Études sur l’Italie/03

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Études sur l’Italie

III.
À M. Charles de Malartic.

À l’ave-maria quel est donc ce jeune homme
Qui traverse pensif la campagne de Rome,
Un carton sous le bras, un fusil dans la main ? —
Je ne me trompe pas, c’est le Guaspre-Poussin,
Qui, sous la fraîche brise et le ciel diaphane,
S’en revient de Tibur ou des coteaux d’Albane ;
Il écoute mourir les agrestes chansons,
Et se tourne souvent vers les grands horizons.
Quand la cloche du soir le rappelle à la ville,
Le peintre à ce retour est toujours indocile,
Et semblable à l’enfant paré de blonds cheveux,
Que sa mère en grondant vient ravir à ses jeux,
Il voit avec douleur s’éteindre la lumière ;
Ses pieds vont en avant et ses yeux en arrière :
Car il laisse là-bas sous les nuages d’or
Les chênes verts, les pins et tout son cher trésor.


Il est doux, au printemps, de mener cette vie,
De suivre le matin sa belle fantaisie,

Et lorsque le soleil de la mer est sorti,
D’aller peindre d’abord auprès de Frascati,
Et de monter ensuite au haut de la colline
D’où l’on découvre au loin les monts de la Sabine ;
Puis de s’acheminer à Grotta-Ferrata,
Et fatigué du jour, de se reposer là.
Ami, combien de fois, en ma plus fraîche année,
N’avons-nous pas ainsi consumé la journée !
Et puis nous retournions dans notre après-midi
Par Saint-Jean de Latran à Casa Lucidi,
Et nous allions revoir cette excellente femme
Aimant le pape et Dieu du plus fort de son âme ;
Et lorsque la douleur la clouait sur son lit,
Suspendant à son col un chapelet bénit ;
Et le vieillard Bruschi, jovial et digne homme,
Pauvre et simple de cœur comme un bourgeois de Rome,
Ayant fait une fois, à l’âge de trente ans,
Le voyage de Naple, et de cet heureux temps
Qui fut, n’en doutons pas, le plus doux de sa vie,
Parlant incessamment la face épanouie,
Et sachant retrouver un reste de chaleur
Pour nous vanter David, le céleste chanteur.
Près du prince Colonne il faisait son service,
Puis allait à Saint-Pierre entendre un bel office,
Et racontait, le soir, avec naïveté,
La nouvelle courant dans l’antique cité ;
Du reste, ayant un peu de tout dans sa mémoire,
Et sur les cardinaux récitant mainte histoire.
En son étroite chambre il n’avait qu’un tableau,
Mais ce tableau sans cadre était ancien et beau ;
Et lorsqu’un étranger venait dans sa famille,
Il prenait par la main sa plus petite fille,
Et les menant ensemble à l’objet précieux,
Sur les yeux du Français il fixait ses grands yeux,
Et puis lui demandait d’une voix attendrie
Si l’on avait aussi des arts dans sa patrie.

Ma divine Italie, oh ! mère de beauté,
Terre de grand savoir et de simplicité,
Où le mourir est calme et le vivre facile,
On voit encor chez toi, comme au temps de Virgile,
Quelques hommes choisis, vrais enfans des Latins,
Cacher au feux du jour leurs modestes destins,
Et sans brûler leur sang des passions nouvelles,
Aimer encor Sylvain et les nymphes jumelles ;
Gardant à l’étranger un toit hospitalier,
Et des Lares d’argile auprès de leur foyer.