là ne se borne pas la tâche que nous nous sommes imposée. Une dernière considération mérite encore de nous arrêter avant de terminer la revue critique que nous avons entreprise des théories nouvelles de l’épilepsie. En supposant que ces théories aient réussi à rendre compte du mécanisme des accès convulsifs, auraient-elles expliqué par là la production de la maladie épileptique elle-même ? Telle est la question qu’il nous reste maintenant à examiner à la fin de ce travail.

Lorsqu’on étudie attentivement l’ensemble des symptômes dont la réunion constitue l’épilepsie, il est presque impossible, selon nous, de ne pas rapporter au cerveau proprement dit le siège véritable de cette maladie. Soit qu’on envisage le paroxysme convulsif lui-même, soit qu’on fixe son attention sur les symptômes qui le précèdent ou le suivent, ou sur ceux qui existent chez les malades dans l’intervalle des accès, l’intervention nécessaire du cerveau, comme cause principale de tous les phénomènes, s’impose à tous avec évidence.

Quel est en effet le symptôme essentiel, indispensable, de l’épilepsie ? N’est-ce pas la perte de connaissance, beaucoup plus encore que les convulsions ? On cite, il est vrai, quelques faits très rares d’épilepsie incomplète, avec convulsions partielles ou générales, sans perte absolue de connaissance ; mais combien ces faits sont peu nombreux, si on les compare à ceux dans lesquels on constate précisément le phénomène inverse, c’est-à-dire la perte de connaissance subite et complète, sans aucun phénomène convulsif ou du moins avec des convulsions partielles très limitées et à peine apparentes. Tant qu’on n’aura pas rayé du cadre de l’épilepsie ces faits si fréquents d’absences, de vertiges, de petit mal en un mot, dans lesquels la suspension absolue des fonctions cérébrales représente à elle seule tout l’accès, ou le caractérise essentiellement, il faudra renoncer à placer ailleurs que dans le cerveau le siège principal de l’épilepsie. Or, pour retrancher du domaine de cette maladie tous les cas où la perte de connaissance existe seule, ou bien masque presque complètement de légers phénomènes convulsifs, il faudrait rompre avec toute la tradition du passé ; il faudrait méconnaître les liens évidents et indissolubles dont les faits démontrent à chaque instant l’existence entre ces deux formes du mal épileptique ; il faudrait nier que ces deux manifestations d’une même maladie coïncident souvent chez un même malade, alternent à de courts intervalles, ou se remplacent à différentes périodes, de telle sorte que la constatation de l’une d’elles peut permettre d’affirmer la coexistence ou de prévoir l’apparition ultérieure de l’autre.

Mais ce ne sont pas là les seuls arguments en faveur de l’origine primitivement cérébrale de l’épilepsie. Les auteurs que nous combattons, pour appuyer leur théorie de l’action réflexe de la moelle allongée, ont eu tous le tort très grave de perdre de vue les résultats généraux fournis par l’observation clinique et d’élever des faits exceptionnels au rang d’une loi générale.

Ils se sont basés sur les faits, rapportés en grand nombre par les auteurs anciens, d’épilepsie sympathique, dans lesquels l’observation ou l’expérimentation ont semblé faire découvrir le point de départ de la maladie dans une partie du corps plus ou moins éloignée du cerveau. Ils ont accumulé des exemples de lésions traumatiques ou pathologiques, siégeant dans les membres ou dans les organes intérieurs, qui pouvaient être considérées comme la cause première des convulsions épileptiques. Ils ont cherché dans l’aura epileptica, qui n’est le plus souvent qu’un premier symptôme de l’accès, une nouvelle preuve de l’origine périphérique de certaines attaques épileptiques. Enfin, ils ont cité quelques cas plus probants, dans lesquels une opération quelconque, ou même une simple ligature, pratiquées sur le membre porteur de la lésion, avaient suffi pour suspendre ou même pour guérir complètement des accès d’épilepsie. Nous sommes loin certainement de nier ces faits exceptionnels, rapportés par des auteurs sérieux, dans tous les pays et à toutes les époques de l’histoire de la médecine. Mais, si l’on abandonne le domaine de l’histoire pour se transporter sur le terrain de l’observation actuelle, combien trouverait-on d’exemples bien constatés d’épilepsie sympathique, dont le point de départ périphérique fût rigoureusement démontré ? Combien de cas où l’existence de l’aura epileptica, sous une forme ou sous une autre, puisse être regardée comme une preuve certaine du lieu d’origine de l’accès, au lieu d’être envisagée, ainsi que nous le croyons, comme un simple retentissement de la lésion centrale sur les extrémités, ou comme un symptôme prodromique des attaques ? Combien enfin pourrait-on citer d’exemples authentiques de guérison d’épilepsie, obtenues à l’aide d’opérations chirurgicales, pratiquées sur la partie qu’on suppose être le véritable point de départ de l’accès ? Et c’est sur des faits aussi exceptionnels, souvent aussi contestables, que les auteurs dont nous parlons veulent faire reposer une théorie générale de l’épilepsie ! C’est en se basant sur les cas les plus rares qu’ils prétendent expliquer les faits habituels ! C’est en supposant une origine périphérique, dans les parties externes ou dans les organes intérieurs animés par le grand sympathique, lorsqu’ils ne peuvent avec certitude en démontrer l’existence, qu’ils prétendent déposséder le cerveau de sa suprématie comme cause première et principale des accès épileptiques !

Il est juste de dire, en effet, que les auteurs que nous analysons n’ont pas été jusqu’à refuser au cerveau proprement dit toute participation active dans l’accès d’épilepsie. Les faits auraient protesté trop fortement contre cette prétention, s’ils l’avaient manifestée ; mais ils ont assimilé complètement l’action du cerveau à celle des nerfs périphériques, soit du système cérébro-spinal, soit du système ganglionnaire ; ils ont soutenu que la moelle allongée étant le centre d’où partait réellement le paroxysme convulsif, il importait peu que l’impulsion première de cette action réflexe se trouvât dans les nerfs, dans le grand sympathique ou dans le cerveau. Ainsi donc, non seulement ils ont exagéré outre mesure la fréquence de l’origine périphérique de l’épilepsie, mais dans les cas (qu’ils ont réduit environ à la moitié du chiffre total) où ils ont bien voulu admettre l’origine cérébrale de l’accès, ils lui ont refusé l’importance qui lui appartenait naturellement ; ils l’ont placée sur le même rang que l’impulsion partant d’un nerf de la périphérie ; ils n’ont vu dans cette impulsion cérébrale, comme dans celle provenant des extrémités nerveuses, qu’une cause occasionnelle, qui met en mouvement le pouvoir spécial de la moelle allongée, véritable cause prochaine de l’épilepsie.

C’est là, selon nous, une interprétation erronée des faits ; c’est une interversion complète dans l’ordre naturel de subordination et d’importance des phénomènes. En admettant même que le pouvoir réflexe de la moelle allongée fût la cause réelle des mouvements convulsifs (ce qui, pour nous, est encore loin d’être démontré), on devrait du moins n’y voir qu’un fait secondaire dans la succession des symptômes qui constituent un accès d’épilepsie. Au lieu de reléguer sur le second plan l’impulsion première partie du cerveau, il faudrait lui restituer la priorité qui lui appartient, la prééminence qu’on lui a toujours accordée et que l’on aurait grand tort de chercher à lui enlever. Tout démontre, en effet, non seulement dans l’accès épileptique, mais dans les symptômes et la marche de la maladie elle-même, que la part prépondérante revient incontestablement au cerveau, comme cause première des phénomènes observés.

Que deviendrait l’action des causes morales, et en particulier de la frayeur et des émotions de tout genre, qui donnent lieu si souvent à l’épilepsie, si l’on cessait de placer dans le cerveau proprement dit le siège de l’épilepsie ? Que deviendraient les lésions constatées dans les os du crâne, dans le cerveau ou dans ses membranes, chez un grand nombre d’épileptiques ?

Comment pourrait-on expliquer que l’accès épileptique fût si souvent précédé, immédiatement ou plusieurs jours à l’avance, de symptômes cérébraux variés, dans l’ordre des sensations spéciales, de la sensibilité générale, des mouvements ou de l’intelligence ? Comment se rendre compte des visions, des hallucinations des autres sens, de la torpeur ou de l’excitation, des sensations douloureuses, du malaise, du sentiment de bien-être, en un mot des phénomènes cérébraux si divers qui figurent, dans toutes les descriptions, parmi les prodromes immédiats ou éloignés des accès, et que l’on constate chez un si grand nombre d’épileptiques ? Comment comprendre enfin que des symptômes du même genre se produisent après les accès comme auparavant, si le cerveau ne jouait pas un rôle principal et prédominant dans toute attaque d’épilepsie ?

Mais la preuve la plus puissante, la plus irréfutable selon nous, en faveur de la thèse que nous soutenons, réside dans l’étude des lésions si fréquentes de l’intelligence chez les épileptiques. Plus on aura parcouru ce terrain, encore peu exploré, des relations nombreuses qui existent, chez beaucoup d’épileptiques, entre les troubles de l’intelligence et les troubles de la motilité ; plus on sera convaincu, comme nous le sommes nous-même, que la plupart de ces malades présentent, à diverses périodes de leur affection, des perturbations spéciales des facultés intellectuelles et affectives ; que ces phénomènes caractérisent la maladie au même degré que les mouvements convulsifs et la perte de connaissance ; qu’ils alternent avec ces symptômes, les remplacent, quelquefois même s’y substituent ; qu’ils ne sont que des manifestations différentes d’un même état morbide et qu’ils permettent d’en affirmer l’existence, même en l’absence des symptômes habituels de cette affection, plus on arrivera forcément à cette conclusion : que l’épilepsie est une maladie essentiellement cérébrale ; que dans le cas même où la physiologie moderne démontrerait la nécessité de faire intervenir la moelle allongée, pour expliquer, par son action réflexe, la production des mouvements convulsifs, cette intervention ne pourrait être que très secondaire, et devrait toujours être subordonnée à la maladie du cerveau, ainsi qu’on l’admet du reste pour les autres affections de l’encéphale, qui s’accompagnent également de mouvements convulsifs, sans qu’on ait jamais songé à en placer le siège dans la moelle allongée.


  1. Extrait des Archives générales de Médecine, février et mai 1862.
  2. Schrœder Van der Kolk, Bau und Fonctionen der Medulla spinalis, und oblongata, und nachste Ursache, und rationnelle Behandlung der Epilepsie. Aus dem hollandischen Ubertragen, von Wilhelm Theile, Braunschweig, 1859.
  3. Sieveking, On Epilepsy and epileptiform seizure ; seconde édition. London, 1861.
  4. Radcliffe, Epileptic and other convulsive affections of the nervous system, their pathotology and treatment ; third edition. London, 1861.
  5. Russel Reynolds, Epilepsy: its symptoms, treatment, and relation to other chronic convulsive diseases ; London, 1861.
  6. Brown-Séquard, Researches on epilepsy: its artificial production in animals, and its etiology, nature and treatment in man. Boston, 1857.
  7. Claude Bernard, Leçons sur la physiologie et la pathologie du système nerveux ; Paris, 1858.
  8. Sir Astley Cooper, Some experiments and observations on tying the carotide and vertebral arteries (Guy’s hospital reports, t. I, p. 357.)
  9. A. Kussmaul und A. Tenner, Untersuchungen über Ursprung und Wesen der fallsüchtigen Zuckungen bei der Verblutung sowie der fallsucht ueberhaupt, in Moleschott’s Untersuschungen zur Naturlehre des Menschen ; Heidelberg, 1858.
  10. Le Dr Reynolds raconte (p. 268) avoir vu, chez un malade opéré à l’aide de la trachéotomie par le Dr A. Thompson, sur la demande de Marshall Hall l’accès épileptique parcourir toutes ses périodes, malgré l’ouverture de la canule. Il cite en outre l’exemple, emprunté au Dr Andrea Verga (Schmidt’s Jahrbücher, t. IV ; 1852), d’un épileptique qui avait une fistule s’ouvrant dans la trachée, et qui, pendant ses crises, passait par toutes les phases de l’accès, soit qu’on bouchât, soit qu’un laissât libre cette ouverture.
  11. Foville, article Épilepsie du Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques ; Paris, 1831.