Poèmes antiques/Études latines
La jeunesse nous quitte et les Grâces aussi.
Les désirs amoureux s’envolent avec elles,
Et le sommeil facile. À quoi bon le souci
Des Espérances éternelles?
L’aile du vieux Saturne emporte nos beaux jours,
Et la fleur inclinée au vent du soir se fane;
Viens à l’ombre des pins ou sous l’épais platane
Goûter les tardives amours.
Ceignons nos cheveux blancs de couronnes de roses,
Buvons, il en est temps encore, hâtons-nous !
Ta liqueur, ô Bacchus, des tristesses moroses
Est le remède le plus doux.
Enfant, trempe les vins dans la source prochaine,
Et fais venir Lydie aux rires enjoués,
Avec sa blanche lyre et ses cheveux noués
À la mode Laconienne.
Tu ne sais point chanter, ô cithare ionique,
En ton mode amolli doux à la volupté,
Les flots siciliens rougis du sang punique,
Numance et son mur indompté.
Ô lyre, tu ne sais chanter que Licymnie,
Et ses jeunes amours, ses yeux étincelants,
L’enjouement de sa voix si pleine d’harmonie,
Ses pieds si légers et si blancs.
Toujours prompte, elle accourt aux fêtes de Diane ;
Aux bras nus de ses sœurs ses bras sont enlacés ;
Elle noue en riant sa robe diaphane,
Et conduit les chœurs cadencés.
Pour tout l’or de Phrygie et les biens d’Achémène,
Qui voudrait échanger ces caresses sans prix,
Et sur ce col si frais ces baisers, ô Mécène,
Refusés, donnés ou surpris ?
Ne crains pas de puiser aux réduits du cellier
Le vin scellé quatre ans dans l’amphore rustique ;
Laisse aux Dieux d’apaiser la mer et l’orme antique,
Thaliarque ! Qu’un beau feu s’égaie en ton foyer !
Pour toi, mets à profit la vieillesse tardive :
Il est plus d’une rose aux buissons du chemin.
Cueille ton jour fleuri sans croire au lendemain ;
Prends en souci l’amour et l’heure fugitive.
Les entretiens sont doux sous le portique ami ;
Dans les bois où Phœbé glisse ses lueurs pures,
Il est doux d’effleurer les flottantes ceintures,
Et de baiser des mains rebelles à demi.
Viens ! C’est le jour d’un Dieu. Puisons avec largesse
Le Cécube clos au cellier.
Fière Lydé, permets au plaisir familier
D’amollir un peu ta sagesse.
L’heure fuit, l’horizon rougit sous le soleil,
Hâte-toi. L’amphore remplie
Sous Bibulus consul repose ensevelie :
Trouble son antique sommeil.
Je chanterai les flots amers, la verte tresse
Des Néréides ; toi, Lydé,
Sur ta lyre enlacée à ton bras accoudé
Chante Diane chasseresse.
Puis nous dirons Vénus et son char attelé
De cygnes qu’un lien d’or guide,
Les Cyclades, Paphos et tes rives, ô Gnide !
Puis, un hymne au ciel étoilé.
Depuis neuf ans et plus dans l’amphore scellée
Mon vin des coteaux d’Albe a lentement mûri ;
Il faut ceindre d’acanthe et de myrte fleuri,
Phyllis, ta tresse déroulée.
L’anis brûle à l’autel, et d’un pied diligent
Tous viennent couronnés de verveine pieuse ;
Et mon humble maison étincelle joyeuse
Aux reflets des coupes d’argent.
Ô Phyllis, c’est le jour de Vénus, et je t’aime !
Entends-moi. Téléphus brûle et soupire ailleurs ;
Il t’oublie et je t’aime, et nos jours les meilleurs
Vont rentrer dans la nuit suprême.
C’est toi qui fleuriras en mes derniers beaux jours :
Je ne changerai plus, voici la saison mûre.
Chante ! Les vers sont doux quand ta voix les murmure,
Ô belle fin de mes amours !
En mes coupes d’un prix modique
Veux-tu tenter mon humble vin ?
Je l’ai scellé dans l’urne attique
Au sortir du pressoir sabin.
Il est un peu rude et moderne :
Cécube, Calès ni Falerne
Ne mûrissent dans mon cellier ;
Mais les muses me sont amies,
Et les muses font oublier
Ta vigne dorée, ô Formies !
Enfant, pour la lune prochaine,
Pour le convive inattendu !
Votre amant, Muses, peut sans peine
Tarir la coupe neuf fois pleine ;
Mais les Grâces l’ont défendu.
Inclinez les lourdes amphores,
Effeuillez la rose des bois !
Anime tes flûtes sonores,
Ô Bérécinthe, et ce hautbois ;
C’est à Glycère que je bois !
Téléphus, ta tresse si noire,
Tes yeux, ton épaule d’ivoire
Font pâlir Rhodé de langueur ;
Mais Glycère brûle en mon cœur :
Je t’aime, ô Glycère, et veux boire !
Vierges, louez Diane, et vous, adolescents,
Apollôn Cynthien aux cheveux florissants ;
Louez Latone en chœur, cette amante si chère.
Vous, celle qui se plaît aux feuillages épais
D’Érymanthe, aux grands cours d’eau vive, ou qui préfère
La verdeur du Cragus ou l’Algide plus frais.
Vous, le carquois sacré, l’épaule, la cithare
Fraternelle, et Tempé, l’honneur Thessalien !
Et la mer murmurante et le bord Délien.
Louez ces jeunes Dieux. Sur le dace barbare
Qu’ils détournent, émus de vos chants alternés,
La fortune incertaine et les maux destinés.
Il me faut retourner aux anciennes amours :
L’immortel qui naquit de la Vierge Thébaine,
Et les jeunes Désirs et leur mère inhumaine
Me commandent d’aimer toujours.
Blanche comme un beau marbre, avec ses roses joues,
Je brûle pour Néère aux yeux pleins de langueur ;
Vénus se précipite et consume mon cœur :
Tu ris, ô Néère, et te joues !
Pour apaiser les Dieux et pour finir mes maux,
D’un vin mûri deux ans versez vos coupes pleines ;
Et sur l’autel rougi du sang pur des agneaux,
Posez l’encens et les verveines.
Offre un encens modeste aux Lares familiers.
Phidylé, fruits récents, bandelettes fleuries ;
Et tu verras ployer tes riches espaliers
Sous le faix des grappes mûries.
Laisse, aux pentes d’Algide, au vert pays Albain,
La brebis qui promet une toison prochaine,
Paître cytise et thym sous l’yeuse et le chêne ;
Ne rougis pas ta blanche main.
Unis au romarin le myrte pour tes Lares,
Offerts d’une main pure aux angles de l’autel,
Souvent, ô Phidylé, mieux que les dons plus rares,
Les Dieux aiment l’orge et le sel.
Plus de neiges aux prés. La Nymphe nue et belle
Danse sur le gazon humide et parfumé ;
Mais la mort est prochaine ; et nous touchant de l’aile,
L’heure emporte ce jour aimé.
Un vent frais amollit l’air aigu de l’espace ;
L’été brûle, et voici, de ses beaux fruits chargé,
L’automne au front pourpré ; puis l’hiver ; et tout passe
Pour renaître, et rien n’est changé.
Tout se répare et chante et fleurit sur la terre ;
Mais quand tu dormiras de l’éternel sommeil,
Ô fier patricien, tes vertus en poussière
Ne te rendront pas le soleil !
Il est doux de garder sur sa table frugale
La salière antique, et d’aimer le sommeil,
Et de ne fuir ni soi ni sa vie inégale,
En changeant toujours de soleil.
Le souci, plus léger que les vents de l’Épire,
Poursuivra sur la mer les carènes d’airain :
L’heure présente est douce : égayons d’un sourire
L’amertume du lendemain.
La pourpre par deux fois rougit tes laines fines ;
Ton troupeau de Sicile est immense, et j’ai mieux :
Les muses de la Grèce et leurs leçons divines,
Et l’héritage des aïeux.
Une âme nouvelle m’entraîne
Dans les antres sacrés, dans l’épaisseur des bois ;
Et les monts entendront ma voix,
Le vent l’emportera vers l’étoile sereine.
Évan ! ta prêtresse, au réveil,
Imprime ses pieds nus dans la neige éternelle ;
Évan ! j’aime les monts comme elle,
Et les halliers divins ignorés du soleil.
Dieu des Naïades, des Bacchantes,
Qui brises en riant les frênes élevés,
Loin de moi les chants énervés :
Les cœurs forts sont à toi, Dieu couronné d’acanthes !
Évohé ! noirs soucis, adieu.
Que votre écume d’or, bons vins, neuf fois ruisselle,
Et le monde enivré chancelle,
Et je grandis, sentant que je deviens un Dieu !
Oublie, ô Pholoé, la lyre et les festins,
Les dieux heureux, les nuits si brèves, les bons vins
Et les jeunes désirs volant aux lèvres roses.
L’âge vient : il t’effleure en son vol diligent,
Et mêle en tes cheveux semés de fils d’argent
La pâle asphodèle à tes roses !
Ô blanche Tyndaris, les Dieux me sont amis :
Ils aiment les Muses Latines ;
Et l’aneth et le myrte et le thym des collines
Croissent aux prés qu’ils m’ont soumis.
Viens ; mes ramiers chéris aux voluptés plaintives
Ici se plaisent à gémir ;
Et sous l’épais feuillage il est doux de dormir
Au bruit des sources fugitives.
Non loin du cours d’eau vive échappé des forêts,
Quel beau jeune homme, ceint de molles bandelettes,
Pyrrha, te tient pressée au fond de l’antre frais
Sur la rose et les violettes ?
Ah ! Ton cœur est semblable aux flots sitôt troublés ;
Et ce crédule enfant enlacé de tes chaînes
Vous connaîtra bientôt, serments vite envolés,
Dieux trahis et larmes prochaines !
Lydia, sur tes roses joues,
Et sur ton col frais, et plus blanc
Que le lait, roule étincelant
L’or fluide que tu dénoues.
Le jour qui luit est le meilleur :
Oublions l’éternelle tombe.
Laisse tes baisers de colombe
Chanter sur tes lèvres en fleur.
Un lys caché répand sans cesse
Une odeur divine en ton sein :
Les délices, comme un essaim,
Sortent de toi, jeune Déesse !
Je t’aime et meurs, ô mes amours !
Mon âme en baisers m’est ravie.
Ô Lydia, rends-moi la vie,
Que je puisse mourir toujours !
Je n’ai ni trépieds grecs, ni coupes de Sicile,
Ni bronzes d’Étrurie aux contours élégants ;
Pour mon étroit foyer tous les Dieux sont trop grands
Que modelait Scopas dans le Paros docile.
De ces trésors, Gallus, je ne puis t’offrir rien ;
Mais j’ai des mètres chers à la Muse natale ;
La lyre en assouplit la cadence inégale.
Je te les donne, ami ! c’est mon unique bien.