Œuvres complètes (Beaumarchais)/Lettres/Lettre 07

La bibliothèque libre.
Œuvres complètes, Texte établi par Édouard Fournier, Laplace (p. 642-643).
◄  À M.***
LETTRE VII.
À M. DE SARTINES.
Calais, ce 26 juillet 1774.

Tout considéré, monsieur, j’ai pris ma route de Hollande par Calais, parce qu’on m’a fait craindre de rester cinq ou six jours en mer dans mon passage d’Harwich à Amsterdam ; je ne perdrai pas autant de temps à faire la course par terre, et je souffrirai moins. Mon passage a été rude, mais beaucoup moins que le dernier.

J’ai appris en rentrant en France les nouvelles commotions relativement au nouveau système ; j’en suis bien affligé, car j’ai bien de l’inquiétude que les moyens de rigueur ne soient pas les meilleurs de tous pour arranger les affaires, et que l’aigreur ne s’empare des esprits : il eût été fort à souhaiter qu’on eût pu les rapprocher.

Il semble qu’en arrivant de chez l’étranger on se sente l’âme plus patriotique de moitié. Notre jeune maître donne de si bonnes espérances, sa réputation est si belle chez l’étranger, que je voudrais, pour tout ce que je possède, que rien n’y pût porter la moindre atteinte !

Je compte être de retour avant quinze jours à Paris, et vous y renouveler de vive voix les assurances du très-respectueux attachement avec lequel j’ai l’honneur, etc.

P. S. On m’a mandé que vous vous plaigniez du peu de fréquence de mes lettres : j’ai pourtant écrit régulièrement ; mais je n’ai pas, il est vrai, confié à la poste des détails aussi nets que ceux que contient cette lettre, qui vous parvient par une voie sûre : car, suivant la maxime qu’on peut faire à autrui ce qu’il nous fait lui-même, le ministre anglais m’a appris qu’on décachetait en Angleterre tout ce qui avait rapport à la France. Et voilà comme les basses ressources de la politique finissent par n’être plus qu’un commerce réciproque de vilenies, qui n’est utile à personne.

J’ai peur de devenir misanthrope, car je me surprends à réfléchir bien austèrement sur tout le mal que j’aperçois.

J’ai eu besoin en Angleterre d’un manège bien délicat pour finir mon opération, car j’y voyais des risques de plus d’un genre. Enfin elle est finie, et tout est en sûreté. Du secret jusqu’à mon retour, je vous prie !