Évelina/Lettre 3

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Évelina (1778)
Maradan (1p. 14-16).


LETTRE III.


(écrite plusieurs mois après la dernière.)


Lady Howard à M. Villars.
Howard-Grove, 8 mars.

Monsieur,

Votre dernière lettre m’a fait un plaisir infini : quelle satisfaction pour vous et pour vos amis, de vous voir relevé d’une aussi longue maladie ! Tous les habitans de ce château font mille vœux pour votre prompt et parfait rétablissement.

Ne penserez-vous pas que je vais tirer parti de cet heureux événement, si je vous parle encore de votre pupille et de Howard-Grove dans une même phrase ? Souvenez-vous cependant de la résignation avec laquelle nous avons consenti à vous la laisser pendant toute votre maladie ; ce n’est qu’avec beaucoup de peine que nous nous sommes défendus de vous demander sa société. Ma petite-fille, sur-tout, désire vivement de rejoindre l’amie de son enfance, et moi-même je brûle d’impatience de prouver l’estime que j’avois pour l’infortunée lady Belmont, en rendant service à son enfant ; c’est, je pense, la meilleure façon d’honorer sa mémoire. Permettez donc, monsieur, que je vous communique un plan que j’ai formé de concert avec madame Mirvan, dès que nous avons appris la nouvelle de votre convalescence.

Mon dessein n’est pas de vous effrayer. — Mais croyez-vous pouvoir vous séparer de votre élève pendant deux ou trois mois ? Madame Mirvan se propose de passer le printemps prochain à Londres : ma petite-fille l’y accompagnera pour la première fois. Elles souhaitent, mon cher ami, l’une et l’autre, que votre aimable pupille soit de la partie ; le voyage en sera d’autant plus agréable. Madame Mirvan partagera ses soins et ses attentions entre elle et sa propre fille. Ne soyez point surpris de ce projet ; il est temps que votre élève commence à connoître le monde. Les jeunes gens qui en sont trop sévèrement séquestrés, s’en font une trop haute idée : leur imagination vive et romanesque le peint comme un paradis qu’on leur a caché injustement ; mais lorsqu’ils l’ont vu de près et à temps, ils apprennent à l’envisager tel qu’il est, partagé entre les peines et les plaisirs, l’espérance et les revers.

Ne craignez rien de sir John Belmont. Ce misérable est actuellement en voyage, et n’est point attendu de retour cette année.

Eh bien ! mon cher monsieur, que dites-vous de notre plan ? J’espère qu’il aura votre approbation : sinon, je me soumettrai également à votre décision, comme à celle d’un homme que je respecte et que j’estime. C’est avec ces sentimens que je suis, &c.

M. Howard.